dimanche 24 septembre 2023

Suyjet du Merc. 27 sept. 2023 : "ça crie mais ne sent point" Malebranche.

 

« Ça crie mais ne sent point » » Malebranche

Fontenelle fit un jour une visite à Malebranche et il relate l’anecdote suivante : « Une grosse chienne de la maison, et qui était pleine, entra dans la salle où ils se promenaient, vint caresser lMalebranche et se rouler à ses pieds. Après quelques mouvements inutiles pour la chasser, le philosophe lui donna un coup de pied, qui fit jeter à la chienne un cri de douleur et à Monsieur de Fontenelle un cri de compassion. Eh ! Quoi, lui dit froidement Malebranche, ne savez-vous pas que cela ne sent point ? ».  Malebranche est connu comme disciple de Descartes et sa réaction pourrait faire penser à l’option cartésienne des « animaux-machines ». Mais Descartes est bien plus subtil que ses disciples supposés. Pour lui :

-        « Si les animaux sont des automates, ce sont des machines infiniment subtiles parce que construites par Dieu, alors que les machines automates produites par l'homme sont élémentaires ».

-        « Quoique je regarde comme une chose démontrée qu'on ne saurait prouver qu'il y ait des pensées dans les bêtes, je ne crois pas qu'on puisse démontrer que le contraire ne soit pas, car l'esprit humain ne peut pénétrer dans leur cœur. »

-        Ce qu’il refuse aux bêtes ce n'est que la pensée : « Car je ne leur ai jamais dénié ce que vulgairement on appelle vie, âme corporelle et sens organique. »

-        « Je parle de la pensée, non de la vie, ou du sentiment, écrit-il. Car je n'ôte la vie à aucun animal, ne la faisant constituer que dans la chaleur du cœur. Je ne leur refuse pas même le sentiment autant qu'il dépend des organes du cœur. »

Quatre siècles plus tard on assiste a une inversion totale de la problématique homme/animal. Les développements scientifiques, l’élevage intensif, le peuplement de la terre sont vus comme des dangers et la nature comme la source d’une nouvelle réflexion morale.

Aujourd'hui la pensée écologiste vulgaire a le plus souvent tendance à poser que ce qui est de l'ordre de la nature bénéficie d'un a priori positif, tandis que ce qui est artificiel, c'est à dire relève de l'activité humaine, est a priori suspect.

Cette dérive qui se niche désormais dans l’ensemble des discours « philosophiques » et ….publicitaires, est devenue une idéologie, c'est-à-dire un ensemble de propositions dissolvant les frontières entre homme et animal, humanité et animalité. Les hommes sont violents …. Comme les animaux, ils n’ont besoin que de boire manger et se reproduire. Entre eux et nous pas de différence de nature. Mais a ne plus voir de frontières on finit par franchir certaines limites …..

En 2001 Jacques Derrida, invité pour faire la promotion de son dernier livre écrit avec la psychanalyste Elizabeth Roudinesco, répond aux questions posées par le journaliste à propos du rapport aux animaux.
La première question a porté sur l'autorisation ou l'interdiction morale d'écraser des cafards. Jacques Derrida a répondu :

« Non, il n'y a pas interdiction de tuer quand c'est nécessaire, je demande seulement qu'on éprouve un peu de compassion et de culpabilité ».
Puis un peu plus tard : « Il faudra bien qu'on revoie l'élevage industriel concentrationnaire, qui constitue un véritable génocide animal ».
 Derrida, qui se prétend philosophe, ne connaît pas le sens de mots simples comme génocide ou élevage, qui sont exactement le contraire l'un de l'autre, puisque le génocide consiste à exterminer une population apparentée par des liens génétiques et que l'élevage, au contraire, perpétue des races animales.

L'école humaniste pense que les animaux n'ont pas de droits, mais que l'homme a des devoirs envers sa propre dignité qui lui interdisent d'avoir des comportements cruels envers les animaux et de leur faire subir des souffrances inutiles ; cette morale est à l'origine du droit de la protection des animaux, ce qui est tout autre chose que les droits des animaux

 

« …. Nous nous inquiétons d'assister, à l'aube du XXléme siècle, à l'émergence d'une idéologie irrationnelle qui s'oppose au progrès scientifique et industriel et nuit au développement économique et social.
Nous affirmons que l'état de nature, parfois idéalisé par des mouvements qui ont tendance à se référer au passé, n'existe pas et n'a probablement jamais existé depuis l'apparition de l'homme dans la biosphère, dans la mesure où l'humanité a toujours progressé en mettant la nature à son service, et non l'inverse.    
Les plus grands maux qui menacent notre planète sont l'ignorance et l'oppression et non pas la science, la technologie et l'industrie dont les instruments, dans la mesure où ils sont gérés de façon adéquate, sont des outils indispensables qui permettront à l'humanité de venir à bout, par elle-même et pour elle-même de fléaux tels que la surpopulation, la faim et les pandémies.
»                (Appel de Heidelberg – 01 Juin 1992)

mardi 19 septembre 2023

Sujet du Mercredi 20 Septembre 2023 : Pourquoi les hommes ont ils inventé les dieux ?

POURQUOI LES HOMMES ONT ILS INVENTE LES DIEUX ? 


 « La condition première de toute histoire humaine est naturellement l'existence d'êtres humains vivants. Le premier acte historique de ces individus, par lequel ils se distinguent des animaux, n'est pas qu'ils pensent, mais qu'ils se mettent à produire leurs moyens d'existence. Le premier état de fait à constater est donc la complexion corporelle de ces individus et les rapports qu'elle leur crée avec le reste de la nature.

Nous ne pouvons naturellement pas faire ici une étude approfondie de la constitution physique de l'homme elle-même, ni des conditions naturelles que les hommes ont trouvées toutes prêtes, conditions géologiques, orographiques, hydrographiques, climatiques et autres 
 
Or cet état de choses ne conditionne pas seulement l'organisation qui émane de la nature; l'organisation primitive des hommes, leurs différences de race notamment; il conditionne également tout leur développement ou non développement ultérieur jusqu'à l'époque actuelle. Toute histoire doit partir de ces bases naturelles et de leur modification par l'action des hommes au cours de l'histoire.

On peut distinguer les hommes des animaux par la conscience, par la religion et par tout ce que l'on voudra. Eux-mêmes commencent à se distinguer des animaux dès qu'ils commencent à produire leurs moyens d'existences, pas en avant qui est la conséquence même de leur organisation corporelle. En produisant leurs moyens d'existence, les hommes produisent indirectement leur vie matérielle elle-même.

La façon dont les hommes produisent leurs moyens d'existence, dépend d'abord de la nature des moyens d'existence déjà donnés et qu'il leur faut reproduire. Il ne faut pas considérer ce mode de production de ce seul point de vue, à savoir qu'il est la reproduction de l'existence physique des individus. Il représente au contraire déjà un mode déterminé de l'activité de ces individus, une façon déterminée de manifester leur vie, un mode de vie déterminé. La façon dont les individus manifestent leur vie reflète très exactement ce qu'ils sont. Ce qu'ils sont coïncide donc avec leur production, aussi bien avec ce qu'ils produisent qu'avec la façon dont ils le produisent. Ce que sont les individus dépend donc des conditions matérielles de leur production.

A l'encontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur la terre, c'est de la terre au ciel que l'on monte ici. Autrement dit, on ne part pas de ce que les hommes disent, s'imaginent, se représentent, ni non plus de ce qu'ils sont dans les paroles, la pensée, l'imagination et la représentation d'autrui, pour aboutir ensuite aux hommes en chair et en os; non, on part des hommes dans leur activité réelle, c'est à partir de leur processus de vie réel que l'on représente aussi le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus vital.  
Et même les fantasmagories dans le cerveau humain sont des sublimations résultant nécessairement du processus de leur vie matérielle que l'on peut constater empiriquement et qui repose sur des bases matérielles.

De ce fait, la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l'idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, perdent aussitôt toute apparence d'autonomie. Elles n'ont pas d'histoire, elles n'ont pas de développement ; ce sont au contraire les hommes qui, en développant leur production matérielle et leurs rapports matériels, transforment, avec cette réalité qui leur est propre, et leur pensée et les produits de leur pensée.        

Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. Dans la première façon de considérer les choses, on part de la conscience comme étant l'individu vivant, dans la seconde façon, qui correspond à la vie réelle, on part des individus réels et vivants eux-mêmes et l'on considère la conscience uniquement comme leur conscience. »

K. Marx – L’Idéologie Allemande – Extrait.

samedi 9 septembre 2023

Sujet du Merc. 13/09/2023 : "La vérité est au fonds du puits" Démocrite.

 

   "La vérité est au fond du puits"     Démocrite                 

      
La vérité est un des thèmes centraux de la philosophie et nécessite par ailleurs un questionnement permanent sur ce qu'elle est et comment on peut y accéder. C’est dans le petit ouvrage d’Arthur Schopenhauer intitulé « l’art d’avoir toujours raison » que j’ai lu pour la première fois cette formule de Démocrite. Pour Schopenhauer l’art d’avoir toujours raison, c’est l’art des certitudes absolues, donc  l’art de dire la vérité.
Mais « l’art de dire la vérité », qui, au fond ne serait qu’une technique de manipulation de mots, de concepts, etc… apparentée à la sophistique n’est pas la recherche de la vérité car il présuppose que « l’artiste qui dit la vérité »  …..connait une vérité.  On est loin de l’approche Démocritéenne !

            Dire que « la vérité est au fond du puits » c’est faire accéder l’homme à la connaissance. C’est faire descendre la vérité au niveau des mortels afin qu’elle ne cesse d’être le privilège des dieux. « où que tu sois creuse profond. N’écoute pas les hommes en noir crier : « en bas c’est toujours l’enfer ». En bas jaillit la source » disait Nietzsche en écho.

            Dire de la vérité qu'elle est surprise au fond du puits, c'est dire que la vérité n'est pas nécessairement évidente et qu'elle se cache dans l'obscurité du puits, là où on ne l'attend pas. En ce sens, nous pouvons opposer la vérité à l'apparence. L'image du puits n'est pas sans faire penser à l'anecdote de Thalès qui est racontée dans le Théétète. Alors que Thalès se promenait en regardant le ciel, il ne vit pas le puits qui était creusé dans le sol et tomba. Une servante de la ville de Thrace qui passait par là, se mit alors à rire, se moquant de ce savant qui, ayant la tête dans les nuages était incapable de voir la réalité qui était sous ses pieds.      
Cette anecdote est souvent racontée pour critiquer le savant et le philosophe qui seraient éloignés de la réalité. Néanmoins, contrairement à ce que croyait la servante, Thalès n'était pas tombé dans le puits, il était descendu pour mesurer le mouvement des astres en calculant la projection des ombres sur les parois du puits.

Ainsi, la servante a pu rire face à Thalès pensant qu'il ne voyait pas la réalité alors que Thalès découvrait une vérité en descendant dans le puits. La vérité n'est pas donc dans l'apparence, dans ce qu'on voit, elle est à découvrir et exige une activité de la réflexion face aux apparences, une activité de l'esprit. 

            La politique, aujourd’hui, serait un théâtre burlesque où des politiciens prompts au mensonge rient entre eux de leurs pantalonnades devant un public candide. D’un scandale à l’autre, les citoyens n’en finissent pas de se découvrir bernés par ceux en qui ils ont eu confiance. Peut-on désormais rencontrer la vérité quelque part?

 

            Dans un article publié en allemand en 1964 et intitulé « Vérité et politique » Hannah Arendt souligne qu’il serait absurde de prétendre que la vérité doit prévaloir en toutes choses. L’action politique est ce par quoi nous cherchons « à établir ou à sauvegarder les conditions de la recherche de la vérité ». Comme substitut à des moyens plus violents, le mensonge peut s’avérer, à certaines occasions, le moyen le moins dévastateur de préserver les havres de paix nécessaires à la poursuite de la vérité. De plus, comme Chateaubriand l’avait fait dans son Génie du christianisme, Arendt constate qu’aucune des grandes religions, le zoroastrisme excepté, ne catalogue le mensonge parmi les péchés mortels.

            Selon Arendt, il importe d’établir une distinction entre vérité rationnelle et vérité de fait pour saisir l’impact du mensonge. La première, qui se rapporte aux vérités des sciences, de la philosophie et des mathématiques, survit plus aisément aux assauts du politique, qui les conteste rarement, alors que la deuxième, qui touche aux faits historiques et sociaux, est d’un statut plus précaire, sans cesse soumise aux manœuvres du pouvoir. Si le camouflage ou le silence ne guettent la vérité de fait, c’est le bannissement par l’oubli qui l’emporte à jamais hors du monde.

 

             Lorsqu’ils proclamèrent leurs droits inaliénables, les rédacteurs de la Déclaration américaine d’indépendance de 1776 écrivirent :
«Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l'abolir et d'établir un nouveau gouvernement... » Jefferson savait qu’on n’entre pas en politique avec de grandes vérités sans devoir lui faire des concessions. Rien n’ébranle plus une communauté que l’irruption de porteurs de vérités absolues.

 

Si la vérité est une activité de l’esprit, comment répondre à l’auteur de ce texte qui prétend toucher la vérité par le biais de son corps ?

 

            « des zébrures en croix sur ma peau pour mieux suturer les failles de mon âme des mots amers dans ta bouche qui coulent comme le miel sur mon cœur car il me faut souffrir pour aimer souffrir pour jouir  pour te combler  pour te donner l'envie d'aller plus fort plus loin de me faire toucher le fond du puits où je trouverai ces quelques gouttes qui étancheront ma soif de savoir enfin qui je suis vraiment. »

mardi 5 septembre 2023

Sujet du Merc. 06 Sept. 2023 : « Ici il y en ait qui savent se taire"

 

« Ici il y en ait qui savent se taire"

Zénon de Citium

 

« L'idéal du calme est dans un chat assis. Le calme est l'allié de la sérénité. Il est le propre de ceux qui vivent en accord avec eux-mêmes. Nul n'est besoin d'évoluer dans le bruit et le fracas pour se sentir exister. Il faut être seul pour s'apaiser et se retrouver dans le calme de la solitude. »

Jules Renard


PARLONS PEU ET NOUS AURONS LE TEMPS D'AGIR BEAUCOUP

             Invité chez un riche seigneur Grec, Zénon ne disait rien. Alors que la soirée battait son plein et que les inepties se répandaient allègrement, Zénon restait muet. L'hôte des lieux, s'offensant que Zénon le sage ne se mêle point aux conversations, lui qu'il avait invité pour qu'il illumine de ses connaissances le peuple, "Mais pourquoi es-tu le seul à garder le silence?" Entendant cette question, le philosophe répondit : "Mon hôte, je vous dirais qu'ici il y en ait qui savent se taire".

 L’intérêt de cette citation est double :

 Pédagogique : Zénon de Citium a été en 301 av. J.-C. le fondateur du stoïcisme, et dont les principaux représentants furent entre autres Sénèque, Épictète, et l'empereur Marc-Aurèle. En lutte avec les hédonistes-épicuriens et les intellectualistes de l'Académie, cette philosophie poursuit sa marche conquérante et, forte de toute une suite de grands penseurs qui l'ont de mieux en mieux affermie, elle résiste aux attaques contraires. Elle sera le plus solide des adversaires que rencontrera le christianisme. Quand la religion chrétienne se constituera une dogmatique, il y a deux doctrines auxquelles elle fera de larges emprunts, que les critiques modernes ont établis de façon indiscutable : le platonisme, dont elle s'appropriera, pour une part, considérable, la métaphysique; le stoïcisme, dont elle utilisera, sauf à en adoucir l'âpreté, les leçons morales. De ces leçons la mieux entendue, la plus féconde, aura été celle qui, par delà les patries, enseigne à embrasser le bien de tous nos semblables et propose aux coeurs la caritas generis humani. Si, pendant la Renaissance, nous ne la voyons pas officiellement reprendre vie, il est incontestable que quelque chose de son inspiration passera dans les sectes de la Réforme. Mais surtout l'empreinte du stoïcisme sera profonde, incontestée, sur la philosophie éthique du maître moderne dont l'enseignement aujourd'hui encore exerce une influence presque souveraine, il s’agit évidemment de cette "métaphysique des mœurs" que Kant a instituée et qui demeure la forme la plus achevée, en tout cas la plus vigoureuse, de la morale de la volonté pure, en opposition avec les types si variés des doctrines, soit de l'intérêt, soit du sentiment. L'histoire du stoïcisme se trouve donc indissolublement liée à l'histoire elle-même de la philosophie morale. 

 

Initiatique : Cette phrase peut être également entendue comme une incitation au silence. Nous vivons au milieu d’un torrent de mots ; si bien que la valeur du silence nous échappe le plus souvent ; et pourtant, il est difficile de séparer le silence et la parole, le silence et l'intention de signification. Sans un espace entre les mots, les mots eux-mêmes seraient-ils compréhensibles

 

Pour la plupart d’entre nous, le silence fait peur. C’est une sorte de néant, de vide oppressant. Inconsciemment, nous avons donc tendance à rabattre le silence sur mutisme. Comme si nécessairement le silence devait être terrifiant. Ce qui nous permet de justifier le rejet du silence, au profit de la valeur de l’expression tous azimuts. Donc du bruit. Mais attention, ne ramenons pas le silence à cette seule valeur. Il y a différentes valeurs du silence et de toute manière, le langage, à lui seul ne remplit pas nécessairement la pensée. Pas plus qu’il ne produit la conscience. Il y a aussi une confusion engendrée par le verbalisme. Le langage, sans l'espace d'une certaine forme de silence, perd son sens et peut noyer la pensée dans le bruit des mots. ) Le bruit des mots a un aspect mécanique. En anglais, on dit « mental noise ». Le mental, à son stade le moins élevé est mécanique. Nous savons qu’une pensée paresseuse peut se laisser mécaniquement conduire par le langage : on dit que la lettre finit par tuer l’esprit. Il est toujours facile de répéter des formules apprises, au lieu de réinvestir leur sens. A suivre seulement des mots, on finit par ne plus entendre clairement ce qu'ils disent. Tous les grands textes peuvent succomber sous le poids de la surcharge des commentaires. Et devenir illisibles. Entre le texte et le lecteur se construit le mur des commentaires. Une pensée faible s’en laisse facilement imposer. Ainsi la lettre peut se transmettre sans l’esprit qui l’animait. Une intelligence mécanisée devient incapable de donner un sens à des formules anciennes. On peut parler sans penser comme le perroquet : c’est tout le danger du psittacisme (répétition mécanique d'expressions, phrases ou formules par un sujet, qui ne les comprend pas nécessairement)

 

Allons plus loin. S'il y a plusieurs valeurs du silence, c'est que le silence est  un révélateur du non-verbal. Il signifie l’être, l'existence telle qu’elle est, dans la joie ou le malaise, la jouissance ou le tourment d'exister. Non ce qu’elle voudrait seulement paraître. Le silence de l'expression de l'existence est d'ailleurs si éloquent en lui-même, qu'il faut beaucoup de bruit pour dissimuler son sens, le contourner, pour s'en évader. Pour bâtir une vie dans le déni, il faut beaucoup parler et se mentir. Nous faisons beaucoup d’efforts afin de ne pas nous retrouver seul à seul avec nous-même, confronté à notre propre présence. Et comment contourne-t-on la souffrance de l'exister, sinon en cherchant à s'étourdir ? Quoi de plus utile pour s’étourdir qu'un bavardage continuel ? Pourquoi cette étrange pratique consistant à laisser la télévision allumée en permanence? Pourquoi cette manie de se noyer continuellement dans de la musique, sous un casque ? La télévision et la musique entretiennent un bruit d'existence qui nous arrache à nous-même, vous jette au dehors et nous permet d’oublier. Quoi de plus effrayant que de retrouver le silence? Ce serait se retrouver seul avec soi-même, sans un bruit pour vous distraire, sans une ek-stase d'images et de musiques qui vous jette là-bas dans un rêve coloré, vous arrache à vous-même dans une ambiance stimulante et fait tout oublier. Nous avons peur de nous retrouver en silence, peur d’être seul, face à nous-mêmes. Alors nous faisons tout pour meubler, assourdir, fuir dans le bruit. C’est ce qui rend souvent compte de ce besoin d’une orgie d'images et de bruits, qui nous éloigne un temps de ce nœud crispé et oppressant qu’est devenue notre propre existence. Comment ne pas chercher une échappatoire devant cet effet de la crispation de l'ego ? Et quoi de plus efficace que le bruit ?

 

Un midrash ancien, sorte de conte talmudique, enseigne que l'enfant dans le ventre de sa mère est pareil à deux tablettes d'écriture rabattues l'une sur l'autre, sur lesquelles sont gravées tout le savoir du monde. Quand l'enfant sort à l'air du jour, tout ce qui était ouvert devient fermé, et tout ce qui était fermé devient ouvert: le nombril, les yeux, le nez, la bouche... Un ange descend alors, et, lui posant le doigt sur la bouche, lui intime d'oublier tout ce qu'il sait. La fossette sous le nez est la marque, la trace qui reste du passage de cet ange.

Apprendre à se taire, écouter, c'est se rendre disponible à la parole de l'autre.  C'est aussi se rendre sensible à ce qui se passe au-delà du langage.

 

Le silence de l'initié est aussi la reconnaissance de l'incommunicable. En ce sens, cela fait partie intégrante de l'initiation. L'initié se tait parce que ses mots sont porteurs d'un sens qui échappe au profane et qu'il ne sert à rien de dire à qui ne peut entendre. Nous vivons dans un monde où la verbalisation est la règle et le silence l’exception.

 

Un autre aspect du silence est celui du silence volontaire de celui qui sait, qui répond d'une certaine manière et en quelque sorte à l'attente de l'étudiant. Porteur de vérité se tait car il sait que les mystères de l'initiation sont au-delà des mots et que la parole vraie est un acte créateur. Le verbe est réellement vivant, novateur et porteur d'énergie créatrice.

Les personnes qui s'intéressent à la psychanalyse, par curiosité ou par implication personnelle, se posent fréquemment une foule de questions sur ce qui peut apparaître comme des pratiques singulières liées à la cure analytique. Par exemple sur l'argent (cela coûte cher), sur la durée (des années), sur l'efficacité (aucune obligation de résultat), sur la présence du divan (le patient est allongé et ne voit pas son thérapeute)… Et peut-être sur la plus grande des singularités : la plupart du temps, l'analyste reste muet !

Si l'analyste garde le silence, c'est afin de faire toute sa place à l'Autre de l'analysant, lieu de recel et trésor de ses signifiants, de creuser ce lit de l'Autre, afin que se déploie dans la parole de l'analysant sa demande à l'Autre, la réponse à ce qu'il supposera être la demande de l'Autre, son désir, son message, dont l'analyste ne se prend pas pour le destinataire direct.

"C'est à cet Autre au delà de l'autre que l'analyste laisse la place par la neutralité dont il se fait n'être "ne-uter", ni l'un, ni l'autre des deux qui sont là, et s'il se tait, c'est pour lui laisser la parole"  

Le silence est-il seulement une impuissance ou une impasse dont le langage nous libère ? Le silence ne dit-il rien ? Peut-on aller jusqu’à soutenir que le silence est un langage non-verbal sous-jacent au langage verbal ?

Sujet du Merc. 17 Avril 2024 : L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme …

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