Pourquoi faire la guerre sans moyens ?
Au cours de l’époque moderne, les États centralisés
ont peu à peu réduit le niveau de violence politique sur leur territoire, et
depuis quelques dizaines d’années les pays occidentaux l’ont pratiquement
abaissé à zéro.
En Belgique, en France ou aux États-Unis, les
citoyens peuvent se battre pour le contrôle des villes, des entreprises et
autres organisations, et même du gouvernement lui-même sans recourir à la force
brute. Le commandement de centaines de milliards d’euros, de centaines de
milliers de soldats, de centaines de navires, d’avions et de missiles
nucléaires passe ainsi d’un groupe d’hommes politiques à un autre sans que l’on
ait à tirer un seul coup de feu.
Les gens se sont vite habitués à cette façon de
faire, qu’ils considèrent désormais comme leur droit le plus naturel. Par
conséquent, des actes, même sporadiques, de violence politique, qui tuent
quelques dizaines de personnes, sont vus comme une atteinte fatale à la
légitimité et même à la survie de l’État. Une petite pièce, si on la lance dans
une jarre vide, suffit à faire grand bruit.
Modifier une situation politique en recourant à la
violence n’est pas chose aisée. Le premier jour de la bataille de la Somme, le
1er juillet 1916, l’armée britannique a déploré 19.000 morts et 40.000 blessés.
À la fin de la bataille, en novembre, les deux
camps réunis comptaient au total plus d’un million de victimes, dont 300.000
morts. Pourtant, ce carnage inimaginable ne changea quasiment pas l’équilibre
des pouvoirs en Europe. Il fallut encore deux ans et des millions de victimes
supplémentaires pour que la situation bascule.
Comment alors les terroristes peuvent-ils espérer
arriver à leurs fins ? À l’issue d’un acte de terrorisme, l’ennemi a toujours
le même nombre de soldats, de tanks et de navires qu’avant. Ses voies de
communication, routes et voies ferrées, sont largement intactes. Ses usines,
ses ports et ses bases militaires sont à peine touchées.
Ce qu’espèrent pourtant les terroristes, quand bien
même ils n’ébranlent qu’à peine la puissance matérielle de l’ennemi, c’est que,
sous le coup de la peur et de la confusion, ce dernier réagira de façon
disproportionnée et fera un mauvais usage de sa force préservée.
Mais les terroristes n’ont pas trop le choix. Ils
sont si faibles qu’ils n’ont pas les moyens de couler une flotte ou de détruire
une armée. Ils ne peuvent pas mener de guerre régulière. Alors, ils choisissent
de faire dans le spectaculaire pour, espèrent-ils, provoquer l’ennemi, et le
faire réagir de façon disproportionnée. Un terroriste ne raisonne pas comme un
général d’armée, mais comme un metteur en scène de théâtre
Le théâtre de la terreur ne peut fonctionner sans
publicité. Or malheureusement, les médias ne font souvent que fournir cette
publicité gratuitement: ils ne parlent que des attaques terroristes, de façon
obsessionnelle, et exagèrent largement le danger, parce que de tels articles
sensationnels font vendre les journaux, bien mieux que les papiers sur le
réchauffement climatique.
Pour cent personnes tuées, cent millions
s’imaginent désormais qu’il y a un terroriste tapi derrière chaque arbre. Il en
va de la responsabilité de chaque citoyen et de chaque citoyenne de libérer son
imagination, et de se rappeler quelles sont les vraies dimensions de la menace.
C’est notre propre terreur intérieure qui incite
les médias à traiter obsessionnellement du terrorisme et le gouvernement à
réagir de façon démesurée.
Aujourd’hui, pour chaque Européen tué dans une
attaque terroriste, au moins un millier de personnes meurent d’obésité ou des
maladies qui lui sont associées.
Pour
l’Européen moyen, McDonalds est un danger bien plus sérieux que l’État
islamique.
Extraits de
« Sapiens une brève histoire de l’humanité » de Yuval Harari –
Albin Michel
2016
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