dimanche 24 juin 2018

Sujet du 27/06/2018 : Va-t-on nier être des algorithmes ?

Va-t-on nier être des algorithmes ?


Le sort en est jeté. Le Rubicon est franchi. Le monde, dont les hommes font nécessairement partie, se traduit toujours plus par les mathématiques exprimées en algorithmes (1). C'était déjà vrai depuis Galilée, Bacon, Descartes, Newton.          
Mais, des Lumières à aujourd'hui, la philosophie a largement ignoré de le penser. Pourtant les
sciences actuelles l'assurent sur la foi des faits pertinents et convergents qu'elles créent par leurs observations et expériences. En effet, sur quoi de plus probant que ces faits fonder nos connaissances ?
Même s'il faut reconnaître que les connaissances ne sont que simplement humaines. En effet, n'est-ce pas par la dialectique adaptative qui nous unit les uns aux autres en produisant la conscience qu'émerge progressivement le savoir ? En outre, tant les dieux que les spéculations métaphysiques sont purs fantasmes et chimères. Tout comme le sont les vérités révélées (2)


Malgré cela il reste souvent difficile pour la majorité des contemporains d'admettre que les connaissances ne proviennent que des hommes. En effet, on ne se départit pas aisément de siècles d'idéalisme philosophique et de monothéisme fondés sur l'existence de vérités absolues et révélées. De plus, le monde n'ayant a priori pas de sens, ce sont les questionnements des hommes qui lui assurent un ordre à partir duquel ils peuvent l'appréhender par un processus dialectique de construction et d'ajustement de connaissances qu'eux seuls peuvent établir entre eux (2).

Dès lors, sans prévention, voyons ensemble les faits avérés, les spéculations de vraisemblance qui en découlent et finalement la réflexion philosophique à en induire. Reconnaissons déjà qu'ensemble ces quatre mouvements constituent une méthode philosophique d'appréhension concrète du réel. Et qu'en outre et à nouveau ils ne sont qu'humains, nécessairement et toujours issus des hommes. C'est simple et vrai, mais rarement reconnu tant on nous a habitués à croire des vérités révélées. Rappelons-le nous bien sans cesse. Sinon nous nous fourvoierons dans des considérations d'absolu idéalistes, nous prenant pour le nouveau Dieu.

Il s'en suit que si le monde se déchiffre en termes mathématiques qui en sont une représentation fonctionnelle, se peut-il qu'il soit aussi mathématique en soi, que ce soit sa nature ? Sachant que les mathématiques dont dérivent les algorithmes ne sont à l'évidence qu'une création humaine. Mais si ces deux propositions s'avéraient pertinentes, ne s'ensuit-il pas que s'expliqueraient pareillement tant le monde numérique inorganique à base de silicium que celui de la vie organique qui régit les hommes ? Ils seraient compatibles l'un avec l'autre et pourraient donc fusionner par symbiose. Cela est en pratique aujourd'hui avéré.

Mais se pose néanmoins toujours un problème philosophique de fond. Comment expliquer pareille adéquation entre, d'une part, le fonctionnement du monde et des hommes et, d'autre part, celui des algorithmes bio-numériques ?

Voici une explication concrète. Les GAFA, entreprises mondialisées du numérique, collecteront bientôt toutes les données produites par les hommes qui les leur fournissent bénévolement à jet continu, souvent à leur insu et par ignorance. Ils le font dans leur intérêt immédiat et par plaisir pulsionnel. De puissants algorithmes conçus par des cerveaux humains intègrent ces données qui alimentent des boucles de rétroaction permettant à des logiciels, devenant autonomes et s'auto-améliorant, de toujours mieux refléter et maîtriser le monde. (Notons cependant qu'il s'agit d'une représentation mathématique et non du monde lui-même.)  Ceci se fait par des processus darwiniens évolutifs et indépendants de leurs créateurs humains. Un monde parallèle de nature authentiquement mathématique émerge qui poursuit cette course autonome en se branchant en direct sur le monde et les hommes. En retour, doté d'une immense mémoire et connaissant tout de ceux-ci et donc infiniment mieux qu'ils ne le peuvent eux-mêmes, il prend autorité et pouvoir sur chaque instance de la vie. C'est l'émergence de l'Absolu prétendant tout intégrer. Cet absolu est d'une grande puissance puisqu'il est mû par une relativité adaptative et évolutive.

Nous sommes là bien au-delà du Big Brother orwellien. Néanmoins, cette puissance s'exprime aussi dans un premier temps par de mirifiques bénéfices pour l'humanité. Pour palier quelque déficience ou maladie personnelles ne nous dotons-nous pas déjà chacun de prothèses génétiques, bioniques, cybernétiques et numériques ? Nul n'écarte de telles aubaines concernant sa personne ou ses proches : « je porte des lunettes, j'ai des implants dentaires ou auditifs, j'ai fait programmer un embryon de fils aux gènes d'yeux bleus, d'absence de calvitie et de maladie auto-immune ».

   Les gènes déficients de l'embryon sont remplacés (biogénie), les oreilles se bardent d'implants (cyborg), des nano ordinateurs secondent les cerveaux à mémoire déficiente (Alzheimer compensé par une vie inorganique) et les commandent. Pourquoi dès lors ne pas en faire autant des génomes, cerveaux, organes et membres « normaux » ? Et ainsi les sublimer. Qui arrêterait ces évolutions ? Au nom de quel principe ?

Déjà d'authentiques mouches naturelles bardées de capteurs et nano ordinateurs espionnent les QG ennemis ou alliés (mouches en grand danger d'être capturées par une araignée). Déjà aussi des programmes numériques malveillants (« virus ») se reproduisant des milliards de fois sont poursuivis dans le cyberespace par des programmes antiviraux prédateurs.
Dans cet impitoyable monde numérique darwinien, une vie parallèle inorganique se reproduit à la vitesse grand V qui nécessairement engendre à terme des erreurs aléatoires. Parmi d'innombrables d'entre elles qui seront éliminées, l'une aura un avantage sélectif qui propagera sa descendance dans le cyberespace. Nul homme n'aura conçu ni fabriqué ce mutant numérique. Il suivra une évolution de « vie non organique », non carbonée.

Ce mutant serait une émergence de silice vivante et autonome. Son règne – sans dieu créateur et finaliste à l'instar de la situation des hommes – sera tout aussi indifférent à celui des hommes que ceux-ci le sont à son égard. Il peut collaborer avec eux, les diriger et les dominer, ou même les anéantir en n'étant mû comme eux que par sa finalité (3). En effet, il est autonome et n'a comme seule finalité intrinsèque que la survie et la prospérité de son règne, au même titre que les espèces carbonées.

Plus prosaïquement, grâce à la similitude symbiotique entre ces deux modes d'existence, les hommes peuvent en toute conscience décider de brancher voire de copier un cerveau sur un disque dur externe. Si ce cerveau est le vôtre, ce programme sera-t-il vous ? Ou un autre ? La question de l'identité est posée. De plus, si les cerveaux étaient ainsi branchés en un collectif global, la notion d'individu chère à nos présupposés philosophiques libéraux et humanistes disparaîtrait. Sans savoir ce que peut être une telle identité collective totalisante. Spinoza te serais-tu gouré ?

L'actuel projet européen « Gilgamesh » tend même à recréer un cerveau complet dans un ordinateur avec des circuits électroniques imités des réseaux neuronaux du cerveau humain. S'il venait à réussir, une vie électronique évolutive autonome et supérieure à l'humain pourrait le concurrencer. Et l'éliminer, que les hommes veuillent ou non la maîtriser... (Ces pointillés expriment une émotion humaine absente de toute vie inorganique.)

Les deux paragraphes précédents posent de nouvelles questions philosophiques. La première est de savoir si notre conscience peut déjouer à temps ces évolutions. Ou si elle veut aller au bout de celles-ci, entraînée qu'elle serait par les avantages technologiques pour l'individu et la société libérale. Même si à terme cela devait entraîner à sa perte le principe qui les fonde : la conscience individuelle et, par là, les présumés individus et sociétés qui la portent. Outre savoir ce que l'on veut, il nous faudra vouloir ce que l'on souhaite puisque la technologie permet déjà de manipuler nos désirs. Plus immédiatement,
        1) la vie privée disparaîtrait et
        2) des personnes-individus nantis pouvant se financer une fusion d'eux-mêmes avec l'électronique créeraient la plus inégale des sociétés qui aient jamais existé dans laquelle subsisterait le
sapiens déclassé à l'état d'outil réifié. Serait alors apparu une espèce et une classe de surhommes aux caractéristiques que nous ne saurions même commencer à imaginer, parce que leur description exacte est par définition inaccessible.

L'espèce des futurs maîtres constituerait en quelque sorte l'avènement du Dieu Nouveau. Ceci est sciemment poursuivi au moins depuis le début des années 1990 (4). La singularité transcendante de l'absolu serait à portée de main où tous les concepts qui donnent sens à notre monde – moi, vous, nous, hommes, femmes, émotions, désirs, conscience – perdraient toute pertinence. Il va sans dire qu'au-delà du point de non-retour de cette singularité nouvelle – cette fois concrète et pratique, et non pas imaginaire comme celles des dieux actuels et anciens – rien n'aurait plus de sens pour nous. Le sapiens aurait vécu. Tout comme notre rassurante croyance qu'il n'y a pas meilleur que le genre humain et l'individu.

Finalement, la question philosophique n'est plus de savoir ce que nous voulons devenir en se demandant ce qu'il est interdit de faire. Il en est de même de ce qu'il en est et doit en être des hommes. En effet, ne serait-il pas naïf d'imaginer pouvoir arrêter les grands projets technologiques qui promeuvent le sapiens au point d'en faire un être d'une espèce différente ? Pourquoi ? Parce que le prétexte, hypocrite mais largement fallacieux, est d'affirmer faire de la recherche pour seulement soigner les hommes, alléger la souffrance et sauver des vies. Alors que créer un esprit dans un ordinateur a des implications et offre des perspectives autrement fondamentales.

La seule chose que nous puissions faire face à cet enjeu de survie vertical pour les hommes ne serait-elle pas d'influencer la direction que nous prenons. Ce serait agir concrètement. Mais la question éthique va plus loin puisqu'en plus nous sommes déjà de plus en plus à même de technologiquement influencer nos émotions et nos désirs jusqu'à les manipuler et même les déterminer. Et d'en confier le soin à des algorithmes auto-évolutifs, autonomes ! La question n'est-elle plus de savoir ce que nous voulons devenir (désir), mais plutôt ce que nous voulons vouloir devenir. L'avènement d'un Spinoza rénové devient de plus en plus nécessaire pour penser cette nouvelle conjecture. Afin de la maîtriser, voire de l'éliminer, avant que préventivement elle ne nous inflige le même sort pour se prémunir de nous. Rondement pris, est-il même concevable que nous puissions penser pareille conjecture ? Certes il faut s'y adonner prestement avant qu'elle ne nous dépasse lorsque sa supériorité nous aura réduits au fatalisme de l'outil, de la chose, de la bête. Tels des chiens patauds à la Francis Fukuyama. Cherchez l'erreur. Et dites-moi si même il y en a une.

Sinon, ensemble posons-nous une question radicale qu'impose un constat. La censure n'opère plus en bloquant le flux d'information. Non, elle noie les populations d'informations pléthoriques non pertinentes ou fausses (extraterrestres, fantômes, fictions et illusions, force de l'esprit, fin climatique apocalyptique des hommes, extinction biologique,…). Nous ne savons plus précisément à quoi prêter attention qui vaille. Le plus souvent nous débattons de broutilles et de problèmes périphériques. Alors que notre autorité et notre pouvoir doivent reposer non tellement sur l'accès à l'information que sur la connaissance de ce qu'il faut ignorer. Mais dans le chaos contemporain, sur quoi faut-il nous focaliser ? Trois processus en évolution accélérée émergent de ce tohu-bohu.

Les sciences convergent vers la singularité d'un « dogme » (?) universel, donc absolu : les organismes sont des algorithmes et la vie se réduit au traitement de données.
L'intelligence se découple de la conscience (expériences humaines, émotions, sentiments, subjectivité).
Et donc, des algorithmes non conscients mais suprêmement intelligents vont bientôt nous connaître mieux que nous ne le pouvons nous-mêmes.

Ces processus en développement accéléré soulèvent trois questions radicales pour sapiens.

Les organismes sont-ils ou fonctionnent-ils comme des algorithmes ? La vie est-elle un traitement de données ?
Qu'est-ce qui est le plus précieux, l'intelligence ou la conscience ? Sapiens doit-il préserver sa pérennité ou se décider à consciemment disparaître en mutant en une nouvelle espèce ?
Quand les algorithmes non conscients mais très intelligents nous connaîtront bientôt mieux que nous ne nous connaissons, qu'en sera-t-il
1) de la conscience (la relativité, les relations des hommes entre eux),
2) de la politique (« les hommes sont des animaux politiques », Aristote) et 3) de la vie quotidienne ? Notons qu'ensemble ces trois éléments constituent notre fondement.

Les réponses à ces questions seront vitales. Si nous sommes des algorithmes biochimiques compatibles avec des algorithmes numériques inorganiques comme cela semble avéré par les sciences, leur intelligence infiniment supérieure à la nôtre dissoudra notre conscience par des agents réglant notre biochimie du sentiment de bonheur par le plaisir comme satisfaction de nos désirs (Spinoza). Ce sera « Le meilleur des mondes » d'Aldous Huxley dans lequel la prise (ou l'imposition subreptice) du « soma » rend chacun heureux en toutes circonstances.

Ce serait le meilleur des mondes possible où il est inutile de se rebeller contre la férule du Big Brother orwellien. Une fois conçus comme des algorithmes, ou régis par eux, nous pourrons jeter aux oubliettes tant la philosophie, la politique et Aristote que Epicure et Spinoza. Nous aurons atteint l'absence de troubles de l'esprit puisque les préoccupations qu'ils engendrent seront dissoutes par l'élixir biochimique et numérique du bonheur à tout crin. Est-ce que « ça craint » là, moussaillon ? Car enfin, est-ce la lutte de la dialectique évolutive qui nous permet d'exister ou serait-ce plutôt la réalisation finale du bonheur serein par l'ataraxie ?

 Dès lors, la plus grande menace ne vient-elle pas plutôt de Huxley que d'Orwell, son antithèse ? Ou plutôt ne faut-il pas faire un autre choix, celui d'un mix d'algorithmes à définir, maîtrisé par la conscience pour approcher au mieux du meilleur des mondes possible nécessairement en perpétuelle construction par les hommes (2)? Mais comment le concocter face à des algorithmes surpuissants que nous adoptons avec bonheur et empressement, sans trop y penser ? Donc le plus souvent « à l'insu de notre plein gré ». La belle excuse ! D'évidence, il y a là une responsabilité d'ordre éthique envers l'espèce. Si Darwin a raison, sapiens en tant qu'espèce ne doit-il pas lutter pour sa survie ?

1 Un algorithme est un ensemble coordonné d'opérateurs conceptuels ou matériels obéissant à la logique mathématique.

2 Cf « Le monde est-il mathématique ? » et « L'enfer, c'est les autres ? » qui met en lumière le processus d'élaboration toujours humaine et sans fin de la connaissance illustré comme suit :




3 La finalité est un processus évolutif non prévisible conduisant à un aboutissement. C'est le contraire du finalisme qui part d'une origine concevant un but et un dessein et qui agit en tout pour à la fin les réaliser.
4/« Le marché de la détresse, paradigme du crime originel nouveau », Emil Georg, Ed. PARC, 5€.




dimanche 17 juin 2018

Sujet du Merc. 20/06/2018 : N’idéalise-t-on pas la démocratie ?


N’idéalise-t-on pas la démocratie ?

Étymologie et définition

Le terme démocratie tire son origine de deux racines grecques : demos (le peuple) et kratos (le pouvoir). Selon la célèbre formule d’Abraham Lincoln, 16ème président des États-Unis d’Amérique, la démocratie se définit comme « le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Il en existe différentes formes que je ne citerai pas, faute de place.

Des principes démocratiques

Ici encore, brièvement, voici les principes démocratiques majeurs qui vont faire l’objet d’une critique dans le développement, à savoir : la décision prise à la majorité, l’égalité entre les personnes et la participation des citoyens à la vie politique.


Critique de l’idéal démocratique

Je suppose que tout le monde ici a déjà connu l’expérience subjective d’un dîner de famille où les conversations politiques ne sont rien d’autre que des débats idéologiques et positions quasi théologiques afin de conforter les croyances et idées préconçues de chacun. L’exemple parfait du biais de confirmation qui soit-dit-en-passant mène la vie dure à la science et à la philosophie.


« Nous ne désirons pas une chose parce que nous la jugeons bonne, mais nous la jugeons bonne parce que nous la désirons », nous disait Spinoza. En effet, c’est notre désir qui détermine notre jugement et non l’inverse.


En Occident, la démocratie s’est placée au-dessus de tout jugement. Elle s ‘est établie en dogme, considérée comme le régime politique qui nous apportera une félicité absolue et immuable. D’ailleurs, nous allons jusqu'à la répandre et l’imposer à travers le monde à grand coups de bombardements.

Elle est décrite comme une déesse aux mille et unes vertus, où chacun aurait le pouvoir de faire entendre sa voix, son jugement, son avis. Où l’égalité serait parfaite, les choix forcément justes, bons et moraux.

N’entendons-nous pas constamment - si ce n’est souvent - qu’il faut plus de référendum, que le peuple demande à s’exprimer ? Il semble bien que - d’une certaine façon - ce soit déjà le cas, et que la décadence (en tout cas intellectuelle) exponentielle actuelle soit la résultante de cet état de fait.

Permettez-moi de citer Alexis de Tocqueville, philosophe politique, écrivain, précurseur de la sociologie, historien et aristocrate français du XIX siècle :

« Qu’est-ce donc qu’une majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraires à un autre individu qu’on nomme la minorité ? Or si vous admettez qu’un homme revêtu de la toute-puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n’admettez-vous pas la même chose pour une majorité ? … Pour moi je ne saurais le croire ; et le pouvoir de tout faire, que je refuse à un seul de mes semblables, je ne l’accorderai jamais à plusieurs ».

Sous les belles valeurs qu’elle semble défendre, la démocratie a créé le despote le plus puissant qui n’ait jamais été : la majorité, qui trace un cercle formidable autour de la pensée.

La démocratie suppose que tout le peuple prenne part aux décisions. Or, cela donne donc la parole à une horde d’individus non compétents sur pléthore de sujets et questions (santé, économie, environnement, législative, politique, éthique, etc.) d’autant plus à notre époque où chaque domaine est très vaste et très précis. Il devient difficile de maitriser ne serait-ce que plusieurs branches d’une même discipline parfaitement. Nous pouvons prendre l’exemple de la médecine et de ses innombrables spécialités.  Nous posons déjà là le cœur du problème d’un tel système : tout le monde serait apte à donner un avis – ou un vote - éclairé et objectif sur toutes les décisions importantes. Ce qui n’est pas le cas dans la réalité.

Ce peuple, donc, prendrait part aux décisions et/ou aux débats, sans les connaissances objectives et/ou scientifiques requises sur un sujet et tomberait inéluctablement dans le débat d’opinion, dans le clash idéologique, où le choix devient finalement binaire, entrainant des combats médiatiques faisant stagner les discussions. En somme, c’est les antis contre les pros. Cela est malheureusement devenu très courant dans nos sociétés. Le lecteur cherchant souvent à confirmer ses opinions et croyances, plutôt qu’à les infirmer.

L’égalité des conditions rend la majorité impressionnante et crée la peur de la contredire. Il suffit de se remémorer les expériences de conformation au groupe de la psychologie sociale pour en connaître la tendance.

La solution consensuelle semble utopique, la plupart des citoyens sont irrationnels et défendent leurs positions politiques tel des hooligans défendant leur équipe de football favorite. La crétinisation des masses s’est aussi emparée de la sphère politique et militante.

Petit aparté sur nos systèmes actuels et sur l’actualité

Selon le principe de Condorcet, le candidat élu lors d’une élection à deux tours n’est pas nécessairement celui de la majorité. Les scrutins à deux tours ne représentent pas toujours la majorité.

Mis à part ça, les politiciens qui nous gouvernent, où plutôt leurs conseillers, ayant analysé, compris et appréhendé un certain nombre de données émanant de la psychologie sociale (psychologie des foules et fabrique du consentement) - je pense ici notamment à Edward Bernay – ont réussi des tours de passes impressionnant : grâce à eux, la démocratie en est réduite à de la technocratie « malhonnête ».

Je m’explique : la majorité a été définie comme un tyran qui gouvernait grâce à l’opinion publique et à la force du nombre qui lui est associé. Forts de leurs connaissances, ces petits groupes peuvent « insérer » en amont les idéaux, les pensées, les préceptes moraux, et que sais-je encore dans l’esprit des masses via divers procédés (propagande, publicité, etc.) Ils sont devenus les marionnettistes du tyran.

Formulé de manière plus formelle et logique cela donne :

1) L’opinion de la majorité est celle qui domine et décide 2) De petits groupes politiques et industriels, grâce à la propagande, insèrent l’opinion souhaitée pour le peuple. 3) Ces petits groupes choisissent donc l’opinion majoritaire du peuple. 4) Donc l’opinion souhaitée par ces petits groupes est celle qui domine et décide.

C’est -principalement- dans l’égalité des conditions et de l’illusion de la liberté que l’on peut en trouver les causes. Désormais, l’oligarchie renaît de ses cendres sous une nouvelle forme, non pas en affirmant sa supériorité à l'égard du peuple mais en lui faisant croire qu'il est son égal.

Ajoutez à cela la détention des médias français par une poignée d’hommes très fortunés et la place privilégiée des multinationales dans la rédaction des amendements européens, vous voilà avec une bonne recette propagandiste, une technocratie économique si j’ose dire, mais certainement pas avec une démocratie.

Je vous invite également à discuter de l’actualité brûlante sur la liberté de la presse qui comme le souligne Tocqueville « est l’arme démocratique par excellence » sur laquelle le gouvernement vient de s’abattre avec la loi sur les fake news et celle sur le secret des affaires.

Que conclure de tout cela ?

Après cette critique assez dense je le reconnais, je précise néanmoins que celle-ci n’a pas pour but de rejeter la démocratie, de dire qu’elle est mauvaise et qu’il vaudrait mieux l’oublier. Ma présente critique ne fait que souligner ses limites, ses défauts et tente de lui rendre sa juste valeur, à cause des qualificatifs souvent exagérés que l’on emploie pour la décrire.

Pour finir, je vais m’attribuer le rôle du serpent qui se mord la queue en répondant à l’utopie par l’utopie. Un système politique idéal serait, me semble-t-il, un système technocrate sans finances et donc sans lobbys et donc sans conflits d’intérêts. Bien sûr un tel monde n’est – de prime abord - pas concevable. La question sous-jacente - peut-être pour un prochain sujet du café philo - est légitimement : Les multinationales ont elles ôté tout pouvoir aux états ?

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