vendredi 23 mai 2025

Sujet du Merc.28 Mai 2025 : La conscience porte-parole de l’inconscient.

 

La conscience porte-parole de l’inconscient

   Pour beaucoup de philosophes la conscience est un processus mystérieux, métaphysique, indépendant de notre matière charnelle. Bergson pensait que l’évolution de la matière était guidée par une conscience immatérielle antérieure à la vie alors qu’elle émerge de l’activité de la matière.

   Apprendre c’est inconscientiser : Tout apprentissage consiste à confier à l’inconscient l’essentiel de la réalisation d’un processus. L’inconscient est une épargne de la conscience. Dans toute pensée ou action volontaires seul le but à atteindre est réellement conscient tandis que les différentes étapes pour l’atteindre sont inconscientes. Pour réussir une action complexe il faut simplifier l’ordre conscient donné à notre corps.

1- Les réflexes inconditionnels sont offerts par la mémoire génétique = kit de survie d’origine génétique. Exemples : Réflexes de retrait. Salivation. Réflexe d’étirement dit myotatique contraction d’un muscle en réponse à son étirement. Il maintient le tonus musculaire pour tenir debout. Ces réflexes constituent une intelligence inconsciente, animale, froide, très précises et efficiente ; ils constituent une sécurité qui épargne la conscience.

2- Les réflexes conditionnels épigénétiques nécessitent un apprentissage, c’est-à-dire un conditionnement ; nous n’avons aucun effort particulier à fournir pour qu’ils s’installent en nous. Ils correspondent à la mise en place de la mémoire procédurale épigénétique ou mémoire de nos automatismes. Ils furent décrits dès 1902 par Ivan Petrovitch Pavlov. Au cours du conditionnement, des liaisons nerveuses du cerveau, des synapses, sont modifiées et deviennent fonctionnelles ; elles relient des centres nerveux où se forment des coalitions de neurones, qui n’étaient pas connectés au départ.

3- Les comportements motivés furent analysés en 1953 par le psychologue américain Burrhus Frederic Skinner avec sa Boîte à problèmes. Un animal placé tout seul dans une boîte à problèmes apprend de lui-même à appuyer sur le levier distributeur de nourriture et à éviter celui qui distribue des décharges électriques. Ceci montre que l’apprentissage fait intervenir des renforçateurs qui sont soit des punitions soit des récompenses qui agissent comme agents de sélection pour favoriser les comportements les plus avantageux et éliminer ceux qui ne sont pas favorables. Ainsi le système nerveux et tout le corps est modelé par l’environnement, et par notre instruction et notre éducation. Ce modelage est guidé par les émotions ; c’est donc un modelage affectif.

Conclusion : Notre animalité est génétique tandis que notre humanité est épigenétique.

   Les travaux de Pavlov et Skinner ont abouti à la conception du béhaviorisme qui considère le cerveau comme une boîte noire. L’erreur des béhavioristes est d’avoir voulu écarter l’idée d’introspection.

    Ces réflexes conditionnés et motivés illustrent notre plasticité cérébrale et donc mentale. Nous sommes donc dotés d’une intelligence animale sur laquelle nous pouvons installer toutes nos fantaisies humanisantes. Notre esprit est construit par nos sens. Nos sens sont à l’origine de notre essence et donc des sens qu’on accorde à notre vie.

   L’inconscient devient l’artisan de notre mémoire et donc de notre connaissance : Henri Laborit : « Oublier son corps c’est savoir s’en servir. La conscience se bâtit sur l’inconscient. » L’information enregistrée et mémorisée dans le cerveau n’est pas toute directement utile mais, grâce à des associations d’idées, à un jeu intérieur, elle permet de créer des gestes mentaux prémonitoires permettant une anticipation des comportements futurs. Henri Laborit a montré à quel point l’isolement, la privation sensorielle et l’agression sans possibilité d’agir provoquent ce qu’il appelle une inhibition de l’action

   Épigénèse d’une étreinte spirituelle : Il n’y a pas d’immaculée conception de la pensée, ni de la conscience qui nous la révèle ; il faut que nos capteurs sensoriels soient fécondés par des informations pour aboutir à des pensées connaissantes. La conscience peut se concevoir comme une sorte de perception sensorielle. Selon cette idée les neurones dont l’activité sont à l’origine de la prise de conscience, agiraient comme des capteurs sensoriels à l’origine de notre pensée consciente. Le corps entier est l’organe de nos pensées et de notre conscience qui révèle l’unité de notre organisme ; en effet ce sont les capteurs sensoriels répandus dans tout le corps qui apportent leurs informations aux neurones de la conscience.

Émergence de la conscience : La conscience ne fait pas intervenir tous les neurones mobilisés mais seulement ceux qui sont en bout de circuits et qui sont ainsi plus stimulés que les autres jusqu’à dépasser un certain seuil de conscientisation. Ce sont les neurones sensoriels de la conscience. Ces neurones qui sont en bout de chaîne sont les porte-parole de ceux qui les ont stimulés.

   La conscience résulte de l’interaction organisée de milliards de milliards de molécules au sein de neurones spécifiques qui sont activés jusqu’à franchir un seuil quantitatif et qualitatif ; elle émerge d’une multitude d’inconscients actifs et discrets.

   L’être humain par rapport aux autres animaux est caractérisé par son incomplétude. C’est parce qu’il y a des pages blanches, vierges, dans notre livre charnel, la tabula rasa, à la naissance, que nous pouvons écrire notre histoire. La conscience est synthétique ; elle ne peut être consciente que parce que l’essentiel de ce qui se passe dans le corps est inconscient. Le silence de la plupart des neurones nous permet d’entendre la parole signifiante de la conscience. Nous avons accès à la conclusion, au résultat attendu, et non pas à toutes les activités qui participent à son élaboration. La chair est la porte-parole et la conscience : sa parole. Autrement dit, c’est parce qu’il y a une conscience non communicante, silencieuse, que la conscience unifiante devient audible. Le corps entier aux pouvoirs spiritualisants devient communicant grâce à tous ses langages charnels.

   Parmi les cent milliards de neurones du cerveau, il faut distinguer trois types : sensoriels, intermédiaires et les moteurs. La conscience est le résultat d’une collaboration organisée entre ces trois catégories de neurones ; ce sont les neurones intermédiaires qui sont le plus importants chez l’homme. Les animaux ont souvent des capacités sensorielles et motrices beaucoup plus sensibles que les nôtres. Les biologistes ont mis en évidence les corrélats neuronaux de la Conscience. L’arrière du cortex est dédié surtout à la réception sensorielle, l’avant à la commande et entre les deux se situent les aires d’association qui, comme leur nom l’indique, les mettent en relation. Ces aires d’associations sont très développées chez l’homme par rapport aux animaux non humains.

   On peut résumer la conscience en disant que ce sont les aires du cortex cérébral situées à l’avant du cerveau qui regardent les aires sensorielles situées à l’arrière ; l’avant est le porte-parole de l’arrière. Le lobe frontal contrôle nos comportements complexes, la prise de décision, la planification, la coordination motrice volontaire, la maîtrise du langage et la créativité. L’arrière du cerveau informe l’avant et le lobe antérieur traite cette information pour prendre les décisions adaptées conscientes.

   Toute prise de conscience est générée par une coalition de neurones, une constellation, un réseau spécialisé qui constitue un encodage.

   La conscience est une création de l’inconscient. L’inconscient est soit en résistance contre la conscience, soit il abonde en sa faveur. Il faut utiliser notre conscience comme un levier pour activer l’inconscient qui nous est favorable et nécessaire.

   Pour Francis Crick, découvreur de la structure de l’ADN et son collègue Christof Koch, la conscience serait un phénomène de seuil atteint grâce à la coalition de neurones capables d’atteindre le seuil.

   L’Américain Gerald M. Edelman, désigne la sélection des neurones de darwinisme neuronal, le Français Jean-Pierre Changeux, parle de darwinisme des synapses. On peut parler aussi de darwinisme mental. C’est un processus d’évolution darwinienne du comportement car l’individu réagit au hasard puis l’environnement sélectionne les comportements adaptés.

   La conscience émerge d’un processus neuronal qui est à l’origine de la mémoire. Les neurologues ont constaté que des interactions réciproques de groupes de neurones localisés entre le cortex et les thalamus, dans les deux sens, jouent un rôle important.

   La conscience nous permet de comprendre l’intuition, la simplexité, les compétences des autistes Asperger, gestion mentale : Comme pour la conscience beaucoup de philosophes se plaisent à croire que l’intuition est une pensée mystérieuse, métaphysique qui ne pourrait être qu’un don d’origine divine. En réalité c’est une pensée complexe essentiellement traitée et mijotée par l’inconscient et qui surgit comme par magie dans notre conscience en s’exprimant en toute simplicité. La simplexité est la capacité de réaliser simplement un processus complexe.

   Les autistes Asperger fonctionnent essentiellement de façon inconsciente.

   La gestion mentale étudiée par Antoine de La Garanderie permet de comprendre les gestes mentaux, visuels, auditifs, kinesthésiques.

   Le travail inconscient des rêves joue un rôle fondamental pour l’imagination, la mémorisation et l’élaboration d’une conscience efficiente et préventive.

   L’inconscient est à l’origine des archives mémorielles de la pensée dans lesquels la conscience puise l’information nécessaire pour la compréhension des activités du présent.

   La solution c’est la CONFIANCE en notre INCONSCIENT !

samedi 17 mai 2025

Sujet du 21 Mai 2025 : FEMMES ET PHILOSOPHIE, DEUX INCONNUES MUTUELLEMENT RÉCIPROQUES ?

 

FEMMES ET PHILOSOPHIE, DEUX INCONNUES MUTUELLEMENT RÉCIPROQUES ?

 Les êtres humains, femmes et hommes, ne sont-ils que des corps ? Les femmes ne seraient-elles que ça ? Et les hommes, ne seraient-ils eux aussi que des corps ? Ou peut-être aussi des esprits ? Ou hommes et femmes seraient-ils à ces égards différents l'un de l'autre ? Tout en l'ignorant. Et la philosophie existante du régime patriarcal n'ignore-t-elle pas ce qu'elle deviendrait si elle se basait sur des prémices de régime matriarcal ?

 A cet effet, il faut se reporter à quelques fondamentaux. Sans cela ces questions peuvent paraître incongrues, irréelles. N'aurions-nous donc pas d'âme, pas d'esprit distincts de notre corps ? Ma "belle âme" n'existerait-elle donc pas ? Ou, pour le moins, si nous avions ne serait-ce qu'une petite fraction d'esprit, celui-ci ne serait-il qu'un épiphénomène de notre corps ? Qui, lui, alors ne serait que pure matière ? Ne serions-nous donc qu'une machine biologique ? Certes ultra sophistiquée. Mais, quand même, juste que de la matière ?

 Il y a là deux positions philosophiques bien distinctes, l'une dissociant corps et esprit et l'autre pas. Les conséquences sur la vie en société des femmes et des hommes en seraient radicalement différentes. Considérer que corps et esprit ne seraient pas séparés ne nous plongerait-il pas dans un abîme d'angoisse existentielle qui nous ferait douter jusqu'à de notre identité d'être humain ? Ce serait comme du temps de Darwin quand la majorité ne pouvait accepter de "descendre du singe". Et de n'avoir pas d'âme, contrairement aux affirmations des très Saintes Écritures et autres textes sacrés des religions monothéistes.

 1.  Mais cette angoisse est-elle justifiée ? En effet, ne peut-on avoir quelque doute quant à "l'âme" de certaines catégories de nos congénères ?

  Pensons à Platon et à ses Idées pures et absolues selon lesquelles notre monde ne serait qu'une apparence, une pure illusion humaine. Platon en induit des conséquences pratiques. Par nature, la société se composerait de philosophes faits comme d'or, rutilant telle l'éclatante lumière de l'âme et de l'esprit ; de soldats de fer et, enfin, de travailleurs pétris de glaise privée d'esprit et de pensée. Sa philosophie autorisait à leur mentir et à les tromper. Les esclaves, les étrangers, les métèques de races allochtones, les femmes, elles aussi, ne constituaient-ils pas les inférieurs ultimes, presque infrahumains ?

 Et, dans chaque catégorie d'inférieurs, les femmes ne sont-elles pas traitées comme les inférieures parmi les inférieurs ? N'est-ce pas cette philosophie-là qui a majoritairement prospéré, notamment au sein des religions, jusqu'au philosophe Heidegger, suppôt du nazisme ? Ne nous imprègne-t-elle pas en profondeur encore et toujours, malgré nous ?

 Mais Platon et sa "philosophie idéaliste" des hautes sphères éthérées étaient-ils à ce point absurdes au point de nier que Platon était, lui aussi, fait de chair et d'os qu'il entretenait d'ailleurs à force d'exercices physiques ? Dès lors, si sa philosophie est absconse, qu'est-ce qui fait de Platon, de ses amis philosophes et de nous des humains ? Ne peut-on, ne doit-on pas en conséquence considérer tous les êtres humains uniquement sous l'angle de la biologie ? Sans recourir à la distinction entre un corps matériel et une âme spirituelle ?

 La question est alors de savoir comment discerner le juste du faux entre dualisme et monisme ? L'histoire de la philosophie a en effet longtemps opposé deux conceptions majeures des hommes :

1) Le dualisme (Platon, Descartes) pour lequel l'être humain est composé de deux substances distinctes, une âme immatérielle et un corps matériel.

2) Le monisme (Épicure, Spinoza, Canguilhem) pour lequel toutes les femmes et tous les hommes, formant une commune humanité, sont constitués d'une seule et même substance, sans distinction entre l'âme et le corps.

 2.  Voyons ce deuxième point. L'être humain, homme ou femme, est une entité animée d'une vie biologique qui inscrit son existence dans un milieu, un environnement humain et naturel. La distinction entre l'âme et le corps devient ainsi une invention philosophique superflue.

Le monisme nous fait alors poser une question essentielle. Qu'est-ce qui fait de nous des humains ? C'est notre biologie. Elle rend inutile d'invoquer une âme ou un esprit séparé du corps. L'homme est un être vivant qui évolue, s'adapte et cherche à survivre (Darwin). Il n'y a pas de vie sans milieu. Et pas d'hommes sans société. Aristote le reconnaissait déjà il y a 24 siècles. Les faits montrent que tout nouveau-né est une potentialité humaine qui ne devient un être humain à part entière qu'au contact de ceux avec lesquels il interagit dans un environnement, naturel ou construit, à une époque donnée.

 Ceci est avéré. Les médecines traditionnelles, en étudiant les plantes et en appliquant leurs pouvoirs, ne montrent-elles pas que le corps humain interagit avec son environnement sans qu'il soit nécessaire d'évoquer des esprits ou qu'ils n'interviennent en aucune façon ? Des êtres humains atteints de cancer ou autre maladie avérés ont-ils pu, jusqu'à présent, être guéris et ne pas succomber par l'usage d'une prétendue télépathie initiée par de supposées forces d'esprits quelconques, que ce soit de femmes ou d'hommes ? Effectivement, non. 

 Voici des exemples. Le biologiste Claude Bernard a démontré que le corps humain fonctionne comme un système autorégulé, sans intervention d'un élément immatériel. Tout être humain étant un organisme biologique doit être compris comme tel, sans avoir recours à des explications de philosophie métaphysique complexes.

Néanmoins René Descartes, en bon dualiste, a développé l'idée que l'âme et le corps sont deux substances distinctes. Pour lui, l'âme dirige le corps, comme un pilote gouverne son avion. Cette idée paraît irréelle. À nouveau, comment pratiquement une entité immatérielle (l'âme) pourrait-elle agir sur une substance matérielle (le corps) ? Les faits le démentent.

 Dans certaines cultures, des maladies sont attribuées à des esprits. Or, la science moderne démontre que les infections sont dues à des micro-organismes ou des virus. De même Antonio Damasio, neurologue, a montré que la conscience elle-même repose sur des activités du cerveau, fait de matière.

 De ces faits on peut inférer que l'idée d'un esprit distinct du corps, bien qu'attirante, pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses.

  Mais alors le monisme ne conduit-il pas à se demander si vivre sans âme ne serait pas un problème pour nous ?

 Voyons-en quelques conséquences de fond pour une éthique du corps et de la santé. Si nous sommes uniquement des êtres biologiques, nos valeurs doivent refléter cet état. Cela implique de 1) considérer la santé comme un bien fondamental, 2) comprendre la maladie comme un phénomène biologique et non comme une destinée inéluctable ou un illusoire décret punitif divin, et 3) reconnaître que tant nos émotions que nos pensées sont le produit de processus cérébraux. Et donc purement matériels, biologiques et neurochimiques.

 À cet égard on constate que la démarche biomédicale remplace de plus en plus les croyances spirituelles traditionnelles sur la maladie. En outre, les neurosciences montrent que nos décisions morales et nos réactions psychiques sont influencées par des processus biologiques et neurochimiques.

 Le monisme induit donc à sans tarder reconsidérer, sous un angle scientifique et rationnel, notre rapport à la santé et au corps. Qu'il soit celui d'un homme ou d'une femme. Tout ce qui fait de nous des humains gît dans nos corps et nos interactions avec le milieu dans lequel nous baignons. Cet état de fait montre qu'en nous il n'y a pas d'âme distincte du corps et que le dualisme métaphysique abstrait entre notre corps et un esprit tout à fait fictif est une erreur -- si pas une faute, involontaire ou pas ? -- des philosophies idéalistes plurimillénaires.

 Mais alors, si tout en nous est matériel et biologique, notre pensée et notre conscience seraient-elles entièrement déterminées ? Quelle part de liberté nous reste-t-il ? Est-ce celle que démontre Spinoza ? Celle que notre humanité nous pousse à réaliser pleinement en mobilisant notre puissance naturelle (le conatus) ? En identifiant les degrés de liberté que seule une connaissance authentique des causes des choses peut nous offrir.

 3.  À partir de ces prémices philosophiques, il devient possible de mieux cerner certaines différences et éléments de commune humanité entre les femmes et les hommes.

 Ils sont tous deux des entités vivantes animées par des processus matériels biologiques et neurochimiques hyper complexes. Ils ont une commune appartenance au genre humain assurant sa survie par la reproduction sexuée fondée sur les chromosomes qui les distinguent. En tant que mammifères évolués, le placenta des femmes se diversifie pleinement en villosités jusque dans leurs vaisseaux sanguins par des processus hormonaux très divers qui leur sont propres. Ils soumettent les femmes à des influences hormonales sans cesse variables nécessitant des transitions en déséquilibre. Dans des cycles de 28 jours, environ 600 ovocytes sont relâchés en six jours lors d'une inversion hormonale. Si aucune fécondation n'a lieu, une nouvelle inversion provoquera les menstrues sur 8-10 jours. Au total, cela crée de multiples déséquilibres hormonaux pendant 14-16 jours, soit pendant près de la moitié de la vie de fertilité d'une femme. Celle-ci est suivie du nouveau et brusque déséquilibre hormonal de la ménopause.

 Si une fécondation se produit tout un cycle de chamboulements multiples de 9 mois conduira à un accouchement par lequel apparaît un nouveau déséquilibre physique. Ceci se fait après passage du nouveau-né dont la tête, au néocortex surdéveloppé malgré son état de prématuré, provoque des douleurs reconnues par la médecine comme les plus intenses. La combinaison de changements hormonaux radicaux, d'extrêmes douleurs et du grand soulagement qui suit, tant physique que psychique, marquent la distinction entre les femmes et les hommes. Et ce hiatus majeur se prolonge tant par la contrainte que la joie de l'allaitement et de soins immédiats au nouveau-né. Tout cela ne distingue-t-il pas radicalement les sexes ?

 Ces différences physiques, induisant des états psychiques particuliers de premier ordre, ne conduisent-elles pas les femmes à des perceptions d'un réel bien distinct de celui des hommes ? S'y ajoutent en outre, depuis l'émergence du patriarcat depuis environ huit millénaires en Grèce, des discriminations fortes envers elles qui se sont cristallisées à la faveur des philosophies idéalistes et des structures religieuses et sociales qui ont suivi.

 Ces deux facteurs n'induisent-ils pas à eux seuls des visions du monde et de la philosophie différents de ceux des hommes ? Ces derniers ont une vie hormonale plus étale et moins complexe. Cela ne faciliterait-il pas une rationalité plus constante et un pathos plus aisément maîtrisé ? Même si la testostérone peut déchaîner, chez les hommes, des pulsions et des émotions inconsidérées, sans doute parfois ou souvent difficilement jugulables.

 Ces différences entre les femmes et les hommes n'ont-elles pas été brillamment mises en lumière par la philosophie matérialiste des Lumières de Donatien de Sade, féministe authentique qui donnait intégralement aux femmes le pouvoir de faire vivre et présenter sa philosophie. Même si celle-ci -- se fondant sur le désir dont sont pétris les humains (cf Épicure, philosophe matérialiste) -- envisage certes tous les types de plaisirs, mais strictement personnels. Et donc sans aucune considération de l'autre, qu'il soit femme ou homme. Et surtout sans considération du caractère collectif ou social des plaisirs les plus débridés de l'individu...

 Dès lors, ne faut-il pas revisiter à la lueur d'une remise sur le métier des avancées de Sade 1) tant la tradition de la philosophie et la place que les femmes y ont tenue 2) que la position des femmes vis-à-vis de la philosophie et 3) que le renouvellement qu'elles pourraient y apporter, si seulement elles pouvaient se dégager philosophiquement des liens qui les enserrent dans les traditions philosophiques instaurées par le patriarcat ?

dimanche 11 mai 2025

Sujet du Merc. 14 Mai 2025 : « Savoir ce qu’on sera, ce serait vivre comme les morts » P. Nizan

 « Savoir ce qu’on sera, ce serait vivre comme les morts » P. Nizan

 "L'idée ils s'en étaient aperçus les premiers, mais elle était comme un gaz essentiel dans l'air que tout le monde respirait, un air irrespirable à cause de tout cet azote de mort… Pendant des années, on ne pense pas à la mort. On a de simples avertissements de sa présence, soudain au milieu de la vie, et il y a des gens qui pensent à elle plus souvent que les autres : ils naissent ainsi. Elle passe comme un nuage, et elle pourrit brutalement tout le territoire de la vie sous son ombre ; l'angoisse aspire tout l'esprit." Le cheval de Troie  P. Nizan   1905-1940.

 

Tout à la fois philosophe, journaliste, auteur, P. Nizan, compagnon d’études de Sartre, obtient son agrégation de philosophie en 1929 et meurt en 1940 alors que son régiment résiste à l’avancée nazie.

La vie et l’œuvre de Nizan sont remplies par la question de l’engagement politique et de son fondement philosophique
Dans une de ses œuvres « la conspiration » (1938) on peut lire les dialogues suivants :

«C’étaient cinq jeunes gens qui avaient tous le mauvais âge, entre vingt et vingt-quatre ans ; l’avenir qui les attendait était brouillé comme un désert plein de mirages, de pièges et de vastes solitudes. Ce soir-là, ils n’y pensaient guère, ils espéraient seulement l’arrivée des grandes vacances et la fin des examens.
— À la rentrée, dit Laforgue, nous pourrons donc publier cette revue, puisqu’il se trouve des philanthropes assez naïfs pour nous confier des argents qu’ils ne reverront pas. Nous la publierons, et au bout d’un certain temps, elle mourra         
…— Bien sûr, dit Rosenthal. Est-ce que l’un de vous est assez corrompu pour croire que nous travaillons pour l’éternité ?          
— Les revues meurent toujours, dit Bloyé. C’est une donnée immédiate de l’expérience.
Si je savais, reprit Rosenthal, qu’une seule de mes entreprises doive m’engager pour la vie et me suivre comme une espèce de boulet ou de chien fidèle, j’aimerais mieux me foutre à l’eau. Savoir ce qu’on sera, c’est vivre comme les morts. Vous nous voyez, dans des quarante ans, dirigeant une vieille Guerre civile, avec les sales gueules de vieillards que nous aurons, façon Xavier Léon et Revue de Métaphysique !… Une belle vie, ce serait une vie où les architectes construiraient des maisons pour le plaisir de les abattre, où les écrivains n’écriraient des livres que pour les brûler.           
Il faudrait être assez pur, ou assez brave, pour ne pas exiger que les choses durent…
 »

« Vivre comme les morts », étrange formule. Peut-être. Si on veut avoir une idée de la certitude c’est peut être la mort qui nous fournit la clef. Une fois privée d’actions conscientes, qu’est notre matière (dans laquelle il faut inclure l’esprit, l’âme, la conscience et tout ce qu’on voudra et qui s’anéantit avec notre mort) ? Elle devient un long processus quantifiable, mesurable qui de pourriture nous transforme en poussière, en éléments de base d’autres modalités à venir : les atomes (tous les atomes de notre corps tiendraient dans un dé à coudre).        
La matière inerte que nous sommes devenus suit des processus sans surprises, inexorables, certains.
La réflexion du personnage de Rosenthal dans la citation ci-dessus « Savoir ce qu’on sera, c’est vivre comme les morts » est à bien saisir dans cette acception.
Rien n’est plus stérile que ce qui tapisse notre avenir de certitudes (à ne pas confondre la certitude (relative) des actions à mener – avoir une Rolex à 50 ans -  avec la vérité des principes qui gouvernent la réalité : dans le référentiel terrestre la loi de l’attraction fait qu’un corps qui tombe chute vers le bas (absolu)).

Dès lors comment connaitre le principe qui nous empêcherait d’être des morts…vivants ? Ce principe ne vient-il pas lui-même de la vie ? Ou plus particulièrement de l’incertitude fondatrice de la vie ? Nous naissons par hasard :

« On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille       
On choisit pas non plus les trottoirs de Manille      
De Paris ou d'Alger  
Pour apprendre à marcher   
nom'inqwando yes qxag niqwahasa
 » (Langue Zoulou) Quand on a l'esprit violent, on l'a aussi confus
Maxime Le Forestier 1987

Et après ce « début » qu’est notre vie ? Une longue suite d’incertitudes, dont les religions se sont délectées, dont elles ont fait « l’arôme spirituel » en nous vendant leurs « solutions », leurs destins, leur paradis et leurs enfers terrestres au nom de la foi et du fric. Car l’homme qui côtoyait quotidiennement l’incertitude des climats, des animaux de chasse, des fruits …. Est devenu sédentaire, puis propriétaire. Cette sécurité dans le lendemain, certains en ont profité pour créer des chimères. De simples échanges inter humains, le commerce devint monétaire, déshumanisé. Toutes les choses eurent des valeurs, les hommes aussi. Et l’homme crut qu’il était sûr, plus sûr qu’avant, avec ses économies, sa carte bleue, rien !

Alors il va falloir rejoindre ce groupe de jeunes gens que nous présente Nizan. Ces jeunes gens qui ne s’imaginent pas vieillir autrement que …jeunes…. VIVANTS !  C’est-à-dire éternellement incertains du devenir mais si prompts à le décrire, à l’appeler de leur vœu. La mort n’est pas leur problème. Seul le mouvement compte. Seule la dialectique du processus du changement les motive, comme elle motive nos corps sans que nous n’y prenions garde. Tout le monde sait l’avenir : nous sommes mortels, et avant ?

L’incertitude est inscrite au fronton de leurs projets. Quel renversement par rapport à leur temps et au nôtre ! Celui des illusions confortables, de la fin de l’histoire. On va à la fac, on finira avocat ou médecin (forcément), on aura une villa à crédit (bien sûr), on ira au ski et à la plage…. Avons-nous oublié d’où nous venons ? Avons-nous oublié à ce point tous les autres, nos semblables ?

« On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille       
On ne choisit pas non plus les trottoirs de Manille
 » ….

Mais ne nous y trompons pas. L’incertitude, n’est pas indécision.

L’incertitude ce n’est pas ne pas savoir ou l’on va : c’est savoir où l’on va sans savoir comment on y va !

L’incertitude de Nizan est tout sauf une réponse philosophique idéaliste. Le métaphysicien de service nous aurait dit « l’important c’est de savoir pourquoi on y va ».

Mais, prédit Nizan : « Les simples têtes humaines ne sont pas à l’aise dans le ciel glacial des idées » (Les chiens de garde) – Que les métaphysiciens passent leur chemin.           
Nizan dans ses œuvres nous propose une totalité de la volonté, de l’espoir, pour un but. La seule question qui vaille c’est le « Comment ». Le pourquoi est en lui-même une incertitude potentielle, une stagnation possible. Le comment résout la contradiction en nous donnant les moyens de l’action.          
Dans cette incertitude féconde du devenir de l’homme, Nizan ne sera pas un tiède. Dans Aden Arabie il déclare « « Que pas une de nos actions ne soit pure de la colère…Pureté de la colère : que de crimes commis en ton nom ! », ce que rappelle le refrain en langue zoulou du texte de M. le Forestier « nom'inqwando yes qxag niqwahasa » Quand on a l'esprit violent, on l'a aussi confus. L’incertitude impose la réflexion. La croyance dispense de tout examen critique.

La colère ou la violence sont inévitables lorsqu’on a conscience du présent et du devenir. La suggestion de Nizan c’est que ces sentiments, ces passions, participent de l’action mais n’en soient pas le moteur. On peut s’indigner dans le calme et le repos d’un bureau de philosophe MAIS, ne l’oublions jamais nous pourrions tout aussi bien nous trouver sur les « trottoirs de Manille », et en tout cas d’autres s’y trouvent !

Cette seule certitude n’impose t elle point le combat ?

jeudi 1 mai 2025

Sujet du Merc. 07 Mai 2025 : Peut-on fonder l'histoire par le droit ?

                                         Peut-on fonder l'histoire par le droit ?

«  Il existe des crimes qui, par leur nature et leur ampleur, sortent de l'ordinaire du crime, et même de l'ordinaire du crime de guerre : tout le monde en convient. Que la loi considère ces crimes comme imprescriptibles afin que l'action contre leurs auteurs ne s'éteigne qu'avec leur vie, on ne peut que s'en féliciter …

Mais fallait-il, au fil des lois, mêler justice et histoire, histoire et mémoire ? Ces crimes, imprescriptibles pour l'avenir, devait-on les pourchasser aussi dans le passé, et parfois dans un passé lointain de plusieurs siècles ? Verra-t-on un jour, comme au Moyen Age, des procès faits à des cadavres ? Pendra-t-on des squelettes ? Faut-il en arriver enfin à poursuivre non plus les criminels eux-mêmes, morts depuis longtemps, mais les historiens spécialistes de ces périodes sombres de l'histoire du monde ? On en était déjà à se le demander avec inquiétude quand le Parlement a adopté une loi qui disait, une fois de plus, aux historiens de quel oeil considérer le passé et, pour la première fois, comment l'enseigner ! Tel est le résultat d'une dérive progressive de lois remplies de bonnes intentions : les lois "mémorielles"

Au point de départ, la "loi Gayssot". Cette loi, dont, par ailleurs, les dispositions relatives à la lutte contre le racisme sont excellentes, a créé, dans l'un de ses articles, un "sanctuaire" à l'abri de l'histoire : les jugements de Nuremberg et ceux qui ont été prononcés en France sur les mêmes bases. Jusqu'alors, en droit français, les jugements définitifs avaient l'autorité absolue de la chose jugée, mais pas le statut juridique de vérité historique. En 1990, on a changé le droit parce qu'il paraissait urgent de lutter contre le négationnisme. Malheureusement, le négationnisme s'exprime aujourd'hui sans contraintes sur le Net, et le Front national n'a pas perdu ses partisans. Plutôt que de déroger, pour un si piètre résultat, aux grands principes de notre droit républicain, n'aurait-il pas mieux valu laisser les historiens répondre aux négationnistes, puisqu'aucun historien sérieux ne remet en cause les faits établis par le tribunal de Nuremberg ?

En tout cas, le Parlement venait d'ouvrir la boîte de Pandore : à partir de ce moment-là, chaque fraction de la population a voulu la loi "mémorielle" qui sacralisait son propre malheur. Pire : alors que, pour dire l'histoire, la loi Gayssot s'appuyait au moins sur le jugement d'un tribunal international, on ne s'est plus embarrassé de ces précautions pour les lois suivantes : nos législateurs étaient bien assez grands pour écrire l'histoire tout seuls !

Aux Français d'origine arménienne, dont les ancêtres avaient tant souffert en 1915, le Parlement accorda en 2001 une loi comme il n'en existe aucun exemple dans l'histoire de notre droit : une loi qui ne comporte qu'une seule ligne, et qui nomme la victime sans désigner ni le criminel ni le lieu du crime ! Pour cause : nos parlementaires venaient d'intervenir pour écrire, non pas l'histoire de France, mais celle d'un pays étranger... Une "avancée" dont on voit quels précédents elle pourrait créer : pour faire plaisir à des Français d'origine asiatique, votera-t-on par exemple, sanctions à l'appui, une loi pour dire qu'au XIIe siècle les Minamoto ont cruellement exterminé les Taïra ? Il n'y a pas là de quoi sourire : écrire des lois de ce genre ne coûte rien au Parlement, ni politiquement ni financièrement, mais coûte très cher, ensuite, aux historiens qui osent s'aventurer dans ces tourmentes de l'histoire.

 

A la loi sur le génocide arménien succéda, la même année, la loi sur l'esclavage et la traite, dite "loi Taubira". En tant que descendante d'esclave (le premier Chandernagor était un esclave réunionnais affranchi), je me suis réjouie que cette loi définisse l'esclavage comme un "crime contre l'humanité" et prévoie la commémoration officielle de son abolition.

Mais je me suis inquiétée de voir qu'elle allait plus loin que la loi Gayssot, et sur des bases historiques plus incertaines. La portée du titre est certes générale : " Loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité". Mais, dès l'article premier, la condamnation ne porte plus que sur la "traite négrière transatlantique", c'est-à-dire le crime commis par les pays occidentaux. On ne dit rien, en revanche, de la traite transsaharienne qui a permis pendant douze siècles aux marchands arabes d'approvisionner en esclaves l'Egypte et le Moyen-Orient ; rien non plus des traites interafricaines. Bien que quantitativement importantes, celles-là ne sont pas, selon notre loi, des "crimes contre l'humanité". Pourquoi ? On voudrait croire que notre Parlement n'a voulu légiférer, cette fois, que sur des crimes commis par des Français : eh bien, non ! Si c'était le cas, la loi ne remonterait pas jusqu'au XVe siècle : comme à cette époque la France ne participait pas à la traite, c'est, ici, l'histoire des Portugais, des Hollandais, des Espagnols et des Anglais qu'ont choisi d'écrire les députés français. Incorrigibles !

Mais les craintes s'aggravent quand on poursuit la lecture : la loi Gayssot permettait aux associations "mémorielles" de défendre en justice "l'honneur de la Résistance". Ce qui n'est pas la même chose que l'honneur des arrière-petits-fils de résistants, lesquels peuvent être, comme tout le monde, honorables ou pas. La loi Taubira, elle, donne aux associations le pouvoir de défendre "l'honneur des descendants d'esclaves". Nous sommes quelques millions de Français dont les ancêtres, il y a plus de cent cinquante ans, étaient des esclaves, en effet : sommes-nous, pour autant, tous honorables, honorables par définition, et plus "honorables" que nos voisins ? C'est en tout cas de ces dispositions que se prévalent aujourd'hui des "collectifs" pour traîner en justice des historiens.

 

Ayons le courage de le dire : le passé est un long fleuve de boue et de sang. La "mémoire" n'est jamais consensuelle et, si l'histoire parvient parfois à fixer une vérité, c'est parce qu'il y a eu débat.

 

Beaucoup de ceux qui regardent aujourd'hui avec sympathie la multiplication des lois sur "la mémoire" ne les ont pas lues. Mais le juge, lui, est bien obligé de les lire. Et les historiens, bien obligés d'en supporter les conséquences. Esprits indépendants, ils ne s'étaient pas, jusqu'à présent, érigés en "communauté" : faudra-t-il qu'ils le fassent pour être entendus du Parlement et défendus devant les juges ? »

 

Françoise Chandernagor est auteur de nombreux romans historiques et signataire de l'appel "Liberté pour l'histoire".

samedi 26 avril 2025

Sujet du 30 Mai 2025 : Le renard libre dans le poulailler libre.

 

Le renard libre dans le poulailler libre.   

« Le renard libre dans le poulailler libre » est une allégorie extrême qui repose sur une logique négative, l’idée est de suggérer que les politiques libérales ressemblent à la loi de la jungle.

Et pourtant si on s’en tient au libéralisme économique on peut distinguer cinq tendances formelles, au minimum, à savoir :

Les anarcho-capitalistes pensent que toutes les activités humaines peuvent être confiées aux secteurs privés.

Les minarchistes défendent la même vision sauf pour le régalien, l’armée, la justice et la police doivent être gérés par l’Etat.

Les libertariens ajoutent le système éducatif et la Banque centrale qui gère la monnaie.

L’ordo libéralisme, système clairement revendiqué par la politique allemande depuis 50 ans avec une forte participation des syndicats dans le développement et la politique économique.

Un libéralisme de gauche revendiqué par John Rawls ou Amartya Sen économiste indien (Prix Nobel).  

Si je tenais à énumérer ces différentes versions c’est d’abord pour sortir d’une caricature trop facile et surtout pour montrer que nos sociétés contemporaines sont très éloignées d’un pur libéralisme avec des gouvernements de 25 ministres, des réglementations et des lois pléthoriques dans quasiment toute l’Europe.         

On peut ajouter que l’économie de marché, appelée capitalisme par Karl Marx repose sur le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. C’est bien le système en vigueur dans 195 pays sur 197. Les nuances infinies qui existent dans le monde peuvent très bien se mesurer par leur degré de liberté accordé aux gens ou aux entreprises prétendant créer des richesses.

Mais il est exact que le libéralisme depuis Adam Smith défend une concurrence libre et non faussée et Hayek explique que si le socialisme échoue c’est parce que la puissance publique n’a pas, et n’aura jamais les informations nécessaires pour fixer les prix et les quantités des biens à produire. D’où l’échec de la planification.          

Comment pourrait-on prévoir les tonnes d’acier que l’Europe ou le monde ont besoin en 2025 ???

Le prix du pain en France était totalement réglementé jusqu’en 1985, est-ce que depuis sa libération il a disparu ou a atteint des prix inabordables ?

Combien il faut de restaurants dans telle rue et sur quel critère devrait-on le décider ?

Je rappelle pourtant que le nombre de pharmacie, de laboratoire d’analyse, de tabac, de casinos, de taxi, de licence IV et le numérus clausus de médecins sont très très réglementés.  

Il y a bien un compromis qui existe, ce débat normalement devrait donc être moins passionnel.

Il faut comprendre que c’est contre nature pour une femme ou un homme politique de défendre le libéralisme puisque cela revient à expliquer que son action est nuisible, pire que c’est eux le problème.

Mais on peut très bien inverser la métaphore, car dans la société, qui manipule les poules et en réalité taxe la classe moyenne abondamment si ce n’est l’Etat ou le Léviathan ?

Mais alors survient une difficulté :

Si on pense que le problème de l’économie de marché est la trop grande liberté accordée aux agents économiques il devient impossible ou contradictoire d’en chercher la cause dans des intentions malveillantes des pouvoirs publics.

Donc le plus grave dans l’allégorie du renard, c’est bien de penser que c’est la liberté le problème.  

Dire que l’Etat défend systématiquement le capitalisme n’a pas de sens. Il soutient en effet le seul principe qui crée des richesses, et heureusement, tout en entretenant le fantasme du supposé pouvoir des riches qu’il faut combattre et donner l’illusion de contrôler le système.

Sans oublier un capitalisme de connivence alimenté par des subventions et des commandes publiques pour ajouter à la confusion.

 

Merci de m’avoir lu, je vous parlais de votre liberté.

lundi 21 avril 2025

Sujet du Merc. 23/04/2025 : La société du spectacle.

 La société du spectacle.

    
« Dans un essai récent, Anselme Jappe écrivait que le terme de « société du spectacle » était Indiscutablement dans le groupe de tête des concepts employés aujourd’hui. Le « spectacle » est un concept critique développé par les situationnistes ; j’ai eu l’occasion d’indiquer comment ce terme, au commencement presque banal, était devenu, en particulier après les élaborations de Guy Debord, redoutablement pertinent pour décrire les sociétés capitalistes-marchandes, et mettre en évidence les moyens de leur nuire.

On peut en effet considérer que l’élaboration de la notion de « spectacle » est l’arme critique la plus aiguisée qu’ont produite les situationnistes, qui en ont pourtant produit plusieurs (la situation, la séparation, etc.). On peut même considérer que cette notion est le concept qui permet de faire comprendre tous les autres (un peu comme chez Marx, le concept de marchandise permet de faire comprendre tous les autres).

Il n’en reste pas moins que cette notion est, plus ou moins volontairement, employée de manière fautive.

 

La critique radicale de la société marchande et le marxisme

Alors que se menaient en Europe les premières luttes ouvrières à se revendiquer du Manifeste du parti communiste et d’un certain Karl Marx, Karl Marx, qui assurait une chronique dans un journal américain, fut interrogé à ce propos. « Tout ce que je sais, répondit-il, c’est que je ne suis pas marxiste. »

Cette anecdote rapportée par Engels dans une lettre à Conrad Schmidt du 5 août 1890 est extrêmement connue ; elle a été souvent rappelée pour répondre à la question « êtes-vous marxiste ? », par ceux qui se réclamaient de la critique sociale de Marx mais qui ne voulaient pas être assimilés à ceux que la tradition a identifiés par le terme de « marxistes ». Et les situationnistes n’y ont pas fait exception5.

Ce qui pourrait constituer le point commun de tous ces lecteurs de Marx qui ne sont pas marxistes ; c’est que plutôt que de reprendre les résultats du travail critique de Marx, ils veulent « se mettre eux-mêmes au travail». Ne pas reprendre les formules ou les mots d’ordre qui ont constitué ce qu’on appelle le marxisme, mais reprendre le geste critique même de Marx ; dire en quelque sorte : « Non, nous ne sommes pas marxistes, mais nous faisons comme Marx. »   
Pour exprimer les choses de manière plus frappante encore, on pourrait dire : « Marxistes, nous ne le sommes pas, mais marxiens, oui nous le sommes. »

Bref, le marxisme serait la volonté de schématiser, de simplifier, la théorie de Marx, alors qu’il n’y a qu’une manière de la comprendre : s’attacher à cet aspect apparemment élémentaire de sa théorie, la critique de la marchandise, mais en développer toutes les conséquences. La marchandise n’est pas une manifestation parmi d’autres de la société capitaliste, elle en est la racine, et c’est d’elle que découlent tous les aspects de la société capitaliste. En ce sens, il est juste de parler de cette société comme de la société marchande, de la société de production de marchandises. Cette caractéristique est plus fondamentale encore que la lutte des classes et l’exploitation des travailleurs – qui en sont des conséquences.

Le point commun sans doute le plus évident entre la critique situationniste et la critique de la valeur, c’est cette insistance à revenir à la critique de la marchandise et à la critique de la forme marchandise, qui modèle réellement toute notre société. Et qu’il n’est pas nécessaire de recourir à des théories nouvelles ou à des modernisations de la théorie critique radicale car, pour autant qu’on prenne la critique de la marchandise par Marx pour ce qu’elle est, c’est-à dire quelque chose en même temps extrêmement simple et extrêmement fécond, elle fait ses preuves comme une théorie qui répond aux exigences d’analyse les plus actuelles.

 

Banalité et complexité de la marchandise

Ce qui est remarquable dans la marchandise, c’est que ce n’est pas seulement une chose (dont nous allons élucider les caractéristiques) : c’est aussi une forme, et une forme qui marque de son empreinte la totalité des phénomènes sociaux.

Une marchandise, ce n’est pas une chose quelconque ; c’est une chose à deux faces : une de ces faces est son utilité, susceptible de satisfaire un besoin, l’autre face est sa valeur, susceptible d’être réalisée en argent. Définition très simple, qui vient d’ailleurs d’Aristote avant d’être élaborée par Marx, et définition dont la fécondité pour analyser les rouages de la société capitaliste est rarement éprouvée dans toute son ampleur. Cette division en deux faces de la marchandise, une face « concrète » (l’utilité pratique) et une face « abstraite » qui est la valeur, est la forme marchandise que la société capitaliste imprime à tous les phénomènes sociaux, et pas seulement aux biens et aux services qu’on produit et qui circulent.

C’est ce qui permet de dire que le phénomène de la réification est caractéristique de la société capitaliste-marchande. La réification (du latin res = chose), c’est la transformation en chose, et la forme marchandise a pour conséquence de tout transformer en chose, et dans le même mouvement de transformer toute chose en marchandise.
C’est le processus qui est à la base de la société capitaliste, où tout est tendanciellement transformé en chose, et en chose qu’on peut vendre et acheter. Quand on a compris ce processus, on a compris l’essentiel.


On se rappelle que dans une bande dessinée situationniste de 1966, Le retour de la Colonne Durruti, l’un des protagonistes, à qui l’on demande de quoi il s’occupe au juste, répond : « De la réification. » Quand on sait que les textes de cette bande dessinée sont repris du roman à clefs de Michèle Bernstein Tous les chevaux du roi6, et que cette phrase est dite par le personnage qui, dans le roman, représente Guy Debord, on comprend le caractère essentiel de cette réponse.

On comprend surtout que finalement, la théorie situationniste n’est pas si nouvelle que ça, ou plutôt que, parce qu’elle est la théorie critique de notre temps, elle prend en charge toutes les théories critiques antérieures – et donc aussi la théorie marxiste. Et quand on reprend ce que le concept de fétichisme voulait décrire, ce que le concept d’aliénation voulait décrire, ce que le concept de réification voulait décrire, on se rend compte que le concept de spectacle ne remet pas en cause ces différents concepts. La théorie situationniste n’est pas une théorie alternative à un marxisme bien compris ; elle est théorie critique comme la théorie de Marx est théorie critique.

Alors évidemment, on peut se demander pourquoi les situationnistes, et Debord en tout premier lieu, ont voulu conserver ce terme de « spectacle ». Il est évident que, sous ce terme, c’étaient bien la réification, l’aliénation et le fétichisme qu’ils visaient.

La première réponse est que ce concept de spectacle, les situationnistes ne l’avaient pas pris à Marx ; ce n’est qu’ultérieurement qu’ils vont lui donner une teneur plus « marxiste ».

Une autre réponse est sans doute que si, d’une certaine manière, ce concept subsumait les concepts marxistes traditionnels, il permettait de manifester, non qu’ils étaient « marxistes » ou devenus « marxistes », mais qu’ils faisaient ce que Marx, en son temps, avait fait : saisir à la racine la société présente. Avec sans doute l’idée que Marx aurait été des leurs. Et plus secrètement, qu’ils étaient le Marx de leur temps.

On sait bien que depuis assez longtemps déjà, mais de façon de plus en plus évidente, la théorie situationniste, ou en tout cas la notion de « société du spectacle », se porte avec chic ; on dit « spectacle », on se regarde d’un air entendu – et tout est dit. »
( Extrait - In le concept de spectacle, sens et contre-sens, par G. Briche)  


jeudi 10 avril 2025

Sujet du Merc. 16 Avril 2025 : Comment définir nos désirs ? (Texte d'Epicure)

 

Comment définir nos désirs ?
Epicure( -342, -270) Lettre à Ménécée,

« Même jeune, on ne doit pas hésiter à philosopher. Ni, même au seuil de la vieillesse, se fatiguer de l’exercice philosophique. Il n’est jamais trop tôt, qui que l’on soit, ni trop tard pour l’assainissement de l’âme. Tel, qui dit que l’heure de philosopher n’est pas venue ou qu’elle est déjà passée, ressemble à qui dirait que pour le bonheur, l’heure n’est pas venue ou qu’elle n’est plus. Sont donc appelés à philosopher le jeune comme le vieux. Le second pour que, vieillissant, il reste jeune en biens par esprit de gratitude à l’égard du passé. Le premier pour que jeune, il soit aussi un ancien par son sang-froid à l’égard de l’avenir. En définitive, on doit donc se préoccuper de ce qui crée le bonheur, s’il est vrai qu’avec lui nous possédons tout, et que sans lui nous faisons tout pour l’obtenir.      
Ces conceptions, dont je t’ai constamment entretenu, garde-les en tête. Ne les perds pas de vue quand tu agis, en connaissant clairement qu’elles sont les principes de base du bien vivre.

D’abord, tenant le dieu pour un vivant immortel et bienheureux, selon la notion du dieu communément pressentie, ne lui attribue rien d’étranger à son immortalité ni rien d’incompatible avec sa béatitude. Crédite-le, en revanche, de tout ce qui est susceptible de lui conserver, avec l’immortalité, cette béatitude. Car les dieux existent : évidente est la connaissance que nous avons d’eux. Mais tels que la foule les imagine communément, ils n’existent pas : les gens ne prennent pas garde à la cohérence de ce qu’ils imaginent. N’est pas impie qui refuse des dieux populaires, mais qui, sur les dieux, projette les superstitions populaires. Les explications des gens à propos des dieux ne sont pas des notions établies à travers nos sens, mais des suppositions sans fondement. De là l’idée que les plus grands dommages sont amenés par les dieux ainsi que les bienfaits. En fait, c’est en totale affinité avec ses propres vertus que l’on accueille ceux qui sont semblables à soi-même, considérant comme étranger tout ce qui n’est pas tel que soi.

Accoutume-toi à penser que pour nous la mort n’est rien, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation, et que la mort est l’éradication de nos sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la mort ne nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui conférant une durée infinie, mais en l’amputant du désir d’immortalité. Il s’ensuit qu’il n’y a rien d’effrayant dans le fait de vivre, pour qui est authentiquement conscient qu’il n’existe rien d’effrayant non plus dans le fait de ne pas vivre. Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non parce qu’il souffrira en mourant, mais parce qu’il souffre à l’idée qu’elle approche. Ce dont l’existence ne gêne point, c’est vraiment pour rien qu’on souffre de l’attendre ! Le plus effrayant des maux, la mort ne nous est rien, disais-je : quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes plus ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour les uns, elle n’est point, et que les autres ne sont plus. Beaucoup de gens pourtant fuient la mort, soit en tant que plus grands des malheurs, soit en tant que point final des choses de la vie. Le sage, lui ne craint pas le fait de n’être pas en vie : vivre ne lui convulse pas l’estomac, sans qu’il estime être mauvais de ne pas vivre. De même qu’il ne choisit jamais la nourriture la plus plantureuse, mais la plus goûteuse, ainsi n’est-ce point le temps le plus long, mais le plus fruité qu’il butine ? Celui qui incite d’un côté le jeune à bien vivre, de l’autre le vieillard à bien mourir est un niais, non tant parce que la vie a de l’agrément, mais surtout parce que bien vivre et bien mourir constituent un seul et même exercice. Plus stupide encore celui qui dit beau de n’être pas né, ou « sitôt né, de franchir les portes de l’Hadès ».

S’il est persuadé de ce qu’il dit, que ne quitte-t-il la vie sur-le-champ ? Il en a l’immédiate possibilité, pour peu qu’il le veuille vraiment. S’il veut seulement jouer les provocateurs, sa désinvolture en la matière est déplacée.
Souvenons-nous d’ailleurs que l’avenir, ni ne nous appartient, ni ne nous échappe absolument, afin de ne pas tout à fait l’attendre comme devant exister, et de n’en point désespérer comme devant certainement ne pas exister.
 
Il est également à considérer que certains d’entre les désirs sont naturels, d’autres vains, et que si certains des désirs naturels sont nécessaires, d’autres ne sont seulement que naturels. Parmi les désirs nécessaires, certains sont nécessaires au bonheur, d’autres à la tranquillité durable du corps, d’autres à la vie même. Or, une réflexion irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix et tout rejet à la santé du corps et à la sérénité de l’âme, puisque tel est le but de la vie bienheureuse. C’est sous son influence que nous faisons toute chose, dans la perspective d’éviter la souffrance et l’angoisse. Quand une bonne fois cette influence a établi sur nous son empire, toute tempête de l’âme se dissipe, le vivant n’ayant plus à courir comme après l’objet d’un manque, ni à rechercher cet autre par quoi le bien, de l’âme et du corps serait comblé. C’est alors que nous avons besoin de plaisir : quand le plaisir nous torture par sa non-présence. Autrement, nous ne sommes plus sous la dépendance du plaisir.

Voilà pourquoi nous disons que le plaisir est le principe et le but de la vie bienheureuse. C’est lui que nous avons reconnu comme bien premier et congénital. C’est de lui que nous recevons le signal de tout choix et rejet. C’est à lui que nous aboutissons comme règle, en jugeant tout bien d’après son impact sur notre sensibilité.    
 
Justement parce qu’il est le bien premier et né avec notre nature, nous ne bondissons pas sur n’importe quel plaisir : il existe beaucoup de plaisirs auxquels nous ne nous arrêtons pas, lorsqu’ils impliquent pour nous une avalanche de difficultés. Nous considérons bien des douleurs comme préférables à des plaisirs, dès lors qu’un plaisir pour nous plus grand doit suivre des souffrances longtemps endurées. Ainsi tout plaisir, par nature, a le bien pour intime parent, sans pour autant devoir être cueilli. Symétriquement, toute espèce de douleur est un mal, sans que toutes les douleurs soient à fuir obligatoirement. C’est à travers la confrontation et l’analyse des avantages et désavantages qu’il convient de se décider à ce propos. A certains moments, nous réagissons au bien selon les cas comme à un mal, ou inversement au mal comme à un bien.

Ainsi, nous considérons l’autosuffisance comme un grand bien : non pour satisfaire à une obsession gratuite de frugalité, mais pour que le minimum, au cas où la profusion ferait défaut, nous satisfasse. Car nous sommes intimement convaincus qu’on trouve d’autant plus d’agréments à l’abondance qu’on y est moins attaché, et que si tout ce qui est naturel est plutôt facile à se procurer, ne l’est pas tout ce qui est vain. Les nourritures savoureusement simples vous régalent aussi bien qu’un ordinaire fastueux, sitôt éradiquée toute la douleur du manque : pain et eau dispensent un plaisir extrême, dès lors qu’en manque on les porte à sa bouche. L’accoutumance à des régimes simples et sans faste est un facteur de santé, pousse l’être humain au dynamisme dans les activités nécessaires à la vie, nous rend plus aptes à apprécier, à l’occasion, les repas luxueux et, face au sort, nous immunise contre l’inquiétude.

Quand nous parlons du plaisir comme d’un but essentiel, nous ne parlons pas des plaisirs du noceur irrécupérable ou de celui qui a la jouissance pour résidence permanente - comme se l’imaginent certaines personnes peu au courant et réticentes à nos propos, ou victimes d’une fausse interprétation - mais d’en arriver au stade où l’on ne souffre pas du corps et ou l’on n’est pas perturbé de l’âme. Car ni les beuveries, ni les festins continuels, ni les jeunes garçons ou les femmes dont on jouit, ni la délectation des poissons et de tout ce que peut porter une table fastueuse ne sont à la source de la vie heureuse : c’est ce qui fait la différence avec le raisonnement sobre, lucide, recherchant minutieusement les motifs sur lesquels fonder tout choix et tout rejet, et chassant les croyances à la faveur desquelles la plus grande confusion s’empare de l’âme.      
Au principe de tout cela, comme plus grand bien : la prudence (Phronésis),. Or donc, la prudence, d’où sont issues toutes les autres vertus, se révèle en définitive plus précieuse que la philosophie : elle nous enseigne qu’on ne saurait vivre agréablement sans prudence sans honnêteté et sans justice, ni avec ces trois vertus vivre sans plaisir. Les vertus en effet participent de la même nature que vivre avec plaisir, et vivre avec plaisir en est indissociable.

D’après toi, quel homme surpasse en force celui qui sur les dieux nourrit des convictions conformes à leurs lois ? Qui face à la mort est désormais sans crainte ? Qui a percé à jour le but de la nature, en discernant à la fois comme il est aisé d’obtenir et d’atteindre le "summum" des biens, et comme celui des maux est bref en durée ou en intensité ; s’amusant de ce que certains mettent en scène comme la maîtresse de tous les événements – les uns advenant certes par nécessité, mais d’autres par hasard, d’autres encore par notre initiative –, parce qu’il voit bien que la nécessité n’a de comptes à rendre à personne, que le hasard est versatile, mais que ce qui vient par notre initiative est sans maître, et que c’est chose naturelle si le blâme et son contraire la suivent de près (en ce sens, mieux vaudrait consentir à souscrire au mythe concernant les dieux, que de s’asservir aux lois du destin des physiciens naturalistes : la première option laisse entrevoir un espoir, par des prières, de fléchir les dieux en les honorant, tandis que l’autre affiche une nécessité inflexible). Qui témoigne, disais-je, de plus de force que l’homme qui ne prend le hasard ni pour un dieu, comme le fait la masse des gens (un dieu ne fait rien de désordonné), ni pour une cause fluctuante (il ne présume pas que le bien ou le mal, artisans de la vie bienheureuse, sont distribués aux hommes par le hasard, mais pense que, pourtant, c’est le hasard qui nourrit les principes de grands biens ou de grands maux) ; l’homme convaincu qu’il est meilleur d’être dépourvu de chance particulière tout en raisonnant bien que d’être chanceux en déraisonnant ; l’idéal étant évidemment, en ce qui concerne nos actions, que ce qu’on a jugé « bien » soit entériné par le hasard.

A ces questions, et à toutes celles qui s’y rattachent, réfléchis jour et nuit pour toi-même et pour qui est semblable à toi, et jamais tu ne seras troublé ni dans la veille ni dans tes rêves, mais tu vivras comme un dieu parmi les humains. Car il n’a rien de commun avec un animal mortel, l’homme vivant parmi des biens immortels."    
 

Sujet du Merc.28 Mai 2025 : La conscience porte-parole de l’inconscient.

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