Qu’est-ce que la justice sociale
Dans « Tristes tropiques »,
l’anthropologue Claude Lévi-Strauss donne un exemple d’institution judiciaire
dans une société primitive. Il ne voit pas
des sauvages qui se vengent brutalement contre un criminel,
il nous montre au contraire une police qui juge et exécute la peine de façon à
rendre possible la réintégration du coupable dans la société. La peine y est
conçue et pratiquée comme une offense envers le criminel qu’il faut réparer.
Il est
facile de comprendre que le concept de justice fait partie dès le départ de de
l’élaboration de la société. L’observation de Lévi-Strauss dans sa distinction
avec la vengeance nous permet de voir que la justice est une abstraction
élaborée par les hommes dans une fin qui concerne le collectif.
La
vision traditionnelle de la justice proposée par la puissance publique nous
demande de juger un homme en fonction de ses actes. Et c’est le non-respect des
lois qui fixe le cadre arbitraire qui sera sanctionné. Si ces lois, qui ont été
votées, sont injustes ou inappropriées, c’est donc une erreur de raisonnement
du débat politique qui est le responsable
du problème. L’exemple le plus grotesque est la loi le chapelier en 1791
qui va interdire pendant 90 ans, toutes les corporations, les syndicats et le
droit de grève.
Or
le concept de justice sociale repose sur une vision sociologique de la société
en désignant un déterminisme social. Mais cette réflexion devrait tenir compte
de la condition humaine de départ de l’homme dans la nature dans une précarité
effroyable. Ainsi la plus grande injustice serait la nature. Et La contradiction
consiste à condamner précisément ce qui nous a permis de nous extraire de notre
vulnérabilité par rapport à la nature, au nom de la justice sociale
.
Philosophiquement il n’est pas possible de reprocher à un
système d’être injuste. Comme on ne peut pas reprocher à la géométrie ou au
jardinage d’être injuste. Un jugement de
valeur de justice ne peut être reproché qu’à des comportements humains ou à des
lois qui ne serait pas appropriés pour précisément guider ou condamner les comportements des hommes.
Un
exemple de confusion des ordres moraux fixés par le pouvoir ou par la
perception de la morale ressentie par les individus nous est donné dans la
littérature classique. Je pense au livre « les misérables » de Victor
Hugo.
L’intrigue
principale est très connue, nous avons le héros Jean Valjean qui doit exécuter une
peine de cinq ans de prison parce qu’il a volé un pain. D’emblée le lecteur est confronté à une
histoire particulièrement injuste. Cette injustice est très facile à identifier
puisque c’est bien l’arbitraire de la loi et du juge qui a dirigé le procès,
qui sont bien responsable d’une peine disproportionné par rapport à la faute.
Jean Valjean va tenter de s’évader de prison, et reprit par la justice il va de
ce fait, être condamné à une peine beaucoup plus lourde.
La
raison devrait nous guider vers une interprétation simple, l’injustice provient
dans ce cas uniquement de l’arbitraire du pouvoir.
Mais
la volonté de l’auteur est que le
lecteur s’identifie totalement au héros Jean Valjean qui est foncièrement bon.
Après
Victor Hugo triche avec le personnage de
Cosette. Cette petite fille de 10 ans doit vendre ses cheveux, puis ses dents
pour ce faire de l‘argent et donc survivre dans ce monde impitoyable. Car là on
nous montre une condition humaine terrifiante en mélangeant une causalité
arbitraire subie par Jean Valjean d’une part, et un échec du système économique
dans le cas de Cosette d’autre part. Hugo mélange les ordres moraux, entre
déterminisme social et arbitraire du pouvoir. Cet amalgame participe à la confusion
et nous éloigne de la raison.
Puis
dans le déroulement du récit nous avons le personnage du policier
particulièrement rigide avec le respect de la loi, qui vient tout au long du
roman nous rappeler que la puissance publique dans le respect de l’ordre ne
fait aucune nuance, et est surtout incapable de mesurer une faute et une
sanction dans l’intérêt général.
Mais
coup de théâtre jean Valjean va sauver la vie de Javert le policier. Celui-ci
lui en est reconnaissant et va renoncer à poursuivre Jean Valjean, car il est
obligé de revoir son jugement moral sur celui-ci. Incapable de résoudre son
conflit intérieur entre son éthique personnel et son sens du devoir, il va le
vivre comme un cas de conscience insurmontable et choisir de se suicider.
Mais
dans la réalité cela ne se passe pas
comme çà.
Oui
dans la vrai vie, le policier rentre au commissariat et quand il croise ça
hiérarchie, il dira :
Javert,
Ah chef, vous savez le fugitif que je poursuivais depuis des années, qui avait
volé un pain, et bien j’ai perdu sa trace. Donc je passe à l’affaire suivante.
Le
chef, Ah très bien, l’administration ne vous paye pas poursuivre une enquête
pendant des années, qui ne mène nulle part.
Et
plus tard, Javert peut même raconter,
son histoire dans sa totalité à ses petits enfants en toute bonne conscience,
il aura même droit à leur admiration.