lundi 26 décembre 2022

Sujet du Merc. 28/12/2022 : La mort n’est rien pour nous (Epicure)

 

La mort n’est rien pour nous (Epicure)

 

« Accoutume-toi sur ce point à penser que pour nous la mort n'est rien, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation, et que la mort est l'éradication de nos sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la mort ne nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui conférant une durée infinie, niais en l'amputant du désir d'immortalité. Il s'ensuit qu'il n'y a rien d'effrayant dans le fait de vivre" pour qui est radicalement conscient qu'il n'existe rien d'effrayant non plus dans le fait de ne pas vivre.       

Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non parce qu'il souffrira en mourant, mais parce qu'il souffre à l'idée qu'elle approche. Ce dont l'existence ne gêne point, c'est vraiment pour rien qu'on souffre de l'attendre! Le plus effrayant des maux, la mort, ne nous est rien, disais je : quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c'est nous qui ne sommes pas 1 Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné, que pour les uns, elle n'est point, et que les autres ne sont plus. Beaucoup de gens pourtant fuient la mort, soit en tant que plus grand des malheurs, soit en tant que point final des choses de la vie.      

Le philosophe, lui, ne craint pas le fait de n'être pas en vie : vivre ne lui convulse pas l'estomac, sans qu'il estime être mauvais de ne pas vivre. De même qu'il ne choisit jamais la nourriture la plus plantureuse, mais la plus goûteuse ainsi n'est ce point le temps le plus long, mais le plus fruité, qu'il butine. Celui qui incite d'un côté le jeune à bien vivre, de l'autre le vieillard à bien mourir est un niais, non tant parce que la vie a de l'agrément, mais surtout parce que bien vivre et bien mourir constituent un seul et même exercice. Plus stupide encore celui qui dit " beau " de n'être pas né, ou "sitôt né, de franchir les portes de l'Hadès ".    

S'il est persuadé de ce qu'il dit, que ne quitte t il la vie sur le champ Il en a l'immédiate possibilité, pour peu, qu'il le veuille vraiment. S'il veut seulement jouer les provocateurs, sa désinvolture en la matière est déplacée.

Souvenons nous d'ailleurs que l'avenir, ni ne nous appartient, ni ne nous échappe absolument, afin de ne pas tout à fait l'attendre comme devant exister. et de n'en point désespérer comme devant certainement ne pas exister.
……
 D’après toi, quel homme surpasse en force celui qui sur les dieux nourrit des convictions conformes à leurs lois ? Qui face à la mort est désormais sans crainte ? Qui a percé à jour le but de la nature, en discernant à la fois comme il est aisé d'obtenir et d'atteindre le summum des biens, et comme celui des maux est bref en durée ou en intensité ? s'amusant de ce que certains mettent en scène comme la maîtresse de tous les événements ? les uns advenant certes par nécessité, mais d'autres par hasard, d'autres encore par notre initiative ?, parce qu'il voit bien que la nécessité n'a de comptes à rendre à personne, que le hasard est versatile, mais que ce qui vient par notre initiative est sans maître, et que c'est chose naturelle si le blâme et son contraire la suivent de près (en ce sens, mieux vaudrait consentir à souscrire au mythe concernant les dieux, que de s'asservir aux lois du destin des physiciens naturalistes : la première option laisse entrevoir un espoir, par des prières, de fléchir les dieux en les honorant, tandis que l'autre affiche une nécessité inflexible). Qui témoigne, disais je, de plus de force que l'homme qui ne prend le hasard ni pour un dieu, comme le fait la masse des gens (un dieu ne fait rien de désordonné), ni pour une cause fluctuante (il ne présume pas que le bien ou le mal, artisans de la vie bienheureuse, sont distribués aux hommes par le hasard, mais pense que, pourtant, c'est le hasard qui nourrit les principes de grands biens ou de grands maux); l'homme convaincu qu'il est meilleur d'être dépourvu de chance particulière tout en raisonnant bien que d'être chanceux en déraisonnant, l'idéal étant évidemment, en ce qui concerne nos actions, que ce qu'on a jugé " bien " soit entériné par le hasard. 

À ces questions, et à toutes celles qui s'y rattachent, réfléchis jour et nuit pour toi-même et pour qui est semblable à toi, et veillant ou rêvant jamais rien ne viendra te troubler gravement : ainsi vivras-tu, comme un dieu parmi les humains. Car il n'a rien de commun avec un vivant mortel, l'homme vivant parmi des biens immortels. »

 

Epicure -341  -270    Lettre sur le bonheur,

dite lettre à Ménécée (extraits)

lundi 19 décembre 2022

Sujet du Merc. 21/12/2022 : L’ETAT, C’EST LE PERE NOEL ?

 


                                L’ETAT, C’EST LE PERE NOEL ?   

Ceci serait-il un texte de « philosophie faible » ? L’État, c’est notre petit Papa Noël ou plutôt le Père fouettard ? Ou les deux à la fois ? A doses variables ? L’État ne s’institue-t-il pas à la faveur de l’émergence de la propriété privée -- récente par rapport aux débuts de l’espèce sapiens -- peu après l’apparition de l’agriculture, de la guerre, de l’esclavage, du patriarcat.

                                                                                                                                          

Les sociétés du paléolithique – la dernière ayant récemment disparu -- étaient très différentes de celles de l’agriculture. Les hommes étaient des prédateurs de la nature et non des producteurs de denrées alimentaires en surplus, conservées comme stocks représentant un capital de travail accumulé et donc à protéger d’éventuels prédateurs. Cette protection a requis la constitution d’un corps spécialisé de « gens d’armes », de guerriers constitués en une institution de guerre dominant tant leur propre société que des sociétés étrangères par le biais de la violence organisée, débouchant sur le meurtre de masse systématique d’hommes, de femmes et d’enfants.

 

Ainsi, l’État exerce la violence légale pour assurer a minima la pérennité de la société qu’il fonde et dirige. Il assure le « bien » de celle-ci et, par là en priorité, le sien propre. Les droits et fonctions régaliens incluent successivement la sécurité, la loi et la justice, la monnaie, la santé (alimentation, un toit, …), l’éducation, la provision de ressources énergétiques telles que bêtes de somme, esclaves et, si jugé utile, la mise au pas à bon compte d’une force citoyenne de travail et de guerre.

 

L’État devient à la fois le « Souverain Bien », Dieu sur terre et le Père Noël ; et son pendant, la force de coercition du Père fouettard. Ensemble, ne constituent-ils pas les facteurs de pérennité et de développement d’une société organisée post-paléolithique ? Dans ce contexte historique, voici quelques philosophies, aux conceptions partielles et largement contradictoires, relatives au pacte ou contrat social censé ordonner la société en Etat pour le bonheur des hommes.

 

Selon Hobbes, philosophe anglais du 17e siècle, les hommes sont foncièrement (de nature !) des propriétaires égoïstes et violents provoquant une guerre perpétuelle de tous contre tous. « L’homme est un loup pour l’homme ». Dès lors, l’État Tout-Puissant doit garantir la sécurité car l’état de nature n’est que violence sans sociabilité. Pour être heureux ensemble et garantir sa sécurité personnelle, il faut que chacun délègue le monopole de la violence à un Souverain absolu. Un pacte est passé avec lui selon lequel chacun renonce à sa liberté naturelle afin que la puissance publique s’exerce par la force et par la loi. Chacun peut alors, en contrepartie, chercher son bonheur en vaquant, sans crainte, à ses affaires personnelles et privées. En résumé, j’abandonne mes droits au souverain. Il ne me doit aucun compte.

 

Par contre pour Locke, le souverain garantit justice et liberté. L’état de nature correspond à une sociabilité naturelle. Pour être heureux en société chacun doit pouvoir jouir de sa vie, de sa liberté et de ses biens (propriété privée). Mais comme chacun pourrait alors empiéter sur les droits naturels de tout autre, l’État doit être capable de garantir le droit de chacun à la propriété. Un pacte social est passé entre chacun et le souverain. En contrepartie, je suis prêt à céder mon droit naturel à me faire justice moi-même. Je ne puis punir moi-même. C’est une condition de la concorde sociale. Néanmoins, le pouvoir du souverain est limité. Ses deux leviers pour garantir mes droits sont la justice et la police. L’État garantit mes droits naturels. Il me doit des comptes.

 

Pour Rousseau, le souverain est le peuple lui-même. L’état de nature prodigue abondance, indépendance et innocence. Sans propriété privée. Car c’est la société qui corrompt les hommes sans qu’ils puissent échapper à cette situation. Dès lors, comment chacun pourra-t-il approcher de sa liberté naturelle ? Réponse de Jean-Jacques : pour être heureux avec mes congénères, j’ai besoin d’égalité avec eux et de pouvoir jouir de ma liberté personnelle. Mais comment vais-je conjuguer ma liberté avec celle d’autrui ? Il faut instituer la création collective d’un cadre général. Comment ? Eh bien, en obéissant à des lois que nous nous donnerons en commun. Chacun et ensemble, nous respectons ce cadre légal fixé par une volonté générale, celle de la majorité d’entre nous. Chacun respecte ce contrat social Pour le bonheur de tous. Je trouve mon bonheur avec les autres dans le « bien commun ». En fait, je suis l’État ... Ou, pour le moins, une de ses parties intégrantes. Comme tout autre concitoyen.

 

Mill, philosophe et logicien anglais du 19e siècle, considère que prendre en compte les minorités participe à la constitution d’un bonheur collectif. (On voit ce qu’il en est aujourd’hui avec la déconstruction, voire la destruction, des valeurs majoritaires au profit des minoritaires.) Le danger serait l’immobilité d’une pensée majoritaire, figée et dominante. Comme s’il n’y avait qu’une seule Vérité. Ce qu’avait déjà démenti le « cas Galilée ». Tout comme plus tard, pendant la guerre 14-18, le fait que les femmes tiendraient tous les postes précédemment réservés aux hommes et donc aussi de nombreuses rênes des pays en guerre. Tout reste donc toujours à construire. La conclusion de Mill fut qu’une société créatrice, idéale, qui se dirige ainsi deux fois plus vite vers le bonheur est une société genrée et inclusive… Mais n’anticipe-t-on pas là un peu une funeste dérive actuelle ?

 

Après Rousseau, Marx et Mill, Thoreau (philosophe américain) put affirmer qu’il ne faut pas avoir peur de penser différemment des autres. Car on n’est pas seul à le faire ! Tiens, tiens. En effet, seul, je ne peux rien faire contre ce qui me révolte. Le bonheur serait atteint en faisant un pas de côté, hors de la société, en laissant parler ma conscience. Ensemble on peut alors passer à l’action. Marx, dans une thèse sur Feuerbach, n’avait-il pas déjà reconnu que les philosophes n’avaient jusqu’alors fait qu’interpréter le monde et qu’il s’agissait dorénavant de le transformer ? En passant à l’action !


Schopenhauer, Nietzsche, Kierkegaard saisirent l’occasion de la relativité du « penser » pour subrepticement passer à l’irrationalité du « tout se vaut ». Et tenter de déconstruire, voire ultimement anéantir les philosophies des Lumières du 18e siècle. Cela se poursuivit au siècle dernier jusqu’à Heidegger fondant le criminel irrationalisme nazi. Ne se perpétue-t-il pas aujourd’hui en version hypocrite et douce, déjà perçue en germe au 19e siècle par Alexis de Tocqueville en visite d’étude pratique en Amérique du nord. Les épigones de Heidegger -- les Deleuze, Guattari, Foucault, Lacan et bien d’autres – ont poursuivi cette déconstruction. Prêchant la « French philosophy » déconstructiviste dans des universités étatzuniennes, ils induisent des retombées qui pleuvent aujourd’hui sur le monde en mouvances politiques woke, LGBTQ+ et tutti quanti.

 

Il s’ensuit que le lien social se dissout en une collection d’individus consuméristes à outrance. Rivés à leurs écrans (soi-disant privés bien que parfaitement connus de leurs « maîtres »), ils dissolvent la société par leur parfait égoïsme, ignorant non seulement tout lien collectif mais aussi les « causes qui les déterminent » (Spinoza). Cela ne nous conduit-il pas actuellement à des Etats totalitaires à la Hobbes ? Ou, alors, au « tous en guerre contre tous » et au nihilisme nietzschéen instituant comme conséquence logique le règne des plus forts regroupés en gangs et mafias criminels ? Aujourd’hui, nous constatons cette évolution au quotidien.

 

La philosophie peut réfuter et dépasser tout ce fatras boulgui-boulga de propositions contradictoires, toutes plus indigentes les unes que les autres. Indigentes surtout parce qu’elles s’interdisent d’office toute remise en cause de la propriété privée et de l’accumulation induite des profits et du capital en toujours moins de mains. On a montré le rôle de l’État-Papa Noël-Père fouettard. Va-t-on s’atteler à une critique en règle des fondements historiques de l’Etat ? Peut-être en faisant aussi appel aux contributions de Marx ? Afin d’essayer de dégager les conditions « nécessaires et suffisantes » à la dissolution de l’État.

 

mardi 13 décembre 2022

Sujet du merc. 14/12/2022 : « Celui qui me tient d'un fil n'est pas fort; ce qui est fort, c'est le fil »

 

« Celui qui me tient d'un fil n'est pas fort; ce qui est fort, c'est le fil »
Antonio Porchia, Voces (Voix)

« Celui qui me tient d'un fil n'est pas fort; ce qui est fort, c'est le fil. » Certains diront, tout dépend du poids de la personne retenue. D’autres rétorqueront : « Que nenni ! Tout dépend du fil ! » Et c’est cette deuxième proposition qui doit surtout retenir notre attention ce soir, même si, au fond, les deux propositions peuvent être tout à fait complémentaires…

Tenu par signifie : retenir, empêcher de… de quoi ?? C’est la bonne question ! De toute manière, s’il y a en a un qui entrave l’autre dans son action, il le prive de sa liberté. Pour aboutir à ses fins, le censeur utilise soit la force, soit des stratagèmes plus subtils tels que la manipulation. La manipulation mentale est une technique spécifique d'échange : elle consiste pour un influenceur à profiter d'une opportunité pour détourner subrepticement vers son profit personnel et son prestige, les ressources, matérielles et morales, c'est-à-dire les biens et les services, les forces et les faiblesses, les espoirs et les peurs, d'un influencé, de préférence d'un groupe d'influencés.

La manipulation implique un rapport de pouvoir, de domination pour influencer subtilement – consciemment ou non – une personne ou un groupe de personnes et en retirer des bénéfices. Cet abus se fait au détriment du manipulé. Son pattern est d’autant plus aliénant qu’il est répété, sournoisement, parce qu’il prive l’être de sa liberté. Pour parvenir à ses fins, le manipulateur dispose de nombreuses stratégies dont certaines sont facilement décelables. Les identifier, c’est poser le premier pas permettant de reconquérir le respect de soi et sa liberté.

Le manipulateur ment, ne communique pas clairement ses besoins, ses sentiments en restant flou. Il remet aussi souvent les qualités et compétences de l’autre en question, parfois en critiquant de manière plus ou moins subtil, en dévalorisant ou en jugeant de sorte qu’il ouvre une faille dans l’esprit de sa proie où le doute va germer. Il lui sera alors plus facile de faire penser à l’autre ce qui va servir ses propres intérêts.
Il tente de se rendre indispensable de façon à créer une dépendance lui garantissant une fidélité, une exclusivité de ceux qu’il choisi d’aimer et faciliter ainsi la réalisation de ses désirs cachés.

Le manipulateur possède une intelligence émotionnelle très développée qui lui permet d’anticiper les besoins et désirs de l’autre. Il sait très facilement se mettre dans la peau de l’autre et n’hésite pas à le faire afin de mieux saisir sa victime dans sa toile d’araignée. Il va ainsi tirer sur toutes sortes de ficelles pour susciter des émotions tel que la culpabilité, le sentiment d’être redevable, de ne pas être correct en doutant de l’autre et le fait que lui, le manipulateur, a raison. Ce dernier est d’autant mieux capable de jouer avec les sentiments d’autrui qu’il peut lui même incarner un rôle et simuler des états émotionnels dans le but d’obtenir ce qu’il veut de l’autre.
Il évite de prendre ses responsabilités, va nier l’évidence et chercher à vous convaincre qu’il a raison en jouant avec le doute et les émotions de culpabilité ou autres qu’il a semé en vous.

Le manipulateur demande souvent au manipulé de faire et croire ce qu’il dit alors que lui-même fait le contraire.

N’est-ce pas au nom de la démocratie que ces mêmes techniques sont utilisées pour mieux asservir les peuples et les garder dans leur servitude volontaire ?

Nos sociétés occidentales, sont des éléphants aux pieds d’argile, telle est l’analyse de nos dirigeants politiques. Nos concitoyens sont fragiles. À la moindre contrariété sociale, la paix civile et institutionnelle peut être menacées.

 « Les gens savent rarement ce qu’ils veulent, même quand ils prétendent le savoir », disait au début des années 50, l’agence de sondage Advertising Age. En 1965, 1.100 directeurs d’entreprises américaines se rassemblent à New-York (organismes pour l’American Management Association) afin de tenter de résoudre un problème commercial particulièrement aigu : personne ne pouvait prédire les comportements des consommateurs. Cela se traduisait par un désastre en termes de chiffre d’affaires. Les difficultés que dénonçaient ces agences, provenaient de l’apparent esprit de contradiction des individus interrogés. Il était impossible de prévenir leurs réactions. La question étant de savoir comment agir sur le subconscient d’une population déterminée. Comment persuader les masses et influencer leur conduite par des techniques ingénieuses dans le seul but d’un quelconque conditionnement psychologique ?

Que se soit en marketing ou en politique mais aussi pour faire passer de nouvelles normes en société, on utilise la loi la plus banale de la suggestion psychologique, la loi de la répétition. La chose affirmée arrive par la répétition à s’établir dans les esprits au point d’être acceptée comme une vérité démontrée.

On accapare les pages des journaux, des magazines, de TV, on offre des programmes coûteux aux auditeurs de radio en utilisant deux autres moyens de suggestions également très efficaces : l’affirmation (de préférence dégagée de tout raisonnement et de toute preuve, est un moyen sûr de faire pénétrer une idée dans l’esprit des masses) et enfin l’intensité de cette affirmation. Ces explorations de la psychologie collective n’étaient pas anodines.

Cependant, la science politique américaine va également se pencher sur la psychologie collective des populations vivant dans nos sociétés démocratiques d’après-guerre. Une société post-industrielle, de production, de culture mais aussi de communication dite de masse… Le but ultime de ces études visait avant tout à établir des procédés et des techniques permettant aux démocraties d’avoir un contrôle social direct sur la population, via notamment les médias.  
Autrement dit, comment canaliser une population dans un régime démocratique sans recourir à la force ? Il fallait créer une science du maniement du cerveau des foules au service de la paix civile et sociale.

Pour qu’une véritable discipline de persuasion des masses se crée, il faudra attendre les véritables manipulateurs du symbolisme politique, apparus aux États-Unis au milieu des années 1950. Ces maîtres d’une discipline d’un nouveau genre, faisaient la synthèse des travaux de Setchenov et de Pavlov (la psychologie soviétique) et de leurs réflexes conditionnés, de Freud et de ses images du père, de Rienman et de son idée de concevoir les électeurs américains comme des spectateurs consommateurs de la politique.

Dans nos sociétés modernes, l’ensemble de la population habite un univers factice composé de « stéréotypes » L’individu moyen de ce début de siècle, vit de plus en plus par procuration (identification à telle ou telle « vedette ») et dans un « pseudo-environnement mental » que les médias institutionnels se chargent pour eux d’organiser ; déformant, simplifiant la réalité, à l’extrême.
Cela permet à l’individu de penser à moindre coût (l’Etat pense à sa place ce qui est bon ou pas afin de maintenir le consensus social) faisant ainsi l’économie d’une expérimentation de la réalité, réalité pas souvent bonne à voir et encore plus difficile à assumer par la population.

Dès lors, il est facile en agissant sur les symboles et les stéréotypes (et donc les consciences) de fabriquer totalement une opinion publique, usant des méthodes de communication de masse et de psychologie. Dans ce cadre, il est bon de s’interroger sur un autre phénomène découlant de ce processus. La chute vertigineuse du niveau culturel de nos sociétés. Autrement dit, la prolifération constante de ce que l’on pourrait appeler l’insignifiance intellectuelle.

Déjà en 1861 l’économiste Augustin Cournot prévoit pour l’avenir, un monde monotone et source d’ennui car tout sera uniformisé et aseptisé. Un univers où tout sera organisé, planifié, prévu pour les individus ayant perdu toute originalité, fondus au sein d’une masse incapable de penser. L’Histoire ne sera plus qu’une gazette officielle servant à enregistrer les règlements, les relevés statistiques, l’avènement des chefs d’Etat et la nomination des fonctionnaires, dit-il.            
Ce magnifique tableau d’anticipation de notre société contemporaine est à rapprocher de la vision futuriste d’Alexis de Tocqueville dans son célèbre « De la démocratie en Amérique »(1835) « « Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme - Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; Il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. »

En 1891, dans « The New Utopia », le romancier Jérôme K prévoit également une uniformisation des pensées ou les individus ne sont plus que des numéros, parfaitement identiques d’aspect (on opère ceux qui ont des différences trop marquées). Les trois auteurs ne se distinguent guère sur l’approche avant-gardiste de notre société. 
Néanmoins Cournot souligne un élément fondamental. Selon lui, dans ce monde futur, il subsistera malgré tout la menace du soubresaut, à cause de « toutes les sectes de millénaristes et d’utopistes » prêtes à faire renaître la lutte des classes, le plus redoutable antagonisme dans l’avenir pour le repos des sociétés ; il pourra toujours apparaître « un chef de secte, inventeur d’une nouvelle règle de couvent, capable de l’imposer au monde civilisé tout entier » Cournot a bien écrit cela en 1891.
Enfin en 1903, Daniel Halevy publie un roman de fiction politique intitulé « Histoire des quatre ans, 1997-2001 » Il imagine la société de la fin du vingtième siècle dominé par une démocratie de démagogues ayant un tissu social en pleine décomposition. « Les populations, réduites à l’oisiveté, ayant perdu tout stimulant, toute vigueur et toute notion de valeur, s’adonnent à des divertissements passifs, drogue, érotisme, homosexualité, pratiques considérées comme normales. Les organismes, corrompus et affaiblis par une vie malsaine, sont victimes d’une nouvelle épidémie, que la médecine n’arrive pas à maîtriser» rajoute-t-il.

Afin d’éviter l’implosion de la société, le pouvoir politique dévie l’attention du public de certains problèmes contemporains qui l’entourent. C’est ce que l’on appelle l’ « État illusionniste ». Le maniement habile du symbolisme politique et de l’illusionnisme politique afin d’entretenir la légitimité du pouvoir est une des caractéristiques de l’État. Le plus grand et le premier théoricien de l’illusionnisme politique fut très certainement Machiavel. L’illusion en politique est un art, disait-il, une méthodologie indispensable qui permet à l’État de « s’affairer à la chose tandis qu’il oriente son regard ailleurs » Machiavel comparait l’espace politique à l’espace théâtral, avec ses coulisses, ses ficelles, ses acteurs, mais aussi ses décors en carton-pâte et ses polichinelles ! L’espace politique permet, à l’instar de l’espace théâtral, de recourir à de multiples effets d’optiques. Machiavel désignant le pouvoir politique par « le prince » jouant autant de rôles devant ses « spectateurs » (les masses) qu’exigent les circonstances du moment.

Le manipulé a-t-il encore des chances devant ces grands illusionnistes politiques ? De quoi a-t-il réellement peur ? De couper le fil et de se casser le cou ? Et si ses pieds n’étaient en réalité que sur terre ? Ne serait-il pas alors grand temps d’avancer seul en refusant d’être le jouet en chair et en os d’habiles marionnettistes ?

lundi 5 décembre 2022

Sujet du Merc. 7 Dec. 2022 : « Ce qui est rationnel est réel, ce qui est réel est rationnel » Hegel

 

« Ce qui est rationnel est réel, ce qui est réel est rationnel » Hegel

« La philosophie, précisément parce qu'elle est la découverte du rationnel, est aussi du même coup la compréhension du présent et du réel, et non la construction d'un au-delà qui serait Dieu sait où - ou plutôt dont on peut dire où il se trouve, c'est-à-dire dans l'erreur d'une façon de raisonner partielle et vide [...]. Ce qui est rationnel est réel, Ce qui est réel est rationnel. C'est là la conviction de toute conscience non prévenue, comme la philosophie, et c'est à partir de là que celle-ci aborde l'étude du monde de l'esprit comme celui de la nature. Si la réflexion, ou le sentiment ou quelque autre forme que ce soit de la subjectivité consciente considèrent le présent comme vain, se situent au-delà de lui et croient en savoir plus long que lui, ils ne porteront que sur ce qui est vain et, parce que la conscience n'a de réalité que dans le présent, elle ne sera alors elle-même que vanité. »

Cette affirmation doit être comprise à la lueur de l'idée hégélienne de l'Absolu, qui, en dernière analyse, doit être conçue comme pure pensée, ou Esprit, ou intelligence, dans le processus d'auto-développement.

La logique qui régit ce processus de déploiement est la dialectique. La méthode dialectique implique l'idée que le mouvement, ou processus, ou progrès est le résultat d'une lutte des contraires. Cette dimension de la pensée hégélienne a traditionnellement été analysée par les catégories de thèse, antithèse, synthèse. Bien que Hegel ait lui-même évité ces termes, ils sont utiles pour comprendre le concept de dialectique. Ainsi, la thèse pourrait-elle être une idée ou un mouvement historique. Idée ou mouvement qui renferment un certain inachèvement, lequel donne naissance à son opposé, ou antithèse, idée ou mouvement contradictoires. De ce conflit naît un troisième point de vue, ou synthèse, qui surmonte le conflit en réconciliant à un niveau supérieur la vérité contenue à la fois dans la thèse et l'antithèse. Cette synthèse devient à son tour une thèse qui génère une nouvelle antithèse, donnant lieu à une autre synthèse, et c'est sur ce mode que se déploie continuellement le processus du développement intellectuel ou historique. Hegel pensait que l'Esprit absolu lui-même (en d'autres termes, la totalité du réel) se développe selon cette logique dialectique vers un but ultime ou une destination.

C'est pourquoi Hegel comprenait la réalité comme le processus dialectique d'auto-développement de l'Absolu. Au cours de ce développement, l'Absolu se manifeste d'abord dans la nature, puis dans l'histoire humaine

Par ses analyses de la nature de l'Esprit absolu, Hegel a fait d'importantes contributions dans différents domaines de la philosophie, notamment dans celui de la philosophie de l'histoire et de l'ordre éthique. En ce qui concerne l'histoire, ses deux concepts clés sont raison et liberté. «La seule idée», affirmait Hegel «que la philosophie apporte…à l'étude de l'histoire est la simple idée de raison — l'idée que la raison gouverne le monde et que par conséquent l'histoire universelle s'est elle aussi déroulée rationnellement». En tant que processus rationnel, l'Histoire est la description du développement de la liberté humaine, car l'Histoire humaine est le progrès vers toujours plus de liberté. Dans les réflexions de Hegel sur la moralité (Moralität) et sur l'ordre éthique (Sittlichkeit) que sont exprimées le plus clairement ses vues sociales et politiques. Au niveau de la moralité, le bon et le mauvais relèvent de la conscience individuelle. Mais de là, il faut, selon Hegel, passer au niveau de l'ordre éthique, car le devoir ne ressortit pas avant tout au jugement individuel. Les individus n'atteignent la plénitude qu'au cœur des relations sociales. Aussi, le seul contexte dans lequel le devoir puisse réellement exister est-il un contexte social. Hegel considérait l'adhésion à l'État comme un des plus hauts devoirs de l'individu. Idéalement, l'État est la manifestation de la volonté générale, qui est la plus haute expression de l'esprit éthique. L'obédience à cette volonté générale est l'acte d'un individu libre et rationnel. Si Hegel apparaît conservateur, il sanctionnait toutefois le totalitarisme et affirmait que toute réduction de la liberté opérée par un État est moralement inacceptable

À sa mort, Hegel était reconnu comme le philosophe majeur de l'époque en Allemagne. Ses conceptions dominaient l'enseignement et ses élèves jouissaient d'une grande considération. En politique, nombre d'entre eux devinrent des révolutionnaires. Ce groupe de l'aile gauche hégélienne, historiquement très important, comprenait Ludwig Feuerbach, Bruno Bauer, Friedrich Engels et Karl Marx. Engels et Marx furent particulièrement influencés par l'idée hégélienne du mouvement dialectique de l'histoire, mais ils remplacèrent l'idéalisme philosophique de Hegel par le matérialisme.

Sujet du merc. 09/10/2024 : Quand on nait, qu’est ce qu’on est ?

  Quand on nait, qu’est ce qu’on est ? «  Il y a le gène de la méchanceté et celui de la bonté, celui de l’intelligence et celui de la b...