Le suicide peut-il être
lucide ?
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Définitions :
Lucide : Qui juge, voit clairement,
objectivement les choses dans leur réalité ; se dit de ce qui est ainsi
jugé.
Qui
est conscient, qui a toute sa connaissance.
Suicide : Acte de se donner volontairement la
mort.
Les interprétations d'un suicide dit lucide peuvent
être légitimement débattues, pour ma part
il remplirait des critères d'utilité, de rationalité et d'une certaine
conscience de l'acte (qui pourrait tout de même être limité par des
déterminismes). Celui-ci devrait permettre de juger de la vie, car se poser la
question du suicide c'est se demander si la vie vaut la peine d'être vécue. Le
suicidaire établirait donc une balance dans laquelle les contraintes de sa vie
seraient plus élevées que les plaisirs de vivre.
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Pistes
de réflexions :
Hégésias de Cyrène soutenait qu'il n'y a pas de
bonheur possible et concluait que la mort est préférable à la vie, sauf pour le
sage à qui toutes deux sont indifférentes (ce qui est plutôt pratique quand on
se considère comme tel !).
Socrate a choisi la mort indirectement : lors
de son procès, chaque partie propose une sentence et les juges votent, il
propose d'être honoré par la cité. Les accusateurs proposent la peine de mort
et gagnent logiquement.
Paul Lafargue a lui choisi de se suicider avec sa
femme tant qu'il était encore en bonne santé afin de ne pas connaître les
souffrances de la vieillesse. Il se justifie ainsi : « Sain de corps
et d'esprit, je me tue avant que l'impitoyable vieillesse qui m'enlève un à un
les plaisirs et les joies de l'existence et qui me dépouille de mes forces
physiques et intellectuelles ne paralyse mon énergie, ne brise ma volonté et ne
fasse de moi une charge à moi et aux autres. »
Le suicide peut aussi être un moyen de libération,
on pourra citer ici la célèbre phrase d'Emiliano Zapata : « Mieux
vaut mourir libre que vivre à genoux », mais aussi Sénèque :"
Méditer la mort, c'est méditer la liberté ; celui qui sait mourir, ne sait plus
être esclave"
Sénèque inclut le suicide dans l'idéal moral
romain.
Le philosophe préconise le suicide dans des cas
bien déterminés :
lorsqu'on veut éviter la déchéance morale
lorsque la raison ou l'honneur l'exige
lorsqu'on ne peut plus être utile
lorsque c'est le moyen d'échapper à la servitude.
Mais il ajoute : « Souvent il faut en finir, même avec courage, et
sans raisons très fortes, car elles ne sont pas non plus très grandes, celles
qui nous retiennent. »
Il considère que le suicide peut être glorieux
lorsque la raison nous y conduit, mais certains sont méprisables (par exemple
Phèdre a honte d'avouer pourquoi elle se donne la mort car c'est une
« folle passion » qui la guide).
Typologie des suicides chez Durkheim :
Il défend l'idée selon laquelle le suicide est un fait social à part entière.
Il établit deux grandes causes :
intégration : Quand la société intègre, elle tient les
individus sous sa dépendance, considère qu'ils sont à son service et, par
conséquent, ne leur permet pas de disposer d'eux-mêmes à leur fantaisie.
régulation : Si les sociétés intègrent, elles ont
également un pouvoir de régulation : elles fournissent des règles que les
individus doivent suivre, qui dictent leur conduite et leur fournissent des repères.
Il établit donc quatre types de suicides :
Le suicide égoïste : le suicide
égoïste intervient lors d'un défaut
d'intégration : l'individu n'est pas suffisamment rattaché aux autres.
(Cf suicide de célibataires).
Le suicide altruiste : à l'inverse du
suicide égoïste, le suicide altruiste est déterminé par un excès d'intégration. Les individus ne
s'appartiennent plus et peuvent en venir à se tuer par devoir (on peut avoir en
tête les suicides dans l'armée, dans des sectes, etc.).
Le suicide anomique : le suicide
anomique intervient lors d'un défaut
de régulation : la réglementation, les normes sont moins importantes,
elles sont devenues plus floues. Les individus sont moins tenus, leurs
conduites sont moins réglées, leurs désirs ne sont plus limités ou cadrés. Ils
peuvent éprouver le « mal de l'infini ».
Le suicide fataliste : le suicide
fataliste, quant à lui, intervient dans les cas d'excès de régulation : la vie sociale est extrêmement réglée,
les marges de manœuvre individuelles sont réduites. Le contrôle social, les
normes, sont trop importantes.
Albert Camus estime que le suicide résous
l'absurde. Il définit l'absurde comme l'opposition de la recherche du sens de
la vie de l'homme au non sens du monde : "L'absurde naît de cette
confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde".
Cependant il ajoute que l'absurde ne doit pas être résolu et que la réponse
face à celui-ci est la révolte.
Les djihadistes européens actuels sont
(malheureusement) le parfait exemple de
suicide lucide car ils sont assez révoltés pour mourir pour leurs idées et sont
donc libres et inarrêtable, tout comme l'étaient les premiers chretiens de la
Rome antique.
Il est aussi possible d'évoquer Cléopatre qui se suicide de manière lucide pour éviter d'être capturée pour le triomphe d'octave après la bataille d'Actium.
Sujet du Mercredi 04
Octobre 2017 :
Pourquoi faire la guerre sans moyens ?