samedi 26 avril 2025

Sujet du 30 Mai 2025 : Le renard libre dans le poulailler libre.

 

Le renard libre dans le poulailler libre.   

« Le renard libre dans le poulailler libre » est une allégorie extrême qui repose sur une logique négative, l’idée est de suggérer que les politiques libérales ressemblent à la loi de la jungle.

Et pourtant si on s’en tient au libéralisme économique on peut distinguer cinq tendances formelles, au minimum, à savoir :

Les anarcho-capitalistes pensent que toutes les activités humaines peuvent être confiées aux secteurs privés.

Les minarchistes défendent la même vision sauf pour le régalien, l’armée, la justice et la police doivent être gérés par l’Etat.

Les libertariens ajoutent le système éducatif et la Banque centrale qui gère la monnaie.

L’ordo libéralisme, système clairement revendiqué par la politique allemande depuis 50 ans avec une forte participation des syndicats dans le développement et la politique économique.

Un libéralisme de gauche revendiqué par John Rawls ou Amartya Sen économiste indien (Prix Nobel).  

Si je tenais à énumérer ces différentes versions c’est d’abord pour sortir d’une caricature trop facile et surtout pour montrer que nos sociétés contemporaines sont très éloignées d’un pur libéralisme avec des gouvernements de 25 ministres, des réglementations et des lois pléthoriques dans quasiment toute l’Europe.         

On peut ajouter que l’économie de marché, appelée capitalisme par Karl Marx repose sur le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. C’est bien le système en vigueur dans 195 pays sur 197. Les nuances infinies qui existent dans le monde peuvent très bien se mesurer par leur degré de liberté accordé aux gens ou aux entreprises prétendant créer des richesses.

Mais il est exact que le libéralisme depuis Adam Smith défend une concurrence libre et non faussée et Hayek explique que si le socialisme échoue c’est parce que la puissance publique n’a pas, et n’aura jamais les informations nécessaires pour fixer les prix et les quantités des biens à produire. D’où l’échec de la planification.          

Comment pourrait-on prévoir les tonnes d’acier que l’Europe ou le monde ont besoin en 2025 ???

Le prix du pain en France était totalement réglementé jusqu’en 1985, est-ce que depuis sa libération il a disparu ou a atteint des prix inabordables ?

Combien il faut de restaurants dans telle rue et sur quel critère devrait-on le décider ?

Je rappelle pourtant que le nombre de pharmacie, de laboratoire d’analyse, de tabac, de casinos, de taxi, de licence IV et le numérus clausus de médecins sont très très réglementés.  

Il y a bien un compromis qui existe, ce débat normalement devrait donc être moins passionnel.

Il faut comprendre que c’est contre nature pour une femme ou un homme politique de défendre le libéralisme puisque cela revient à expliquer que son action est nuisible, pire que c’est eux le problème.

Mais on peut très bien inverser la métaphore, car dans la société, qui manipule les poules et en réalité taxe la classe moyenne abondamment si ce n’est l’Etat ou le Léviathan ?

Mais alors survient une difficulté :

Si on pense que le problème de l’économie de marché est la trop grande liberté accordée aux agents économiques il devient impossible ou contradictoire d’en chercher la cause dans des intentions malveillantes des pouvoirs publics.

Donc le plus grave dans l’allégorie du renard, c’est bien de penser que c’est la liberté le problème.  

Dire que l’Etat défend systématiquement le capitalisme n’a pas de sens. Il soutient en effet le seul principe qui crée des richesses, et heureusement, tout en entretenant le fantasme du supposé pouvoir des riches qu’il faut combattre et donner l’illusion de contrôler le système.

Sans oublier un capitalisme de connivence alimenté par des subventions et des commandes publiques pour ajouter à la confusion.

 

Merci de m’avoir lu, je vous parlais de votre liberté.

lundi 21 avril 2025

Sujet du Merc. 23/04/2025 : La société du spectacle.

 La société du spectacle.

    
« Dans un essai récent, Anselme Jappe écrivait que le terme de « société du spectacle » était Indiscutablement dans le groupe de tête des concepts employés aujourd’hui. Le « spectacle » est un concept critique développé par les situationnistes ; j’ai eu l’occasion d’indiquer comment ce terme, au commencement presque banal, était devenu, en particulier après les élaborations de Guy Debord, redoutablement pertinent pour décrire les sociétés capitalistes-marchandes, et mettre en évidence les moyens de leur nuire.

On peut en effet considérer que l’élaboration de la notion de « spectacle » est l’arme critique la plus aiguisée qu’ont produite les situationnistes, qui en ont pourtant produit plusieurs (la situation, la séparation, etc.). On peut même considérer que cette notion est le concept qui permet de faire comprendre tous les autres (un peu comme chez Marx, le concept de marchandise permet de faire comprendre tous les autres).

Il n’en reste pas moins que cette notion est, plus ou moins volontairement, employée de manière fautive.

 

La critique radicale de la société marchande et le marxisme

Alors que se menaient en Europe les premières luttes ouvrières à se revendiquer du Manifeste du parti communiste et d’un certain Karl Marx, Karl Marx, qui assurait une chronique dans un journal américain, fut interrogé à ce propos. « Tout ce que je sais, répondit-il, c’est que je ne suis pas marxiste. »

Cette anecdote rapportée par Engels dans une lettre à Conrad Schmidt du 5 août 1890 est extrêmement connue ; elle a été souvent rappelée pour répondre à la question « êtes-vous marxiste ? », par ceux qui se réclamaient de la critique sociale de Marx mais qui ne voulaient pas être assimilés à ceux que la tradition a identifiés par le terme de « marxistes ». Et les situationnistes n’y ont pas fait exception5.

Ce qui pourrait constituer le point commun de tous ces lecteurs de Marx qui ne sont pas marxistes ; c’est que plutôt que de reprendre les résultats du travail critique de Marx, ils veulent « se mettre eux-mêmes au travail». Ne pas reprendre les formules ou les mots d’ordre qui ont constitué ce qu’on appelle le marxisme, mais reprendre le geste critique même de Marx ; dire en quelque sorte : « Non, nous ne sommes pas marxistes, mais nous faisons comme Marx. »   
Pour exprimer les choses de manière plus frappante encore, on pourrait dire : « Marxistes, nous ne le sommes pas, mais marxiens, oui nous le sommes. »

Bref, le marxisme serait la volonté de schématiser, de simplifier, la théorie de Marx, alors qu’il n’y a qu’une manière de la comprendre : s’attacher à cet aspect apparemment élémentaire de sa théorie, la critique de la marchandise, mais en développer toutes les conséquences. La marchandise n’est pas une manifestation parmi d’autres de la société capitaliste, elle en est la racine, et c’est d’elle que découlent tous les aspects de la société capitaliste. En ce sens, il est juste de parler de cette société comme de la société marchande, de la société de production de marchandises. Cette caractéristique est plus fondamentale encore que la lutte des classes et l’exploitation des travailleurs – qui en sont des conséquences.

Le point commun sans doute le plus évident entre la critique situationniste et la critique de la valeur, c’est cette insistance à revenir à la critique de la marchandise et à la critique de la forme marchandise, qui modèle réellement toute notre société. Et qu’il n’est pas nécessaire de recourir à des théories nouvelles ou à des modernisations de la théorie critique radicale car, pour autant qu’on prenne la critique de la marchandise par Marx pour ce qu’elle est, c’est-à dire quelque chose en même temps extrêmement simple et extrêmement fécond, elle fait ses preuves comme une théorie qui répond aux exigences d’analyse les plus actuelles.

 

Banalité et complexité de la marchandise

Ce qui est remarquable dans la marchandise, c’est que ce n’est pas seulement une chose (dont nous allons élucider les caractéristiques) : c’est aussi une forme, et une forme qui marque de son empreinte la totalité des phénomènes sociaux.

Une marchandise, ce n’est pas une chose quelconque ; c’est une chose à deux faces : une de ces faces est son utilité, susceptible de satisfaire un besoin, l’autre face est sa valeur, susceptible d’être réalisée en argent. Définition très simple, qui vient d’ailleurs d’Aristote avant d’être élaborée par Marx, et définition dont la fécondité pour analyser les rouages de la société capitaliste est rarement éprouvée dans toute son ampleur. Cette division en deux faces de la marchandise, une face « concrète » (l’utilité pratique) et une face « abstraite » qui est la valeur, est la forme marchandise que la société capitaliste imprime à tous les phénomènes sociaux, et pas seulement aux biens et aux services qu’on produit et qui circulent.

C’est ce qui permet de dire que le phénomène de la réification est caractéristique de la société capitaliste-marchande. La réification (du latin res = chose), c’est la transformation en chose, et la forme marchandise a pour conséquence de tout transformer en chose, et dans le même mouvement de transformer toute chose en marchandise.
C’est le processus qui est à la base de la société capitaliste, où tout est tendanciellement transformé en chose, et en chose qu’on peut vendre et acheter. Quand on a compris ce processus, on a compris l’essentiel.


On se rappelle que dans une bande dessinée situationniste de 1966, Le retour de la Colonne Durruti, l’un des protagonistes, à qui l’on demande de quoi il s’occupe au juste, répond : « De la réification. » Quand on sait que les textes de cette bande dessinée sont repris du roman à clefs de Michèle Bernstein Tous les chevaux du roi6, et que cette phrase est dite par le personnage qui, dans le roman, représente Guy Debord, on comprend le caractère essentiel de cette réponse.

On comprend surtout que finalement, la théorie situationniste n’est pas si nouvelle que ça, ou plutôt que, parce qu’elle est la théorie critique de notre temps, elle prend en charge toutes les théories critiques antérieures – et donc aussi la théorie marxiste. Et quand on reprend ce que le concept de fétichisme voulait décrire, ce que le concept d’aliénation voulait décrire, ce que le concept de réification voulait décrire, on se rend compte que le concept de spectacle ne remet pas en cause ces différents concepts. La théorie situationniste n’est pas une théorie alternative à un marxisme bien compris ; elle est théorie critique comme la théorie de Marx est théorie critique.

Alors évidemment, on peut se demander pourquoi les situationnistes, et Debord en tout premier lieu, ont voulu conserver ce terme de « spectacle ». Il est évident que, sous ce terme, c’étaient bien la réification, l’aliénation et le fétichisme qu’ils visaient.

La première réponse est que ce concept de spectacle, les situationnistes ne l’avaient pas pris à Marx ; ce n’est qu’ultérieurement qu’ils vont lui donner une teneur plus « marxiste ».

Une autre réponse est sans doute que si, d’une certaine manière, ce concept subsumait les concepts marxistes traditionnels, il permettait de manifester, non qu’ils étaient « marxistes » ou devenus « marxistes », mais qu’ils faisaient ce que Marx, en son temps, avait fait : saisir à la racine la société présente. Avec sans doute l’idée que Marx aurait été des leurs. Et plus secrètement, qu’ils étaient le Marx de leur temps.

On sait bien que depuis assez longtemps déjà, mais de façon de plus en plus évidente, la théorie situationniste, ou en tout cas la notion de « société du spectacle », se porte avec chic ; on dit « spectacle », on se regarde d’un air entendu – et tout est dit. »
( Extrait - In le concept de spectacle, sens et contre-sens, par G. Briche)  


jeudi 10 avril 2025

Sujet du Merc. 16 Avril 2025 : Comment définir nos désirs ? (Texte d'Epicure)

 

Comment définir nos désirs ?
Epicure( -342, -270) Lettre à Ménécée,

« Même jeune, on ne doit pas hésiter à philosopher. Ni, même au seuil de la vieillesse, se fatiguer de l’exercice philosophique. Il n’est jamais trop tôt, qui que l’on soit, ni trop tard pour l’assainissement de l’âme. Tel, qui dit que l’heure de philosopher n’est pas venue ou qu’elle est déjà passée, ressemble à qui dirait que pour le bonheur, l’heure n’est pas venue ou qu’elle n’est plus. Sont donc appelés à philosopher le jeune comme le vieux. Le second pour que, vieillissant, il reste jeune en biens par esprit de gratitude à l’égard du passé. Le premier pour que jeune, il soit aussi un ancien par son sang-froid à l’égard de l’avenir. En définitive, on doit donc se préoccuper de ce qui crée le bonheur, s’il est vrai qu’avec lui nous possédons tout, et que sans lui nous faisons tout pour l’obtenir.      
Ces conceptions, dont je t’ai constamment entretenu, garde-les en tête. Ne les perds pas de vue quand tu agis, en connaissant clairement qu’elles sont les principes de base du bien vivre.

D’abord, tenant le dieu pour un vivant immortel et bienheureux, selon la notion du dieu communément pressentie, ne lui attribue rien d’étranger à son immortalité ni rien d’incompatible avec sa béatitude. Crédite-le, en revanche, de tout ce qui est susceptible de lui conserver, avec l’immortalité, cette béatitude. Car les dieux existent : évidente est la connaissance que nous avons d’eux. Mais tels que la foule les imagine communément, ils n’existent pas : les gens ne prennent pas garde à la cohérence de ce qu’ils imaginent. N’est pas impie qui refuse des dieux populaires, mais qui, sur les dieux, projette les superstitions populaires. Les explications des gens à propos des dieux ne sont pas des notions établies à travers nos sens, mais des suppositions sans fondement. De là l’idée que les plus grands dommages sont amenés par les dieux ainsi que les bienfaits. En fait, c’est en totale affinité avec ses propres vertus que l’on accueille ceux qui sont semblables à soi-même, considérant comme étranger tout ce qui n’est pas tel que soi.

Accoutume-toi à penser que pour nous la mort n’est rien, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation, et que la mort est l’éradication de nos sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la mort ne nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui conférant une durée infinie, mais en l’amputant du désir d’immortalité. Il s’ensuit qu’il n’y a rien d’effrayant dans le fait de vivre, pour qui est authentiquement conscient qu’il n’existe rien d’effrayant non plus dans le fait de ne pas vivre. Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non parce qu’il souffrira en mourant, mais parce qu’il souffre à l’idée qu’elle approche. Ce dont l’existence ne gêne point, c’est vraiment pour rien qu’on souffre de l’attendre ! Le plus effrayant des maux, la mort ne nous est rien, disais-je : quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes plus ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour les uns, elle n’est point, et que les autres ne sont plus. Beaucoup de gens pourtant fuient la mort, soit en tant que plus grands des malheurs, soit en tant que point final des choses de la vie. Le sage, lui ne craint pas le fait de n’être pas en vie : vivre ne lui convulse pas l’estomac, sans qu’il estime être mauvais de ne pas vivre. De même qu’il ne choisit jamais la nourriture la plus plantureuse, mais la plus goûteuse, ainsi n’est-ce point le temps le plus long, mais le plus fruité qu’il butine ? Celui qui incite d’un côté le jeune à bien vivre, de l’autre le vieillard à bien mourir est un niais, non tant parce que la vie a de l’agrément, mais surtout parce que bien vivre et bien mourir constituent un seul et même exercice. Plus stupide encore celui qui dit beau de n’être pas né, ou « sitôt né, de franchir les portes de l’Hadès ».

S’il est persuadé de ce qu’il dit, que ne quitte-t-il la vie sur-le-champ ? Il en a l’immédiate possibilité, pour peu qu’il le veuille vraiment. S’il veut seulement jouer les provocateurs, sa désinvolture en la matière est déplacée.
Souvenons-nous d’ailleurs que l’avenir, ni ne nous appartient, ni ne nous échappe absolument, afin de ne pas tout à fait l’attendre comme devant exister, et de n’en point désespérer comme devant certainement ne pas exister.
 
Il est également à considérer que certains d’entre les désirs sont naturels, d’autres vains, et que si certains des désirs naturels sont nécessaires, d’autres ne sont seulement que naturels. Parmi les désirs nécessaires, certains sont nécessaires au bonheur, d’autres à la tranquillité durable du corps, d’autres à la vie même. Or, une réflexion irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix et tout rejet à la santé du corps et à la sérénité de l’âme, puisque tel est le but de la vie bienheureuse. C’est sous son influence que nous faisons toute chose, dans la perspective d’éviter la souffrance et l’angoisse. Quand une bonne fois cette influence a établi sur nous son empire, toute tempête de l’âme se dissipe, le vivant n’ayant plus à courir comme après l’objet d’un manque, ni à rechercher cet autre par quoi le bien, de l’âme et du corps serait comblé. C’est alors que nous avons besoin de plaisir : quand le plaisir nous torture par sa non-présence. Autrement, nous ne sommes plus sous la dépendance du plaisir.

Voilà pourquoi nous disons que le plaisir est le principe et le but de la vie bienheureuse. C’est lui que nous avons reconnu comme bien premier et congénital. C’est de lui que nous recevons le signal de tout choix et rejet. C’est à lui que nous aboutissons comme règle, en jugeant tout bien d’après son impact sur notre sensibilité.    
 
Justement parce qu’il est le bien premier et né avec notre nature, nous ne bondissons pas sur n’importe quel plaisir : il existe beaucoup de plaisirs auxquels nous ne nous arrêtons pas, lorsqu’ils impliquent pour nous une avalanche de difficultés. Nous considérons bien des douleurs comme préférables à des plaisirs, dès lors qu’un plaisir pour nous plus grand doit suivre des souffrances longtemps endurées. Ainsi tout plaisir, par nature, a le bien pour intime parent, sans pour autant devoir être cueilli. Symétriquement, toute espèce de douleur est un mal, sans que toutes les douleurs soient à fuir obligatoirement. C’est à travers la confrontation et l’analyse des avantages et désavantages qu’il convient de se décider à ce propos. A certains moments, nous réagissons au bien selon les cas comme à un mal, ou inversement au mal comme à un bien.

Ainsi, nous considérons l’autosuffisance comme un grand bien : non pour satisfaire à une obsession gratuite de frugalité, mais pour que le minimum, au cas où la profusion ferait défaut, nous satisfasse. Car nous sommes intimement convaincus qu’on trouve d’autant plus d’agréments à l’abondance qu’on y est moins attaché, et que si tout ce qui est naturel est plutôt facile à se procurer, ne l’est pas tout ce qui est vain. Les nourritures savoureusement simples vous régalent aussi bien qu’un ordinaire fastueux, sitôt éradiquée toute la douleur du manque : pain et eau dispensent un plaisir extrême, dès lors qu’en manque on les porte à sa bouche. L’accoutumance à des régimes simples et sans faste est un facteur de santé, pousse l’être humain au dynamisme dans les activités nécessaires à la vie, nous rend plus aptes à apprécier, à l’occasion, les repas luxueux et, face au sort, nous immunise contre l’inquiétude.

Quand nous parlons du plaisir comme d’un but essentiel, nous ne parlons pas des plaisirs du noceur irrécupérable ou de celui qui a la jouissance pour résidence permanente - comme se l’imaginent certaines personnes peu au courant et réticentes à nos propos, ou victimes d’une fausse interprétation - mais d’en arriver au stade où l’on ne souffre pas du corps et ou l’on n’est pas perturbé de l’âme. Car ni les beuveries, ni les festins continuels, ni les jeunes garçons ou les femmes dont on jouit, ni la délectation des poissons et de tout ce que peut porter une table fastueuse ne sont à la source de la vie heureuse : c’est ce qui fait la différence avec le raisonnement sobre, lucide, recherchant minutieusement les motifs sur lesquels fonder tout choix et tout rejet, et chassant les croyances à la faveur desquelles la plus grande confusion s’empare de l’âme.      
Au principe de tout cela, comme plus grand bien : la prudence (Phronésis),. Or donc, la prudence, d’où sont issues toutes les autres vertus, se révèle en définitive plus précieuse que la philosophie : elle nous enseigne qu’on ne saurait vivre agréablement sans prudence sans honnêteté et sans justice, ni avec ces trois vertus vivre sans plaisir. Les vertus en effet participent de la même nature que vivre avec plaisir, et vivre avec plaisir en est indissociable.

D’après toi, quel homme surpasse en force celui qui sur les dieux nourrit des convictions conformes à leurs lois ? Qui face à la mort est désormais sans crainte ? Qui a percé à jour le but de la nature, en discernant à la fois comme il est aisé d’obtenir et d’atteindre le "summum" des biens, et comme celui des maux est bref en durée ou en intensité ; s’amusant de ce que certains mettent en scène comme la maîtresse de tous les événements – les uns advenant certes par nécessité, mais d’autres par hasard, d’autres encore par notre initiative –, parce qu’il voit bien que la nécessité n’a de comptes à rendre à personne, que le hasard est versatile, mais que ce qui vient par notre initiative est sans maître, et que c’est chose naturelle si le blâme et son contraire la suivent de près (en ce sens, mieux vaudrait consentir à souscrire au mythe concernant les dieux, que de s’asservir aux lois du destin des physiciens naturalistes : la première option laisse entrevoir un espoir, par des prières, de fléchir les dieux en les honorant, tandis que l’autre affiche une nécessité inflexible). Qui témoigne, disais-je, de plus de force que l’homme qui ne prend le hasard ni pour un dieu, comme le fait la masse des gens (un dieu ne fait rien de désordonné), ni pour une cause fluctuante (il ne présume pas que le bien ou le mal, artisans de la vie bienheureuse, sont distribués aux hommes par le hasard, mais pense que, pourtant, c’est le hasard qui nourrit les principes de grands biens ou de grands maux) ; l’homme convaincu qu’il est meilleur d’être dépourvu de chance particulière tout en raisonnant bien que d’être chanceux en déraisonnant ; l’idéal étant évidemment, en ce qui concerne nos actions, que ce qu’on a jugé « bien » soit entériné par le hasard.

A ces questions, et à toutes celles qui s’y rattachent, réfléchis jour et nuit pour toi-même et pour qui est semblable à toi, et jamais tu ne seras troublé ni dans la veille ni dans tes rêves, mais tu vivras comme un dieu parmi les humains. Car il n’a rien de commun avec un animal mortel, l’homme vivant parmi des biens immortels."    
 

samedi 5 avril 2025

Sujet du Merc. 09 Avril 2025 : Il n’y a pas d’origine.

 

                 Il n’y a pas d’origine.

Les hommes sont mortels. Pour un individu, pour toute l’humanité, l’origine est la date de la naissance (pour certains un peu avant ….), leur fin, celle de leur mort.

C’est probablement cette constatation, comparable à tous les phénomènes de la nature, qui fit penser à tous qu’il y avait un « début », une origine. Mais penser ainsi pose plus de problèmes que cela n’en résout.  
D’abord il va falloir se pencher sur la question de l’Origine avec un grand O. Origine qui ne peut être que quasi miraculeuse et en tout cas extérieure à l’homme. Comment sont nées les montagnes et les mers, les plantes et les animaux ?
On a cru un temps à la « génération spontanée », mais au 19ième siècle c’était fini !           
Dieu, la grande chimère, répondait à LA question. C’était lui le créateur. C’est ce que pensent encore des milliards d’êtres humains. Car le gros avantage de dieu (des dieux) c’est qu’il est là du début à la fin. Il préside à la vie (création), il est là lorsqu’on est plus.   
Avec l’idée de dieu (des dieux) l’homme peut se poser les questions de l’origine, du pourquoi, de la mort et ….. surtout il peut y répondre ! Le récit religieux vient encadrer le moment existentiel des mortels pour les rassurer. Il les inclut du même coup dans un destin bordé par la morale et le temps.

Affirmer, comme dans le titre de ce philopiste, qu’il n’y a pas d’origine c’est aller profondément à l’encontre des croyances dominantes l’humanité. Et pourtant ce n’est qu’une paraphrase de ce qu’un philosophe grec a énoncé voici près de 2600 ans : Anaximandre.

Anaximandre ( vers -610, à – 546 de notre ère ) est né à Milet sur les rivages de la Turquie actuelle, c'est-à-dire à la confluence de l’Orient où les Babyloniens avaient fortement développés une astronomie très élaborée et de l’Occident encore tout imprégné de mythes fondateurs qui font intervenir une substance première, infinie, immortelle et divine enveloppant et gouvernant toute chose : l’Arché.

Anaximandre va reprendre ce terme d’arché, mais, première rupture, il va écrire en prose alors que toutes les explications du monde précédentes étaient en style poétique. De la théogonie on va passer à ce qui va devenir la conception grecque de l’univers pour des siècles.

Anaximandre rompt de manière radicale avec le mythe en ce sens qu’il démythifie la démarche généalogique de création de l’univers. Dès lors la porte s’ouvre sur une nouvelle géométrisation du monde. A la question que se posait Thalès qui faisait reposer le monde (et la Terre) sur l’élément eau mais se demandait comment son océan tenait dans l’espace, Anaximandre répond que la terre flotte en équilibre au centre de l’univers et il ajoute que si elle demeure en repos à cette place, sans avoir besoin d’aucun support c’est parce qu’à égale distance de tous les points de circonférence céleste, elle n’a aucune raison d’aller en bas plutôt qu’en haut, ni d’un coté plutôt que de l’autre. Pour la première fois le cosmos est placé dans un espace mathématisé constitué par des relations purement géométriques.

Désormais on rentre dans la période de « l’histoire à travers la physique ». Au lieu de chercher une origine, une source, au cosmos ; un « primus motor » comme dira plus tard Aristote, Anaximandre va désormais utiliser le terme arché dans un tout autre sens. Pour lui point d’origine première (de création dirions nous aujourd’hui), l’origine est perpétuelle, et elle peut continuellement donner naissance à ce qui sera. La cause complète de la génération de tout sera nommée apeiron (infini ou illimité).  Il n’y a plus de point originel ou final dans le temps.

La matière s’organise selon l’apeiron , cette organisation est présentée par lui comme une séparation de contraires :  « Ce d’où il y a génération des entités, en cela aussi se produit leur destruction, selon la nécessité, car elles se rendent les unes aux autres justice et réparation de leur injustice, selon l’assignation du Temps.[] ».

Eclaircissons cette phrase :

Les choses, les êtres n’existent que dans un flux de processus ininterrompus. Si nous prenons l’exemple d’un mortel. Il nait un jour, meurt un autre. Mais sa naissance est liée à l’existence préalable de millions d’êtres vivants dont il est inutile de chercher la « cause première » dans un dieu.

Penser à l’influence d’un dieu, à une volonté divine c’est, comme le dit si bien Spinoza, se réfugier dans « l’asile de l’ignorance ». Et la disparition du mortel n’est que la transformation de ses composés en d’autres composés qui, à leur tour, fourniront la matière première à l’univers pour refonder d’autres êtres.

La vraie question philosophique est le Comment, pas le Pourquoi.

Mais la vieille métaphysique reste aux aguets pour tirer en arrière tout le genre humain avec ses fables et ses mythes. C’est que l’enjeu est de taille. Au-delà de l’origine il y a la manière dont les hommes, une fois libérés de « leur créateur » peuvent se mettre à penser par eux-mêmes. Si les cieux sont vides de dieux prompts à nous punir, nous faire la morale, nous donner la vie et la mort ; plus personne n’a de pouvoir sur nous.
La naissance de la philosophie nait de ce moment unique.
Si l’ordre ne nait plus du divin, n’est plus imposé par le destin, alors les hommes peuvent libérer toute leur puissance créatrice, grâce à la raison, pour penser le « vivre ensemble » (et la période d’Anaximandre est celle du début des cités grecques, la sortie de la pré-histoire).

J P Vernant notera : « La basileia, la monarchia qui, dans le mythe, fondaient l'ordre et le soutenaient, apparaissent, dans la perspective nouvelle d'Anaximandre, destructrices de l’ordre. L'ordre n'est plus hiérarchique ; il consiste dans le maintien d'un équilibre entre des puissances désormais égales, aucune d'entre elles ne devant obtenir sur les autres une domination définitive qui entraînerait la ruine du cosmos. Si l'apeiron possède l'arché et gouverne toute chose, c'est précisément parce que son règne exclut la possibilité pour un élément de s'emparer de la dunastéia. La primauté de l'apeiron garantit la permanence d'un ordre égalitaire fondé sur la réciprocité des relations, et qui, supérieur à tous les éléments, leur impose une loi commune. ».

Il fallait ce passage essentiel de la rupture avec la conception mythologique de l’origine pour que naisse cette pensée singulière qu’on nomme philosophie. Il fallait poser un principe en rupture totale avec le point de vue d’un mortel se regardant et regardant le monde. Ce furent, des siècles plus tard, ce que réalisèrent Bruno, Copernic, Galilée, Darwin.

Le cas d’Anaximandre équivaut pour le monde antique à la rupture que produisirent Copernic et Galilée à l’aube de la Renaissance face à la féodalité déclinante.

Les idées des hommes ne naissent pas de nulle part, Anaximandre, comme Copernic et Galilée vécurent à des périodes d’intenses mutations sociales et économiques. Le problème pour nous, 2600 ans plus tard, n’est il temps pas de renouer avec cette philosophie là ?  Celle qui dénonçait l’ordre comme fatalité ; l’injustice comme destin, et la Cause de Tout comme ayant source les mythes (littéralement mensonges, fables).

Ne nous faudrait-il pas en revenir à « l’origine » (le comment) de la philosophie !?

              Blog du café philo  http://philopistes.blogspot.fr/

Sujet du 30 Mai 2025 : Le renard libre dans le poulailler libre.

  Le renard libre dans le poulailler libre.     « Le renard libre dans le poulailler libre » est une allégorie extrême qui repose sur une l...