« L’homme
est intelligent parce qu’il a une main. » Anaxagore
VIième, Vième siècles avant notre ère, une série de penseurs vont dégager la pensée sur la nature de son fonds religieux, mystique, mythique.
Bien entendu on est loin des
conceptions scientifiques modernes, mais – fait d’importance – en arrachant la
pensée scientifique du monde de l’opinion (religion, mythe…), lieu même de la
croyance et donc de l’impossibilité de la DÉMONSTRATION, tous ces penseurs
ouvrent la possibilité de l’émancipation, de la réflexion critique, de l’argumentation
sur la base de faits concrets.
On quitte le monde d’Hésiode et d’Homère pour rentrer dans celui décrit par Thalès, Anaximandre et … Anaxagore
On quitte le monde d’Hésiode et d’Homère pour rentrer dans celui décrit par Thalès, Anaximandre et … Anaxagore
Anaxagore est un philosophe grec
qui vécut au cinquième siècle avant notre ère. Anaxagore explique la formation
du cosmos sans aucune préoccupation d'ordre religieux, sans la moindre
référence à des divinités ou à des mythes. Il ne s'appuie que sur l'expérience
de la vie courante et fait intervenir les notions du lourd et du léger, du
froid et du chaud, de l'humide et du sec. Il rend compte de la manière dont le
Monde s'est constitué à l'origine à partir d'exemples simples, souvent
empruntés à la vie quotidienne, permettant à chacun de faire le raisonnement. Il
y a un idéal d'intelligibilité, un effort pour expliquer la structure du Monde
d'une manière purement positive et rationnelle.
Le cosmos acquiert des propriétés
physiques : les astres sont des pierres incandescentes, la Lune a des plaines
et des précipices, le Soleil a une taille réelle qui peut être estimée (même si
l'estimation proposée est très petite). Le cosmos prend une certaine
consistance, il possède un certain volume : la Terre et la Lune, éclairées par
le Soleil, projettent leurs ombres dans l'espace, la Lune peut passer devant le
Soleil ou derrière la Terre, elle change d'aspect en fonction de sa position
relative au Soleil et à la Terre
Sa conception de l’univers et des
phénomènes qui s’y déroulent est profondément matérialiste et dialectique.
C’est lui, le premier, bien avant Lavoisier qui dira ceci « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses
déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau. »
Il n’y a donc pas de « cause première » ni de « raison finale » dans tout
l’univers. Tout ce qui existe a toujours existé – sous une autre forme – et ce
ne sont que les compositions diverses d’éléments simples qui forment toute la
nature, tout l’univers.
L’homme lui-même n’est que le
fruit de cette évolution, de cet agrégat de particules. Comment l’homme doit-il
se penser ? se demande Anaxagore. Tout simplement comme le résultat actuel
de sa relation avec le reste de la nature. Comment a t-t-il pu se différencier
des bêtes (pensée rationnelle) ? Parce qu’il a pu transformer la nature
autour de lui avec sa main : « L’homme
est intelligent parce qu’il a une main. ». Et bien entendu le résultat de
cette production-transformation a une action en retour sur le cerveau
permettant tout à la fois à celui-ci et à la main d’évoluer en se
perfectionnant l’un l’autre.
Cinq siècles avant notre ère
Anaxagore posait donc le principe d’un être humain, maître de lui-même, tout à
la fois esprit et matière (inséparable) et indépendant des dieux car sans
« destinée manifeste ».
Le courant de pensée d’Anaxagore
et des ces premiers savants grecs souleva une vive opposition de la part de
nombreux auteurs postérieurs et surtout de la part d’Aristote (IVième
avant notre ère). Ce dernier va prendre le contrepied d’Anaxagore :
« Ce n’est pas
parce qu’il a des mains que l’homme est le plus
intelligent des êtres, mais parce qu’il est le plus intelligent des
êtres qu’il a des mains. En effet, l’être le plus intelligent est celui qui est
capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils » (in
Aristote : les parties des animaux)
Pour comprendre l’analyse d’Aristote - qui n’est ni plus ni
moins que finaliste - : la nature a un but et l’homme a un destin, il faut
revenir sur la métaphysique qui sert de cadre général à son analyse.
Un cadre explicatif fixiste (la
métaphysique) exclut que des changements structurels importants interviennent à
l’intérieur d’une espèce (comme c’est le cas dans la pensée
évolutionniste). Tout est ce qu’il a
toujours été.
Mais ce serait une erreur que de
penser que le vieux débat Anaxagore/Aristote soit clos. Lorsqu’en 1987 la cour
suprême des USA jugeât que seules les
théories scientifiques devaient être enseignées dans les établissements publics
et que le créationnisme, étant une religion, ne pouvait figurer au programme
scolaire, les créationnistes mirent en avant la "nouvelle théorie"
créationniste, le Dessein Intelligent,
ou Intelligent Design, dieu disparut du vocabulaire et le nouveau dogme
devint :
- l'évolution est guidée par un
être supérieur, il y a un dessein intelligent dans l'univers
- la vie humaine est trop
complexe pour être le fruit du hasard
- la théorie de l'évolution est
trop frustre pour expliquer la complexité de la vie. La meilleure hypothèse
alternative, c'est qu'une intelligence supérieure, extraterrestre ou divine,
l'a organisée.
- il y a tellement de choses
belles dans la nature que c'est forcément une force intelligente qui dirige
tout cela...
Plus de 2700 ans après Anaxagore
et les premiers philosophes grecs il n’y a pas un jour au cours duquel sur nos
médias on nous ressort « l’éternelle
nature humaine », doctrine qui présuppose que nous avons des idées et
des émotions par-delà les conditions dans lesquelles nous avons évolués et nous
vivons. Une parcelle de dieu ou d’un « dessein intelligent » nous
pousserait à faire ce que nous faisons à penser ce que nous pensons et cela de
tout temps et pour l’éternité.
ET DEMAIN …..
LA RÉGRESSION DE LA MAIN
ET DEMAIN …..
LA RÉGRESSION DE LA MAIN
« En s'appuyant sur les plus récentes découvertes de la Paléontologie,
il est maintenant possible d'affirmer que le développement du cerveau et
l'action de la main sont liés. L'Homo-Sapiens ne serait pas sapiens s'il
n'avait pas libéré sa main (de la marche), laquelle est humaine “ non par ce
qu'elle est mais par ce qui s'en détache ”. Schématiquement, on pourrait dire
que la main et le geste qui l'anime sont à l'origine du prodigieux
développement du cerveau humain. D'où l'inquiétude du Paléontologue devant le
phénomène, qui va s’accélérant, de la régression de la main, privée de plus en
plus du geste qui crée, et réduite à presser sur des boutons, conduisant
l'homme à une véritable “ déculturation ” technique :
Il serait de peu d'importance que diminue cet organe de fortune qu’est
la main, si tout ne montrait pas que son activité est étroitement solidaire de
l'équilibre des territoires cérébraux qui l'intéressent ... Ne pas avoir à
penser avec ses dix doigts équivaut à manquer d'une partie normalement,
philogéniquement humaine.
La Main et le Cerveau
“ L'homme a commencé par les pieds ” ‑ et non par le cerveau ‑ dès que
la bipédie eut libéré sa main, et cette main ainsi libérée n'est pas restée
vide : elle a, en quelque sorte, secrété l'outil. Le développement du cerveau
quant à lui est “ corrélatif ‑ et non pas primordial ‑ de la station verticale
”et de sa conséquence, la libération de la main. C'est pourquoi pour les
paléontologues les critères fondamentaux de l'humanité sont: la station
verticale, la main libre pendant la marche et la possession d'outils.
Ceci est prouvé par l'étude des fossiles, et en particulier par l'étude
du fossile le plus ancien, le “ Zinjanthrope ”, découvert dans les années 50
sur le continent africain, qui taillait déjà des outils dans le silex aux
confins de l'ère tertiaire. Cette découverte jette définitivement à bas la
légende de l'homme‑singe au gros cerveau, longtemps au centre de la
paléontologie, et demeurée vivace dans la tradition populaire ainsi exprimée
par R. Queneau “ le singe sans effort, le singe devint l'Homme, lequel un peu
plus tard désintégra l'atome ”. » André Leroi-Gourhan in La conservation de l'espèce humaine -
1972