dimanche 25 février 2024

Sujjet du Merc. 28 Fev. 2024 : Ad Feuerbach.

                                            Ad Feuerbach.  

Le titre de ce philopiste est emprunté à quelques notes écrites en 1845 par Karl Marx et Friedrich Engels et connues sous le titre « Thèses sur Feuerbach ». Ludwig Feuerbach (né en 1804) a été étudiant de Hegel dont il a quitté l’enseignement en 1826. Il se rend célèbre dans un essai paru en 1830 « Pensées sur la mort et sur l'immortalité ». Il y affirme que la Raison seule est immortelle et conclut qu'il faut nier l'immortalité personnelle, revendiquant ainsi l'athéisme. Le livre est publié anonymement mais très rapidement ses collègues qui en est l'auteur. L'indignation du corps professoral lui interdira toute chaire universitaire. Mais il revient à des préoccupations religieuses dont naîtra, en 1841, son ouvrage fondamental, L'essence du christianisme. Le livre connaît un grand succès (il sera réédité deux fois, en 1842 et en 1848). Il s'agit de révéler les mystères de la religion afin que l'homme puisse se connaître lui-même.   
           
Friedrich Engels souligne de la manière suivante l'importance du rôle historique de Ludwig

Feuerbach :

« C'est alors que parut l'Essence du christianisme, de Feuerbach. D'un seul coup, il réduisit en poussière la contradiction, en replaçant carrément de nouveau le matérialisme sur le trône.

La nature existe indépendamment de toute philosophie ; elle est la base sur laquelle nous autres hommes, nous-mêmes produits de la nature, avons grandi ; en dehors de la nature et des hommes, il n'y a rien, et les êtres supérieurs créés par notre imagination religieuse ne sont que le reflet fantastique de notre être propre. L’enchantement était rompu ; le « système » était brisé et jeté au rancart » L. Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande 1888)

Feuerbach et le matérialisme :      
Le cartésianisme considère que les humains pensent, thèse réfutée par le matérialisme qui considère que la conscience n'est que le reflet de la réalité. Mais le risque est de basculer dans une vision mécanique, où la pensée ne consisterait qu'en une réaction à des stimuli, ce qui est précisément la thèse du béhaviorisme.

Pour les matérialistes les humains n'agissent donc pas mécaniquement, pas plus qu'ils ne sont libres ; leur psychologie se fonde sur leur existence réelle, naturelle, et le processus dialectique de leur pensée comme reflet de la réalité, mais aussi donc de leur propre réalité, puisqu'ils font partie de la réalité.

Pour cette raison, Ludwig Feuerbach reconnaît l'importance historique de l'empirisme, qui a été développé par Francis Bacon, dans une démarche précisément opposée à René Descartes qui lui rejette les sens :

« La grande signification historique de l'empirisme consiste de fait en ce qu'il donne aux sens leur droit en tant que moyen de la connaissance, qu'il a élevé à un objet substantiel en particulier la sphère de l'indirect, de l'empirique. »

(L. Feurbach : Histoire de la nouvelle philosophie)

Naturellement, ce n'est qu'une étape : Ludwig Feuerbach n'est donc pas empiriste, il ne s'arrête pas aux sens, cependant il ne rejette pas ceux-ci comme le fait René Descartes.

D'où sa formulation, dès une œuvre de jeunesse (Critique de l'empirisme), comme quoi :

« La pensée est la chose comme elle est, la représentation par les sens la présentation de la chose comme elle apparaît. Les sens nous donnent des images, les choses ne nous sont données que par la pensée (…).

Avec les sens nous lisons le livre de la nature, mais nous ne le comprenons pas par les sens. La compréhension raisonnée est un acte par lui-même, un acte absolument indépendant. Ce que saisit la compréhension raisonnée, il ne le comprend qu'à partir de et à travers lui-même ; il n'y a que ce qui est conforme à la compréhension raisonnée qui est un objet de la raison. La compréhension raisonnée est sa propre mesure, son principe propre ; il est causa sui [cause de soi-même], l'absolu dans les êtres humains. »


Feuerbach critique de Hegel :       
 Feuerbach reproche aussi à Hegel d'avoir posé l'être comme un concept sans présupposition alors qu'il s'agit en réalité d'une abstraction : ce n'est pas le néant qu'il faut opposer à l'être pur mais l'être concret et sensible. Hegel, comme toute la philosophie depuis Descartes, en rompant avec la perception sensible, a coupé l'homme de son expérience et ne pénètre jamais dans le monde concret.      

Puisque nature et esprit s'opposent, la philosophie ne doit pas prendre pour point de départ l'esprit mais la nature qui permet d'éclairer les démarches de l'esprit. Le mépris de la nature est un héritage de la théologie chrétienne et Hegel est en réalité un théologien travesti en philosophe : Hegel considère que la réalité est posée par l'idée comme la théologie considère que la nature est créée par Dieu.

Il s'agit de réinterpréter les notions d'être et de penser : l'être doit être affranchi du logos pour qu'il perde son caractère abstrait et se charge de la richesse d'exister. Le penser, obligé de tenir compte désormais d'un être enrichi de tout ce que lui apportent les sens, se hausse au niveau du connaître. Les sens donnent accès aux vérités philosophiques.           

 À la différence des animaux, l'homme a une vie intérieure et a conscience de faire partie d'une espèce. L'homme, pour Feuerbach, se définit par la raison (qui permet la pensée), la volonté (permettant l'action) et l'amour (fondement de la vie en commun). " L'homme existe pour connaître, pour aimer, pour vouloir " Mais l'homme se rend compte du caractère fini de ces prédicats en les comparant à ceux de son espèce et comprend qu'il est incapable de réaliser par ses propres moyens le vrai, le bien et l'amour. Il va donc projeter ces attributs humains hors de lui et les transférer à un être supérieur qu'il appelle Dieu. L'homme découvre donc, grâce à la religion, sa propre essence mais séparée de lui puisqu'il la confie à un être hors de lui-même. L'homme a, au fond, créé Dieu à son image ou plutôt à l'image de son espèce puisque les attributs divins sont infinis et qu'ils sont finis dans l'individu. Ce mécanisme est exactement ce qu'on appelle un processus d'aliénation c'est à dire de perte de soi dans un autre, cet autre ici étant Dieu.   

Mais ici apparait (ou réapparait) l’hégélianisme dans lequel a baigné Feuerbach. En effet, Il ne s'agit pas chez Feuerbach de détruire les valeurs religieuses. L'athéisme conserve les valeurs traditionnelles mais leur enlève toute caution divine. Enlever Dieu n'est donc pas enlever à l'homme les obligations qui sont les siennes mais, au contraire, donner à l'homme la pleine responsabilité de son destin. Les valeurs traditionnelles sont simplement laïcisées. Elles en deviennent même plus fortes car elles ne sont plus imposées de l'extérieur mais sont inhérentes à l'homme.    

Il faut bien voir que, pour Feuerbach, la religion a une nécessité historique. Elle est la première étape nécessaire pour qu'ensuite l'homme prenne conscience de son essence. Prenons un exemple, celui des « hommes providentiels », des « héros », que dit Feuerbach des : « grands hommes, des hommes exemplaires » qui « n’avaient qu’une seule passion fondamentale et dominante réaliser la fin qui constituait l’objet essentiel de leur activité ». L’objet donc, sans lequel ces hommes exemplaires n’auraient rien été, c’est la fin qui était la leur : il s’agit donc d’un objet pensé ou représenté, mais pas d’un objet sensible, existant réellement et effectivement donné.
Et si l’on demande maintenant pourquoi ces hommes n’auraient rien été sans cette fin qui était leur objet, la réponse feuerbachienne est que cette fin n’était pas autre chose qu’eux-mêmes, c’est-à-dire leur propre essence prise comme objet ou fin : dans cette fin, c’est leur propre essence qu’ils prennent pour objet, c’est leur propre essence qu’ils objectivent en la prenant pour fin.

La thèse de Feuerbach, est directement liée à la question de la différence humaine, pour lui, spécifique, c’est-à-dire à la capacité de se prendre soi-même comme objet et pour fin – ce qui est la définition même de la conscience. Mais comment nait la conscience ? L’homme serait il un être d’exception dans la nature ? Le seul à se concevoir comme objet et fin ?

Le fait d’être conscient ne modifie pas la nature des hommes d’une manière qui ferait d’eux des êtres échappant à l’ordre commun de la nature : ils sont et restent des êtres objectifs et naturels doués d’une activité vitale spécifique, caractérisée comme activité productive, avec cette différence propre qu’ils sont des êtres qui actualisent leur activité vitale en sachant qu’ils le font, c’est-à-dire avec conscience et volonté. Ainsi les hommes n’échappent pas à la condition générale des êtres naturels comme êtres objectifs, mais au contraire ils redoublent cette condition, ils en ajoutent dans l’objectivité : ils sont non seulement dans un rapport vital de dépendance à l’égard du reste de l’objectivité de la nature, mais ils savent qu’ils le sont, ce qui veut dire que le déploiement naturel ou spontané de leur activité vitale se redouble d’une volonté de manifester cette activité par eux-mêmes, de l’exprimer activement, c’est-à-dire, en un sens spinoziste, d’être la cause adéquate de leur propre activité.

Contrairement à Feuerbach les matérialistes conçoivent la conscience comme la compréhension des causes objectives de l’activation humaine, c’est-à-dire comme la connaissance que les hommes forment d’eux-mêmes en tant que parties de la nature, alors cette connaissance enveloppe elle-même la capacité pour les hommes d’être eux-mêmes la cause d’une activité qu’ils ne se contentent pas d’être, mais qu’ils ont, qu’ils possèdent, qu’ils prennent pour objet et qu’ils peuvent dès lors développer activement et volontairement.

 

Marx et Feuerbach (Thèses sur Feuerbach) :     

On retrouve bien chez Marx comme chez Feuerbach la notion d’« être objectif » mais :           
Pour Marx : cela veut dire que les hommes sont ceux qui se connaissent en tant qu’êtres objectifs, c’est-à-dire en tant que parties du tout objectif de la nature. La conscience, ou ce que « les philosophes » appellent la conscience, c’est pour Marx la connaissance de soi comme objet – ce qui ne veut pas dire se prendre soi-même pour objet, mais se connaître et se comprendre en tant qu’être objectif inscrit dans le tout de la nature, et donc aussi se reconnaître comme dépendant d’autres êtres également objectifs.  

Feuerbach quant à lui ne fait que réformer le point de vue de la philosophie de la conscience, notamment en posant que la conscience de soi possède la même forme que la conscience d’objet. Il affirme bien, contre Hegel, qu’il n’y a de conscience de soi possible que dans l’objet et qu’en niant son objet essentiel, la conscience se nie tout aussi bien elle-même. Ce qui signifie qu’il n’y a pas de conscience immédiate de soi possible, que toute conscience de soi est seconde, en ce qu’elle passe ou transite d’abord par la conscience de soi comme objet ou sous une forme objective. Néanmoins, il s’agit bien ensuite de reprendre en soi ce qu’on a tout d’abord mis de soi dans l’objet : par exemple, il s’agit bien, pour sortir de la religion et de l’aliénation religieuse, que l’homme se réapproprie tous les prédicats humains qu’il devait d’abord réaliser et objectiver en Dieu pour en prendre ensuite conscience comme étant les siens propres.           

Bref, si, chez Feuerbach, il ne s’agit plus, comme chez Hegel, de nier l’objectivité elle-même, il s’agit néanmoins bel et bien de dépouiller un contenu de la forme objective qu’il était inévitable qu’il prenne d’abord. La différence entre Hegel et Feuerbach est finalement la suivante : tandis que Feuerbach se scandalise de l’objectivité aliénée, Hegel se scandalise de l’objectivité en tant que telle.         

De l’aliénation :       
Pour Marx, contre Hegel et Feuerbach, rien n’atteste donc plus clairement l’aliénation des hommes, que la conception qu’ils ont d’eux-mêmes en tant que sujets conscients d’eux-mêmes, c’est-à-dire en tant qu’êtres par essence ou par nature distincts de l’objectivité, ou encore, pour le dire en termes spinozistes, la conception qu’ils ont d’eux-mêmes comme d’un « empire dans un empire ». Marx explique clairement que c’est uniquement par l’effet d’une procédure d’abstraction, c’est-à-dire d’isolement de soi hors du tout, que les hommes peuvent se concevoir comme des sujets essentiellement caractérisés par la conscience de soi, celle-ci étant elle-même comprise comme un trait qui distingue et sépare les hommes de tout autre être.

Les hommes sont des êtres naturels caractérisés non pas d’abord par leur capacité à former un savoir des essences, à commencer par la leur, mais par leur capacité à former une connaissance des causes, une connaissance des choses par leurs causes, étant entendu qu’une telle connaissance ne se forme que de manière immanente au déploiement de l’activité productive et vitale dont les hommes sont eux-mêmes les causes. Ne pas seulement être sa propre activité, mais l’avoir, c’est-à-dire la connaître à partir de ses causes, voilà qui n’isole pas les hommes du reste de l’objectivité, mais au contraire fait d’eux des êtres plus objectifs que tous les autres, justement parce qu’ils sont capables d’une connaissance des causes par lesquelles ils sont agis en tant que partie du tout.

lundi 19 février 2024

Sujet du Merc. 21/02/2024 : La nature selon La Mettrie.

 

                 La nature selon La Mettrie.  

Julien Jean Offray de La Mettrie (1709 – 1751) est connu comme médecin et philosophe matérialiste.
           

« La Philosophie, aux recherches de laquelle tout est soumis, est soumise elle-même à la Nature, comme une fille à sa Mère ». Qu’est-ce que la vie ? Un effet de l’organisation. Qu’est-ce que l’organisation ? Un effet de la matière. S’il y a de la vie dans la nature, tout n’y vit pas.         
« Ce n’est point la nature des principes solides des corps qui en fait toute la variété, mais la diverse configuration de leurs atomes…Si les corps des autres règnes n’ont ni sentiments ni pensées, c’est qu’ils ne sont pas organisés pour cela, comme les hommes et les animaux : semblables à une eau qui tantôt croupit, tantôt coule, tantôt monte, descend ou s’élance en jet d’eau, suivant les causes physiques et inévitables qui agissent sur elle. » (La Mettrie, Abrégé des systèmes). Ni animisme, donc, ni vitalisme : l’organisation suffit à tout et « il n’y a dans tout l’univers qu’une seule substance diversement modifiée ».        

Le naturalisme de La Mettrie est un matérialisme : la substance unique, c’est la matière, et c’est le tout du réel l’immatérialité n’est qu’« un grand mot vide de sens » (Id). La nature est une, malgré sa diversité (c’est ce que La Mettrie appelle 1’« uniforme variété de la nature»; mais cette unité est celle d’une substance, et non d’un sujet.
           
On pourrait voir là une appréciation spinoziste (que La Mettrie connait, mais de seconde main), sauf que La Mettrie refuse que la nature, comme le voulait Spinoza, soit chose pensante : « La pensée n’est qu’une modification accidentelle du principe sensitif, qui par conséquent ne fait point partie pensante de l’Univers ».          
Pour La Mettrie, Spinoza lui paraît à la fois trop dogmatique et trop peu matérialiste pour qu’il puisse s’y reconnaître tout à fait. La Mettrie préfère la médecine à la géométrie, l’observation à la métaphysique.           
Le système de la nature qui a ses préférences, c’est bien plutôt celui d’Épicure.  
L’unité de la nature n’en demeure pas moins, et c’est une unité, pourrait-on dire, sans sujet ni fin(s). Ainsi écrit-il dans (le système d’Epicure) :

 « Comme, posées certaines lois physiques, il n'était pas possible que la mer n’eût son flux et son reflux, de même certaines lois du mouvement ayant existé, elles ont formé des yeux qui ont vu, des oreilles qui ont entendu, des nerfs qui ont senti, une langue tantôt capable et tantôt incapable de parler, suivant son organisation ; enfin elles ont fabriqué le viscère de la pensée.

La nature a fait, dans la machine de l’homme, une autre machine qui s’est trouvée propre à retenir les idées et à en faire de nouvelles, comme dans la femme, cette matrice, qui d’une goutte de liqueur fait un enfant. Ayant fait, sans voir, des yeux qui voient, elle a fait, sans penser, une machine qui pense.

Quand on voit un peu de morve produire une créature vivante, pleine d'esprit et de beauté, capable de s’élever au sublime du style, des mœurs, de la volupté, peut-on être surpris qu’un peu de cervelle de plus ou de moins constitue le génie, ou l’imbécillité ? ».        
           
Evidemment cela rappelle furieusement Descartes et son « homme machine ». Pour La Mettrie, Descartes avait raison mais, pour lui, il faut aller plus loin, et affirmer que les hommes, « quelque envie qu'ils aient de s’élever, ne sont au fond que des animaux et des machines perpendiculairement rampantes ».    
           
En effet, il critique chez Descartes une sorte de volonté métaphysique remplaçant causes et effet : « Les éléments de la matière, à force de s’agiter et de se mêler entre eux, étant parvenus à faire des yeux, il a été aussi impossible de ne pas voir que de ne pas se voir dans un miroir, soit naturel, soit artificiel. L’œil s’est trouvé le miroir des objets, qui souvent lui en servent à leur tour. La nature n’a pas plus songé à faire l’œil pour voir, que l'eau, pour servir de miroir à la simple bergère. L’eau s’est trouvée propre à renvoyer les images ; la bergère y a vu avec plaisir son joli minois. C’est la pensée de l’auteur de l’Homme machine. ».          

La critique est directe, et elle l’avantage de permettre à La Mettrie de préciser sa conception nature/homme. En fait, la conception de la nature, pour La Mettrie, est avant tout une conception de l’homme : « Les divers états de l’âme sont toujours corrélatifs à ceux du corps », ou mieux « toutes les facultés de l’âme dépendent tellement de la propre organisation du cerveau et de tout le corps, qu’elles ne sont visiblement que cette organisation même ; voilà une machine bien éclairée ! [...] L’âme n’est donc qu’un vain terme dont on n’a point idée, et dont un bon esprit ne doit se servir que pour nommer la partie qui pense en nous. ».


La Mettrie est de manière évidente proche des explications des matérialistes. Comme Épicure, en effet, comme Spinoza, et comme leurs disciples modernes, il pense que la nature est sans morale, sans vie, sans finalité.

Mais il ne se laisse enfermer dans aucun système. Le pur hasard atomistique peut parfois lui sembler trop court, pour expliquer la nature, comme la nécessité spinoziste peut parfois lui sembler trop religieuse, trop métaphysique ou trop abstraite. Cela ne l’empêche pas d’utiliser l’une et l’autre de ces deux pensées, mais de manière toujours critique et libre.         
           
C’est que, pour lui, l’essentiel est ailleurs : l’essentiel est de ne pas laisser la religion nous enfermer dans l’illusion, l’angoisse ou la culpabilité. La nature n’est pas Dieu, et c’est la nature que le philosophe doit suivre.           
La Mettrie aimait trop le plaisir et la vérité pour accepter que des dogmes incertains et menaçants prétendent s’immiscer entre le réel et lui, et limiter en quoi que ce soit son appétit de jouir et de penser. Ce par quoi il appartient bien aux Lumières :           

« On peut élever la voix, écrivait-il à la fin de sa vie, se servir de sa raison, et jouir enfin du plus bel apanage de l’humanité, la faculté de penser. Les théologiens juges des philosophes ! Quelle pitié ! C’est vouloir ramener la superstition et la barbarie. » 


                                                   Mercredi 28 Février 2024   

                                             Sujet : Ad Feuerbach.       

dimanche 11 février 2024

Sujet du Merc. 14 Fev. 2024 : Tu vivras comme un dieu parmi les hommes ....

 

Alors que la vie humaine gisait à nos yeux honteusement écrasée sous le poids de la religion, qui sortait sa tête des régions du ciel, accablant les mortels de son horrible aspect, le premier, un homme un Grec, osa lever au ciel des yeux mortels et le premier, il osa résister. Ni les fables relatives aux dieux, ni la foudre, ni le ciel avec ses grondements menaçants ne l'ont abattu. Au contraire ces éléments ont rendu si ardent le courage de son âme que le premier, il désirait briser les verrous serrés des portes de la nature. Ainsi la vigueur vive de son âme vainquit et s'avança bien au-delà des murailles enflammées du monde. Il a parcouru par son intelligence, et son courage l'immensité du Tout, d'où, victorieux, il nous a rapporté ce qui pouvait naître, ce qui ne le pouvait pas, et selon quel système une puissance limitée était accordée aux choses, ainsi que une fin profondément enracinée. C'est pourquoi la religion, terrassée à terre, est à son tour écrasée, sa victoire nous égale au ciel  - 

Lucrèce, De rerum natura, livre I, vers 62 au 79 Eloge d’Epicure

                  Tu vivras comme un dieu parmi les hommes .... 

Philosopher :
« Même jeune, on ne doit pas hésiter à philosopher. Ni, même au seuil de la vieillesse, se fatiguer de l'exercice philosophique. … Tel., qui dit que l'heure de philosopher n'est pas venue ou qu'elle est déjà passée, ressemble à qui dirait que, pour le bonheur, l'heure n'est pas venue ou qu'elle n'est plus.

Sont donc appelés à philosopher le jeune comme le vieux. Le second pour que, vieillissant, il reste jeune en biens par esprit de gratitude à l'égard du passé. Le premier pour que jeune, il soit aussi un ancien par son sang-froid à l'égard de l'avenir. »

 

Les dieux :    
«  D'abord, tenant le dieu pour un vivant immortel et bienheureux, selon la notion du dieu communément pressentie, ne lui attribue rien d'étranger à son immortalité ni rien d'incompatible avec sa béatitude… Car les dieux existent : évidente est la connaissance que nous avons d'eux. Mais tels que la foule les imagine communément, ils n'existent pas : les gens ne prennent pas garde à la cohérence de ce qu'ils imaginent.

N'est pas impie qui refuse les dieux populaires, mais qui sur les dieux, projette les superstitions populaires. »

 

La mort :      
« Accoutumes toi sur ce point à penser que pour nous la mort n'est rien, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation, et que la mort est l'éradication de nos sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la mort ne nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui conférant une durée infinie, niais en l'amputant du désir d'immortalité…
Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non parce qu'il souffrira en mourant, mais parce qu'il souffre à l'idée qu'elle approche.    
Quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c'est nous qui ne sommes pas. Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné, que pour les uns, elle n'est point, et que les autres ne sont plus. »     

Vivre :
« Celui qui incite d'un côté le jeune à bien vivre, de l'autre le vieillard à bien mourir est un niais, non tant parce que la vie a de l'agrément, mais surtout parce que bien vivre et bien mourir constituent un seul et même exercice. 
S'il est persuadé de ce qu'il dit, que ne quitte-t-il la vie sur le champ Il en a l'immédiate possibilité, pour peu, qu'il le veuille vraiment. S'il veut seulement jouer les provocateurs, sa désinvolture en la matière est déplacée.
Souvenons-nous d'ailleurs que l'avenir, ni ne nous appartient, ni ne nous échappe absolument, afin de ne pas tout à fait l'attendre comme devant exister, et de n'en point désespérer comme devant certainement ne pas exister. »

 

Les désirs :   
Certains d'entre les désirs sont naturels, d'autres vains, et si certains des désirs naturels sont contraignants, d'autres ne sont... que naturels. Parmi les désirs contraignants, certains sont nécessaires an bonheur, d'autres à la tranquillité durable du corps, d'autres à la vie même.  
Or, une réflexion irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix et rejet à la santé du corps et à la sérénité de l'esprit (intellect).         
C'est sous son influence que nous faisons toute chose, dans la perspective d'éviter la souffrance et l'angoisse. 

 

Le plaisir :

« Quand nous parlons du plaisir comme d'un but essentiel, nous ne parlons pas des plaisirs du noceur irrécupérable ou de celui qui a la jouissance pour résidence permanente comme se l'imaginent certaines personnes peu au courant et réticentes, ou victimes d'une fausse interprétation, mais d'en arriver au stade où l'on ne souffre pas du corps et où l'on n'est pas perturbé intellectuellement.

C'est lui (le plaisir) que nous avons reconnu comme bien premier, né avec la vie. C'est de lui que nous recevons le signal de tout choix et rejet. C'est à lui que nous aboutissons comme règle, en jugeant tout bien d'après son impact sur notre perception du monde.           
Ainsi tout plaisir, par nature, a le bien pour intime parent, sans pour autant devoir être cueilli. Symétriquement, toute espèce de douleur est un mal, sans que toutes les douleurs soient à fuir obligatoirement. C'est à travers la confrontation et l'analyse des avantages et désavantages qu'il convient de se décider à ce propos. »       

La prudence (Phronésis) :  
La prudence, d'où sont issues toutes les autres vertus ( au sens latin de Virtu) , se révèle en définitive plus précieuse que la philosophie : elle nous enseigne qu'on ne saurait vivre agréablement sans prudence, sans honnêteté et sans justice, ni avec ces trois vertus  vivre sans plaisir.
Les vertus en effet participent de la même nature que vivre avec plaisir, et vivre avec plaisir en est indissociable. »

Le bonheur :
« D'après toi, quel homme surpasse en force celui qui sur les dieux nourrit des convictions conformes à leurs lois ? Qui face à la mort est désormais sans crainte ? Qui a percé à jour le but de la nature, en discernant à la fois comme il est aisé d'obtenir et d'atteindre le summum des biens, et comme celui des maux est bref en durée ou en intensité ?      
Souscrire au mythe concernant les dieux ? Cette première option laisse entrevoir un espoir, par des prières, de fléchir les dieux en les honorant.
S'asservir aux lois du destin des physiciens naturalistes ? C’est alors afficher une nécessité inflexible. »

Tu vivras, comme un dieu parmi les humains :  
« Qui témoigne, disais-je, de plus de force que l'homme qui ne prend le hasard ni pour un dieu, comme le fait la masse des gens ni pour une cause fluctuante ; l'homme convaincu qu'il est meilleur d'être dépourvu de chance particulière tout en raisonnant bien que d'être chanceux en déraisonnant.

À ces questions, et à toutes celles qui s'y rattachent, réfléchis jour et nuit pour toi-même et pour qui est semblable à toi, et veillant ou rêvant jamais rien ne viendra te troubler gravement : ainsi vivras-tu, comme un dieu parmi les humains. Car il n'a rien de commun avec un vivant mortel, l'homme vivant parmi des biens immortels. »           

                      (Larges extraits de la « Lettre à Ménécée »  -  Epicure -   EPICURE -341 -270 )

samedi 3 février 2024

Sujet du 07 Février 2024 : Que viennent faire les atomes dans l’éthique de Démocrite ?

 

     Que viennent faire les atomes dans l’éthique de Démocrite ?                          

L’ignorance est à comprendre comme origine de la religion en même temps que ce qui maintient les hommes dans une communauté déterminée, en apportant des réponses toutes faites aux questions qu’ils se posent. Ou comme le dit si fortement Spinoza : « … la volonté de Dieu, cet asile d’ignorance ».

Ainsi fonctionne la morale : le bien, le mal.

Ainsi ne procède pas l’éthique, continûment à la recherche du juste et du faux.   

Et c’est loin des certitudes établies qu’un grec, Démocrite (~  - 460  - 370  avant notre ère), jeta les bases, les fondements de l’éthique :  « Si tout corps est divisible à l'infini, de deux choses l'une : ou il ne restera rien, ou il restera quelque chose. Dans le premier cas, la division ne saurait aboutir à un néant pur et simple, car alors la matière n'aurait qu'une existence virtuelle, dans le second cas on se pose la question : que reste-t-il ? La réponse la plus logique, c'est l'existence d'éléments réels, indivisibles et insécables appelés donc atomes. ».        

Mais quel rapport entre les atomes et l’éthique ?    

La permanence de la matière étant établie par l’existence des atomes sinon « … la matière n'aurait qu'une existence virtuelle », dès lors les hommes n'ont donc plus à craindre ni la nature ni la mort, emportés par le flot continue de leur matérialité et du temps, ils sont un des éléments de la nature et donc immortels. Et donc le jugement des dieux n’est donc plus à craindre : ils ne sont plus tout-puissants puisque matériels, ne sont pas immortels et n’exercent aucune action dans le monde.     

De cette double constatation : seule la matière est immortelle (atomisme) – Les dieux ne sont que des créations fantasmagoriques de l’homme, va naître l’éthique.       
           
Sur le déterminisme :
Si tout est déterminé dans le monde, notre esprit comme les phénomènes, nous avons du pouvoir sur notre perception. Nous avons le choix de lui accorder du crédit ou de la montrer comme une illusion. C’est donc cette liberté intérieure qui va être la base de l’éthique de Démocrite.        
Tout cela est fondé par la théorie gnoséologique (théorie de la connaissance) du philosophe. En effet, si lui-même a voulu remettre en cause la vérité des apparences pour fonder une aporie de la connaissance, alors cela signifie qu’il a été libre de décider de la valeur du réel tel qu’il le percevait.     
           
En somme, c’est sa théorie déterministe qui est la condition de possibilité d’une éthique. Démocrite conçoit bien l’homme comme un être déterminé dans un monde déterminé et la notion de destin est absente dans sa philosophie, mais la place de sa volonté intérieure présuppose la question du choix et donc de la responsabilité éthique, mais sur un fondement gnoséologique.

Démocrite écrit : « Les hommes acquièrent la joie par la modération dans la jouissance et par la vie sage ». Les désirs non naturels et non nécessaires comme l’envie de gloire ou de richesse sont à proscrire tandis que d’autres besoins plus naturels et nécessaires sont à satisfaire avec modération. Éviter les plaisirs vains et rechercher les plaisirs nobles est plus adéquat au concept de tranquillité.

Démocrite écrit : « Le plaisir et le désagrément déterminent la limite entre ce qui est utile et ce qui est nuisible », le bonheur ne va donc pas sans une certaine forme de plaisir. Finalement, même si les phénomènes nous affectent de manière déterminée, et même si nous n’avons pas accès à leur essence vraie, nous avons la liberté de décider de l’influence que ces phénomènes auront sur nous. De là, nous pouvons en déduire une éthique qui privilégiera la recherche d’un certain état d’esprit et d’une condition générale qui facilitera l’accès au bonheur.   

Si l’homme n’écoute que ses pulsions, il en devient l’esclave et perd sa liberté tandis que s’il choisit la vie éthique et la tempérance, il est vraiment libre. Écouter uniquement nos passions nous fait perdre notre responsabilité tandis que prendre une décision désintéressée nous en rend véritablement responsable. Cette thèse sera exploitée par Kant dans la Critique de la raison pratique.

           
Portée pratique de l’éthique démocritéenne. La politique : 

Démocrite
oppose les concepts de Fortune et de nature. Il écrit : « la Fortune est prodigue mais est inconstante alors que la nature se suffit à elle-même, c’est pourquoi elle remporte la victoire sur les grandes expériences ». L’homme doit maîtriser sa nature pour parvenir à une forme d’autarcie aussi bien individuelle que collective.              
           

La démocratie (comme théorie poitique) est pour lui le meilleur des régimes politiques, car il permet de rechercher l’intérêt commun alors que les despotes veulent uniquement conserver leur pouvoir et que les aristocrates cherchent uniquement leurs intérêts personnels.    
Il écrit : « Il vaut mieux être pauvre en démocratie qu’heureux sous le pouvoir des despotes». La démocratie permet à chacun de d’être son propre maître dans une cité devenue autarcique qui recherche le bonheur en son propre sein. Finalement, cette autarcie se définit par quatre caractéristiques essentielles. Elle s’exerce par le choix des objets, par des moyens psychiques et éthiques, à travers l’usage des plaisirs et par la pratique et l’effort.    
-   Concernant le choix des objets, nous devons distinguer l’intériorité de l’extériorité et travailler sur notre capacité à ne pas être affecté outre mesure par ce qui nous est extérieur. Certes ces phénomènes s’imposent en quelque sorte à nos sens, mais l’homme est capable de choisir de se perdre en elles ou de s’en émanciper.
-   La praxis : le bonheur n’est atteignable qu’à partir du moment où nous agissons réellement (phronésis) en vue du juste. C’est à travers l’exercice de la vertu que la tranquillité est accessible.     
-   Concernant le plaisir, il n’est pas le télos du bonheur, mais simplement un moyen d’y parvenir. Il nous faut distinguer hédonê plaisir des sens, et terpsis le plaisir moral pour se rendre capable d’ordonner ses besoins et de rechercher un plaisir modéré et noble. 
-   Enfin :« Les peines volontaires nous rendent aptes à supporter plus facilement les involontaires ». Ainsi s’endurcit notre volonté. »    

Démocrite dit qu’il faut graver une loi dans son âme qui est de ne rien faire qui ne soit inapproprié. Qu’on soit seul ou en société, il nous faut refuser l’injuste et sa tentation pour pouvoir être réellement autonome dans notre volonté et pleinement responsable de nos actions.          

Limites :

Garant de la tradition atomistique, Démocrite réduit le monde à un ensemble agrégé d’éléments simples : les atomes matériels évoluant dans le vide. Il faudra l’apport essentiel d’Epicure et du concept de clinamem (déviation) pour rendre leur liberté aux atomes et par là à une éthique qui chez Démocrite pourrait apparaître excluant totalement la liberté.

 

Le vide et les atomes ne sont que les premiers apports dans la formation d’une compréhension de la matière conçue comme un tout dialectique dont Epicure éclairera toute la portée pour la conception d’une éthique dont Spinoza s’emparera après des siècles d’obscurantisme religieux. L’apport de Démocrite est immense mais par trop mécaniste.     

               « Le soleil est souvent obscurci par les nuages et la raison par la passion. » Démocrite.

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