Docta spes (espérance instruite)
Thomas More (Utopia 1516)
« Lorsque nous regardons les Etats
d'aujourd'hui, nous n'apercevons rien d'autre qu’une
conspiration de gens fortunés qui ne s'occupent de rien de plus que
de leurs propres intérêts... Ne pensez pas que la justice puisse régner là où les affaires importantes
reposent dans les mains de larrons insolents ou qu'un Etat puisse fleurir
qui réunit la totalité de sa richesse dans les
mains d'un petit nombre de citoyens. »
C'est il y a 5 siècles déjà que
Thomas More nous a mis en garde contre une orientation de notre souhait de
bonheur au travers de la toute petite minorité de personnes fortunées en
pensant que nous pourrons y arriver aussi et trouver ainsi le paradis sur
terre. Thomas More a vécu vers la fin de l'époque féodale où la classe
supérieure, la noblesse, accumulait des richesses énormes au détriment de la
majorité, sur le dos la classe inférieure.
La situation sociale actuelle, mondiale a peu
changé depuis ce temps- là, puisque un
pourcent de l'humanité actuelle possède autant que l'ensemble du reste.
Pour autant cette majorité n'a
toujours pas perdu tout l'espoir d'être un jour avantagée -sinon comme ceux
d'en haut – du moins de trouver plus de bonheur, en accomplissant sagement
leurs devoirs de citoyen ordinaire, malgré une si longue expérience contraire.
La majorité s'accroche à l'espoir
d'une vie meilleure que promettent ceux qui disposent de moyens incroyables
pour majorité qui vit au jour le jour
avec un argent gagné à la sueur de son front. S'ils ont la chance d'en pouvoir
gagner.
Malgré le fait d'être la majorité
ils continuent à vivre sans l'espoir qu'ils peuvent y changer quelque chose et
inverser l'état des choses selon la logique humaine. Or, La société depuis le
temps de Thomas More a évidemment changé
et continue á changer constamment.
Donc la nature de l'espoir et des
souhaits humains changent avec. Si l'on ne tire pas les conséquences du passé
et de son idéal approprié on ne peut pas se préparer à l'avenir. Il faut
mesurer la réalité á l'aune des idéaux connus,
ce qui n'est pas possible sans l'analyse du négatif et du positif
de tout ce qui a été atteint par l'humanité.
Comment ne pas comprendre cette
méthode de pensée lorsqu’on analyse les débuts du 20ième siècle.
D’un côté un crime de masse qui se déroule en Europe dès 1914 avec une adhésion
totale des peuples qui partaient « la fleur au fusil » mourir dans
les tranchées de cette paix promise et réalisée par Lénine et le peuple russe
et qui mit fin dès 1917 au bain de sang en ouvrant l’ère nouvelle de la
révolution d’octobre.
Albert Einstein a dit : « Le
pire de la folie est de laisser tout comme il est et d'espérer en même temps
que cela va changer.“
Une des fautes des anciens
utopistes consiste á ce qu'ils s'accrochaient á un monde fixe et
donc à un désir hérité d'avant, adapté á ce monde d'antan. Or la société change
constamment ainsi les espérances qui y correspondent.
Autrefois on pensait par
exemple : plus on travaille, plus on sera riche. On savait pourtant que la
haute aristocratie avait accumulé ses immenses richesses sans travail, avec le
travail de leurs paysans. Et aujourd'hui y-a-t-il encore quelqu'un croyant que
l'immense richesse de la minorité au sommet de notre société est le fruit du
travail de
celle-ci ? Ou plutôt celui de spéculations avec des capitaux hérités au départ ?
celle-ci ? Ou plutôt celui de spéculations avec des capitaux hérités au départ ?
Depuis
le “Manifeste Communiste“ de Marx et Engels (1848) l'utopie s'est transformée
en science et est devenu une « docta spes“ (Ernst Bloch, dans
« le principe de l'espérance »). C’est-à-dire que l’utopie ne doit plus
être , désormais, considérée comme le résultat d'un vécu immédiat et spontané
avec des désirs improvisés du moment,
mais au contraire comme le résultat d'une longue expérience humaine et avec un objectif : l'humanité entière et non pas un groupe
particulier de personnes
Un changement social peut-il venir
de la prise de conscience des opprimés, d'une « espérance instruite »
et savante, ennemie de toute résignation et de toute illusion ? Certes, cela
demande une absence de peur des changements.
Et déjà en 1532 Machiavel mettait
en garde dans « le Prince » contre toute forme de stagnation dans une
société, mais ce grand réaliste savait également :
« Il n'y a rien de plus difficile, de plus dangereux á exécuter que l'introduction d'un ordre nouveau. Car celui
qui veut introduire ce nouvel ordre a
comme adversaire tous ceux qui profitent de l'ordre ancien et il sera soutenu
seulement à moitié par ceux qui pourraient profiter de l'ordre nouveau. C'est
parce que les hommes ne croient pas vraiment aux choses nouvelles qu'ils ne reconnaissent pas encore par une expérience
personnelle. »
Peut-on
continuer à manquer du courage dont tant d'hommes et de femmes avant nous qui
ont résisté á un ordre ancien et absurde, ont fait preuve ? Comme Rosa
Luxemburg qui a dit après de longues années de prison: « Celui qui ne
bouge pas ne ressent pas ses chaines ».
Quitte
á devoir affronter un ordre nouveau, que l’on n’a pas encore expérimenté personnellement
Ne
devrions-nous pas, sans impatience ni illusions, lui faire face avec un espoir
chargé d’une analyse critique d’un long passé ? D’une « docta spes ».
Pourquoi la nécessité et la
possibilité d'un monde meilleur est-elle si
difficile á comprendre pour la majorité de de la classe inférieure, exploitée
dans la majeure partie du monde?
Parce
que les médias et tous les moyens qui abreuvent les peuples de ces « informations »
appartiennent á ceux d'en haut.
Bertold Brecht
disait : « l'opinion régnante est celle de ceux qui règnent. »
Ceux-là concentrent toute la lumière de la société sur eux – comme le soleil
dans notre univers, mais nous savons qu'en regardant le soleil en face on est
aveuglé et on ne voit rien distinctement.
« Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques,
les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle
dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle.
La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose,
du même coup, des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l'un
dans l'autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production
intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante.
Les pensées dominantes ne sont pas autre chose que l'expression idéale
des rapports matériels dominants, elles sont ces rapports matériels dominants
saisis sous forme d'idées, donc l'expression des rapports qui font d'une classe
la classe dominante; autrement dit, ce sont les idées de sa domination.
Les individus qui constituent la classe dominante possèdent, entre
autres choses, également une conscience, et en conséquence ils pensent; pour
autant qu'ils dominent en tant que classe et déterminent une époque historique
dans toute son ampleur, il va de soi que ces individus dominent dans tous les
sens et qu'ils ont une position dominante, entre autres, comme êtres pensants
aussi, comme producteurs d'idées, qu'ils règlent la production et la
distribution des pensées de leur époque; leurs idées sont donc les idées
dominantes de leur époque. »
L’idéologie allemande
– Ad Feuerbach – 1845