COMMENT
DEVIENT-ON RICHE ?
(150ième anniversaire de la publication du « Capital » de K. Marx)
(150ième anniversaire de la publication du « Capital » de K. Marx)
La
richesse constitue l’état dans lequel se trouve celui dont les ressources
permettent de satisfaire à tous ses besoins.
« Selon le Centre d’analyse d’Oxfam,
en 2010, 388 personnes super-riches possédaient autant que trois milliards et
demi de personnes les plus pauvres du monde. Nous nous étions alors indignés de
ce fait. En effet, tous ces nababs, qui pourraient tenir dans une salle de
taille moyenne, possédaient autant de richesse que la moitié de la population
de notre planète! Mais, selon le rapport du même Centre Oxfam, publié en
janvier 2017, aujourd’hui c’est seulement 8 milliardaires qui possèdent
une richesse égale à celle de la moitié des terriens. Et cela est
arrivé en seulement 7 ans!
Il y a aussi beaucoup d’autres données qui
témoignent de la concentration monstrueuse et toujours croissante de la
richesse dans quelques mains. En 2015-2016, les revenus des 10 plus
grandes entreprises de la planète ont totalisé plus que les revenus nationaux
de 180 pays du monde réunis! »
(Conférence sur
la mondialisation, Sotchi 2017)
Un
philosophe a analysé le premier la manière dont fonctionne l’économie ;
c’est Aristote. Il distingue d’abord les deux usages spécifiques à chaque chose :
Un usage propre, conforme à sa nature (ainsi le soulier sert à chausser) ;
Un usage non naturel, soit celui d’acquérir un autre objet, par la voie de la vente ou de l’échange.
C’est la distinction entre valeur d’usage et valeur d’échange qui sera reprise par les économistes classiques et par Marx. La question suivante consiste à se demander ce qui détermine le rapport d’échange entre deux biens. L’Ethique à Nicomaque donne les deux grandes réponses entre lesquelles se partageront les économistes dans les siècles à venir.
Aristote affirme d’abord que, derrière l’échange, par exemple de chaussures contre une maison, se déroule un échange entre le travail du cordonnier et celui de l’architecte. C’est l’origine de la théorie de la valeur-travail de Smith, Ricardo et Marx. Mais il ajoute ensuite que le fondement de la valeur d’un objet réside dans le besoin qui est ressenti pour lui, ce qui annonce la théorie de la valeur fondée sur l’utilité (ou du moins son utilité symbolique dans une société donnée pour beaucoup d’objets, de marchandises – non nécessaires).
Un usage propre, conforme à sa nature (ainsi le soulier sert à chausser) ;
Un usage non naturel, soit celui d’acquérir un autre objet, par la voie de la vente ou de l’échange.
C’est la distinction entre valeur d’usage et valeur d’échange qui sera reprise par les économistes classiques et par Marx. La question suivante consiste à se demander ce qui détermine le rapport d’échange entre deux biens. L’Ethique à Nicomaque donne les deux grandes réponses entre lesquelles se partageront les économistes dans les siècles à venir.
Aristote affirme d’abord que, derrière l’échange, par exemple de chaussures contre une maison, se déroule un échange entre le travail du cordonnier et celui de l’architecte. C’est l’origine de la théorie de la valeur-travail de Smith, Ricardo et Marx. Mais il ajoute ensuite que le fondement de la valeur d’un objet réside dans le besoin qui est ressenti pour lui, ce qui annonce la théorie de la valeur fondée sur l’utilité (ou du moins son utilité symbolique dans une société donnée pour beaucoup d’objets, de marchandises – non nécessaires).
C’est ici qu’intervient la célèbre distinction d’Aristote entre l’économique et la chrématistique. Chrémata désigne en grec l’argent, la richesse. Chrématistikos signifie "qui concerne les affaires". Aristote lui donne le sens d’"acquisition artificielle", qu’il oppose à l’acquisition naturelle des biens nécessaires à la vie, tant de la Cité que de la famille. L’acquisition naturelle est bornée par le fait que les besoins humains sont limités. Dans les maisons et les édifices publics, on ne peut accumuler sans fin les biens et les instruments qui ne servent qu’à sustenter la vie humaine. L’accumulation d’argent n’a au contraire pas de limite. Aristote accepte le commerce quand il sert à échanger des biens, mais il considère que cette activité est condamnable lorsqu’elle vise exclusivement l’enrichissement. Le commerce devient alors une « profession qui roule tout entière sur l’argent, qui ne rêve qu’à lui, qui n’a d’autre élément ni d’autre fin, qui n’a point de terme où puisse s’arrêter la cupidité ».
Pire que le commerce, il y a le prêt à intérêt qui permet d’obtenir, d’une somme d’argent, une somme supérieure par le simple fait de s’en départir quelques temps. C’est là un gain contre nature, car l’argent ne fait pas de petits : "Quoi de plus odieux, surtout, que le trafic de l’argent, qui consiste à donner pour avoir plus, et par là détourne la monnaie de sa destination primitive?". Il n’y a point de bornes à l’âpreté au gain de qui désire l’argent pour l’argent et mesure tout à l’aune de cet étalon.
L’argent en vient ainsi à se détacher du monde réel, de la nature et peut même mener à la mort, comme l’illustre le mythe de Midas dont, après Aristote, se serviront Marx, Freud et Keynes dans leurs réflexions sur l’agent. Aristote redoutait en définitive que l’argent n’en vienne à détruire la société en la pourrissant de l’intérieur. Mais l’argent lui-même n’est qu’une manifestation d’un rapport de production, un rapport inégal entre travail fourni et salaire, prix et profit.
Il est lui-même une
marchandise. Mais comme le souligne Goethe, marchandise bien particulière
« Que diantre! il est clair que tes
mains et les pieds Et ta tête et ton c... sont à toi ; Mais tout ce dont je
jouis allégrement En est-ce donc moins à moi ? Si je puis payer six étalons,
Leurs forces ne sont-elles pas miennes ? Je mène bon grain et suis un gros
monsieur, Tout comme si j'avais vingt-quatre pattes. »
Gothe, Faust.
Et Marx explicite : « Ce qui grâce à l'argent est pour moi, ce que je peux payer, c'est-à-dire ce que l'argent peut acheter, je le suis moi-même, moi le possesseur de l'argent. Ma force est tout aussi grande qu'est la force de l'argent. Les qualités de l'argent sont mes qualités et mes forces essentielles - à moi son possesseur. Ce que je suis et ce que je peux n'est donc nullement déterminé par mon individualité. Je suis laid, mais je peux m'acheter la plus belle femme. Donc je ne suis pas laid, car l'effet de la laideur, sa force repoussante, est anéanti par l'argent. De par mon individualité, je suis perclus, mais l'argent me procure vingt-quatre pattes ; je ne suis donc pas perclus; je suis un homme mauvais, malhonnête, sans conscience, sans esprit, mais l'argent est vénéré, donc aussi son possesseur, l'argent est le bien suprême, donc son possesseur est bon, l'argent m'évite en outre la peine d'être malhonnête ; on me présume donc honnête; je suis sans esprit, mais l'argent est l'esprit réel de toutes choses, comment son possesseur pourrait-il ne pas avoir d'esprit ? De plus, il peut acheter les gens spirituels et celui qui possède la puissance sur les gens d'esprit n'est-il pas plus spirituel que l'homme d'esprit? Moi qui par l'argent peux tout ce à quoi aspire un cœur humain, est-ce que je ne possède pas tous les pouvoirs humaine ? Donc mon argent ne transforme-t-il pas toutes mes impuissances en leur contraire ? » .
« Si j'ai envie d'un aliment ou si je veux prendre la chaise de poste, puisque je ne suis pas assez fort pour faire la route à pied, l'argent me procure l'aliment et la chaise de poste, c'est-à-dire qu'il transforme mes vœux d'êtres de la représentation qu'ils étaient, il les transfère de leur existence pensée, figurée, voulue, dans leur existence sensible, réelle; il les fait passer de la représentation à la vie, de l'être figuré à l'être réel. Jouant ce rôle de moyen terme, l'[argent] est la force vraiment créatrice. La demande existe bien aussi pour celui qui n'a pas d'argent, mais sa demande est un pur être de la représentation qui sur moi, sur un tiers, sur les autres n'a pas d'effet, n'a pas d'existence, donc reste pour moi-même irréel, sans objet.
La différence entre la demande effective, basée sur l'argent, et la
demande sans effet, basée sur mon besoin, ma passion, mon désir, etc., est la
différence entre l’Être et la Pensée, entre la simple représentation existant
en moi et la représentation telle qu'elle est pour moi en dehors de moi en tant
qu'objet réel . Si je n'ai pas d'argent pour voyager, je n'ai pas de besoin,
c'est-à-dire de besoin réel et se réalisant de voyager. Si j'ai la
vocation d'étudier mais que je n'ai pas l'argent pour le faire, je n'ai pas de
vocation d'étudier,
c'est-à-dire pas de vocation active, véritable.
Par contre, si je n'ai réellement pas de vocation d'étudier, mais que j'en ai
la volonté et l'argent, j'ai par-dessus le marché une vocation effective.
L'argent, - moyen et pouvoir universels, extérieurs, qui ne viennent pas de
l'homme en tant qu'homme et de la société humaine en tant que société, - moyen
et pouvoir de convertir la représentation en réalité et la réalité en simple
représentation, transforme tout aussi bien les forces essentielles réelles et
naturelles de l'homme en représentation purement abstraite et par
suite en imperfections, en chimères douloureuses, que d'autre part il
transforme les imperfections et chimères réelles, les forces
essentielles réellement impuissantes qui n'existent que dans l'imagination de
l'individu, en forces essentielles réelles et en pouvoir.
Déjà d'après cette
définition, il est donc la perversion générale des individualités, qui les
change en leur contraire et leur donne des qualités qui contredisent leurs
qualités propres. Il apparaît alors aussi comme cette puissance de perversion
contre l'individu et contre les liens sociaux, etc., qui prétendent être des
essences pour soi. Il transforme la fidélité en infidélité, l'amour en haine,
la haine en amour, la vertu en vice, le vice en vertu, le valet en maître, le
maître en valet, le crétinisme en intelligence, l'intelligence en crétinisme.
Comme l'argent, qui est le concept existant et se manifestant de la valeur,
confond et échange toutes choses, il est la confusion à la permutation
universelle de toutes choses, donc le monde à l'envers, la confusion et la
permutation de toutes les qualités naturelles et humaines. Qui peut acheter le
courage est courageux, même s'il est lâche. Comme l'argent ne s'échange pas
contre une qualité déterminée, contre une chose déterminée, contre des forces
essentielles de l'homme, mais contre tout le monde objectif de l'homme et de la
nature, il échange donc - du point de vue de son possesseur - toute qualité
contre toute autre - et aussi sa qualité et son objet contraires; il est la
fraternisation des impossibilités. Il oblige à s'embrasser ce qui se
contredit. Si tu supposes l'homme en tant qu'homme et son rapport au
monde comme un rapport humain, tu ne peux échanger que l'amour contre l'amour,
la confiance contre la confiance, etc.
Si tu veux jouir de l'art, il faut que
tu sois un homme ayant une culture artistique; si tu veux exercer de
l'influence sur d'autres hommes, il faut que tu sois un homme qui ait une action
réellement animatrice et stimulante sur les autres hommes. Chacun de tes
rapports à l'homme - et à la nature -doit être une manifestation déterminée,
répondant à l'objet de ta volonté, de ta vie individuelle réelle. Si tu
aimes sans provoquer d'amour réciproque, c'est-à-dire si ton amour, en tant
qu'amour, ne provoque pas l'amour réciproque, si par ta manifestation
vitale en tant qu'homme aimant tu ne te transformes pas en homme aimé,
ton amour est impuissant et c'est un malheur. »
K. Marx, Manuscrits de 1844 –
III.
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