dimanche 27 janvier 2019

Sujet du Merc. 30/01/2019 : Quand la pensée devient unique, la parole se tait.



Quand la pensée devient unique,
la parole se tait.

« Toute langue est un code, et ce code détermine des catégories de pensée. George Orwell l’avait bien montré dans 1984 : qui contrôle le pouvoir de définir les mots contrôle aussi les esprits. C’est la raison pour laquelle on aurait grand tort de sous-estimer l’importance du « politiquement correct », qui n’est ni un phénomène marginal ni une mode appelée à disparaître un jour prochain, mais un élément fondamental de ce qu’on appelle la pensée unique.

Au sens propre, l’expression ne veut strictement rien dire. Même aux États-Unis, la correctness ne désigne à l’origine que l’exactitude ou la justesse, et non pas la conformité. Il n’en va plus de même aujourd’hui : « politiquement correct », cela signifie conforme à l’idéologie dominante. C’est très précisément la définition de la « novlangue » orwellienne.

Le politiquement correct a, comme bien d’autres choses, envahi l’Europe à partir des États-Unis au début des années 1990. C’est en effet outre-Atlantique que s’est développé, dix ans plus tôt, ce nouveau langage militant sur fond d’hypocrisie bourgeoise et puritaine. Au départ, l’intention paraissait louable. Il s’agissait de faire sortir du langage courant certains mots péjoratifs, le plus souvent familiers, ou des expressions offensantes susceptibles de blesser telle ou telle catégorie d’individus, mais aussi de légitimer les discriminations dont elle pourrait faire l’objet ou de favoriser son « exclusion ».     

Note : dans ce qui suit « PC » signifie « politiquement correct »

Très vite, cependant, le PC prit un tour ridicule en abusant des euphémismes, des périphrases, des circonlocutions alambiquées. Les obèses devinrent des « personnes en surpoids », les nains des « personnes de petite taille », les sourds des « malentendants ». En France, les concierges furent remplacés par les « gardiens », les balayeurs par des « techniciens de surface », les infirmes furent rebaptisés « handicapés », puis « personnes en situation de handicap ». Les paysans se transformèrent en « agriculteurs », avant de devenir des « producteurs agricoles ». Tout cela était encore assez inoffensif.


Très vite, cependant, l’objectif étant de « réhabiliter » des catégories discriminées pour des raisons d’appartenance culturelle ou ethnique, religieuse, sexuelle, etc., le PC devint la langue des milieux progressistes, plus précisément des milieux « antiracistes » et féministes.
Des mots gênants ont alors commencé à être supprimés. On a ainsi décrété que le mot « race » devait disparaître au motif que « les races n’existent pas ». Le mot « sexe » est lui aussi devenu suspect et, dans les documents officiels, il est maintenant systématiquement remplacé par « genre » (gender). Ce qui n’empêche pas, bien entendu, que l’on appelle toujours à combattre le racisme (sans races) et le sexisme (sans sexes).

Aux États-Unis, on parle désormais de « Native Americans » et non plus d’Indiens, d’« Afro-Americans » et non plus de Noirs. Dans un registre voisin, pour désigner un président (ou une présidente), on a supprimé le mot « chairman » (où se lisait encore le nom de l’homme, man) pour adopter le mot non « genré » de « chairperson ». (On n’a toutefois pas encore abandonné Manhattan pour Personhattan !).

En France, où la langue française ne connaît que deux genres, le masculin et le féminin, certains ont inventé de nouvelles graphies, à peu près illisibles d’ailleurs : les député-e-s, les motivé-e-s, etc. Les mots ne possédant pas de féminin en furent pourvus arbitrairement : la ministre, l’écrivaine, la cheffe d’orchestre – en attendant sans doute la « dictateure ». Et l’on commença à faire en sorte qu’au pluriel le masculin cesse de l’emporter : les hommes et les femmes sont belles, comme chacun sait. 

La formule « celles et ceux » fit florès dans le discours des hommes politiques, le simple « ceux » étant jugé discriminant.

Tandis qu’on jetait le discrédit sur la quasi-totalité des œuvres littéraires du passé, toutes plus ou moins empreintes de sexisme ou de racisme, on s’employa massivement à écrire des livres et à réaliser des films politiquement corrects. Dans les romans, les « hommes blancs de plus de 50 ans » se virent systématiquement attribuer les mauvais rôles, tandis que les femmes, les minorités, les homosexuels se voyaient promus aux rôles de héros. C’était un peu gênant dans les romans policiers, où il suffisait qu’un suspect appartienne aux minorités pour qu’on sache par avance qu’il serait finalement reconnu innocent, mais c’était pour la bonne cause !

Au cinéma, plus question de voir des Blancs affronter des Noirs, des Arabes ou des Asiatiques sans que le spectateur soit convié à bien comprendre qu’il fallait toujours donner tort aux premiers. Parallèlement, on vit se multiplier les films opposant les humains à des extra-terrestres, car c’était encore les seuls que l’on pouvait représenter comme des méchants sans risquer de se retrouver devant les tribunaux ! En littérature, il ne fut plus question non plus d’attribuer de mauvais rôles aux minorités. Dans les séries policières, le beau rôle fut systématiquement attribué aux femmes et aux immigrés, les hommes étant le plus souvent représentés comme des benêts ou des salauds, machistes bien entendu. Dupont Lajoie (Yves Boisset, 1975) fit rapidement école.

Il en alla de même dans la publicité qui, en matière de représentation de la « diversité », se mit à singer Coca-Cola, Benetton ou MacDonald. Le moindre message publicitaire présentant un groupe où ne figurent pas de représentants des « minorités visibles » est aujourd’hui immédiatement suspecté de « racisme ».

À Hollywood, on parvient même à faire jouer des Noirs dans des films sur les Vikings, l’Europe médiévale ou la vie des Esquimaux. Dans le film Thor, de Kenneth Branagh (2011), le rôle du dieu nordique Heimdall est joué par Idris Elba, un acteur britannique noir, ce qui est à peu près aussi convaincant que le rôle de Martin Luther King confié à Romy Schneider !

Autre exemple récent : la nouvelle version du film Les sept mercenaires (Antoine Fuqua, 2016) a comme caractéristique par rapport à l’ancienne (John Sturges, 1960), elle-même inspirée d’un film du Japonais Kurosawa, que les sept personnages principaux, des cow-boys de type classique dans la version précédente, ont cédé la place à un « casting à la parité ethnique irréprochable » (Le Parisien), mêlant acteurs noir, asiatique, latino, indien et européens.

Le monde journalistique s’est très vite rallié au PC, les médias jouant dès lors le rôle d’une caisse de résonance aussi bien pour des mantras (le « vivre ensemble ») que pour des expressions codées que le grand public s’est habitué à traduire : les « jeunes », les « quartiers », les « zones sensibles », les « gens du voyage », soit autant de façon de dire les choses sans les désigner par leur nom. Les immigrés, on le sait, sont quant à eux devenus des « migrants ». Aux États-Unis, les « manuels de style » en usage dans la grande presse interdisent aussi l’expression de « migrants illégaux » au motif que ce dernier terme (illegal) est discriminatoire et « déshumanisant ».

Le monde des affaires et de l’industrie n’a pas été en reste. Tandis que toutes les grandes firmes adoptaient des « codes éthiques » fondés sur le politiquement correct (« dialogue citoyen », conformité aux « droits humains », etc.), le patronat fit un usage gourmand de cette nouvelle langue de bois qui permettait de présenter les licenciements comme des « plans sociaux » ou des « mesures d’ajustement des effectifs », les augmentations de prix comme des « réajustements », la suppression des contrats d’embauche à durée indéterminée comme une mesure relevant de la « flexibilité », etc.

Mais c’est en se mettant au service de l’idéologie du genre que le PC a le mieux révélé sa nature. Les féministes argumentaient déjà depuis longtemps à partir d’une dénonciation des « stéréotypes » (ceux-ci n’étant plus considérés pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des vérités statistiques indûment généralisées, mais comme des mensonges ou des fantasmes). La rencontre du politiquement correct et de l’idéologie du genre a abouti à des résultats stupéfiants.

En l’espace de quelques années, il est ainsi devenu politiquement incorrect de soutenir que l’identité sexuelle pourrait avoir quelque rapport avec le sexe biologique, qu’il existerait des tempéraments masculins et féminins différents, ou encore des métiers plus masculins ou plus féminins que d’autres. La parité doit s’imposer partout (sauf dans le mariage, évidemment). En attendant de la réaliser chez les sages-femmes et les éboueurs, on célèbre les hommes qui portent la jupe et les femmes chefs de chantier. On interdit aux parents de donner des cadeaux « genrés » à leurs enfants. On modifie la liste des prénoms pour qu’ils conviennent aux garçons comme aux filles. On suggère qu’à l’école, quand on étudie les contes de Perrault, le rôle du Petit Chaperon rouge soit tenu par un garçon, et celui du loup par une fille. « Je ne suis pas une princesse ! » claironne Vaiana, l’héroïne du dernier film des studios Disney (dont le réalisateur s’est quand même vu reprocher d’avoir cédé aux « stéréotypes » en mettant en scène un Polynésien obèse !). L’égalité étant posée comme synonyme de mêmeté, l’idéal devient le neutre.

Partant du principe que le langage détermine les rapports sociaux, les défenseurs du PC ont très vite compris que leurs mots d’ordre pouvaient changer radicalement les comportements.

C’est d’ailleurs encore pour satisfaire aux règles du politiquement correct que les populations majoritaires sont mises en demeure de nier leur propre identité, jugée intrinsèquement discriminatoire pour celle des autres. Un seul exemple : une commune de Vénétie qui célébrait traditionnellement tous les 4 novembre une messe dans ses écoles, y a renoncé en 2016 « par respect pour les élèves des autres religions ». C’est pour la même raison que l’on ne célèbre plus aux États-Unis des « vacances de Noël », mais des « vacances d’hiver », qu’on ne souhaite plus « Joyeux Noël », mais « Joyeuses fêtes de saison », etc. En France, ce sont les crèches et les croix « ostentatoires » qui sont visées. De même, aux Pays-Bas, on exige l’interdiction du Zwarte Piet, traditionnel compagnon du Père Noël, au motif que les traditions populaires lui attribuent un visage sombre…

Tandis que l’antiracisme prend la forme d’un racisme en sens contraire, une véritable tyrannie des minorités s’exerce ainsi sur une majorité sans cesse appelée à la repentance et à la négation de soi. En prenant en septembre 2015 ses fonctions de présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte déclarait : « On a une télévision d’hommes blancs de plus de 50 ans, et cela, il va falloir que ça change ! » Elle avait tout compris.

De proche en proche, on atteint au grotesque. En Allemagne et dans les pays scandinaves, des campagnes de grande ampleur se déroulent pour exiger qu’il soit officiellement interdit aux hommes d’uriner debout. Beaucoup de parkings publics sont désormais « genrés » : il faut être une femme pour se garer à certains emplacements. Aux États-Unis, les municipalités qui ne créent pas des « toilettes unisexes » (all gender restrooms) risquent des amendes considérables. Ailleurs, on milite pour l’interdiction des pronoms « il » ou « elle » qui seraient remplacés par un seul et unique pronom « neutre » (« iel » en français). Aux États-Unis, on emploie d’ailleurs déjà le pluriel « they » avec un singulier, afin de ne pas utiliser le masculin (he) ou le féminin (she). Au Canada, la commission des droits de l’homme de l’Ontario a ordonné que soit reconnue la légitimité de pronoms « choisis » comme ze, xer ou hir ! À nouveau, c’est l’idéal du neutre qui se dévoile.

Bien entendu, un volet punitif est encore venu s’ajouter au reste. Nombre de violations du politiquement correct relèvent désormais des tribunaux, qui sont régulièrement saisis à cet effet par des ligues inquisitoriales et des lobbies spécialisés, contribuant ainsi à l’expansion sans fin de ce que Jean-Claude Michéa a appelé la « juridification croissante des relations sociales ».

Si les pays latins résistent encore un peu, les pays nordiques, proches de la mentalité anglo-saxonne et déjà marqués par le moralisme protestant, se sont jetés dans le politiquement correct à grandes enjambées.

Au moment où ces lignes sont écrites, c’est le « déneigement favorisant l’égalité » (jämställd snöröjning) qui pose des problèmes en Suède, où la municipalité de Stockholm, ayant finement observé que les femmes utilisent davantage les trottoirs que les hommes, car il leur arrive de manier des poussettes, a décrété en 2015 qu’il serait « sexiste » de ne pas déneiger les trottoirs avant les voies publiques, avec pour conséquence que, lorsque la neige tombe trop en abondance, la circulation devient tout simplement impossible.

Non, le politiquement correct n’est pas anecdotique. Il ne joue pas seulement avec les mots. En changeant la société, il change aussi la vie. »

Alain de Benoist
© LA NEF n°288 Janvier 2017

dimanche 20 janvier 2019

sujet du mercredi 23/01/2019 : « C’est proprement avoir les yeux fermés sans tâcher jamais de les ouvrir que de vivre sans philosopher » Descartes


« C’est proprement avoir les yeux fermés sans tâcher jamais de les ouvrir que de vivre sans philosopher » Descartes      
 
                                           Éloge de la philosophie.       
        
«  Or c’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher ; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n’est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu’on trouve par la philosophie ; et, enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie, que n’est l’usage de nos yeux pour guider nos pas.

Les bêtes brutes, qui n’ont que leur corps à conserver, s’occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir ; mais les hommes, dont la principale partie est l’esprit, devraient employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse qui en est la vraie nourriture ; et je m’assure aussi qu’il y en a plusieurs qui n’y manqueraient pas, s’ils avaient espérance d’y réussir, et qu’ils sussent combien ils en sont capables.
Il n’y a point d’âme tant soit peu noble qui demeure si fort attachée aux objets des sens qu’elle ne s’en détourne quelque fois pour souhaiter quelque autre plus grand bien, nonobstant qu’elle ignore souvent en quoi il consiste (…) » Descartes. Préface aux principes de la philosophie  1644.   

La première phrase établit, à l’aide d’une métaphore récurrente dans notre culture que l’intellection est une vision. Comme voir, consiste à découvrir le monde avec les yeux du corps, connaître consiste à voir avec les yeux de l’âme. L’ignorant est ainsi comparé à un aveugle ne faisant jamais l’effort d’ouvrir les yeux. Il ne cherche pas à rompre avec son ignorance native ou entretenue par les pseudos certitudes de l’opinion. Il se complaît dans une inertie intellectuelle équivalant à une cécité. Au fond, la vie étrangère à la vigilance philosophique souffre d’un déficit, elle n’est pas accomplissement de toutes les virtualités de notre nature. Le propos cartésien rejoint ici le propos platonicien. L’aveugle est ce que figure Platon avec le prisonnier de la caverne. Sa vie n’est pas une vraie vie, une vie digne de cet être doué de la capacité de penser qu’est l’homme. Certes l’expression : « tâcher de » souligne qu’on n’accède pas au savoir et à la sagesse sans s’en donner la peine, mais seule une vie éclairée par les lumières de la raison est une vie humaine accomplie.

Remarquons qu’avant d’alléguer l’intérêt éthique de la philosophie Descartes invoque le bonheur de philosopher. L’effort intellectuel trouve en lui-même sa propre récompense dans le plaisir que donne le fait de comprendre. Comparé au plaisir sensible de découvrir le monde, le contentement qu’éprouve l’esprit à comprendre est même décrété supérieur. 

Se fondant sur son propre vécu, le philosophe affirme que la connaissance donne une excitation spirituelle supérieure au simple fait de voir. Argument intéressant que mobilise aussi Malebranche (Cf. «  L’usage de l’esprit est accompagné de satisfactions bien plus solides, et qui le contentent bien autrement, que la lumière et la couleur ne contentent la vue »). De toute évidence ce propos renvoie à l’expérience des philosophes et des savants mais est-il légitime de l’élever à l’universel 

Le deuxième argument, en revanche ne fait pas difficulté. On y apprend que si les yeux nous permettent de nous orienter correctement dans l’espace, la réflexion est nécessaire pour fixer les fins et déterminer les principes de notre conduite. 

De fait, l’homme n’est pas comme l’animal un être régi par des lois naturelles. Il a la responsabilité de définir les règles auxquelles il juge souhaitable de conformer son existence. L’indétermination de la nature à son endroit est la marque de sa liberté. Il peut se conduire ou s’abandonner à ses impulsions, ses mœurs peuvent être réglées ou dissolues. Or qu’est-ce qui lui permet de conquérir son autonomie et de vivre une vie belle et bonne si ce n’est la recherche de la sagesse ? Descartes pointe ici la dimension pratique de la philosophie, indissolublement liée à sa dimension théorique.

Contestable précédemment, la hiérarchie cartésienne est ici indiscutable. On peut fermer les yeux et trouver tant bien que mal son chemin, en s’aidant de ses mains, de son nez, de ses oreilles, au contraire on n’a rien à espérer de bon de l’ignorance et de l’irréflexion. Goya qui savait de quoi il parlait ne nous laisse aucune illusion sur ce point : le sommeil de la raison enfante des monstres.

  La fin du texte développe alors le thème de la sagesse. On a l’impression que Descartes anticipe des objections possibles et leur répond par avance. Après tout, pourrait-on lui rétorquer, pourquoi faut-il s’efforcer d’être sage et savant et comment comprendre que tous les hommes ne se réclament pas de cette éthique ?
La comparaison avec l’animal éclaire la première interrogation. 

Si les fins biologiques (se protéger, se nourrir, se reproduire) épuisent le sens du comportement animal, il ne peut en être de même pour l’homme qui est quelque chose de plus qu’un simple animal. Il est doué d’un esprit et Descartes n’hésite pas à dire que cette différence spécifique fonde des devoirs. Sans doute doit-il comme l’animal assumer la nécessité vitale mais en tant qu’esprit il doit poursuivre des fins dignes de l’esprit. 

Or l’esprit est porteur d’une exigence de savoir et d’une exigence éthique. Comme le corps a une nourriture qui lui est adaptée, l’esprit a la sienne. Elle s’appelle philosophie. Le discours cartésien est ici résolument moral. Il prescrit ce qui doit être, il ne décrit pas ce qui est. La recherche de la sagesse devrait être le but de tout être conscient de sa spécificité humaine. 

A la question : « pourquoi philosopher ? » on pourrait répondre : « parce que c’est notre vocation spirituelle, notre honneur d’homme ». Malebranche prononce d’ailleurs le mot « honneur ».
Alors comment comprendre que si peu d’hommes remplissent ce devoir ?

 Descartes essaie de rendre intelligible ce fait avec beaucoup de générosité. Il ne met en cause, ni de supposées limites intellectuelles, ni un mal radical logé au cœur de certaines âmes. Il incrimine un principe de découragement à savoir le doute que certains nourrissent quant à leur capacité de conduire à bien un tel projet. Ils se détournent de leur vraie nourriture par méconnaissance de leurs possibilités et par manque de courage. Ce qui est en jeu, ce sont des raisons d’ordre psychologique et moral non d’ordre ontologique. 

Car dit-il : « il n’y a point d’âme » qui n’aspire à un moment ou à un autre à autre chose qu’aux plaisirs sensibles, même si elle ne peut pas déterminer la nature de ce à quoi elle aspire. Ainsi arrive-t-il aux plus grands amateurs de plaisirs sensibles de faire l’expérience des limites de ces biens, témoignant dans une insatisfaction qui ne sait pas nécessairement dire son nom, qu’être homme, c’est aspirer à un bien supérieur, seul capable de contenter l’âme. Descartes nous dit, comme tous les grands philosophes que ce bien, c’est la sagesse.

Notons toutefois qu’il émet une réserve. Il n’y a point d’âme « tant soit peu noble » écrit-il. Faut-il comprendre qu’il y a des âmes irrémédiablement vulgaires ? C’est bien ce que suggère le texte. L’âme vulgaire serait donc l’âme oublieuse d’elle-même et de sa vocation spirituelle.

« Un homme qui a de bons yeux ne s’avisa jamais de les fermer, ou de se les arracher, dans l’espérance d’avoir un conducteur. Sapientis oculi in capite ejus, stultus in tenebris ambulat. (« Les yeux du sage sont dans sa tête, l’insensé marche dans les ténèbres ») Pourquoi le fou marche-t-il dans les ténèbres ? C’est qu’il ne voit que par les yeux d’autrui, et que ne voir que de cette manière, à proprement parler, c’est ne rien voir. L’usage de l’esprit est à l’usage des yeux, ce que l’esprit est aux yeux ; et de même que l’esprit est infiniment au-dessus des yeux, l’usage de l’esprit est accompagné de satisfactions bien plus solides, et qui le contentent bien autrement, que la lumière et la couleur ne contentent la vue. Les hommes toutefois se servent toujours de leurs yeux pour se conduire, et ils ne se servent presque jamais de leur esprit pour découvrir la vérité ». Malebranche.  De la recherche de la vérité. 1674.1675.
Par S. Manon – Philolog.

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