CETTE
« NATURE
HUMAINE », MAIS QU’EST-CE
QUE C’EST ?
Dire qu’il y a une
« nature humaine », c’est affirmer qu’il y a des caractéristiques
immuables propres à tous les hommes et qu’elles les constituent entièrement dès
l’instant de leur conception. Le génome humain tout comme celui de tous les
animaux sexués ne peut se dupliquer que par la rencontre de deux cellules
sexuelles humaines, l’une mâle et l’autre femelle. En cela seulement les hommes
sont déterminés comme des animaux. Ils dérivent d’ailleurs de ceux-ci,
l’évolution leur ayant transmis un haut pourcentage de gènes d’animaux. A ce
titre, les « hommes » ne sont que des animaux et ont une nature du
même ordre. On conviendra donc que les hommes, comme les animaux, ont en partie
au moins une nature qui les porte à lutter avec force pour la perpétuation de
l’espèce.
Mais pour devenir
proprement humains, les hommes ne sont-ils que nature comme les choses ou tout
objet ou animal qui sont le résultat d’un déterminisme implacable ? A cet
égard comme en tout, seuls les faits sont un gage de vérité. Aucune hypothèse
que ne vérifieraient pas sans cesse les faits ne peut prétendre à une
adéquation au réel et en conséquence à
la vérité. Elle ne serait sinon que vaine spéculation, une fausse croyance ou
un désir de passion irraisonné, l’un et l’autre opposés à la connaissance.
Néanmoins, croyance et passion n’empêchent évidemment pas que l’individu,
certains groupes ou chapelles et presque tous y trouvent le contentement d’une
conviction facile. Cela est bien sûr une quête estimable en soi puisqu’elle
assure une vie exempte de nombreux soucis à court terme. Mais en ce sens, outre
qu’elle n’apporte rien à l’humanisation de l’espèce, cette vie porte en elle le
faux et les germes de potentielles et sérieuses déconvenues face à la réalité.
C’est l’enchaînement de la servitude en exploitation et en morts en série dont
l’histoire est témoin.
Des exemples factuels
bien documentés soulignent l’inanité de la croyance fausse mais fort répandue
qu’un homme ne serait que de nature. Un nouveau-né (tel Victor de l’Aveyron
recueilli par des loups ou Brisky prématuré en couveuse hermétique prolongée)
privé de tout contact humain vit comme une chose ou un animal et ne peut
qu’être à l’image des objets ou des animaux qui soutiennent sa vie. Le
prisonnier allemand Bader, longtemps maintenu en condition de privation humaine
et sensorielle, était en voie de perdre la raison et toute humanité. La
situation d’un Robinson sans Vendredi débouche sur un zoo de perroquets, daims
et pécaris augmenté d’un bipède hébété qui a perdu son humanité.
Ces
« hommes », (re)devenus animaux, une fois (ré)introduits dans la
société ne peuvent plus (ré)acquérir quelque langage ou comportement humains
que ce soit, bien qu’ils disposent tant des gènes que (de rudiments) d’organes
propres à la (ré)acquisition de capacités humaines. Les faits prouvent que la
seule disposition d’une « nature » ne peut remplacer les processus
dialectiques d’hominisation assurés par une vie en société. Outre la vérité
scientifique ainsi dégagée, ceci ne souligne-t-il pas l’inanité des prétentions
au solipsisme ou à l’individualisme exacerbé actuels ?
Un homme véritable ne
peut vivre seulement une vie de chose ou
d’animal. Il doit surtout exister en tant qu’être humain établissant des liens
avec des semblables. Cela se fait dès la naissance de façon continue, dans la
durée. Ceci n’est a priori qu’une
assertion qui ne peut être confirmée que par l’application de l’approche
scientifique, bien que celle-ci exigerait de répéter de multiples expériences
de ce type ce qui, pour des raisons évidentes d’éthique, n’est pas acceptable.
Néanmoins, de rares faits avérés de telles occurrences involontaires ou
intentionnelles sont disponibles qui tous confirment cette hypothèse. Ils
montrent que le propre de l’homme, son être, sa nature véritable ne sont pas
donnés à l’avance ni déterminés a priori,
à l’origine. Les faits soulignent qu’au contraire l’homme se définit à chaque
instant au cours d’un processus d’hominisation par les actes qu’il pose avec
d’autres dans un continuum d’échanges
dialectiques multiples et féconds par lequel les actes des uns répondent à ceux
des autres et réciproquement, à l’infini.
C’est en existant avec les autres dans les
instants successifs distribués dans la durée qu’on définit et construit
ensemble de l’humain, toujours différent. Il s’agit là de la nature
nécessairement évolutive (et non a priori)
d’un être humain, une nature a posteriori
en changement continu. Elle est à l’opposé d’une « nature humaine
innée », donnée par on ne sait quelle puissance transcendante, pure
invention loufoque d’une philosophie idéaliste à la Platon ou Aristote, ou
encore fruit d’autres métaphysique, théologie ou croyance religieuse de la même
eau.
La croyance
scientifiquement infondée (et donc hors du réel) en une nature humaine a priori et immuable, promue essence de
l’humanité, ne relève-t-elle pas d’une longue et puissante imprégnation ?
Imprégnation née de la rencontre des religions monothéistes de l’Orient proche
et des penseurs grecs postérieurs aux philosophes de la nature. Cette croyance
a été imposée par les dirigeants des sociétés néolithiques jusqu’à nos jours.
Cet envahissement souvent inconscient continue encore aujourd’hui d’affecter
jusqu’à la majorité des athées et des laïcs « occidentaux » ainsi que
les innombrables populations baignées de monothéismes pluri séculaires.
C’est l’ontologie
idéaliste de l’être. C’est le créationnisme, le dessein intelligent et même la
croyance idéaliste à une origine et un ordre particuliers du monde et de
l’univers ainsi qu’aux êtres que nous serions, animés et déterminés par
l’essence innée de l’humain conférée par une omni puissance (qui n’a pas encore
fait à ce jour la moindre apparition avérée). C’est la croyance en un maître et
seigneur : l’Etre de l’être augustinien, l’Idée de l’idée de Platon à
Badiou et le souverain Bien, celui du maître et guide de la cité
aristocratique. Dans cette optique, l’ordre de la nature - comme sa complexité
- résulte, à l’image de celui de la société, de la volonté de chefs, voire d’un
grand ordonnateur. C’est la vision des adeptes du subtil dessein intelligent
déjà (ou encore!) soutenu par Newton lui-même. Sans que généralement les êtres
ordinaires que nous sommes semblent pouvoir la changer.
Le tour de force
persuasif est que nous sommes in fine
profondément imprégnés de la fable de notre essence et de notre plus totale
nature innée auxquelles nous portons une bien « naturelle » et
souvent inconsciente adhésion qui assure soumission et exploitation. Cela se
fait si bien que les esprits en deviennent comme ahuris et anesthésiés. La notion
fausse de « nature humaine innée » et, en fait, « créée »
serait-elle devenue un horizon à ce point indépassable suite à l’acquisition
pluri-séculaire d’une conformation d’esprit générale si particulière ?
La question est de
savoir comment la dissoudre. L’approche scientifique n’en est-elle pas le plus
sûr moyen qui est faite :
1) d’analyse des faits,
2) d’usage de la raison
avec méthode,
3) de proposition d’une
hypothèse théorique,
4) suivie de la
poursuite sans repos de sa vérification incessante dans le réel ?
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