« C’est proprement avoir les yeux fermés sans tâcher jamais de les
ouvrir que de vivre sans philosopher » Descartes
Éloge de la philosophie.
« Or c’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher ; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n’est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu’on trouve par la philosophie ; et, enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie, que n’est l’usage de nos yeux pour guider nos pas.
Les bêtes brutes, qui n’ont que leur corps à conserver, s’occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir ; mais les hommes, dont la principale partie est l’esprit, devraient employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse qui en est la vraie nourriture ; et je m’assure aussi qu’il y en a plusieurs qui n’y manqueraient pas, s’ils avaient espérance d’y réussir, et qu’ils sussent combien ils en sont capables.
« Or c’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher ; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n’est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu’on trouve par la philosophie ; et, enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie, que n’est l’usage de nos yeux pour guider nos pas.
Les bêtes brutes, qui n’ont que leur corps à conserver, s’occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir ; mais les hommes, dont la principale partie est l’esprit, devraient employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse qui en est la vraie nourriture ; et je m’assure aussi qu’il y en a plusieurs qui n’y manqueraient pas, s’ils avaient espérance d’y réussir, et qu’ils sussent combien ils en sont capables.
Il n’y a point d’âme tant soit peu noble qui demeure si
fort attachée aux objets des sens qu’elle ne s’en détourne quelque fois pour
souhaiter quelque autre plus grand bien, nonobstant qu’elle ignore souvent en
quoi il consiste (…) » Descartes. Préface aux principes de
la philosophie 1644.
La première phrase établit, à l’aide d’une métaphore récurrente dans notre culture que l’intellection est une vision. Comme voir, consiste à découvrir le monde avec les yeux du corps, connaître consiste à voir avec les yeux de l’âme. L’ignorant est ainsi comparé à un aveugle ne faisant jamais l’effort d’ouvrir les yeux. Il ne cherche pas à rompre avec son ignorance native ou entretenue par les pseudos certitudes de l’opinion. Il se complaît dans une inertie intellectuelle équivalant à une cécité. Au fond, la vie étrangère à la vigilance philosophique souffre d’un déficit, elle n’est pas accomplissement de toutes les virtualités de notre nature. Le propos cartésien rejoint ici le propos platonicien. L’aveugle est ce que figure Platon avec le prisonnier de la caverne. Sa vie n’est pas une vraie vie, une vie digne de cet être doué de la capacité de penser qu’est l’homme. Certes l’expression : « tâcher de » souligne qu’on n’accède pas au savoir et à la sagesse sans s’en donner la peine, mais seule une vie éclairée par les lumières de la raison est une vie humaine accomplie.
La première phrase établit, à l’aide d’une métaphore récurrente dans notre culture que l’intellection est une vision. Comme voir, consiste à découvrir le monde avec les yeux du corps, connaître consiste à voir avec les yeux de l’âme. L’ignorant est ainsi comparé à un aveugle ne faisant jamais l’effort d’ouvrir les yeux. Il ne cherche pas à rompre avec son ignorance native ou entretenue par les pseudos certitudes de l’opinion. Il se complaît dans une inertie intellectuelle équivalant à une cécité. Au fond, la vie étrangère à la vigilance philosophique souffre d’un déficit, elle n’est pas accomplissement de toutes les virtualités de notre nature. Le propos cartésien rejoint ici le propos platonicien. L’aveugle est ce que figure Platon avec le prisonnier de la caverne. Sa vie n’est pas une vraie vie, une vie digne de cet être doué de la capacité de penser qu’est l’homme. Certes l’expression : « tâcher de » souligne qu’on n’accède pas au savoir et à la sagesse sans s’en donner la peine, mais seule une vie éclairée par les lumières de la raison est une vie humaine accomplie.
Remarquons qu’avant d’alléguer l’intérêt éthique de
la philosophie Descartes invoque le bonheur de philosopher. L’effort
intellectuel trouve en lui-même sa propre récompense dans le plaisir que donne
le fait de comprendre. Comparé au plaisir sensible de découvrir le monde, le
contentement qu’éprouve l’esprit à comprendre est même décrété supérieur.
Se fondant sur son propre vécu, le philosophe affirme que
la connaissance donne une excitation spirituelle supérieure au simple fait de
voir. Argument intéressant que mobilise aussi Malebranche (Cf. « L’usage
de l’esprit est accompagné de satisfactions bien plus solides, et qui le
contentent bien autrement, que la lumière et la couleur ne contentent la
vue »). De toute évidence ce propos renvoie à l’expérience des philosophes
et des savants mais est-il légitime de l’élever à l’universel
Le deuxième argument, en revanche ne fait pas difficulté.
On y apprend que si les yeux nous permettent de nous orienter correctement dans
l’espace, la réflexion est nécessaire pour fixer les fins et déterminer les
principes de notre conduite.
De fait, l’homme n’est pas comme l’animal un être régi par
des lois naturelles. Il a la responsabilité de définir les règles auxquelles il
juge souhaitable de conformer son existence. L’indétermination de la nature à
son endroit est la marque de sa liberté. Il peut se conduire ou s’abandonner à
ses impulsions, ses mœurs peuvent être réglées ou dissolues. Or qu’est-ce qui
lui permet de conquérir son autonomie et de vivre une vie belle et bonne si ce
n’est la recherche de la sagesse ? Descartes pointe ici la dimension
pratique de la philosophie, indissolublement liée à sa dimension théorique.
Contestable précédemment, la hiérarchie cartésienne est ici
indiscutable. On peut fermer les yeux et trouver tant bien que mal son chemin,
en s’aidant de ses mains, de son nez, de ses oreilles, au contraire on n’a rien
à espérer de bon de l’ignorance et de l’irréflexion. Goya qui savait de quoi il
parlait ne nous laisse aucune illusion sur ce point : le sommeil de la raison enfante des monstres.
La fin du texte développe alors le thème de la
sagesse. On a l’impression que Descartes anticipe des objections possibles et
leur répond par avance. Après tout, pourrait-on lui rétorquer, pourquoi faut-il
s’efforcer d’être sage et savant et comment comprendre que tous les hommes ne
se réclament pas de cette éthique ?
La comparaison avec l’animal éclaire la première
interrogation.
Si les fins biologiques (se protéger, se nourrir, se
reproduire) épuisent le sens du comportement animal, il ne peut en être de même
pour l’homme qui est quelque chose de plus qu’un simple animal. Il est doué
d’un esprit et Descartes n’hésite pas à dire que cette différence spécifique
fonde des devoirs. Sans doute doit-il comme l’animal assumer la nécessité
vitale mais en tant qu’esprit il doit poursuivre des fins dignes de l’esprit.
Or l’esprit est porteur d’une exigence de savoir et d’une
exigence éthique. Comme le corps a une nourriture qui lui est adaptée, l’esprit
a la sienne. Elle s’appelle philosophie. Le discours cartésien est ici
résolument moral. Il prescrit ce qui doit être, il ne décrit
pas ce qui est. La recherche de la sagesse devrait être le but de
tout être conscient de sa spécificité humaine.
A la question : « pourquoi
philosopher ? » on pourrait répondre : « parce que c’est
notre vocation spirituelle, notre honneur d’homme ». Malebranche
prononce d’ailleurs le mot « honneur ».
Alors comment comprendre que si peu d’hommes remplissent ce
devoir ?
Descartes essaie de
rendre intelligible ce fait avec beaucoup de générosité. Il ne met en
cause, ni de supposées limites intellectuelles, ni un mal radical logé au cœur
de certaines âmes. Il incrimine un principe de découragement à savoir le
doute que certains nourrissent quant à
leur capacité de conduire à bien un tel projet. Ils se détournent de leur
vraie nourriture par méconnaissance de leurs possibilités et par manque de
courage. Ce qui est en jeu, ce sont des raisons d’ordre psychologique et moral
non d’ordre ontologique.
Car dit-il : « il n’y a point d’âme »
qui n’aspire à un moment ou à un autre à autre chose qu’aux plaisirs sensibles,
même si elle ne peut pas déterminer la nature de ce à quoi elle aspire. Ainsi
arrive-t-il aux plus grands amateurs de plaisirs sensibles de faire l’expérience
des limites de ces biens, témoignant dans une insatisfaction qui ne sait pas
nécessairement dire son nom, qu’être homme, c’est aspirer à un bien supérieur,
seul capable de contenter l’âme. Descartes nous dit, comme tous les grands
philosophes que ce bien, c’est la sagesse.
Notons toutefois qu’il émet une réserve. Il n’y a point
d’âme « tant soit peu noble » écrit-il. Faut-il comprendre qu’il y a
des âmes irrémédiablement vulgaires ? C’est bien ce que suggère le texte.
L’âme vulgaire serait donc l’âme oublieuse d’elle-même et de sa vocation
spirituelle.
« Un homme qui a de bons yeux ne s’avisa jamais de les fermer, ou de se les arracher, dans l’espérance d’avoir un conducteur. Sapientis oculi in capite ejus, stultus in tenebris ambulat. (« Les yeux du sage sont dans sa tête, l’insensé marche dans les ténèbres ») Pourquoi le fou marche-t-il dans les ténèbres ? C’est qu’il ne voit que par les yeux d’autrui, et que ne voir que de cette manière, à proprement parler, c’est ne rien voir. L’usage de l’esprit est à l’usage des yeux, ce que l’esprit est aux yeux ; et de même que l’esprit est infiniment au-dessus des yeux, l’usage de l’esprit est accompagné de satisfactions bien plus solides, et qui le contentent bien autrement, que la lumière et la couleur ne contentent la vue. Les hommes toutefois se servent toujours de leurs yeux pour se conduire, et ils ne se servent presque jamais de leur esprit pour découvrir la vérité ». Malebranche. De la recherche de la vérité. 1674.1675.
Par S. Manon – Philolog.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
1 - Tout commentaire anonyme (sans mail valide) sera refusé.
2 - Avant éventuelle publication votre message devra être validé par un modérateur.