Philosophie
du langage et construction du sens
La correspondance entre notre perception du monde et
ce que nous en disons (nos représentations) n’est pas simple, au sens de
biunivoque. Toutes les langues sont imprécises, floues, incohérentes : c’est le
principe du dialogue, où les intervenants passent leur temps à ajuster leurs
représentations, sans que l’accord ne soit jamais garanti.
Alors, comment fonctionne notre rapport au monde :
on le décrit, ou on le façonne ? Nos
représentations sont-elles une donnée de l’observation, ou une construction par
et dans des langues naturelles ? La communication, c’est un processus d’encodage,
de transmission et de décodage, ou bien un processus de construction
essentiellement variable ?
Petit rappel historique : Platon et Aristote, le
Moyen-Âge, la logique classique et les valeurs de vérité, l’époque moderne
(Saussure, Martinet, la philosophie du langage de tradition anglo-saxonne,
Searle, Chomsky, Tesnière, Benvéniste…), l’intelligence artificielle…
On présente souvent le langage comme un instrument de
communication dont on se servirait dans nos interactions sociales. Mais peu de
place est accordée aux aspects qui ne s’accommodent pas de ce point de vue
idéal, à savoir à la communication non réussie : mensonge, lapsus, productions
aphasiques, discours de tel ou tel domaine, humour…
La notion d’ambiguïté devient alors centrale : c’est
la propriété d’un terme (mot, phrase, signe…) de recevoir plus d’une
interprétation. Et cette propriété dépend des locuteurs, qui ne portent pas
forcément les mêmes jugements d’univocité ou d’ambiguïté sur les mêmes termes.
Les langues naturelles présentent, par définition, des
propriétés génératrices d’ambiguïté. Par rapport à la séparation en syntaxe,
sémantique et pragmatique – c’est toujours pareil : on découpe, on nomme, et on
pense avoir fait le tour de la question… –, c’est un renversement de
perspective.
Dans le vocabulaire, on retrouve toujours les mêmes
notions primitives universelles : ça tombe (le stylo), ça mouille (la pluie),
c’est plat (la table), ça ne se produit qu’une fois (la bombe explose), etc. On
va pouvoir discuter du stylo qui s’envole ou de la mitraillette qui ne crépite
qu’une fois… ou sur la représentation de la glace chez les Inuits ou chez les
Wolofs.
La structuration du réel est régulière dans les
langues : il y a ce qui est ouvert (le courage), ce qui se compte (les
voitures) et ce qui se mesure (la farine). Il y aussi les ‘’state of affairs’’
qui ne sont pas bornés (On l’appelle Trinita), ceux qui sont bornés (Après la
pluie, le beau temps), ceux que l’on borne (Il a plu : la route est mouillée),
ceux que l’on place dans le non vérifiable (Demain il pleut), etc.
Voir René Thom et les ‘’Modèles mathématiques de la
morphogénèse’’, ou encore la construction du réel dans les processus
d’acquisition du langage par les enfants en psychologie cognitive.
De même dans le découpage du temps/aspect :
passé–présent–futur, ce n’est pas universel. En anglais, on n’a pas de futur,
au sens de temps de la conjugaison, mais on a recours à des modaux (will, may,
can…), qui renvoient plutôt à des notions de contrainte qui pèsent sur le
locuteur, ou pas (You shall do as you’re told, We shall never surrender, Any
day will do…).
Le locuteur, nous y voilà. Son activité de sujet
parlant consiste à tout repérer par rapport à lui en établissant des identités
(je, ici, maintenant), des différences (tu, là-bas, hier) ou des ruptures (il,
ailleurs, un jour), dans un entrelacs de relations de repérage, et c’est bien
le diable si tous les participants au dialogue sont d’accord…
C’est par là qu’il faut comprendre la construction du
sens. Les cas où nous nous comprenons sont bien rares et plutôt miraculeux…
Pour finir, il faut renvoyer aux tentatives de mise à
l’épreuve de ces hypothèses par le recours à la formalisation et à la
confrontation avec l’outil informatique.
On peut isoler des mots-clés dans une question et les
comparer avec les mots-clés d’un texte de référence : c’est la notion
d’indexation, à la base des moteurs de recherche.
Pour ce qui est de représenter les n structures
lexicales (Il a été blessé au front) ou syntaxiques (Flying planes can be
dangerous), on a recours à des programmes qui donnent effectivement les n
représentations sous forme d’arbres ou de listes enchassées (notion de
récursivité). Pour la pragmatique, la signification selon le contexte
d’énonciation, c’est plus compliqué. Les outils conceptuels doivent être
construits, là encore, plus loin que la logique des propositions et des
prédicats.
Ainsi, lorsqu’il faut produire les innombrables
paraphrases d’un énoncé (Il a beaucoup plu, il va pleuvoir, la pluie ne
s’arrêtera donc pas, il faudrait qu’il pleuve…), la difficulté est de se donner
les moyens de représenter les propriétés topologiques des procès en question
(systèmes d’apprentissage), et des grammaires d’opérateurs de repérage pour
représenter l’ambiguïté et les ajustements permanents entre locuteurs.
C’est le sens des recherches menées naguère à Paris 7,
Paris 3, Caen, Clermont-Ferrand, et ailleurs.
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