Dilemmes moraux et promesses non tenues. Panorama historico-philosophique du mouvement non violent
Domenico Losurdo
Philosophe et historien à l’Université d’Urbino. Il a récemment publié
Contre-histoire du libéralisme aux éditions La Découverte.
Guerre, révolution et le « sérieux du négatif »1
Une atmosphère de fête marqua l’éclatement de la Première Guerre
mondiale, en particulier en Allemagne. Des photos d’époque montrent de
jeunes gens pressés de s’engager avec l’enthousiasme généralement
réservé aux rendez-vous galants. L’attrait de cette « grande et
magnifique guerre », selon les mots de Max Weber, fut également ressenti
par les intellectuels dominants et de larges couches de la population.
Un témoin en vue, Stefan Zweig, décrivit ainsi le climat émotionnel à
Vienne dans les jours qui suivirent immédiatement la déclaration de
guerre : « Chacun fut sollicité pour jeter son moi infinitésimal dans la
masse brillante, afin d’être purifié de tout égoïsme. Toute différence
de classe, rang et langue fut débordée à ce moment par un sentiment
pressant de fraternité. »
2 Comme le pays devait faire face à
une épreuve difficile, il devint nécessaire d’unifier le peuple, en
créant une fusion d’existences et de consciences qui n’avait encore
jamais été tentée. Partout des soldats se précipitèrent sur le front,
volontaires pour sacrifier leurs vies, mais en Allemagne plus
qu’ailleurs la culture et la philosophie dominantes célébraient
l’ordalie par le combat et les actes défiant la mort comme des exercices
spirituels capables de libérer l’individu de la banalité et de la
vulgarité de la vie quotidienne.
Alors que la guerre en était encore à ses débuts, et avant que
l’Italie n’y participe, Benedetto Croce espérait qu’elle conduise à
« une régénération de la vie sociale actuelle ». Cependant, lorsque tout
le monde réalisa que ce qui les attendait vraiment dans les tranchées
était la boue, la discipline excessive et la mort, les expériences de
masse atroces qui suivirent mirent un terme à ce climat émotionnel. Il
est vrai que, de l’autre côté de l’Atlantique, immédiatement après la
fin des hostilités, Herbert Hoover, représentant important du
Gouvernement américain et futur président, déclara que le conflit
récemment terminé avait servi à réaliser la « purification des hommes »,
mais c’était un rappel tardif et largement artificiel d’une idée
désormais devenue un écho distant de la conscience des hommes
3. Même les premières victoires triomphantes du
Blitzkrieg
hitlérien vingt ans plus tard ne parvinrent pas à égaler le niveau
d’enthousiasme atteint en juillet-août 1914. À la satisfaction des
postmodernes, attachés à ridiculiser l’idée de progrès, la nature
souvent tragique des grandes expériences historiques signifie qu’elles
laissent des traces profondes et enseignent des leçons à des degrés
divers. Il nous faut insister sur la nature hautement chaotique des
processus historiques mais, en dernière analyse, l’usage du terme
« progrès » implique de reconnaître à la fois la capacité humaine à
apprendre et le caractère irréversible du déroulement historique, le
fait qu’il soit impossible de revenir à une époque précédant les
expériences historiques qui ont marqué des générations entières
d’hommes. L’atmosphère envoûtée de juillet-août 1914 ne sera jamais
répétée puisque le désenchantement survint et laissa sa trace. La guerre
ne peut plus être accueillie comme une célébration ou un exercice
spirituel, ou comme une étape nécessaire et positive dans la formation
et le développement humains. Pour emprunter une expression à Hegel,
l’expérience du « sérieux du négatif »
4 ne peut plus être effacée.
Recrues britanniques en 1914
Nous pouvons dire la même chose à propos de la Révolution russe. À
l’époque, la chute du tsarisme et la révolution de Février semblèrent
annoncer une forme de résurrection, dont les cercles chrétiens et les
couches influentes de la société russe espéraient qu’elle mène à la
régénération totale. Ils prédirent l’apparition d’une société
étroitement unie, la destruction de la barrière entre riches et pauvres,
et même la fin du vol, du mensonge, du jeu, du blasphème et de
l’alcoolisme. Le même phénomène se répéta quelques mois plus tard.
« C’est maintenant que se réalisent le quatrième psaume des vêpres du
dimanche et le
Magnificat : les puissants renversés de leurs
trônes et les pauvres sortis de leurs taudis », voilà comment un
observateur français, fervent chrétien, Pierre Pascal, accueillit la
révolution d’Octobre, pendant qu’en dehors de Russie le jeune Ernst
Bloch prédit l’effondrement de « la morale marchande qui loue les pires
aspects de la nature humaine » et la « transformation du pouvoir en
amour »
5. En octobre, l’effondrement d’un régime
universellement haï et la fin d’un bain de sang qui devenait intolérable
pour tous éveillèrent une forme naïve d’enthousiasme. Pourtant, cela ne
pouvait résister à l’émergence de contradictions et de conflits
sanglants à l’intérieur de l’ordre nouveau. Ici aussi, l’expérience du
« sérieux du négatif » laissa une marque indélébile.
Le début du xx
e siècle fut caractérisé par des guerres et
des révolutions qui toutes promirent de réaliser un état de paix
perpétuelle en appliquant chacune sa méthode. En d’autres mots, la
violence fut utilisée pour garantir l’éradication du fléau de la
violence une fois pour toutes. Bien qu’entachée par les massacres,
l’expédition commune des grandes puissances pour réprimer la rébellion
des Boxers en Chine en 1900 fut célébrée par le général français Frey
comme la matérialisation du « rêve des politiciens idéalistes – les
États-Unis du monde civilisé », l’avènement d’un monde que n’auraient
plus délimité les frontières nationales, ni caractérisé le conflit entre
États
6. En réalité, bien que les horreurs de la Première
Guerre mondiale fussent encore fraîches dans la mémoire collective
quatorze ans plus tard, ce n’était pas la raison du déclin de
l’influence de l’idéologie que nous venons d’exposer. En Italie, Gaetano
Salvemini usa de l’idée suivante pour pousser le pays à participer à la
guerre en cours : « Il est nécessaire que cette guerre tue la guerre. »
Il n’était pas acceptable de déserter « la guerre pour la paix », pour
reprendre l’expression utilisée comme titre de l’article cité ici
7.
Il s’agissait de la même idéologie de l’entente qui sera plus tard
consacrée par Wilson pour justifier l’intervention américaine (et qui
est toujours utilisée par la Maison Blanche dans une version légèrement
modifiée).
Lénine rejeta de tels cris de ralliement et n’eut aucun mal à montrer
dans quelle incroyable mesure ils contredisaient la réalité. Il
défendit effectivement la révolution contre la guerre et promit
d’atteindre un état de paix perpétuelle à la fin d’un autre processus
commençant par la suppression du système sociopolitique dans lequel le
phénomène de la guerre s’était profondément enraciné.
Verdun, visions d’histoire, Léon Poirier, 1928
Lorsqu’on analyse les tragédies du xx
e siècle et les
promesses que ni les guerres ni les révolutions n’ont tenues, les mots
de Karl Valentin, artiste de cabaret et ami de Brecht, viennent à
l’esprit : « Même le futur était mieux avant. »
8 Le futur ne
semble plus assez radieux pour justifier la violence requise pour
l’atteindre (que ce soit sous forme de guerre ou de révolution).
Nous devrions insister sur le fait que nous n’assistons pas à la fin
des « grands récits ». Bien que la manière des postmodernes d’attaquer
l’idée de progrès soit quelque peu contradictoire, le progrès réel n’est
qu’un mythe. Un récit actuel exaspérant déclare que la paix perpétuelle
peut être atteinte en propageant la démocratie, qui détruirait les
fondements de la guerre une fois pour toutes à l’échelle mondiale, même
si cela doit être accompli par le biais de la force militaire. C’est au
nom de cette improbable perspective que de terribles et sanglantes
« opérations de police internationales » sont lancées. Cependant, bien
que ces guerres soient promues et transfigurées par un réseau médiatique
immense et sophistiqué, elles ne parviennent plus à provoquer un
enthousiasme de masse comme par le passé.
Un autre aspect est à ne pas négliger. La déception causée par le développement des évènements du xx
e siècle
a mené à un cadre de pensée qui peut être résumé ainsi : au lieu de
retarder la pratique de la non-violence à un futur sociopolitique
hypothétique, ne serait-il pas mieux de commencer à la pratiquer
individuellement dès aujourd’hui ? Il est facile de comprendre cette
« conversion », mais il est dommage qu’elle n’ait pas été précédée par
une vue d’ensemble historique sérieuse. Nous connaissons tous le sang et
les larmes qui ont terni les projets de transformation du monde par la
guerre ou la révolution, mis en œuvre par un panel de différentes
méthodes et résultats, mais que savons-nous des difficultés, des
défaites et des tragédies complètes vécues par le mouvement inspiré de
l’idéal de non-violence ?
La « non-violence » et les fluctuations de la définition de violence : l’American Peace Society
Les groupes incarnant cette préférence apparurent d’abord aux
États-Unis en 1815, probablement dans la vague de découragement causée
par la guerre récemment achevée contre la Grande-Bretagne, ou plus
généralement par le long cycle de guerres résultant du conflit entre
l’Ancien Régime et la France révolutionnaire et napoléonienne. Ces
groupes s’unirent en 1828 pour fonder l’American Peace Society et la
Société de non-résistance de la Nouvelle-Angleterre, encore plus
radicale. Le manifeste principal de ce mouvement pacifiste chrétien fut
exposé dans un livre,
War Inconsistent with the Religion of Jesus Christ9,
publié quelques années auparavant par David L. Dodge. La position
assumée était claire : « L’esprit de sacrifice est le véritable esprit
du christianisme » et tout acte contredisant les Évangiles devrait être
considéré comme « criminel », cela incluant toute forme de violence
10.
L’institution de l’esclavage, qui joua un rôle fondamental dans les
États du Sud, fut condamnée sur la même base en tant qu’expression de
violence et violente oppression de l’homme par l’homme
11.
Cette posture n’est pas surprenante, puisque l’esclavage fut pendant
longtemps justifié sur la base du droit de guerre que le vainqueur
exerçait sur le vaincu (Grotius en particulier était cohérent sur cette
question). D’un autre côté, des écrivains tels que Rousseau s’élevèrent
contre l’esclavage précisément parce qu’ils y voyaient la continuation
de l’état de guerre. Sur la base de ce postulat, le mouvement pacifiste
marcha pour un temps main dans la main avec l’agitation abolitionniste
aux États-Unis. Le lien indissoluble entre les deux causes fut cimenté
par la guerre contre le Mexique en 1845 ; après avoir conquis et annexé
le Texas, les vainqueurs réintroduisirent l’esclavage, aboli pendant la
guerre d’indépendance contre l’Espagne. C’était un moment de gloire pour
l’American Peace Society, car les évènements semblaient entièrement
confirmer leur manifeste politique et leur idéologie.
Pourtant, les premiers symptômes de crise apparurent seulement
quelques années plus tard, lorsqu’il devint nécessaire d’adopter une
posture face à la révolution qui se propageait en Europe en 1848. En
France, le bouleversement mena à l’abolition définitive de l’esclavage
dans les colonies et à l’avènement de la République dans les villes,
relançant les espoirs et les promesses de paix perpétuelle nés pendant
la Révolution de 1789. Cependant, contrairement à ce qui se passa lors
de la guerre États-Unis/Mexique, il y eut divergence entre les vues
pacifistes et abolitionnistes, puisqu’une révolution violente était
requise pour réaliser l’abolition de l’esclavage et hisser le drapeau de
la paix. Perturbé par cette nouvelle situation, le mouvement non
violent américain eut recours à la ruse. Celle-ci consista à accueillir
favorablement le résultat sans prendre position sur la révolution qui
l’avait amené. La logique était que l’American Peace Society avait était
fondée pour éviter la guerre entre États, alors que la vague de
désordre qui faisait rage en Europe prenait la forme d’une série de
guerres civiles
12.
Apparaissant au sommet de leur acuité en 1848, ces dilemmes
politiques et moraux réapparurent sous une forme encore plus aiguë neuf
ans plus tard. Après la révolte des cipayes, les troupes coloniales de
l’Empire britannique en Inde, le gouvernement de Londres répondit avec
des mesures répressives au moins aussi féroces que celles de la
rébellion. Cependant, l’idéologie dominante se concentra exclusivement
sur la dénonciation des « horreurs » des rebelles. Tocqueville en
fournit un bon exemple en pressentant qu’un retour à la « barbarie » en
Inde « serait désastreux pour le futur de la civilisation et pour le
progrès de l’humanité ». Le pays occidental dominant à l’époque fut en
conséquence sommé d’agir énergiquement afin de rétablir l’ordre public
dans la colonie : « De nos jours, presque rien n’est impossible pour la
nation anglaise si elle use de toutes ses ressources et de toute sa
volonté. »
13 Un autre célèbre défenseur de la tradition libérale, Thomas B. Macaulay, ira même plus loin :
Les cruautés des cipayes indigènes ont enflammé la nation à un degré jamais vu de mon souvenir [...]
Il y a un terrible appel à la vengeance [...]
Le
sentiment quasi universel est que pas un seul cipaye dans les murs de
Delhi ne doit être épargné ; et je reconnais qu’il s’agit d’un sentiment
avec lequel je ne peux m’empêcher de sympathiser.
14
La réaction de Marx à la « catastrophe » fut quelque peu différente.
Tout en reconnaissant que les rebelles étaient responsables d’actes
atroces, il tourna en ridicule l’indignation morale partiale dans
laquelle étaient tombés les partisans du colonialisme et de la
supériorité de la civilisation occidentale : « Si infâme que soit la
conduite des cipayes, elle n’est qu’un reflet concentré de la conduite
de l’Angleterre en Inde. » Les Anglais ont été vus exercer un
impitoyable « droit de vie et de mort », et se vantaient souvent dans
leurs lettres des actes crapuleux qu’ils commettaient : « Pas un jour ne
passe sans qu’on ne pende dix ou quinze d’entre eux [des
non-combattants] », ou encore « Nous tenons des cours martiales à dos de
cheval, et chaque nègre que nous croisons est soit pendu soit
fusillé ». « L’amusement » que tout cela procurait est assez clair. D’un
autre côté pourtant, il fut admis dans une lettre publiée dans le
Times que « les troupes européennes se sont changées en monstres dans la lutte contre les indigènes »
15.
Quelle position adopta l’American Peace Society ? En sa majorité,
elle raisonnait dans ce cadre : même si la domination britannique en
Inde avait des origines douteuses, les gouverneurs étaient néanmoins
obligés de maintenir l’ordre et d’en assurer le respect. En d’autres
mots, les rebelles avaient eu tort de recourir à la violence, tort de ne
pas obéir aux lois et, en dernière analyse, tort d’être des bandits et
des criminels. En conséquence de quoi, il n’était pas question de guerre
mais plutôt d’un conflit entre des délinquants de droit commun et les
forces de l’ordre. Donc, soutenir ces dernières ne remettait pas en
question la cause pacifiste ou la cause d’un mouvement fondé
spécifiquement pour lutter contre une forme précise de guerre,
c’est-à-dire la guerre entre États.
Cela pourrait sembler une répétition de la posture adoptée en 1848,
car il y a effectivement un élément de continuité dans le refus
d’inclure les guerres civiles et coloniales dans la définition de la
guerre. Dans le même temps, il est important de souligner un fort
élément de discontinuité. Alors que le mouvement révolutionnaire
bénéficiait de sympathie neuf ans plus tôt, même si le soutien était
réticent, en 1857 le mouvement déclara ouvertement son appui aux forces
de répression, responsables d’une forme de violence qui, pour rester
dans la critique de Marx, était peut-être encore plus féroce et moins
justifiée. Sans surprise, le résultat fut une scission douloureuse ;
l’organisation sœur basée à Londres, la London Peace Society, ne
rejoignit pas les vues de l’American Peace Society. En se
désolidarisant, ils utilisèrent explicitement le terme « guerre » pour
qualifier le conflit en Inde, et dénoncèrent par là également la
violence commise par le Gouvernement anglais
16. Cette
position était certainement plus équilibrée, toutefois, même si leur
posture d’impartialité et de neutralité condamnait autant certains
éléments de la domination coloniale (la brutalité de la répression) que
la rébellion, la domination elle-même n’était pas encore incluse dans
leur définition de la violence.
L’analyse de ce chapitre de l’histoire du mouvement non violent est
extrêmement instructive : comme la proclamation d’une éthique de l’amour
inconditionnel rendait difficile d’assumer une position dans la série
de conflits qui suivit, ceux que guidait le principe général de la
non-violence tendirent à concentrer leurs critiques sur la rébellion
violente des opprimés.
La « non-violence », l’augmentation et l’intensification de la violence : la guerre de Sécession
Cette première crise dans le mouvement pacifiste des deux côtés de
l’Atlantique fut suivie par un autre dilemme bien plus grave. En 1850
fut promulguée aux États-Unis la Fugitive Slave Law, permettant aux
maîtres sudistes de récupérer leurs esclaves réfugiés au Nord. Cela
signifiait que même des noirs libres risquaient de se retrouver
contraints à l’esclavage s’ils étaient accusés de s’être enfuis. Lorsque
les forces de l’ordre tentèrent d’appliquer cette loi, elles se
heurtèrent à un mouvement de résistance incluant les abolitionnistes,
donnant lieu à des émeutes assez graves qui virent parfois le sang
répandu. L’American Peace Society fut confrontée au dilemme suivant :
jusqu’où pouvait aller la non-violence contre une loi qui, bien que
répréhensible, fut néanmoins votée par une autorité légitime, et
jusqu’où pouvait aller le soutien aux esclaves noirs qui fuyaient
l’esclavage en se réfugiant au Canada ? En d’autres termes, quelle
position devrait être adoptée sur la question d’une guerre civile qui
commença larvée mais devint évidente quelques années plus tard au
Kansas ? Cette fois-ci, les partisans et opposants à l’esclavage ne
firent pas les choses à moitié, et les deux parties eurent recours à la
violence. L’adhésion à la non-violence commença à faiblir même parmi les
membres de l’American Peace Society. La situation empira avec
l’éclatement de la guerre de Sécession.
Lincoln
Au départ, certains membres du mouvement pacifiste adressèrent une
pétition à l’Union pour s’abstenir de recourir aux armes et tolérer la
sécession « pacifique » des États esclavagistes (leur critique de la
violence se fixait plus sur la guerre que sur l’institution de
l’esclavage). Cependant, après la bataille de Fort Sumter, quand les
confédérés ouvrirent les hostilités en lançant une attaque militaire et
en conquérant les positions de l’Union dans la zone, l’American Peace
Society rétablit en grande partie son unité en se plaçant fermement du
côté de Lincoln. Même dans ce cas-ci, le mouvement dédié à propager la
cause de la non-violence justifia son choix en recourant à une stratégie
logique familière : le conflit n’était pas considéré comme une guerre,
mais comme la répression justifiée d’une rébellion criminelle. Plutôt
que des soldats dans la définition correcte du terme, les soldats de
l’Union furent présentés comme des policiers agissant pour servir
l’ordre public. L’ironie de cette vision est que l’« opération de
police » qu’elle décrit se déroula sur une échelle jamais vue
auparavant, impliquant des centaines de milliers d’hommes, ses batailles
faisant rage durant des années sur une zone immense du pays et
s’achevant dans un énorme bain de sang. Nous pouvons également ajouter
que, bien qu’il ne fût pas jugé digne du statut de guerre, ce conflit
causa plus de victimes américaines que les deux guerres mondiales
réunies.
Il est cependant plus pertinent de se concentrer sur un autre
paradoxe. Le souci de loyauté au principe de non-violence conduisit la
majorité des membres de l’American Peace Society à considérer
l’expédition contre le Sud simplement comme une tentative de rétablir
l’ordre public. En conséquence de quoi, si les soldats de l’Union
n’étaient que des policiers, les soldats de la Confédération n’étaient
que des voyous devant être punis par la justice, même après que le
conflit armé se fut achevé. Le mouvement pacifiste rejeta alors toute
mesure de clémence envers les vaincus, en particulier envers le
président de la Confédération. La non-violence fut en quelque sorte
retournée, transformée en une forme de violence élargie.
Cette dialectique prit des proportions parfois extrêmement
perturbantes. Retournons aux dilemmes apparus à la veille et aux débuts
de la guerre de Sécession. Ils étaient une source de grands tourments
pour Charles Stearns, l’un des plus fascinants et intransigeants membres
du mouvement pacifiste abolitionniste. Il refusa de rejoindre la milice
en 1840, refusa même de payer l’amende infligée pour avoir échappé à
son service, et fut alors envoyé en prison. Contrairement à d’autres
partisans du mouvement, plus flexibles ou pragmatiques, Stearns jugeait
inacceptable non seulement le recours à la violence
stricto sensu mais également l’usage de toute forme de « force physique non dommageable » ; il contra la légitimation de la guerre dans l’
Ancien testament par l’éthique d’aimer ses ennemis mise en avant dans le
Nouveau.
Cependant, un dilemme profond apparut en 1856 après la promulgation de
la loi sur les esclaves fugitifs et surtout après les heurts du Kansas :
les partisans de la non-violence pouvaient-ils se permettre de prendre
acte sans réagir de l’expansion de l’esclavage, de la capture de
fugitifs et de la réduction en esclavage de noirs libres ; sans parler
des blessés et des morts pour avoir tenté de s’y opposer ? Stearns
décida de franchir le point de non-retour, même s’il ne s’en rendit pas
compte. Il maintint qu’une réponse violente à la violence était devenue
inévitable et était déjà en cours, et que de toutes façons, les ennemis
de l’Union étaient des individus tout à fait détestables : en dernière
analyse, ils n’étaient « pas des hommes mais des bêtes sauvages », qui
devaient être confrontés et éliminés de la même façon que des « tigres
et des lions »
17. Comme nous pouvons le constater, le souci
de loyauté au principe de non-violence fut sauvé en déshumanisant
l’ennemi. Cela préserva sans doute la cohérence formelle de la cause,
mais ne diminua en rien l’intensité de la violence. Stearns ne sembla
pas le moins du monde conscient que des concepts similaires au sien
furent utilisés pour justifier le génocide des amérindiens.
Cependant tout le monde au sein de l’American Peace Society n’était
pas d’accord. D’aucuns reconnurent franchement le caractère inévitable
de l’usage de la violence dans de telles circonstances et acceptèrent la
violation du principe général de non-violence. Comme la situation était
exceptionnelle, une contradiction aiguë apparut entre deux principes
tout aussi absolus et indispensables, dont un seul pouvait être choisi.
Ce raisonnement fut utilisé par une femme quaker, Angelina Grimke, qui
prit position sur la loi concernant les esclaves fugitifs et le conflit
intense qui en résulta, observant que :
Bien que répandre le sang humain soit absolument haïssable [...]
la réduction d’une victime sans défense au destin d’esclave est immensément plus détestable. [...]
Dans ce cas-ci, il semble que nous soyons contraints à choisir entre
deux maux, et tout ce que nous pouvons faire est de choisir le moindre,
et baptiser la liberté dans le sang s’il le faut. [...]
Je
désespère désormais complètement du triomphe de la justice et de
l’humanité sans répandre le sang. Une guerre temporaire est un mal
incomparablement moindre par rapport à l’esclavage perpétuel.
18
Les difficultés et dilemmes que la profession de foi non violente
rencontre dès qu’elle fait face à une crise historique majeure sautent
aux yeux une fois de plus. Pourtant, il serait peut-être plus juste d’y
voir un paradoxe : dans la mesure où il rejeta tout compromis et refusa
de repenser ses principes, le mouvement non violent finit par
criminaliser et même déshumaniser l’image de l’ennemi, ce qui donna
encore plus d’élan à la violence et créa une forme de violence dépourvue
de règles.
Gandhi : entre non-violence et loyauté à l’Empire
Les partisans actuels de la non-violence s’inspirent de Gandhi plus
que de n’importe qui d’autre, il vaut donc la peine de mettre l’accent
sur lui à présent.
De son vivant, le leader du mouvement d’indépendance indien dut faire
face à trois grandes guerres. La première fut la guerre des Boers entre
1899 et 1902, qui vit les troupes de l’Empire britannique affronter les
boers, des colons hollandais en Afrique du Sud. Bien que leur rôle fût
limité au sauvetage et au transport des soldats anglais blessés, Gandhi
et ses partisans indiens prirent part volontairement au conflit et
furent même décorés. Partant du postulat que la domination anglaise
était globalement bénéfique, Gandhi déclara : « Notre devoir ordinaire
en tant que sujets, en conséquence, n’est pas de chercher le mérite
militaire mais, lorsque la guerre a effectivement éclaté, de prêter
main-forte dans la limite de nos moyens. » Il pensait que « la
passivité » de la part des Indiens aurait été « criminelle » et aurait
éloigné la perspective d’atteindre l’indépendance avec la bénédiction du
Gouvernement britannique
19. Il est important d’ajouter que,
bien que le rôle de Gandhi se limitait au soutien sans directement
prendre les armes, dans le même temps il remarqua fièrement qu’une
« splendide et nombreuse division d’environ onze mille Indiens [avait]
quitté Durban pour le front » afin d’aider l’armée britannique qui
souffrit, au moins dans la phase initiale de la guerre, de « revers à
répétition »
20.
Il est difficile de concevoir une telle attitude comme un modèle de
non-violence ! Plus fort encore, Gandhi exprima de l’admiration non
seulement pour les qualités militaires des Anglais, « qui se battaient
vaillamment sur le champ de bataille », mais également pour celles de
l’ennemi : « Chaque boer est un bon combattant » et « ils n’ont pas
besoin d’entraînement intensif, car le combat est une caractéristique de
toute leur nation ». De manière similaire, lorsqu’ils voient leur
liberté menacée, ils sont prêts à « se battre comme un seul homme »,
« vaillamment ». Les femmes sont qualifiées de « courageuses » et ont
démontré qu’elles « n’avaient pas peur du veuvage et refusaient de se
perdre à penser au futur »
21. En conséquence de quoi et au
lieu d’être condamnée pour ce qu’elle était, dès que la violence devint
synonyme de courage et d’héroïsme, elle fut honorée indépendamment des
objectifs poursuivis (alors même que cette violence était commise par ou
infligée à une population entière, femmes comprises). Il n’y a qu’un
pas entre ceci et la
Kriegsideologie, l’idéologie de guerre adoptée par l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale.
Gandhi
Ignorée par Gandhi, la terrible explosion de violence qui caractérisa
différemment à la fois la politique des boers et celle des Anglais fut
au contraire soulignée par Rosa Luxemburg. Elle voyait les premiers
comme les représentants d’un « esclavage d’un autre âge à petite
échelle »
22, impliqués dans la déportation, la réduction en
esclavage et même le massacre de la population indigène. Les seconds
quant à eux se drapaient dans des oripeaux de protecteurs des indigènes
alors qu’ils n’hésitèrent pas à les sacrifier dans leur alliance avec
les boers après avoir réalisé leurs véritables objectifs, à savoir
accumuler du capital et étendre l’Empire britannique. Par conséquent, la
comparaison entre Gandhi (champion de la non-violence) et Luxemburg
(qui n’hésita pas à justifier la violence révolutionnaire) produit un
résultat original : le premier légitima la violence de guerre des deux
côtés ou au moins la considéra avec indulgence, tandis que la seconde la
condamna vigoureusement et la dénonça comme la continuation d’une
politique synonyme d’horrible violence longtemps avant l’éclatement de
la guerre des Boers.
Lorsque la Première Guerre mondiale éclata quelques années plus tard,
Gandhi s’engagea à recruter cinq cent mille hommes pour l’armée
britannique et s’activa avec une telle ferveur qu’il écrivit au
secrétaire privé du vice-roi : « J’ai dans l’idée que si je devenais
votre recruteur en chef, je ferais pleuvoir des hommes sur vous. »
23
De manière similaire, en s’adressant à ses compatriotes réticents à
l’idée de se battre et de mourir pour servir les intérêts de la
puissance coloniale, il dit : « Nous sommes considérés comme un peuple
lâche. Si nous voulons faire mentir ce reproche, il nous faut apprendre
l’usage des armes. » À une autre occasion, il déclara : « Si l’Empire
périt, avec lui périront nos espoirs chéris. »
24 Loin
d’adhérer à une politique non violente, Gandhi encouragea des
compatriotes naïfs à participer à un conflit ayant lieu à de milliers de
kilomètres et considéré comme un massacre insensé par les différents
partisans du mouvement révolutionnaire antiguerre qu’il était en train
de rassembler. Le champion de la non-violence a donc offert une
contribution majeure au renforcement et à la consolidation de la machine
de guerre du Royaume-Uni : « À l’automne 1914, environ un tiers des
effectifs britanniques en France étaient d’origine indienne », et vers
la fin de la guerre, un million d’Indiens avaient combattu après avoir
effectué un long périple. Également grâce aux efforts de Gandhi, ces
soldats « n’étaient pas des conscrits réticents mais se montraient tous
volontaires et enthousiastes ». En bref, des trois armées multiethniques
déployées pendant la guerre (russe, austro-hongroise et britannique),
seule l’armée britannique parvint à maintenir assez de discipline
jusqu’à la conclusion du carnage
25.
La guerre comme test de « virilité » ou carnage : Gandhi et les bolchéviques
Au cours de la guerre des Boers et de la Première Guerre mondiale,
Gandhi incita les citoyens à contribuer à l’effort de guerre en usant
d’une rhétorique intéressante à analyser. Il durcit le ton contre ceux
qui hésitaient à faire front contre les boers au cas où ces derniers
finiraient par vaincre en maintenant que de telles considérations
relevaient simplement d’un « caractère efféminé »
26. La même
approche dure fut adoptée durant la Première Guerre mondiale envers les
compatriotes qui exprimaient leurs doutes quant au bon sens de
participer à un massacre promu par un mouvement qui défendait la
non-violence : « Il n’y a pas d’amitié possible entre le courageux et
l’efféminé », les individus « complètement pusillanimes » étaient
considérés comme une race à part. Il pensait qu’il était nécessaire
d’atteindre « la pleine et entière capacité de frapper »
27
avant d’éventuellement y renoncer. En participant à cette guerre à
grande échelle, continua Gandhi, « nous aidons l’Empire » et en même
temps « apprenons à défendre l’Inde et, dans une certaine mesure,
regagnons notre virilité perdue »
28.
L’objectif était donc de se libérer du « reproche de féminité » une
fois pour toutes. Le sentiment était que ce résultat ne pouvait être
atteint à moins que l’esprit de sacrifice n’inspire toute la communauté
autant que les combattants : « Sacrifier ses fils dans la guerre ne
devrait pas être une cause de chagrin mais de plaisir. » Les femmes
aussi furent appelées à adhérer à cette vision : « Elles ne devraient
pas être angoissées par cet appel mais l’accueillir favorablement. » En
pensant à leurs fils, elles ne devraient pas perdre de vue un point
essentiel : « Si les recrues perdent la vie sur le champ de bataille,
ils se rendront et rendront leur village et leur pays immortels », et
leur exemple serait suivi immédiatement par les autres recrues
29.
Il y a une certaine similarité entre cet appel aux parents à sacrifier
leurs fils et la louange faite aux femmes boers qui « n’avaient pas peur
du veuvage ». Ceci nous ramène aux motifs ambigus de l’idéologie de
guerre en Occident. Tucholsky les a présentés en 1927 comme suit : « Les
pasteurs évangéliques étaient flanqués pendant la guerre d’un autre
type d’humain jamais rassasié de sucer du sang : une certaine classe
sociale, un certain type de femme allemande. » Alors que le massacre
prenait des proportions de plus en plus terribles, elle sacrifiait
« fils et mari » et se plaignait qu’il n’y en eut « pas assez à
sacrifier »
30.
La condamnation de principe de la violence ne peut être comprise sans
envisager la relation entre le peuple indien et l’Empire britannique.
Les paysans indiens devinrent dans une certaine mesure conscients de
cette attitude hypocrite – comme la qualifie la biographie de Gandhi à
laquelle je me réfère – et quelques jours après qu’on leur eut
« vivement conseillé de ne pas opposer de résistance même aux officiers
britanniques les plus brutaux », ils se mutinèrent lorsqu’ils
entendirent l’appel à s’engager dans l’armée
31. Cela
n’impressionna pas Gandhi. Il reconnut qu’il « recrutait comme un fou »
mais ne fit nullement marche arrière : « Je ne fais rien d’autre, ne
pense à rien d’autre, ne parle de rien d’autre, et donc me sens mal
placé pour m’acquitter d’une autre fonction, excepté celle de
recruter. »
32
Bien que Gandhi accueillît la Première Guerre mondiale comme un test
de virilité et une étape essentielle du développement de l’individu et
de la population entière, elle fut condamnée en des termes plus acerbes
que jamais par une large variété de partisans du mouvement
révolutionnaire inspiré par le marxisme et le communisme. Pour donner
quelques exemples, Staline parla d’une « boucherie totale de la
main-d’œuvre des nations », Boukharine d’une « énorme machine à
dispenser la mort », Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht d’un
« génocide ». Enfin nous citerons Trotski, qui sentait que « le travail
de Caïn de la presse “patriotique” » des deux côtés belligérants était
« une preuve irréfutable de la décadence morale de la société
bourgeoise ». En effet, le concept de « décadence morale » ne pouvait
être ignoré alors que l’humanité était en train de sombrer dans « une
barbarie aveugle et sans vergogne ». Le résultat fut la propagation d’un
« concours de folie sanguinaire » dans l’usage de la technologie la
plus avancée pour des buts guerriers. C’était la « barbarie
scientifique » qui utilisait les grandes découvertes de l’humanité
« seulement afin de détruire les fondations de la vie sociale civilisée
et annihiler l’humanité ». Toutes les bonnes choses qu’avait produites
la civilisation tombaient dans le bain de sang et la boue des
tranchées : « la santé, le confort, l’hygiène, les relations humaines
quotidiennes, le contact amical, le devoir professionnel et en dernière
analyse les règles de moralité en apparence indestructibles ». Pour un
temps, les soldats des deux côtés tentèrent de contrer cet effondrement
en pratiquant la fraternisation, qui fut chaudement louée par Lénine et
Staline, ce dernier prétendant que c’était « la fraternisation de masse
sur les lignes de front » et les « nouveaux liens de fraternité entre
les peuples » qui mirent fin à la guerre et au carnage
33. Il
semble que Gandhi n’était pas touché par l’idée de fraternisation, qui
de toutes façons serait entrée en conflit avec son engagement à recruter
des soldats et fournir de la chair à canon pour le Gouvernement
britannique.
Révolution d’Octobre en Russie
Élargissement du concept de violence et perte de direction
Au lieu d’empêcher Gandhi d’activement et efficacement promouvoir la
participation à une terrible guerre, l’idéal de non-violence devint
entre ses mains une forme extrême et élargie du concept de violence.
C’est ce qui apparaît dans un écrit très connu datant de fin 1909, dans
lequel il pointe un doigt accusateur vers la « maudite civilisation
moderne » ou la « misérable civilisation moderne », un « tigre » vorace
qui ne pouvait s’empêcher de dévorer les hommes, un « monstre » qui
menaçait désormais également l’Inde
34. Ce réquisitoire
n’épargnait personne, pas même le Parlement britannique, présenté comme
n’ayant rien fait pour remédier à une situation tragique et violente. Au
lieu de cela, dominé qu’il était par l’égoïsme des classes privilégiées
et l’esprit mercantile, le Parlement britannique fut qualifié de
« prostituée ». La base électorale fut élargie en 1833 et accorda des
droits politiques aux couches de la population qui n’en bénéficiaient
pas auparavant, mais Gandhi eut le sentiment que ce résultat avait été
obtenu « en faisant usage de la force physique », « de la violence », et
même « de la force brute »
35. Ceci est le premier
élargissement du concept de violence : il est vrai que la Reform Bill de
1833 avait été précédée de troubles chartistes, mais il n’est pas
vraiment approprié de parler de « force brute ».
Cependant, l’élargissement par Gandhi du concept de violence alla
plus loin : les chemins de fer, l’industrie, l’usage de l’automobile,
l’urbanisation et la destruction de la société rurale traditionnelle,
tout cela devint synonyme de subjugation, d’esclavage et de violence.
Même la médecine n’était pas épargnée par sa vigoureuse condamnation et
fut qualifiée de pernicieuse, car son effort pour guérir les gens était
entaché par l’abattage de « milliers d’animaux » lors d’expériences et
par la pratique de la « vivisection »
36. Son verdict final
fut que la modernité était sensiblement pire et même plus violente que
le monde qui l’avait précédée. Malgré ses guerres de religion, ou
guerres commises au nom de la religion, et la violence des Thugs
dévalisant et tuant leurs victimes, le côté sombre de la société
traditionnelle fut perçu comme minime, comparé à la barbarie arrivant de
l’Ouest et menaçant d’avaler l’Inde aussi. « La liste des victimes
détruites par le feu de la civilisation [moderne] », par ses « flammes
ardentes [est interminable]. »
37
Sur la base de cet aperçu, réitéré dix ans plus tard (en omettant
seulement le terme « prostituée » utilisé pour qualifier le Parlement
britannique)
38, et sur la base de la condamnation
indifférenciée de la « violence » intrinsèquement liée à la civilisation
moderne, il devint difficile pour Gandhi de trouver ses repères dans
les contradictions et conflits qui caractérisèrent le xx
e siècle.
Ceci explique l’ingénuité et les hésitations dont il fit preuve envers
le fascisme et le nazisme. Sa lettre à Romain Rolland du 20 décembre
1931 est éclairante à cet égard. L’opinion exprimée à propos de
Mussolini en particulier ne passe pas inaperçue : « Plusieurs de ses
réformes m’attirent. » Il est particulièrement impressionné par « son
opposition à la sur-urbanisation » et par ses mesures « pour la classe
paysanne », inspirée par un « amour passionnel pour son peuple ». Cette
bienveillance s’explique par le fait qu’il voyait le fascisme comme
synonyme d’un retour à la vie rurale et un rejet de la civilisation
industrielle moderne cent fois haïe. Cependant, là n’était pas la
question principale. Forcé de reconnaître la « main de fer » que
Mussolini utilisa, Gandhi ajouta immédiatement : « La violence est la
base de la civilisation occidentale. »
39 Cet élargissement du
concept de violence et la condamnation de principe de la violence ont
rendu difficile voire impossible de juger séparément différentes formes
de violence.
Les revirements dont Gandhi fit la démonstration tout au long de la
Seconde Guerre mondiale le confirment. Le 2 juillet 1940, alors que
l’Angleterre faisait face à une menace d’invasion nazie, il écrivit une
lettre ouverte :
À chaque britannique : je voudrais que vous posiez vos armes car
elles sont inutiles pour vous sauver ou sauver l’humanité. Vous
inviterez Herr
Hitler et Signor
Mussolini à prendre ce
qu’ils veulent dans les pays que vous appelez vôtres. Laissez-les
prendre possession de votre belle île, de vos nombreux beaux bâtiments.
40
Sommes-nous témoins d’un rejet de la violence désormais caractérisé
par la rigueur et la cohérence ? En réalité, dans une lettre au vice-roi
datée du 27 juillet 1944 – pendant ce temps-là, la fortune de guerre
avait tourné au détriment du Troisième Reich –, Gandhi offrit
explicitement son « entière coopération à l’effort de guerre » de la
Grande-Bretagne, à condition que cette dernière fasse une déclaration
immédiate en faveur de l’indépendance de l’Inde
41.
La clé pour comprendre l’attitude de Gandhi se trouve dans la
déception ressentie lorsque qu’il fut clair que l’engagement indien dans
la Première Guerre mondiale n’aurait quasiment aucun impact dans la
promotion de la cause indépendantiste. Au contraire, juste après que les
célébrations de la victoire se furent éteintes, au printemps 1919, la
Grande-Bretagne se rendit responsable du massacre d’Amritsar, qui non
seulement coûta la vie à des centaines d’Indiens désarmés, mais donna
lieu à une affreuse dégradation raciale pour tous les Indiens, comme le
fait que les habitants de la ville subirent « l’humiliation de ramper à
quatre pattes pour entrer et sortir de chez soi ». Cet avilissement « ne
devait pas être oublié »
42.
Ceci explique la tendance de Gandhi à afficher une position neutre ou
attentiste durant la Seconde Guerre mondiale, puisqu’il n’y avait pas
de concessions concrètes de la part du Gouvernement britannique : « Je
ne m’attends à rien de bien pour l’Inde au détriment de la
Grande-Bretagne, tout comme je ne m’attends à rien de bien pour la
Grande-Bretagne au détriment de l’Allemagne », ou encore « je ne
souhaite pas la défaite des Britanniques, ni la défaite des Allemands »
43.
Gandhi n’apprécia pas la prétention de l’Empire britannique de
représenter la cause de la liberté dans le combat contre le Troisième
Reich : « J’affirme qu’en Inde nous avons un régime hitlérien, même s’il
se déguise dans des termes plus doux », ainsi que « Hitler est “le
péché de la Grande-Bretagne”. Hitler n’est que la réponse à
l’impérialisme britannique »
44.
En plus de l’indignation causée par l’hypocrisie et l’ingratitude du
Gouvernement britannique, ces jugements furent également influencés par
une très mauvaise compréhension du phénomène fasciste et nazi. Cela se
voit de manière plus évidente dans deux lettres écrites en mai 1940 :
« Je ne veux pas voir les Alliés défaits. Mais je ne crois pas Hitler
aussi mauvais qu’il est dépeint. Il fait preuve de capacités étonnantes
et il semble gagner ses batailles sans trop de sang répandu », et même :
« [Hitler] aurait pu être un allié, et peut encore l’être »
45.
Cette déclaration est encore plus surprenante si nous considérons
d’abord que l’invasion de la France battait son plein au même moment, et
surtout le fait que l’élimination systématique des intellectuels
polonais et l’opération parfois appelée « holocauste polonais »
faisaient rage depuis des mois.
Nous pouvons à présent esquisser un aperçu du deuxième chapitre de
l’histoire de la non-violence. La loyauté de Gandhi à ses principes
déclarés était bien plus flottante que celle des pacifistes américains
de l’American Peace Society, par contre le leader indien n’a jamais
développé, en tentant de se plier jusqu’au bout au principe de
non-violence, la fâcheuse dialectique qui mena à la criminalisation et
même à la déshumanisation de l’ennemi. Néanmoins, il y eut également
quelques effets pervers : étant donné que « la guerre elle-même est un
crime contre Dieu et l’humanité », il s’ensuit que « Roosevelt et
Churchill ne sont pas moins criminels qu’Hitler et Mussolini »
46.
Ceci est un autre exemple de la règle qui veut que la condamnation sans
nuances de la violence rende difficile voire impossible la distinction
entre ses différentes manifestations et modalités. Ici même se trouve le
paradoxe : alors que Gandhi entreprit résolument de soutenir la
Grande-Bretagne durant la guerre impérialiste de 14-18, parfois avec
enthousiasme, il était hésitant à propos de la légitimité de la violence
au moment précis où la nécessité de son usage aurait dû être claire,
puisqu’il était question d’empêcher un projet explicite de décimer et
réduire en esclavage les « indigènes » d’Europe de l’Est, et de
« solution finale » des juifs.
Une fois la guerre finie, Gandhi justifia même indirectement le
combat armé contre la domination coloniale britannique en rendant
hommage à Subhas Chandra Bose, qui était prêt à combattre avec l’Axe si
cela signifiait obtenir l’indépendance :
Subhas était un grand patriote. Il donna sa vie pour son pays. Il
n’était pas naturellement un combattant mais devint commandant d’une
armée et prit les armes contre un empire immense. Cette armée incluait
des hindous, des musulmans, des parsis et des chrétiens. Il ne se
considéra jamais comme uniquement bengali. Il n’avait que faire de
l’esprit de clocher ou des distinctions de caste. À ses yeux, tous
étaient Indiens et serviteurs de l’Inde. Il traitait tout le monde de la
même manière.47
Dans ce cas-ci, même la violence commise par ceux qui combattirent aux côtés d’Hitler se trouvait justifiée !
Révolution anticoloniale, non-violence et appels à la puissance dominatrice
Gandhi fit un choix différent, mais cela peut-il être expliqué
exclusivement en termes de non-violence ? À l’occasion de chacune des
trois guerres auxquelles le leader indien dut faire face, nous l’avons
vu soit « soutenir l’Empire britannique d’une façon ou d’une autre sans
entrer dans les mérites de la guerre », comme il l’a lui-même souligné,
ou déclarer qu’il était prêt à la soutenir si le Gouvernement
britannique promettait d’accorder l’indépendance à l’Inde. L’image
commence à prendre forme. Si nous examinons l’histoire du débat colonial
en Occident, nous voyons apparaître trois positions différentes. D’un
côté, il y avait ceux qui soutenaient la mission civilisatrice des
grandes puissances, et de l’autre côté, ceux qui soutenaient les
mouvements de libération nationale jusque dans les colonies. Une
troisième position appelait cependant à des réformes d’en haut afin
d’éliminer les « abus » du colonialisme et d’adoucir la voie vers
l’indépendance à venir de la colonie.
C’est cette troisième position, avec les adaptations rendues
nécessaires par son adoption en Inde et dans le monde colonisé, qui
trouva son expression ultime en Gandhi. En effet, il souligna la nature
largement bénéfique de la domination anglaise et ne pouvait envisager
une indépendance sans l’approbation de Londres, approbation qui devait
être gagnée par une combinaison de persuasion et de pressions. Par
conséquent, pendant que d’un côté il y avait participation à l’effort de
guerre impérial (destinée à persuader les dirigeants que le peuple
indien méritait l’autonomie grâce à sa loyauté et sa bravoure), de
l’autre côté il y eut emphase portée sur la pression venue du bas. Cette
dernière pourtant ne devait jamais être tendue jusqu’au point
d’éclatement, et donc les formes de conflit violent devaient être
évitées. Alors que la phase de pression rejetait la violence contre le
Gouvernement britannique, la phase de persuasion envisagea l’usage de la
violence tant qu’elle ne s’exerçait pas contre la Grande-Bretagne, mais
plutôt à ses côtés contre les ennemis de l’Empire.
Nous devons maintenant poser une question : dans quelle mesure cette
ligne politique fut-elle couronnée de succès ? En d’autres mots,
l’indépendance de l’Inde fut-elle réellement le résultat du mouvement
dédié à la non-violence ? La capitulation de la Grande-Bretagne et la
renonciation à son Empire doivent être considérées avec en toile de fond
le bouleversement immense qui commença avec la Seconde Guerre mondiale,
en particulier avec la défaite infligée par l’Armée rouge au projet du
III
e Reich de bâtir ce qu’Hitler qualifiait souvent « d’Indes
allemandes » en Europe de l’Est. La fin prématurée des « Indes
allemandes » sonna aussi le glas des « Indes britanniques ».
En outre, le mouvement anticolonial trouva un soutien supplémentaire
dans la rivalité entre les grandes puissances impériales. Durant la
guerre, le Japon soutint la cause du mouvement indépendantiste, sous la
forme de l’Armée nationale indienne (INA) de Bose, afin d’affaiblir
l’Angleterre. Il est tout aussi intéressant de voir ce qui arriva après
la défaite japonaise. Le Gouvernement britannique voulait punir les
« traîtres », les Indiens ayant combattu avec l’ennemi japonais, mais
n’y parvint pas pour la raison très simple que « pour tous les Indiens,
sans considération d’orientation politique, les soldats de l’INA étaient
de vrais héros »
48. Nous avons déjà vu comment Gandhi rendit
hommage à Bose, le leader de la révolte armée qui recruta « pas moins
de vingt mille hommes parmi les soldats indiens capturés par les
Japonais après la reddition de Singapour ». Nous pouvons comprendre
pourquoi les Britanniques voulaient punir ceux qui avaient trahi leur
serment de loyauté envers l’Empire mais, à ce moment-là, « les
Britanniques n’étaient plus en mesure de punir une rébellion directe,
pas même dans le secteur vital des forces armées ».
Ceci est confirmé par un autre épisode grave : « Le 18 février 1946 à
Bombay, les soldats de la marine indienne se mutinèrent, prirent
possession de la majorité des navires de guerre du port et, alors que la
ville était sous la menace des canons des navires, un groupe de mutinés
débarqua et attaqua les soldats anglais de la garnison. » Dans ce cas
aussi, « les Anglais furent forcés de promettre l’impunité au mutinés »
49.
Accorder l’indépendance à l’Inde devint par conséquent une étape
inévitable, surtout parce que l’Angleterre ne pouvait plus compter sur
le soutien de ses alliés ; même l’Amérique était impatiente, en partie
parce qu’elle était engagée à balayer les derniers obstacles empêchant
la création d’un marché mondial sous sa direction, et en partie parce
qu’elle craignait l’émergence d’un mouvement indépendantiste largement
influencé par les communistes et les socialistes. Cette crainte devint
encore plus aiguë quand la révolution menée par Mao Tsé-Toung se
propagea à travers la Chine.
Par conséquent, la conquête de l’indépendance de l’Inde ne peut être
séparée du mouvement acharné de libération nationale des peuples
colonisés en général. Celui-ci se développa à l’échelle mondiale et eut
une influence particulièrement forte en Asie, encouragé par la défaite
du projet d’Hitler de créer les Indes allemandes, et plus généralement
par la défaite subie par les trois pays (Allemagne, Italie et Japon) les
plus engagés à relancer et radicaliser la tradition coloniale. De cette
manière, Stalingrad et la Longue Marche contribuèrent plus à
l’indépendance de l’Inde que les initiatives non violentes de Gandhi.
Même si nous passons sur les gigantesques démonstrations de puissance
militaire au niveau international et nous concentrons exclusivement sur
les Indes britanniques, nous devrions nous demander si la transformation
se déroula réellement sans violence et bain de sang. Malheureusement,
avec l’éclatement du conflit qui aboutit à la création de l’Inde et du
Pakistan, la fin de la domination britannique « ne fit que lever le
rideau sur la guerre d’extermination qui commença après l’indépendance
des deux côtés de la frontière, lorsque des trains de réfugiés
arrivaient parfois remplis seulement de cadavres »
50, et quand eut lieu « le plus grand exemple du siècle et au niveau mondial de migration forcée »
51. De manière clairement intéressée, Churchill parla même d’un « holocauste terrifiant »
52.
Gandhi, il faut en convenir, fit de son mieux pour arrêter ou limiter
la violence, mais il en sera l’une des victimes. Ainsi, un aperçu
historique sérieux du mouvement qu’il inspira et mena ne peut pas
adopter une approche abstraite de cette catastrophe, comme il ne peut
pas manquer d’analyser les traits caractéristiques du pays dont Gandhi
était le père fondateur.
L’Inde qui émergea de l’agitation « non violente » n’était
certainement pas un pays qui se fit remarquer pour son pacifisme. Elle
hérita de l’armée impériale anglo-indienne et, immédiatement après sa
déclaration d’indépendance, la déploya ou menaça de la déployer afin
d’annexer les régions et principautés désireuses de maintenir leur
indépendance ou d’être incorporées au Pakistan. Même avant l’assassinat
de Gandhi, l’Inde envoya « des troupes aéroportées dans la vallée du
Cachemire », afin de s’en assurer le contrôle contre les désirs
explicites de la population locale
53.
De Gandhi au dalaï-lama, la non-violence comme idéologie de guerre
Pendant longtemps, l’Occident libéral vit Gandhi d’un œil loin d’être
favorable. Nous pouvons voir le mépris dont Churchill fit preuve en
parlant du « fakir séditieux », un « misérable petit vieux qui a
toujours été notre ennemi », une « vieille fripouille »
54,
qui voulait prendre possession de ce que Churchill considérait comme
appartenant à la Grande-Bretagne et « se battait pour l’expulsion de la
Grande-Bretagne hors d’Inde » et pour « l’exclusion permanente du
commerce britannique en Inde »
55. La traditionnelle arrogance
impériale était parfois chargée de sous-entendus racistes, comme
l’illustre cet accès de colère de 1931 :
Cela angoisse et donne la nausée de voir M. Gandhi, un avocat
séditieux du cercle de Middle Temple, posant désormais comme un fakir
d’un type bien connu en Orient, remonter à demi nu les marches du palais
du vice-roi, alors qu’il est encore en train d’organiser et de conduire
une provocante campagne de désobéissance civile, pour parlementer
d’égal à égal avec le représentant du roi-empereur.
56
Sans se demander si le mouvement indépendantiste usa ou non de
violence, Churchill ressentit l’importance d’adopter tous les moyens
nécessaires pour le combattre. En 1932, il accueillit favorablement
l’application en Inde de mesures plus encore plus draconiennes que
celles qui furent requises « depuis la Mutinerie »
57, référence à la rébellion des cipayes et à la répression sanglante qui indigna Marx.
Aujourd’hui encore, le ton caractéristique de Churchill n’a pas
complètement disparu. Un journaliste historien, qui a accès aux colonnes
de journaux connus aux États-Unis et en Occident en général afin de
célébrer le retour du colonialisme (« Le colonialisme est de retour – et
ce n’était pas trop tôt »)
58, exprime l’opinion suivante sur
Gandhi : « Il était d’un an plus âgé que Lénine, avec qui il partageait
une approche quasi religieuse de la politique, bien qu’il eût plus en
commun avec Hitler, son cadet de vingt ans, quant à son caractère
grincheux. »
59 Lorsqu’il se trouve comparé à Lénine, le
leader du mouvement indépendantiste indien reçoit le traitement
habituellement réservé au bolchévisme, lequel, de la perspective des
journalistes et historiens conformistes, est étroitement associé au
nazisme.
Cependant, la tendance principale de l’idéologie dominante est à
présent très différente. Au début de la Guerre froide, après que la
haine et la frustration nourrie en particulier par Churchill envers
l’ennemi « subversif » et « oriental » de l’Empire britannique et de la
civilisation occidentale furent oubliées, Gandhi fut érigé en apôtre de
la non-violence afin de contrer les mouvements de libération
révolutionnaires des peuples colonisés qui s’étendaient à travers l’Asie
et le reste du monde. Dans cette optique, Gandhi devint assez
étonnamment l’antithèse de Mao, Ho Chi Minh, Castro et Arafat.
Mao Tsé-Toung, 1944
Un autre geste dans le domaine de la realpolitik, plus décisif, prit
place au centre de la scène. Le legs de Gandhi en tant que champion de
la non-violence a été repris dorénavant par le quatorzième dalaï-lama,
ainsi que le prouve une campagne multimédia incessante. Ainsi, dans sa
lutte pour l’indépendance ou la semi-indépendance du Tibet, il déclare
non seulement qu’il désire adhérer au principe de la nature sacrée de la
vie, mais il fait également un usage explicite de concepts gandhiens,
par exemple lorsqu’il suggère de transformer le Tibet « en une zone d’
Ahimsa, un terme hindi signifiant un état de paix et de non-violence »
60.
Cette déclaration fut faite devant le Comité des droits de l’Homme du
Congrès américain en 1987, et deux ans plus tard le quatorzième
dalaï-lama reçut le prix Nobel de la paix. La reconnaissance que Gandhi
ne reçut jamais a déjà été remportée par son héritier présumé.
Or quelle est la véritable histoire ? Elle apparaît clairement dans
deux livres écrits ou coécrits par deux agents de la CIA ayant des
degrés d’ancienneté différents. Le premier a travaillé avec le
dalaï-lama pendant des décennies et ne cache pas son admiration et sa
dévotion pour le « leader bouddhiste qui prêche la non-violence ». Il
exprime le point de vue incarné par son héros dans les termes suivants :
« S’il existe un signal clair qu’il n’y a pas d’alternative à la
violence, alors la violence est permise. » En conséquence, il devient
nécessaire de distinguer entre « méthode » et « motivation » : « Dans la
résistance tibétaine contre la Chine, la méthode était de tuer, mais la
motivation était la compassion, et cela justifiait le recours à la
violence. »
61 De manière similaire, l’officier de la CIA,
admiratif, cite le dalaï-lama justifier et même célébrer la
participation américaine à la Seconde Guerre mondiale et à la guerre de
Corée, puisqu’elles furent menées « pour protéger la démocratie et la
liberté ». Ces nobles idéaux continuèrent d’inspirer Washington pendant
la guerre du Vietnam, même si à cette occasion les résultats
n’atteignirent malheureusement pas le niveau élevé fixé par les
intentions. Sur cette base, il y a clairement une parfaite harmonie avec
l’officier de la CIA, lequel met un point d’honneur à être photographié
avec le dalaï-lama dans une pose amicale et affectueuse. Sans doute
est-il prompt à faire remarquer qu’il n’est pas fan des « armes à feu »,
tout comme le vénérable maître bouddhiste, mais est résigné à approuver
et faire la promotion de leur usage lorsqu’il n’est pas possible de
faire autrement
62. Ainsi, lorsque nous la relisons à la
lumière des enseignements du lauréat du prix Nobel de la paix, la
non-violence apparaîtrait comme la doctrine d’inspiration de la CIA !
Le mythe du dalaï-lama fut finalement débusqué par des officiers de
la même agence crainte partout dans le monde. Il fuit Lhassa en 1959,
année marquant l’abandon « d’un objectif de la politique américaine
pendant presque une décennie ». Lorsqu’il traversa la frontière entre la
Chine (Tibet) et l’Inde, il nomma général un des Tibétains qui
l’aidèrent à fuir, pendant que les deux autres utilisèrent la radio
fournie par la CIA pour envoyer à l’Agence un message urgent :
« Envoyez-nous des armes pour trente mille hommes par avion. »
63
Cependant, bien que la rébellion tibétaine eût déjà été préparée avant
1959 avec l’envoi d’armes et de matériel militaire dans les régions les
plus inaccessibles du Tibet
64, elle était destinée à échouer.
Ceci malgré l’entraînement sophistiqué des guérilleros, malgré le fait
qu’ils disposaient d’« un inépuisable stock d’armes dans le ciel » (les
armes parachutées par les avions américains) et la possibilité
d’utiliser une zone sûre derrière la ligne de front à la base Mustang
(au Népal). En conséquence de quoi, les commandos infiltrés depuis
l’Inde eurent des résultats « généralement décevants » et « ne
trouvèrent que peu de soutien parmi la population locale ». En bref, la
tentative de soutenir « un mouvement de guérilla à grande échelle par
air au Tibet se révéla un échec cuisant » et « vers 1968, les
guérilleros de la base Mustang devenaient âgés » et étaient incapables
« de recruter de nouveaux hommes ». Le résultat fut que les États-Unis
se trouvèrent forcés d’abandonner le projet, ce qui déçut amèrement le
dalaï-lama : « Il remarqua abruptement que Washington avait coupé son
soutien aux programmes politiques et paramilitaires en 1974. »
65
Il est donc difficile de voir le dalaï-lama comme le successeur de
Gandhi. La seule vague analogie qui peut être tracée le serait avec le
Gandhi de la Première Guerre mondiale, qui entreprit de recruter des
soldats indiens pour l’armée britannique avec l’espoir de gagner la
gratitude de Londres. L’Inde a hérité de la Grande-Bretagne l’ambition
de séparer le Tibet de la Chine d’une manière ou d’une autre
66 :
regroupés dans des bataillons spécialisés (la Force frontalière
spéciale, Special Frontier-Force), les guérilleros tibétains
combattirent sous le commandement de l’armée indienne durant la brève
guerre sino-indienne de 1962 et ensuite dans la guerre indo-pakistanaise
quelques années plus tard. Sur deux photos prises en juin 1972, nous
voyons le dalaï-lama, accompagné par le général indien Sujan Singh Uban,
marcher et haranguer la Force frontalière spéciale, après avoir donné
son « approbation » concernant son implication dans la guerre contre le
Pakistan quelques mois plus tôt
67. Le soutien du dalaï-lama au programme nucléaire indien peut-être envisagé à la même lumière.
La relation de collaboration avec les États-Unis a joué un rôle
encore plus important. En plus de l’embargo brutal imposé par Washington
et la persistance des opérations de sabotage ou de terrorisme lancées
depuis Taïwan, la révolte tibétaine faisait partie de la stratégie de la
CIA pour « forcer Mao à détourner ses ressources déjà minces » et pour
provoquer l’effondrement de la République populaire de Chine. Bien que
leur objectif principal ne fût pas atteint, la Chine fut quand même
affaiblie. En outre, les États-Unis « bénéficièrent des renseignements
glanés par les forces de résistance [tibétaines] ». D’autre part, la CIA
et l’armée américaine purent expérimenter « de nouveaux types
d’équipements – avions et parachutes, par exemple » et « de nouvelles
techniques de communication », ainsi qu’accumuler une expérience
précieuse. En conséquence, « les leçons apprises au Tibet » purent être
mises en pratique « dans des endroits comme le Laos ou le Vietnam »
68.
Ainsi, loin d’adhérer à la non-violence, la lutte inspirée par le
dalaï-lama ou, en tout cas, menée en son nom servit de répétition
générale pour une des guerres les plus barbares du xx
e siècle.
Comment alors expliquer le mythe couramment accepté ? Une fois de
plus, l’agent de la CIA qui passa des décennies avec le leader du
mouvement indépendantiste tibétain aide à fournir la réponse. Après
l’éclatement de la guerre de Corée en 1950, la CIA reçut comme
instruction de conduire non seulement des « opérations paramilitaires »
mais également de la « guerre psychologique »
69. Le plan fut
encore affiné après la révolte de 1959 ; le « groupe de stratégie
psychologique » enjoignit l’administration Eisenhower à « faire durer le
plus longtemps possible la rébellion et à lui donner un maximum de
poids dans tous les médias publics d’information » et « la CIA engagea
une firme de relations publiques pour aider les Tibétains à faire
connaître leur cause »
70. L’orientation de base de cette
guerre psychologique avait déjà été tracée dans les premières années de
la Guerre froide et son but était de « dresser les bouddhistes
asiatiques contre l’expansion de la Chine communiste »
71.
Comme le communisme était associé à la violence, il devint opportun de
le contrer avec le bouddhisme et ses connotations non violentes. À
partir de ce moment-là, un « écran » de non-violence commença à entourer
la personne du dalaï-lama
72. Cependant, ce ne fut pas
seulement le leader lui-même qui fut l’objet d’une transformation
radicale, mais l’entièreté de ce qu’il incarnait. Le Tibet prémoderne et
prérévolutionnaire devint ainsi un endroit magique, où l’esclavage, la
servitude, la violence de la classe dominante et même toutes formes de
violence disparurent. En réalité, loin d’être un lieu idyllique, le
Lhassa « du bon vieux temps » ressemblait plus à Florence sous les
Borgia, avec de la violence teintée de complots
73. Dans tout
cela, il n’y a pas la moindre trace du mythe dominant aujourd’hui ; la
guerre psychologique, les compagnies de relations publiques et Hollywood
sont experts pour accomplir ce genre de miracles.
Dans les pas du dalaï-lama, mais avec une attitude bien plus
radicale, le congrès de la Jeunesse tibétaine défendit l’usage des armes
à feu et un retour à la guérilla, déchaînée comme il se doit avec
l’aide de Washington. Gandhi était encore tenu en haute estime pourtant,
et ils citèrent ainsi l’attitude qu’il adopta envers les lâches
74.
Finalement, en tirant leur inspiration à la fois de Gandhi et du
dalaï-lama, les groupes prétendant être de gauche – comme le Parti
radical transnational mené par Marco Pannella en Italie – qualifièrent
non seulement les mouvements de libération nationale (comme la
résistance palestinienne) de sanglants et d’assoiffés de sang, mais
allèrent plus loin encore. Afin de contrer ces mouvements, oublieux des
leçons de la non-violence et victimes d’inclinations meurtrières
totalitaires, ces soi-disant « radicaux » apportent régulièrement leur
soutien aux guerres promues par Washington afin d’exporter la
« démocratie », avec une emphase particulière pour les guerres menées
par Israël contre ses voisins arabes, et en premier lieu les
Palestiniens. Apporter son soutien aux guerres israélo-américaines
contredit-il le principe de non-violence ? Les « radicaux » trouvent une
fois de plus une source facile d’inspiration en Gandhi, lequel soutint
l’effort de guerre de l’Empire britannique et fit taire ses opposants en
les accusant d’être des lâches et même des « efféminés ».
La « non-violence » a désormais été transformée en une idéologie de
guerre (bien qu’une guerre froide pour le moment), mais ce n’est pas
tout. Pour une période entière de l’histoire, la critique de la violence
a été étroitement liée à la critique de l’Occident, bien que parfois de
façon contradictoire. C’était le cas pour l’American Peace Society, qui
dénonça l’esclavage des noirs perpétré par l’Occident, et pour Tolstoï,
qui condamna « l’impérialisme » et lança des avertissements contre une
course au réarmement entre puissances, qui mena bientôt à la catastrophe
de la Première Guerre mondiale. La même chose peut être dite de Gandhi,
qui parfois n’hésita pas à tracer des parallèles entre Churchill et
Hitler, comparant ainsi les « impérialismes » britannique et nazi.
Désormais pourtant, la proclamation de l’idéal de non-violence marche
main dans la main avec la célébration de l’Occident, qui se tient en
tant que gardien de la conscience morale de l’Homme et ainsi se sent
investi de la mission de déchaîner des embargos « humanitaires » et des
guerres dans le monde entier.
Un slogan ambigu incapable de tenir ses promesses
Le trait principal qui émerge du panorama historique et philosophique
que nous avons exposé brièvement est le caractère extrêmement vague du
concept de non-violence. Est-il synonyme d’un appel aux nations au
désarmement complet et au démantèlement des armées et forces de police ?
Un appel à la non-violence a peu d’intérêt à moins d’attaquer les
organismes d’État habilités à utiliser la violence. Cependant, même si
ceux-ci sont visés, l’appel n’est en fait rien moins qu’une invitation à
chaque nation à abandonner son statut d’État-nation. La définition
classique de Weber d’un État comme l’entité possédant le monopole de
l’usage légitime de la force physique est bien connue. Cependant, la
difficulté n’est pas surmontée si la condamnation de la violence est
limitée aux guerres entre nations et aux armées qui y participent ; nous
avons vu comment les figures majeures et les groupes de l’American
Peace Society considéraient la guerre de Sécession comme une simple
opération de police. D’un autre côté, les guerres coloniales ont souvent
été présentées comme des opérations de police internationales au cours
de l’histoire, et les guerres lancées par les États-Unis afin de
maintenir leur empire global perpétuent cette tradition. Sans aucun
doute ont-ils encore plus besoin de ce camouflage idéologique.
Les défenseurs actuels les plus célèbres de la cause de la
non-violence sont membres ou associés à des groupes de gauche.
Devons-nous par conséquent demander à Cuba de démanteler son armée ? Ce
serait accorder la victoire à la violence infligée dans le passé pendant
l’invasion de la baie des Cochons et toujours à l’œuvre actuellement,
non seulement
via des tentatives sporadiques de terrorisme, mais
surtout par un embargo économique mortel et une pression militaire
menaçante. Cette pression est déjà une forme de guerre, comme l’analyse
justement le grand philosophe Thomas Hobbes : « La nature de la guerre
ne réside pas dans le combat en tant que tel, mais en une disposition
connue au combat, pendant tout le temps où il n’y a aucune assurance du
contraire. »
75 En conséquence, appeler au désarmement de Cuba
constituerait vraiment une forme de soutien à la pression militaire,
diplomatique et économique et à la guerre larvée américaines. Les
militants non violents peuvent bien être satisfaits de la pureté de
leurs convictions d’un point de vue éthique, mais si nous réalisons une
analyse basée sur l’éthique de responsabilité (le corpus de référence de
l’éthique pour comprendre le domaine des relations politiques et du
conflit), ces convictions paraissent tout sauf innocentes et pures sur
le plan moral. La signification de la diffusion de la théorie de la
non-violence dans la gauche est différente de ce qu’elle paraît être
a priori.
Fidel Castro en 1959
Un livre dont le titre nous invite à
changer le monde sans prendre le pouvoir76
a récemment joui d’un grand succès dans les milieux de gauche. Après
analyse approfondie, le slogan « non-violence » prend forme en tant que
renoncement à la conquête et à la gestion du pouvoir. La vision
unilatéralement catastrophique du communisme du xx
e siècle a
donc provoqué une fuite de l’histoire et de la politique et une
conversion à une religion déguisée à plusieurs niveaux. Il est inutile
d’imputer tout cela à Lénine, mais il vaut la peine de revenir ici à
Bonhoeffer : « L’action politique signifie recevoir une responsabilité.
Cela ne peut arriver sans le pouvoir. Le pouvoir entre au service de la
responsabilité. »
77
La religion de la non-violence parvient-elle au moins à limiter la
violence dans les mouvements d’émancipation, si elle n’y parvient pas
dans le cas de la violence impérialiste et réactionnaire ? La réponse
est non. Nous avons vu comment des figures et des groupes importants de
l’American Peace Society ont sauvegardé leur bonne conscience « non
violente » au milieu du xix
e siècle en criminalisant les
indiens rebelles et en déshumanisant les participants à la guerre de
Sécession. Cette dialectique, où la condamnation inconditionnelle de la
violence a pour effet final de l’amplifier et de l’empirer, était
également évidente tout au long du xx
e siècle. Il vaut la
peine de noter que les actuels slogans ont repris les illusions les plus
vigoureuses du mouvement communiste, lequel a promis pendant si
longtemps une société où toute forme de violence et de pouvoir
disparaîtrait après une phase transitoire de dictature et où la
« transformation du pouvoir en amour » arriverait, pour citer la
formulation déjà évoquée du jeune Bloch. Cependant, cette vision, qui
qualifie de bourgeois un projet de constitution (en supposant la
permanence de l’État et donc aussi de la violence et du pouvoir) et
dévalue toute idée de limitation du pouvoir, a joué un tel rôle
destructeur en Russie soviétique et dans le « camp socialiste » qu’elle
élargit et au final exacerba à la fois l’état d’exception et la violence
78 en son sein.
En plus de réaffirmer le droit d’un peuple opprimé à faire un choix
autonome quant aux méthodes de sa lutte pour l’émancipation, se défaire
de l’attente messianique de la disparition de toute forme de violence
physique constitue une condition préalable à l’instauration d’une limite
efficace à la violence et au pouvoir.
Traduit de l’anglais par: Farid Belkhatir - In http://www.revueradical.be/?p=135
notes
1. Cet essai a été publié initialement par
Historical Materialism
en 2010. Nous remercions spécialement Sebastien Budgen pour son
autorisation à le reproduire ici. La présente version est une version
courte, la version complète est disponible sur le site de
Radical.
2. Stefan Zweig,
The World of Yesterday, Viking Press, 1943, p. 173.
3. Pour l’Allemagne, voir : Domenico Losurdo,
Heidegger et l’idéologie de la guerre, PUF, 1998, chapitre 1 ; pour Croce et Hoover, voir : Domenico Losurdo,
Gramsci. Du libéralisme au « communisme critique », Syllepse, 2006, chapitre 2, section 3.
4. Georg W.F. Hegel,
Werke in zwanzig Bänden, vol. 3, edited by Eva Moldenhauer and Karl Markus Michel, Suhrkamp, 1969-1979, p. 24.
5. Voir : Domenico Losurdo,
Staline : histoire et critique d’une légende noire, Aden, 2011, p. 95.
6. Cité dans :
Lenin Collected Works, vol. 39, Foreign Languages Publishing House, 1955, p. 684.
7. « La guerra per la pace », publié à l’origine dans
L’Unità, 28 août 1914. Voir : Gaetano Salvemini, « La guerra per la pace » dans
Opere, vol. 3, livre 1, Feltrinelli, 1963 [1914], p. 361.
8. Voir : Claudio Magris, Préface dans Walter Benjamin,
Immagini di città, New Edition, Einaudi, 2007, p. xii.
9. « La guerre est en contradiction avec la religion de Jésus-Christ. »
10. Valérie H. Ziegler,
The Advocates of Peace in Antebellum America, Indiana University Press, 1992, p. 3, 21, 30-31.
11.
Ibidem, p. 48.
12.
Ibid., p. 112-126.
13 Lettres à Henry Reeve, 2 août 1857 et 30 janvier 1858, dans Tocqueville,
Œuvres complètes, vol. 6, Livre 1, Gallimard, 1954, p. 230, 254.
14. Voir : Domenico Losurdo,
Contre-histoire du libéralisme, La Découverte, 2011, p. 372.
15. Marx and Engels,
Werke, vol. 12, Dietz Verlag, Berlin, 1955-1989, p. 285-287.
16. Valérie H. Ziegler,
op. cit., p. 127-128.
17. Dans Valérie H. Ziegler,
op. cit., p. 116-117.
18. Dans
ibidem, p. 134.
19. « Satyagraha in South Africa » (1928) dans Gandhi,
The Collected Works of Mahatma Gandhi, vol. 17, Publications Division, Ministry of Information and Broadcasting, 1969-2001, p. 62-63.
20. Gandhi,
The Collected Works of Mahatma Gandhi, vol. 34, Publications Division, Ministry of Information and Broadcasting, 1969-2001, p. 65, 67.
21.
Ibidem, p. 17-18.
22. Rosa Luxemburg,
The Accumulation of Capital, Routledge, 2003, p. 393.
23. Letter to J.L. Maffey, 30 avril 1918 dans Gandhi,
op. cit., vol. 17, p. 12.
24. « Appeal for Enlistment », 22 juin 1918 dans Gandhi,
op. cit., vol. 17, p. 83-84.
25. Niall Ferguson,
Empire : The Rise and the Demise of the British World Order and the Lessons for Global Power, Basic Books, 2004, p. 255-256.
26. « Satyagraha in South Africa » dans Gandhi,
op. cit., vol. 34, p. 63.
27. Letter to S.K. Rudra, 29 juillet 1918 dans Gandhi,
op. cit., vol. 17, p. 159.
28. « Appeal for Enlistment » dans Gandhi,
op. cit., vol. 17, p. 85-86.
29. Gandhi,
op. cit., vol. 17, p. 86-87.
30. Kurt Tucholsky, « Der Krieg und die deutsche Frau » dans
Gesammelte Werke, vol. 5, edited by M. Gerold Tucholsky and F.J. Raddatz, Rowohlt, 1985 (1927), p. 267.
31. Yogesh Chadha,
Rediscovering Gandhi, Century, 1997, p. 230.
32. Letter to B.G. Horniman, 12 août 1918, dans Gandhi,
op. cit., vol. 17, p. 190.
33. Sur la « fraternisation », voir : Lenine,
Collected Works, vol. 24, Moscow, Foreign Languages Publishing House, 1955-1970, p. 328 ; pour une vue plus générale, voir : Domenico Losurdo,
Staline : histoire et critique d’une légende noire, Aden, 2011.
34. «
Hind Swaraj or Indian Home Rule » dans Gandhi,
op. cit., vol. 10, p. 280, 285, 255, 264.
35. Gandhi,
op. cit., vol. 10, p. 256, 287.
36.
Ibidem, p. 278 et
passim.
37.
Ibid., p. 265-266.
38. Yogesh Chadha,
op. cit., p. 165.
39. Gandhi,
op. cit., vol. 54, p. 297.
40. Gandhi,
op. cit., vol. 78, p. 387.
41. Gandhi,
op. cit., vol. 84, p. 239-240.
42. Michael Brecher,
Nehru : A Political Biography, Beacon Press, 1961, p. 38.
43. Letter to
The Times of India, 10 février 1941, dans Gandhi,
op. cit., vol. 80, p. 61 ; « My Sincerity », janvier 1942 dans Gandhi,
op. cit., vol. 81, p. 479.
44. « Answers to Questions », 25 avril 1941, dans Gandhi,
op. cit., vol. 80, p. 200 ; interview donnée à Ralph Corriston en avril 1945, dans Gandhi,
op. cit., Volume 86, p. 223.
45. Letter to Amrit Kaur, 15 mai 1940, in : Gandhi,
op. cit., vol. 78, p. 219 ; Letter to Lord Linlithgow, 26 mai 1940, dans Gandhi,
op. cit., vol. 78, p. 253.
46. Interview donnée à Ralph Corriston en avril 1945, dans Gandhi,
op. cit., vol. 86, p. 223.
47. « Speech at Prayer Meeting », 23 janvier 1948, dans Gandhi,
op. cit., vol. 98, p. 293.
48. Michelguglielmo Torri,
Storia dell’India, Laterza, 2000, p. 604.
49.
Ibidem, p. 600, 605.
50. Sumit Sarkar,
Modern India, 1885-1947, Macmillan, 1989, p. 434.
51. Michelguglielmo Torri,
op. cit., p. 606.
52. Winston Churchill,
His Complete Speeches 1897-1963, , Chelsea House, New York, 1974, p. 7722.
53. Michelguglielmo Torri,
op. cit., p. 621-625.
54. Voir : Niall Ferguson,
op. cit., New York, Basic Books, 2004, p. 276, et Yogesh Chadha,
op. cit., p. 388.
55. Voir : Yogesh Chadha,
op. cit., p. 302.
56.
Ibidem, p. 300.
57.
Ibid., p. 323.
58. Paul Johnson, « Colonialism’s Back – and Not a Moment Too Soon »,
New York Times Magazine, 18 avril 1993, p. 22.
59. Paul Johnson,
A History of the Modern World : From 1917 to the 1980s, Weidenfeld and Nicolson, London, p. 521 ; sur Paul Johnson, voir Domenico Losurdo,
Le révisionnisme en histoire, Albin Michel, 1996, chapitre 3, section 9.
60. Dalai Lama, « Five Point Peace Plan », disponible sur :
http://www.dalailama.com/messages/ tibet/five-point-peace-plan, 2008.
61. John Kenneth Knaus,
Orphans of the Cold War : America and the Tibetan Struggle for Survival, Public Affairs, 1999, p. x, 313.
62.
Ibidem, p. x, 274.
63.
Ibid., p. 178 et Kenneth Conboy & James Morrison,
The CIA’s Secret War in Tibet, University Press of Kansas, 2002, p. 93.
64. John Kenneth Knaus,
op. cit., p. 225, 154-155.
65.
Ibidem, p. 281, 235, 292, 312.
66.
Ibid., p. 256.
67. Kenneth Conboy & James Morrison,
op. cit., p. 247-248.
68. John Kenneth Knaus,
op. cit., p. 215, 316 ; Kenneth Conboy & James Morrison,
op. cit., p. ix.
69.
Ibidem, p. 63.
70.
Ibid., p. 181, 204.
71.
Ibid., p. 88.
72.
Ibid., p. 236.
73.
Ibid., p. 24.
74. Colin Goldner,
Dalai Lama – Fall eines Gottkönigs, Alibri Verlag, 1999, p. 386.
75. John Holloway,
Changer le monde sans prendre le pouvoir, Syllepse/Lux, 2008.
76. Dietrich Bonhoeffer,
Gesammelte Schriften, vol. 3, edited by Eberhard Bethge, Christian Kaiser Verlag, 1958-1974, p. 477.
77. Domenico Losurdo, G
ramsci. Du libéralisme au « communisme critique », Syllepse, 2006, chapitre 4, section 10 et chapitre 5, section 6 ; et Domenico Losurdo,
Staline : histoire et critique d’une légende noire, Aden, 2011, chapitre 2.