Philosophie et poésie : comment se
rencontrent-elles ?
Philosophie
et poésie me semble être dans une quête de vérité, de manières
différentes : la première à travers la raison, la seconde à travers les
sens. J’ai trouvé intéressant d’amener le questionnement sur ce qui les font se
rencontrer, et ainsi ce qui les différencie.
Selon Santo Alessandro Arcoleo,
philosophe contemporain Italien, le rapport
poésie-philosophie joue un rôle important dans la pensée de Marcel Conche dès
ses premières pages dédiées à Épicure, Lucrèce et Montaigne : « Si
nombre d’ouvrages de philosophie distillent l’ennui, c’est que la vie en est
absente... Le simple jeu des concepts n’apporte pas la vie... Il y a
différentes façons de faire vivre un ouvrage. La poésie en est une », écrivait
Marcel Conche dans ses réponses à A. Comte-Sponville. La confrontation
entre poésie et philosophie ou pour adopter ses termes, entre créativité et
sagesse, est très ancienne : malgré ce qui les rapproche parfois, elles
demeurent irréductiblement séparées. La vérité de la poésie et celle de la
philosophie nous donnent des perspectives tout à fait différentes sur l’homme.
« Le réel de l’artiste n’est autre que le réel commun... Quant au Tout, ce
peut-être la Nature : la Nature est alors ressentie comme le Tout. Mais la
Nature est-elle le Tout ? La question n’est pas posée. Ainsi, il est
essentiel à la philosophie de poser des questions que l’artiste, comme tel, ne
pose pas : ce sont les questions dites ultimes, par
lesquelles la philosophie s’est, dès l’origine, distinguée aussi bien de
l’artiste que du savant. » La vision esthétique qui définit la poésie
comme connaissance plus élargie de la réalité humaine serait en accord avec
l’affirmation de Dostoïevski qui soutient que ce sera la beauté qui un jour
sauvera le monde.
En effet, les efforts que la raison produit pour atteindre une connaissance de
la réalité humaine pâlissent devant les renseignements de la poésie qui nous
conduit à une illusion « productrice de vérité ».
Appréciant les idées philosophiques
et la poésie de François Cheng il me tenait à cœur de le citer ici. Voici
comment l’écrivain et poète Matthias Vincenot parle de la poésie de François
Cheng:
La poésie de François Cheng est au plus proche des éléments et leur
redonne vie, essence, dans l’écriture. Quelque chose naît du mot, qui le charge
moins d’une signification que d’une sensation, celle que procure son énoncé
même. En effet, si la poésie est une certaine façon de dire le monde, elle est
aussi une façon de dire le langage. Non pas nécessairement le réinventer, mais
l’utiliser au maximum de ses possibilités. Il y a dans la poésie de Cheng comme
une manière d’être au monde, proche de l’essentiel : la pierre, l’arbre,
par exemple. Mais leur présence n’est pas anodine, et elle reprend sens par
l’entremise de la poésie, qui les réinvestit. Cette poésie est aussi proche du
mot, car si la poésie souvent tourne autour du langage, celle de Cheng est,
assurément, une poésie du mot. Non du mot juste, mais du mot comme objet à
observer et non pas à investir d’un nouveau sens, mais à ressentir, au sens
premier. Il y a la définition d’un mot, mais il y a quelque chose avant le
sens, et le mot existe, non pas pour lui-même, mais en lui-même.
Cette présentation se terminera à propos du mystère qui relient
philosophie et poésie.
Selon Bernard Grasset, éditeur, l’appel du mystère résonne comme l’appel
à une autre parole. Le Logos est le chemin de la pensée et du poème vers le
mystère. Que demeure présent le mystère au cœur de l’homme, à son intelligence,
qu’il aime le mystère, s’en nourrisse, telle est la tâche la plus haute confiée
au poète et au philosophe. Et si les poètes-penseurs, les penseurs-poètes, au
sein de notre monde errant, saturé de vide et tremblant d’indéfinissable
attente, si les penseurs-poètes, les poètes-penseurs étaient les derniers gardiens
du mystère…
Pour terminer, un poème de François Cheng, abordant le thème du
mystère :
Bleus de la profondeur,
Nous n’en finirons pas
D’interroger votre mystère
L’illimité n’étant point à notre portée
Il nous reste à creuser,
O bleus,
Du ciel et de la mer,
Votre mystère qui n’est autre,
Que nos propres bleus à l’âme.
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