dimanche 29 octobre 2017

Urbanisme : pour qui ? Pour quoi ? - Barcelone, la ville-marchandise.

Barcelone, la ville-marchandise

Ce texte traduit de la revue Etcétera (www.sindominio.net/etcetera/REVISTAS/NUMERO_57/CIUDAD57.htm) est paru dans Echanges n° 160 (été 2017). 

Dans Etcétera n° 35 de juin 2001 nous écrivions combien la société capitaliste était éminemment urbaine. Actuellement, 58 % des sept milliards quatre cents millions d’habitants que compte la population mondiale vivent en ville, pourcentage qui atteint 80 % dans le cas de l’Amérique latine et de l’Etat espagnol. Dans l’Union européenne (UE), 75 % de la population vivent dans des centres urbains.

De même, dans le n° 37 (juin 2003) d’Etcétera, nous examinions comment dans la propagande cette
« ville des prodiges » (1) qu’est Barcelone était devenue la plus grande ville du monde. Les publicitaires exagèrent toujours ce qui va dans l’intérêt de ceux qui les payent et passent sous silence ce qu’ils croient leur nuire. S’il est vrai que Barcelone est une des plus grandes villes du monde, c’est en densité de population ; surpassée seulement par la ville voisine de L’Hospitalet de Llobregat, ville la plus densément peuplée de toute l’UE.

Plus de la moitié de la population catalane se concentre dans l’aire métropolitaine de Barcelone. Par ailleurs, la Catalogne, avec ses 7 millions d’habitants, a reçu 17 millions de touristes en une année dont 9 millions sont venus à Barcelone. Nous allons reprendre le débat sur la ville dans le contexte actuel en évolution pour y porter de nouveau le regard.

Le capital, dans sa tendance à convertir tout en marchandises, gagne l’espace même. Les flux économiques circulent au travers de l’espace modifié par le travail humain, devenu un bien stratégique pour les affaires du capital. Les flux énergétiques circulent au moyen de pylônes érigés dans les champs, les forêts ou franchissant les montagnes ; le pétrole par les oléoducs qui traversent déserts et étendues glacées. Les flux de matières premières et de marchandises, ou de main-d’œuvre, circulent par route, chemins de fer, voies aérienne et maritime. Les flux monétaires du capitalisme financier circulent à grande vitesse au travers de réseaux spatiaux contrôlés par satellites ou autres moyens situés en divers points du globe.
Tous ces flux partagent quelques points déterminés de l’espace, ou s’y rencontrent. La construction et la maintenance de ces points et réseaux procurent d’énormes bénéfices au capitalisme, en grande majorité payés par l’argent que les Etats récupèrent par les impôts auprès des habitants de la planète. C’est ainsi que le contrôle, la possession et la planification de l’espace à son profit sont devenus une question prioritaire pour le capital.
De même l’espace de la ville, le territoire urbain, a acquis une importance croissante pour le négoce capitaliste. Les flux de capital excédentaire sont placés en particulier dans les secteurs immobilier et urbanistique. Les investissements en terrains, la vente et l’achat de terrains bâtis ou non, ainsi que leurs requalifications successives, leur urbanisation, la construction et la spéculation qui en découlent, tout cela génère d’énormes bénéfices en faveur du flux de capital spéculatif circulant de par le monde entier qui s’arrête à chaque fois là où il y a le plus intérêt. C’est non seulement l’espace des villes qui s’est trouvé urbanisé, mais aussi celui des villages près de la mer et de ses côtes, les montagnes et les campagnes à cause de l’industrie du tourisme et des loisirs. Une grande partie de la planète fait l’objet de stratégies spéculatives. Le capital ne considère pas l’espace, la Terre, en tant que bien d’usage mais en tant que valeur d’échange.
Cela fait des décennies que l’économie productive, l’usine, a déserté la ville, l’abandonnant à une domination économique par le secteur tertiaire des services, des activités financières et du bâtiment, également centre de l’industrie de la consommation et des loisirs (tourisme, culture, etc.). La structure sociale et territoriale de la ville désindustrialisée s’est profondément transformée, a rendu possible la dérive spéculativo-financière de son espace urbain. Elle s’est métamorphosée en ville-marchandise, signalant ainsi selon Henri Lefebvre (2) « le passage de la production dans l’espace à la production de l’espace ». Signifiant aussi la domination totale de l’espace comme marchandise ou, ainsi que l’a défini le même Lefebvre, « l’espace abstrait » à disposition de la spéculation et de l’extraction du profit maximum, opposé à « l’espace vécu » rendu habitable par la vie quotidienne avec ses voisins, c’est-à-dire les habitants du quartier.
La ville-marchandise produit un espace ayant valeur d’échange qui empêche sa réalisation en tant que valeur d’usage et rend par-là impossible la satisfaction des besoins de ses habitants. Selon Harvey (3), les capitalistes sont constamment obligés d’investir les excédents de capital générés par la plus-value. C’est pourquoi ces capitalistes, actuellement sous couverture des fonds d’investissement, investissent dans l’achat de terrains et d’immeubles dans l’espoir de gains futurs. De cette manière, le territoire urbain est devenu un actif financier agissant comme capital fictif. Lors de la transformation de Paris réalisée par Haussmann entre 1852 et 1870, Balzac (4) prévenait déjà que Paris se trouvait sous la menace de « l’épée de Damoclès de ce monstre qui s’appelle spéculation » et « sous le fouet d’une déesse sans pitié, le besoin d’argent ». Ce processus spéculatif s’est beaucoup accéléré à partir de la dernière mutation capitaliste (le soi-disant néo-libéralisme) principalement en conséquence du déterminisme technique et de l’application des nouvelles technologies qui permettent non seulement de transférer de grosses sommes d’argent à grande vitesse mais aussi de traiter et envisager l’espace à grande échelle.

Le territoire de la ville, l’espace urbain comme marchandise, dont on espère une plus-value, est une forme fictive de capital dont les rentes produiront leurs fruits dans le futur. Il partage en cela la même finalité fictive que le marché de l’art ou ce que l’on appelle les marchés à terme, où jouent ces fonds d’investissement qui achètent des récoltes entières avant leur ensemencement dans l’objectif de les accaparer et de faire monter les prix en faisant commerce de la faim. Rien d’extraordinaire à ce que les fruits de la terre soient jetés à la mer si la terre a été généreuse, l’abondance d’un produit laissant anticiper une baisse de son prix. Le processus de la spéculation urbanistique est irrégulier et ne se fait pas dans un même temps partout dans le monde mais il présente un même caractère, la dépossession et l’expulsion des gens des lieux où ils habitent et de leur condition de voisins des quartiers où ils vivent. Le partage du quotidien rendait les villes habitables ; la spéculation marchande y fait obstacle par le truchement de « l’accumulation par dépossession » (certains universitaires appellent ce processus par d’autres noms, tels que gentrification).
Les spéculateurs et les urbanistes souhaitent une ville sans citadins et planifient sa destruction et reconstruction sans tenir compte d’eux. Les habitants sont des objets superflus faisant partie du « processus urbanistique » et s’ils posent des problèmes il suffit de leur trouver une solution. Par conséquent, dans la spéculation immobilière, on recourt à tous les stratagèmes, la violence ou le complot, afin de contrôler les prix du terrain ou de l’immobilier. Les quartiers sont laissés à l’abandon et les lois modifiées pour que les spéculateurs puissent acheter à bas prix. Ou au contraire, en d’autres occasions, on manipule le marché, cette entéléchie (5) qui recouvre tout et n’importe quoi ; d’énormes quantités d’argent de l’Etat, par exemple, ont été injectées dans le système financier pour sauver les banques de la faillite au moment de l’explosion de la bulle immobilière. Et bien qu’il y ait des appartements vides, 80 000 à Barcelone, il est fait en sorte que leurs prix de vente ou de location ainsi que ceux des terrains, ce qui est le plus important, ne changent pas ou baissent un peu, les spéculateurs financiers en profitant pour acheter sachant que dans peu de temps les prix ne manqueront pas de monter.
La ville-marchandise produit un espace à valeur d’échange. Sa valeur d’usage est un simple dérivé de sa valeur d’échange, la seule réellement importante pour le capitalisme. Rendre une ville habitable par des citadins qui la façonnent, satisfaire leurs besoins, n’est pas une priorité pour le système capitaliste ni pour les politiciens municipaux qui gouvernent la cité et gèrent son territoire. La ville-marchandise est vue comme un vaste réceptacle, une grosse marchandise, au sein de laquelle s’organise l’accès des gens (les individus) au reste des marchandises. La ville-marchandise est un sytème spatial et économique complexe avec ses propres dynamiques, les secteurs au service de la classe dominante mettent l’espace à sa disposition, lui permettant d’accumuler d’énormes profits et de continuer à dominer le processus de destruction-reconstruction de la ville que les capitalistes considèrent exclusivement la leur pour leurs affaires. Contrairement à l’argent, les citadins sont considérés par le capital comme objets inutiles, bien que ce soit leur activité quotidienne qui fasse de la ville ce qu’elle est : nous sommes la majorité qui souffrons des conséquences dues au système économico-politique du capitalisme. Nous touchons ici à la contradiction majeure du mode de production capitaliste qui, bien que basé sur le travail salarié, ne peut pas donner à l’ouvrier le travail nécessaire dans la production (de valeur) et la réalisation (la consommation). Si nous voulons redevenir voisins et habitants de la cité, il ne nous reste qu’à conquérir le droit à la ville par nos propres moyens.
Toute marchandise, pour accroître son fétichisme et pouvoir se vendre aux meilleures conditions, doit se doter d’un récit glorieux. Toute ville-marchandise construit ce récit par la propagande et par ce moyen rend publique son image de ville-simulacre où l’apparence se prétend réalité. Il y a quelques parts de vérité dans tout récit propagandiste. Le plus important pour celui-ci, et pour l’information qui y est instillée, n’est pas d’aller contre l’opinion générale mais d’engendrer une pratique, de provoquer une action sans passer par la réflexion, de nous faire réagir de manière automatique en objets passifs et soumis à la marchandisation. Dans ce récit de ville-marchandise, la culture joue un rôle déterminant : chaque ville possède ses écrivains et artistes exemplaires, ses monuments et édifices particuliers, ses recoins d’élection. C’est ainsi que nous répétons tous les mêmes slogans que les publicitaires ont « créés » autour de la cité. Touristes, nous allons tous aux mêmes endroits dans n’importe quelle ville, conseillés par les agences de voyages, les guides touristiques, la municipalité. Nous allons parfois jusqu’à accepter que les agences de voyages nous concoctent un itinéraire « d’aventure risquée » d’une heure dans des quartiers dangereux (comme à Rio de Janeiro avant les Jeux olympiques avec un circuit par les favelas). La vie trépidante du touriste ne lui laisse pas plus de temps ; la visite du touriste se réalise à la vitesse de la lumière. Et bien que chaque ville soit tenue de posséder son propre récit, il se ressemble pour toutes. Barcelone a commencé à échafauder son récit « mythique » actuel de botiga més gran del món (boutique la plus grande du monde) avec les événements de 1992 (6).
Ce sont les politiciens qui ont élaboré, et ne cessent d’élaborer depuis, ce récit vaniteux de la cité, aidés d’intellectuels et de journalistes. Toujours au service des intérêts particuliers de la classe dominante. Ils ont combiné cette image de ville-simulacre où la réalité n’a rien à voir avec l’apparence et son récit fantasmagorique et confus, incapable de distinguer entre réalité et imaginaire. Ce sont les politiciens aussi qui ont dicté et imposé les lois permettant et favorisant cette spéculation urbanistique à tous crins, toujours au nom du peuple et du citoyen à la bouche alors qu’ils établissaient un état de droit au service de la minorité capitaliste contre la majorité des citoyens. C’est encore eux qui, avec leurs architectes, ont pensé et réalisé les plans urbanistiques les plus absurdes, et parfois les plus déments, toujours en accord avec le « droit », leurs bénéfices ou diverses corruptions. Une même idée réunit politiciens et urbanistes (ingénieurs ou architectes), la vieille idée du despotisme éclairé. Ils disent que tout ce qu’ils font est pour le peuple, mais ce peuple ils ne veulent pas le voir ni même en peinture.
La ville-marchandise est marquée par le déterminisme de la technique. Elle s’y applique dans tout son développement ; la cité est le champ d’expérimentation pour la recherche et l’application des technologies, surtout du contrôle et de la surveillance. La technique a, à son tour, permis d’accélérer les processus urbanistiques des villes, l’accélération du temps étant primordiale pour la société capitaliste. Les nouvelles technologies facilitent la fragmentation de la ville, l’enfermement de lieux interdits à la majorité. Une ville sous surveillance, aussi contrôlée que pleine de craintes, où la peur sert de message. Une ville polarisée et marquée par l’oppression et l’enfermement, la précarité, la pression économique et policière. Contrôle et prévention deviennent l’objectif prioritaire de la ville-marchandise. Afin de pouvoir accroître ce contrôle, un danger doit rôder contre lequel demander plus de sécurité ; c’est ainsi que l’Etat devient un Etat policier. Et la prévention se convertit en demande sécuritaire : faire la guerre au cas où ils nous attaqueraient… la police de proximité…
« La ville est essentiellement une création humaine », écrit David Harvey dans son livre Ciudades rebeldes (7). Dès 1964, María Zambrano écrivait dans son article « La ciudad creación histórica » (8) : Il y a peu de choses dans l’histoire de l’humanité qui présentent plus le caractère d’une création que la ville (…) La ville est la plus créative des structures humaines de convivialité »… Où ces phrases ont-elles un sens aujourd’hui sous la pression sauvage de la ville-marchandise du capital contre ses habitants ? Peut-être va-t-il nous falloir retrouver le désir d’être des citadins libres.
L’industrie touristiqueet la spéculation urbanistique dans l’Etat espagnol
Le tissu industriel espagnol a toujours été faible, lié à l’Etat et au système financier. Sous la longue dictature militaro-catholique franquiste, le secteur productif est demeuré faible avec une dominance de petites et moyennes entreprises. Les entreprises d’automobiles ou sidérurgiques, parce qu’elles n’avaient aucun projet de recherche et développement, se révélèrent rapidement obsolètes ou dépendantes de leurs maisons mères européennes et américaines.

La dictature a accordé sa protection à une série d’entreprises de services : électricité, eau, gaz, pétrole, téléphonie, à caractère monopolistique totalement liées à l’oligopole financier des banques et caisses d’épargne (actuellement reconverties elles-mêmes en banques). Ces monopoles ont généré une grande accumulation de capital.

Conjointement ont surgi des entreprises du bâtiment et immobilières, elles aussi liées au système financier et à l’Etat qui leur confiait les travaux publics : barrages, routes, ponts, etc. et la construction de cubes de béton de mauvaise qualité en vue de pallier le déficit d’habitations dans les villes qui recevaient une avalanche de paysans fuyant la pauvreté et la terreur imposée dans leurs villages par les propriétaires fonciers et les caciques, maîtres de la terre.
Dans le même temps, est née l’industrie touristique qui alliait les intérêts des constructeurs, des hôteliers ou futurs hôteliers, et le système financier. Finalement, au passage de la transaction politique de la dictature à sa continuation monarchique, après le démantèlement des secteurs productifs anachroniques, condition préalable à l’entrée dans l’UE, seules restèrent ces grandes entreprises de services et de la construction, dont plusieurs fusionnèrent et changèrent de nom et, naturellement, le système financier devenu encore plus oligopolistique. Ainsi que l’industrie touristique devenue une des plus importantes et quasiment une monoculture en plusieurs endroits. Cette industrie entretient d’étroites relations avec la construction et l’urbanisation de grandes étendues territoriales. Il n’y a qu’à parcourir les longs kilomètres de côtes et constater la destruction et l’aberration qui en a été faite pour se rendre compte que le tourisme est bien la première des industries. Les côtes sont urbanisées d’un seul tenant jusqu’en première ligne du front de mer.
A partir de 1982, les politiciens espagnols socialistes González, Guerra et Boyer (9) ont posé les bases législatives favorables à la grande vague spéculative immobilière qui allait prendre d’énormes proportions, après Maastricht, sous les gouvernements d’Aznar (10) et du Parti populaire et l’arrivée de l’euro comme monnaie unique de l’UE.

Les politiciens municipaux ont répondu sans retenue à l’invitation aux changements de planification urbaine et, jusqu’en 2008, on a vécu une folie spéculative où l’oligopole financier des banques espagnoles a joué un rôle déterminant. Dans plusieurs villes, des quartiers entiers ont été détruits, d’autres ont été reconstruits, de nouveaux sont apparus, en majorité collés les uns aux autres, sous les mandats de maires tels que Maragall ou Clos, Tierno Galván, Manzano, Gallardón ou Botella (11). Ont alors proliféré la corruption, le blanchiment d’argent, les crédits, les hypothèques… A partir de Maastricht (1992), le secteur financier espagnol a attiré un flux notable de capitaux mondiaux à destination du secteur immobilier. Flux de capitaux, dont une grande partie provenait du commerce de la drogue ou de la vente d’armes, qui cherchaient et trouvèrent alors à devenir propres et blanchis. Tout cela a éclaté en 2008 avec la crise de la bulle immobilière, la chute et le sauvetage par l’Etat d’une partie du système financier.
Le problème de la spéculation sur le territoire urbain en Espagne est dû principalement à l’enchérissement des terrains qui s’est répercuté par une hausse des prix du logement. Mais c’est la « spéculation primitive » inhérente au processus de production à l’origine du territoire urbain qui a fixé, et continue de fixer, la norme dans le processus spéculatif en Espagne.

L’industrie du tourisme représente un secteur en expansion depuis des décennies dans les régions de l’Etat espagnol. Comme toujours la valeur importante est quantitative : le nombre de touristes et les quantités d’argent qu’ils dépensent paraissent être les uniques indicateurs essentiels pour les entrepreneurs touristiques. Et cela fait des décennies que ces indicateurs ne cessent de croître année après année, que le récit du « succès » de l’industrie du tourisme met en avant.

Si en 1998 près de 42 millions de touristes internationaux sont venus, « en 2012, le tourisme international a franchi la barre des 60 millions ». En 2015, ce sont plus de 68 millions qui sont arrivés ce qui, selon les statistiques, a représenté une augmentation de 9 % par rapport à 2014 ; et ils ont dépensé plus de 48,3 milliards d’euros. En 2016, « 75,3 millions de touristes étrangers sont venus, ce qui a représenté 77 milliards d’euros de revenus. La dépense moyenne par touriste étant de 1 023 euros » ; toutefois, en raison de séjours plus courts, cette moyenne est en baisse de 2,1 % par rapport à 2015. Nous ne devons, par prévention, pas accorder trop de crédit à ces chiffres : en statistiques comme en économie, il y a beaucoup de « créativité », et il faut toujours garder à l’esprit que les chiffres répondent à des intérêts déterminés.
L’industrie du tourisme, considérée comme « fondamentale pour le développement de l’Espagne » et qui génère tant de propagande officielle, compte à peine pour 12 % du PIB et n’occupe que 9 % de la population active.

La majorité des postes sont d’une grande précarité, avec des contrats ultra-courts ou « au noir », les salaires très bas et le travail dur et stressant. Cette exploitation extrême des travailleurs a conduit à ce que les femmes de chambre et femmes de ménage dans les hôtels s’organisent dans un collectif, Las Kellys, pour faire front face à cette précarité des salaires et du travail. Le fait est que cette industrie du tourisme a occasionné d’importants dégâts environnementaux (croisières) et endommagé régions côtières et montagneuses. Les millions de touristes ont besoin d’infrastructures, d’énergie et d’eau en grandes quantités. D’où il s’ensuit que ce qu’ils appellent le bénéfice du tourisme tombe dans les mains de quelques-uns ; pour la majorité d’entre nous, il ne reste que la précarité et la spoliation. On ne peut, par ailleurs, pas oublier que le tourisme n’est pas une industrie productive mais de services et qu’elle est soumise à une grande volatilité ; au cours de cette dernière décennie, par exemple, le tourisme a augmenté dans l’Etat espagnol en partie à cause de divers facteurs qui ont affecté le bassin méditerranéen : il y eut d’abord la guerre dans les Balkans et le démembrement de la Yougoslavie, puis l’instabilité due aux conflits déclenchés par les puissances occidentales en Afrique du Nord et au Proche-Orient.
Barcelone, plus qu’une ville : un négoce
On peut suivre le fil de l’urbanisme de la bourgeoisie barcelonaise depuis la démolition des anciennes murailles, la construction du quartier de l’Eixample, les expositions universelles de 1888 et 1929, le franquisme et ses événements tels le Congrès eucharistique de 1952, jusqu’aux Olympiades de 1992, le Forum des cultures de 2004, en passant par le 22@ pour en arriver à la spéculation immobilière et touristique actuelle.
L’ingénieur et urbaniste Albert Serratosa, qui travaillait au sein de la municipalité franquiste de Josep Maria de Porcioles depuis la nomination de ce dernier comme maire par Franco en 1957 et qui dirigea, entre autres charges, le Plan général métropolitain en 1965, plaça Pascual Maragall en tant qu’économiste au département d’urbanisme de la mairie où il accéda au poste de responsable des études économiques et financières du plan métropolitain.

Ce n’est pas pour rien que le maire olympique a adressé de nombreuses louanges au maire franquiste Porcioles, la plus élogieuse à l’occasion de sa mort après les événements de 1992. De même qu’il emploiera dans la municipalité franquiste en 1968 le politicien et urbaniste Jordi Borja, lui confiant des responsabilités dans le cabinet d’agencement urbain de la ville. Serratosa, leur mentor, deviendra plus tard directeur du Plan territorial de Barcelone (1988-2000) et assistera le conseiller en politique territoriale de la Generalitat, puis présidera l’Institut d’Estudis Territorials de la Generalitat (2004). Si on ajoute à tout cela la figure clé qui a initié l’ère de ce qui nous arrive actuellement, le fasciste Samaranch, avec l’obtention des Jeux olympiques de 1992 et toute la cour que Maragall et les siens lui ont faite, les louanges qu’ils lui ont chantées sur tous les tons… on pourra suivre à la trace le gros fil blanc, qui relie sans interruption la dictature à la transaction « démocratique ».

A quel niveau d’obscénité sociale faut-il en arriver pour que des travailleurs d’agences immobilières chargés de vendre un appartement occupé qualifient les occupants de « vermines » (bichos) ; « immeuble à vendre avec vermines » écrivent-ils dans leurs agendas ou le communiquent dans ce jargon à leurs collègues ou à d’éventuels acheteurs. A partir de là tout est admissible et possible : le harcèlement des occupants, les menaces, les agressions, les entreprises de gros bras…. tout semble permis. En 2007 déjà le Taller contra la violencia inmobilaria y urbanística (Atelier contre la violence immobilière et ­urbanistique) dénonçait le mobbing (12) ; dix ans plus tard, les attaques de voisins par des bandes ont augmenté en nombre et en ­brutalité.
Chaque jour, dans tous les quartiers, non seulement dans le Raval, la Ribera ou le barrio Gótico, mais aussi dans l’Eixample, à Pueblo Nuevo, Sants ou la Barceloneta… nous avons des exemples de blocs entiers achetés par des fonds d’investissement qui se revendent d’un spéculateur à l’autre, des « pases » (13) dans leur jargon, entraînant une hausse artificielle des prix génératrice d’énormes plus-values.

Nous en avons un exemple dans les hôtels des Drassanes (14), dont le premier spéculateur qui les a achetés fut le syndicat UGT (15) pour 588 531 euros en vue de construire des logements sociaux et, après que la mairie a modifié le PERI (16), l’a revendu 2,3 millions d’euros ; après plusieurs « pases » spéculatifs, pour finir en macro-complexe hôtelier horrible face aux médiévales Atarazanas qui, pour cette raison, ne sont plus ni bien national ni rien d’autre de comparable. Aujourd’hui Daniel Mòdol, conseiller en architecture, paysage urbain et patrimoine de l’actuel gouvernement municipal, se montre « absolument favorable » à la construction d’hôtels et qualifie le projet d’« exemplaire dans son versant social ». Rien d’étrange à ce que les voisins accusent la municipalité de Barcelone de Colau (17), de manœuvres obscures et de cacher des informations. La politique de la nouvelle municipalité persiste à alimenter l’inertie spéculative dans le même temps où le conseil municipal de Ciutat Vella (18) se fait de la publicité dans les moyens de communication avec une supposée croisade contre la gentrification, tandis que les projets spéculatifs se poursuivent dans la pratique.
Nous pouvons citer plusieurs de ces projets dans tout Barcelone.

Pour ne donner qu’un exemple, dans les environs de la place Espanya un fonds spéculatif vient d’acheter trois immeubles entiers, avec « vermines », sans avoir eu à les payer, déposant une simple caution ; et il est en train de les mettre en vente comme appartements de haut standing. Cette bulle spéculative va se gonfler artificiellement jusqu’à ce que l’argent trouve un autre endroit où aller et laisse derrière lui à nouveau tout en ruines.
Que Barcelone soit une ville-simulacre le barrio Gótico, invention de la Lliga Regionalista au début du xxe siècle, conçu sous forme de parc thématique, en offre la preuve. Des maisons ont été détruites, des places ouvertes, des palais remodelés ou refaits à neuf avec les restes de ceux qui avaient été rasés suite à la percée de la Via Layetana. La façade « gothique » de la cathédrale a été construite entre 1887 et 1912, financée par le banquier et politicien Manuel Girona qui en échange fut enterré dans son enceinte.

Le centre d’excursion de la rue Paradis est une œuvre de de 1922 de l’architecte Domènech i Muntaner. Le symbole du quartier, le pont « gothique flamboyant » de la rue du Bisbe, a été dessiné par l’architecte de la Députation Joan Rubio et construit en 1929. Le palais Pignatelli, siège du Cercle royal artistique, fut achevé en 1970. L’endroit bombardé par les franquistes, où se trouve la place Sant Felip Neri, a été édifié sur un ancien cimetière qui se trouvait devant l’église. Sa construction fut achevée après 1950.

Le célèbre palais du Musée de Calçat a été édifié avec des restes de palais détruits quand fut ouverte l’avenue de la Catedral, aussi dans les années 1950. Le quartier juif, El Call, a été détruit durant le grand progrom contre les Juifs barcelonais de 1391 ; des centaines d’entre eux furent assassinés et les survivants expulsés, la grande majorité des édifices, y compris les synagogues, disparut dans les flammes. Les terrains et les édifices qui restaient furent confisqués par la couronne. Son actuelle indication ne peut que rappeler une absence de mémoire sinistre et intéressée. « Bien que le tourisme soit une activité uniquement dédiée à la consommation, en réalité il dépend de la production d’espaces prêts à être consommés et, à Barcelone, le barrio Gótico fut le premier à être conçu dans ce but. » (A. Cócola) (19).

C’est ainsi que l’invention du barrio Gótico par la Lliga Regionalista et sa Sociedad de Atracción de Forasteros (SAF-1908) (20), et sa reconfiguration définitive sous le franquisme, se rattachent à l’enflure de la Barcelone spectaculaire de 1992, des Jeux olympiques, des forums, des festivals, des congrès et autres salons, dont l’existence précarise, complique la vie et met les habitants de la ville au ­supplice.
De 1997 à aujourd’hui, le prix du logement à Barcelone a augmenté de plus de 150 % tandis que la hausse des salaires nets n’atteint pas 35 %. Le prix moyen des locations est passé de 355 euros en 2000 à 625 euros en 2004, et plus de 800 euros actuellement. Barcelone est une des villes les plus chères d’Europe, une de celles qui souffre le plus du chômage, une de celles dont les indices de pauvreté et d’exclusion sont les plus élevés, où il y a de très grandes inégalités et très peu de logements protégés, où existent le plus de précarité du travail et des salaires très bas.

Quel sens peuvent avoir des slogans tels que « Ville refuge » ou « Ville sans murailles » comme ceux dont la municipalité de Barcelone nous bombarde en ce moment ? Ce ne sont que des phrases creuses, pure propagande à l’intérieur du spectacle, du marketing de l’idéologie politicienne institutionnelle. Des phrases sans contenu alors que des êtres humains ne cessent d’être bombardés, assassinés ou expulsés violemment de leurs lieux d’origine en Libye, en Syrie, au Yémen, en Irak, en Afghanistan, etc. par des guerres longues et terribles imposées par les Etats capitalistes occidentaux pour des intérêts politico-économiques.

Pendant aussi que les habitants de villes comme Barcelone sont expulsés de leurs quartiers, victimes expiatoires de la guerre économique agressive qui nous éradique. Du haut des institutions, les politiques continuent à parler pour la galerie avec leurs pluies acides de mots creux leur ôtant tout sens, réduits à n’être que du verbiage ou du charabia.
La pratique urbaine qui nous unit contre l’urbanisme qui nous sépare
La pratique de la ville (les mouvements sociaux urbains), comme toute pratique sociale, est ouverte à toutes les opportunités. L’urbanisme, par contre, pour être urbanisme d’Etat, urbanisme de classe, ferme ces opportunités. La pratique de la ville tend à abolir les séparations tandis que l’urbanisme les fonde en inscrivant la séparation dans la géographie même.

L’urbanisme fige et oriente le développement urbain, modèle la cité selon les nécessités du capital. L’urbaniste nous dit connaître nos besoins, nos désirs et organise notre bonheur par la construction d’un univers concentrationnaire : l’Autorité sait de quoi nous avons besoin ; ce n’est pas un hasard si Le Corbusier (21) avait dédicacé son livre La Cité radieuse (22) à l’Autorité.
L’urbanisme nous sépare. A Barcelone, par exemple, l’écart d’espérance de vie entre les habitants des quartiers de Pedralbes et de Nou Barris est de dix ans en faveur des premiers. La question urbaine est aussi traversée par la lutte des classes. L’urbanisme est ­urbanisme d’Etat. C’est pourquoi l’espace urbain est le lieu du conflit. Conflit et lutte à partir desquels nous pouvons établir une relation sociale entre égaux, sans hiérarchie, où les différences ne se traduisent pas en ­inégalités.

Nous ne voulons pas nous limiter à dénoncer l’urbanisme, bien que passage obligé pour développer une pratique urbaine. Nous voulons ériger d’autres villes où ne règne pas l’inégalité, où le droit à la vie remplace la survie que l’on nous impose, qui autorisent une créativité (poétique) au quotidien.
Nous venons d’une ville, Barcelone des années 1930, 1940, 1950 où le lien social s’exprimait sous diverses formes : la rue, lieu public où se nourrit la vie sociale (quand la rue est liquidée – Le Corbusier – la vie sociale est liquidée et la ville devient cité-dortoir), prolongement de la maison, habitée la nuit par les voisines, terrain de jeu pour les enfants, aujourd’hui détruite par la voiture et son lobby. Les petits commerces, lieux de socialisation pour les femmes, détruits par les supermarchés. Les bistrots, lieux de socialisation pour les hommes, détruits par la télévision. L’oisiveté populaire dans les quartiers, aujourd’hui mercantilisée dans des espaces lucratifs (gymnases, salles de sport…) où l’on privilégie l’individualisme et la compétitivité. Nous ne rappelons pas ce passé par nostalgie ni pour y revenir – nous connaissons très bien ses défauts : pauvreté, religion, patriarcat, soumission… – mais pour comprendre où nous sommes et établir ici et maintenant d’autres rapports sociaux entre égaux en dehors de ceux que le capital établit en conséquence de son mode de production ­marchand.
Nous venons d’une ville, Barcelone de 1936, où le lien social qui se renforce depuis les années 1930 explose en intensité. Les ouvriers s’emparent de la rue : la fête révolutionnaire, le jamais-vu ; la poésie gagne la rue et établit un autre ordre social. La ­question sociale s’étend à la question urbaine, pour peu de temps mais avec une telle intensité qu’il est difficile de ne pas s’en ­souvenir.
De nos jours, Barcelone est en train de cesser d’être une société pour devenir une marchandise. Elle se vend bien. Certains voulaient la vendre à un prix plus élevé que le lucre l’exige. Et le font. D’autres veulent en faire un bien commun, l’okuper (23). Et le font aussi. Conflit inévitable. Si l’Administration ne tolère pas l’okupation, ce n’est pas tant pour l’okupation de quelques maisons mais parce que nous nous okupons de nous-mêmes, la laissant, elle, sans rien à faire.

Se réapproprier de la rue, des objets urbains sans médiation de l’argent qui existe maintenant au travers de l’achat et de la vente. La rue, lieu de rencontre, de non-séparation, d’information et communication, lieu ludique et symbolique, de parole et d’écrit sur les murs qui la délimitent. Réapproprions-nous sa valeur d’usage en liquidant sa valeur d’échange.

Exercer notre droit à la ville, non seulement en nous réappropriant les objets et les services mais aussi en nous réappropriant nos propres vies dans l’espace urbain. Réappropriation qui va nous aider à déployer ce qu’il y a d’humain en nous. Dessiner la ville en accord avec nos besoins, notre vie pour ne pas être obligés d’ajuster nos vies à la ville des urbanistes. Sur la voie de l’exigence à exercer le droit à une santé qui respecte la vie au-delà de l’argent, le droit à un enseignement non compétitif et libre, le droit aux transports publics au-delà des intérêts privés, le droit à un logement qui soutienne besoins et désirs. Tout cela sans la médiation de l’argent, en dehors du lien commercial. Construire une autre ville, une autre économie, une autre politique, une autre information, toutes envahies aujourd’hui par la technique et le capital. Une rue sans voiture, une maison sans télévision et un individu sans écran, les trois objets majeurs de l’espace urbain actuel.
Etcétera
juin 2017
(traduit de l’espagnol par J.-P. V.)

NOTES
(1) Titre d’un ouvrage d’Eduardo Mendoza, La Ciudad de los prodigios, editorial Seix Barral, 1986. Traduction française : La Ville des prodiges, éditions du Seuil, 1988 (nombreuses rééditions au format de poche, coll. « Points ».).
(2) Henri Lefebvre (1901-1991), philosophe français. Je n’ai pas pu retrouver d’où proviennent les citations données ici, et les ai traduites de l’espagnol.
(3) David Harvey (né en 1935), géographe britannique.
(4) Honoré de Balzac (1799-1850), écrivain français. Comme pour Henri Lefebvre, les citations données ici ont été traduites de l’espagnol. Il y a en outre, une erreur de dates dans le texte espagnol : « Ya durante el processo de remodelación de París, llevado a cabo por Haussmann entre 1852 y 1870, Balzac advirtió (…) », Balzac étant mort en 1850.
(5) « Entelequia » dans le texte espagnol. Ce mot provient du grec entelekheia, « énergie agissante et efficace », « principe métaphysique qui détermine un être à une existence définie » selon le dictionnaire Robert.
(6) Les Jeux olympiques de 1992 se sont passés à ­Barcelone.
(7) David Harvey (voir note 3), Rebel Cities : From the Right to the City to the Urban Revolution, 2012 ; non traduit en français.
(8) María Zambrano (1904-1991), philosophe et essayiste espagnole, disciple de José Ortega y Gasset (1883-1955). L’article « La ciudad creación histórica » a paru dans la revue portoricaine La Semana du 22 avril 1964.
(9) Felipe González a été président du gouvernement espagnol entre 1982 et 1996 ; Alfonso Guerra, vice-président de 1982 à 1991 ; et Miguel Boyer, ministre de l’économie et des finances entre 1982 et 1985.
(10) José María Aznar a été président du gouvernement entre 1996 et 2004.
(11) Pascual Maragall a été président de la Generalitat (gouvernement catalan) entre 2003 et 2006 ; il a été remplacé par Joan Clos entre 1997 et 2006. Enrique Tierno Galván a été maire de Madrid entre 1979 et 1986 ; José María Álvarez del Manzano, maire de Madrid entre 1991 et 2003 ; Alberto Ruíz-Gallardón, maire de Madrid entre 1991 et 2003 ; enfin Ana Botella Serrano (épouse de José María Aznar), maire de Madrid entre 2011 et 2015.
12) En anglais dans le texte. Signifie une attaque par une bande de voyous.
(13) Pases : mouvements de la cape pendant que le taureau passe devant le toréador.
(14) Les Drassanes : anciens arsenaux situés près du port de Barcelone.
(15) Unión general de trabajadores (Union générale des travailleurs, social-démocrate).
(16) PERI : Plan de Reforma Interior qui s’applique à chaque zone déterminée de la ville (quartier ou partie d’un quartier) puis est inclu dans le Plan General Metropolitano.
(17) Ada Colau, maire de Barcelone depuis le 13 juin 2015.
(18) La Ville vieille en catalan.
(19) El Barrio Gótico de Barcelona. Planificación del Pasado e Imagen de Marca, de Agustín Cócola Gant, éd. Madroño, 2011, rééd.2014 (https://agustincocolagant.net/ wp-content/uploads/ 2015/03/Barri_gotic.pdf). A.Cócola, investigador post-doctoral au Centre des études géographiques de Lisbonne, puis à l’Académie d’Espagne à Rome. Il a consacré plusieurs articles, livre, conférences, au tourisme et aux classes sociales à Barcelone et notamment au barrio Gótico, tels que La producción de Barcelona como espacio de consumo. Gentrificación, turismo y lucha de clases.
(20) Sociedad de Atracción de Forasteros : Société d’attraction des étrangers.
(21) Charles-Edouard Jeanneret-Gris dit Le Corbusier (1887-1965), architecte et urbaniste français d’origine suisse.
(22) En français dans le texte. Le titre du livre est La Ville radieuse, 1935.
(23) A Barcelone, le mot okupa écrit avec un k, désigne les squatts.
ENCADRE
A Poblenou*, dans la rue Llacuna, à côté de trois grands hôtels déjà ouverts, on est en train de construire deux monstres hôteliers de plus qui menacent de faire s’écrouler les vieilles maisons qui les entourent (pâté de maisons de La Vanguardia, du comte de Godó). Les permis pour travaux ont été délivrés, en toute apparence irrégulièrement, une semaine après que le maire Trias** a perdu les élections. Autre exemple emblématique contestable : dans les rues de Lancaster et Arc del Theatre, la municipalité à récemment dégelé un macro-projet urbanistique datant de 2002, appelé par euphémisme « Plan d’amélioration urbaine », projet opaque pour les voisins qui devrait concerner presque un hectare du quartier. Ce plan, aussi incroyable que cela puisse paraître, laisse totalement la planification urbaine aux mains d’une initiative privée et persiste à promouvoir la destruction de logements populaires pour faire un renflement qui deviendra une place à proximité des Ramblas, dans la ligne qui destine des espaces aux touristes plutôt qu’à des habitations sociales. Cette nouvelle municipalité travaille sans faire de bruit sous couvert de son entreprise publique Bagursa (Barcelona Gestión Urbanística SA, à capital 100 % municipal) pour ouvrir la voie à un autre projet contestable d’investissement privé avec une aide importante d’argent public. Et la nouvelle magistrature d’entonner cette petite chanson burlesque qui veut que « nous ne pouvons rien faire bien que ça aille contre notre volonté, que nous aurions pu en informer les voisins mais que, malheureusement, c’est un projet qui a été décidé auparavant et que nous devons le terminer »… prétexte pour se laver les mains, collaborer avec le système et finalement conforter un autre foyer de spéculation qui va permettre l’expulsion de centaines de voisins prévue par ce projet. En dépit de tous ces discours à propos du bien commun et du social, les faits finissent par démasquer l’idéologie et la propagande parties intégrantes de la politique réelle.
* Poblenou est le nom catalan pour Pueblo Nuevo dont on a parlé plus haut. Il y a souvent dans le texte un passage du catalan à l’espagnol dans les noms propres que je n’ai pas signalé s’il n’apparaissaient qu’une fois, ou plusieurs fois sous le même nom.

** Xavier Trias, maire entre 2011 et 2015.

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