dimanche 1 novembre 2015

Sujet du Merc. 04/11 : Peut-on désirer sans souffrir ?



                  Peut-on désirer sans souffrir ?

"Le désir est ce qui met l'imagination en mouvement. Nous avons l'art pour ne pas périr de la vérité ». Nietzsche
Le désir, je le connais. Tu le connais. Tous, nous le connaissons… Désir de partir, de bonheur, ou de manger des fraises en hiver… Désir d'amour ou de richesse… Désir de violence, de faire tomber tous les tabous. Désir aussi de lire ou d'écrire…Désirs qui appellent d'autres désirs qui me donnent le vertige, qui me lancent dans un mouvement circulaire. Ma demande répétitive fait de mon désir le synonyme de mon délire.
Désir de poésie sur lequel je bute. Sans doute parce que je ne sais pas dire ce qu'est la poésie. Désir d'atteindre par les mots tous les autres désirs et leur inachèvement. Souvenir d'un coucher de soleil flamboyant qui se fond dans la mer. Reflets fauves, chaleur ondoyante. Puis le sentiment étrange que je ne peux pas me contenter de jouir du paysage. Le fixer par l'écriture et ainsi aller "au-delà". De quoi? Je ne sais pas. Oui, je ne sais pas. Mais n'en est-il pas ainsi du désir? Aller toujours au-delà de ce qu'on a déjà désiré. Tension vers un objet qui ne cesse de manquer, expérience d'une insuffisance qui nous pousse à chercher un objet considéré comme source de satisfaction, mais qui n'est, en définitive, que l'angoisse saisie dans son lien avec le fait qu'on ne peut pas donner "du dire" au désir, ce dernier se renouvelant toujours de manière insatiable, cachant un autre désir, plus enfoui, plus insidieux, faisant du bonheur une valeur inaccessible. Je peux alors me demander: "Qu'est-ce que "ça" veut?" Question qui est aussi bien celle de: Que veut-il, lui, le désir inconscient, tel que j'ai à en rendre compte, lui qui se trouve dans la répétition de ma demande?
Mais si le désir est manque, c'est comme s'il existait un objet préalable qui serait éprouvé comme un manque et que nous aurions envie de retrouver. Spinoza soutenait que « nous ne désirons pas une chose parce que nous jugeons qu'elle est bonne mais au contraire nous jugeons qu'elle est bonne pour ce désir » A l’origine, selon le mythe platonicien,  les mortels étaient formés d'entités doubles : homme-homme, femme-femme, homme-femme. Tout le monde était comblé. Ils défièrent les Dieux qui les condamnèrent en les coupant en deux, c'est-à-dire en les condamnant à se chercher pour se combler. Chacun recherche sa moitié perdue pour restaurer l'unité. Il y a dans cette quête amoureuse, une recherche de plénitude, de complétude, d'unité perdue sans laquelle nous ne sommes satisfaits. Le désir est désir immortel.
Cet objet perdu est défini, selon la psychanalyse, par un autre terme, le phallus, que nous croyons, de manière imaginaire, avoir perdu un jour, ce qui nous aurait déchu de notre toute puissance originelle. Le désir humain n'est pas déterminé par une réalité physiologique, mais par l'univers du langage et du discours.
Il conviendrait de distinguer le désir du besoin naturel. Chacun sait qu'une fois les besoins élémentaires satisfaits, le désir humain peut prendre les voies les plus diverses. Mais il faut aussi alors le distinguer de la demande. Quand un enfant réclame à manger, par exemple, il peut croire que c'est pour obtenir un objet précis. Mais sa demande va au delà (attirer l'attention de sa mère, par exemple). Le désir, lui, est au delà du besoin, et comme il a une dimension inconsciente, il peut rester caché dans la demande. En fait l'objet du désir n'est pas en avant du sujet mais derrière lui. C'est lui que le sujet tente de retrouver, sans vraiment le savoir. C'est par exemple la mère (ou le sein) comme objet perdu, cause du désir. Comme son objet est perdu, interdit, comme le sujet a du renoncer à être tout ce que la mère désire - disons à être le phallus de sa mère - le désir ne peut généralement pas s'exprimer d'une manière directe. Il se dit plutôt entre les lignes, dans les rêves, dans les lapsus ou les actes manqués, ou tout simplement dans le double sens des paroles les plus quotidiennes.
Désir de transgression… Si Dieu n'existe pas, alors tout est permis. Si Dieu n’existe pas, toutes les passions sont bonnes. Sade prêche un matérialisme conséquent et tire les déductions les plus noires de l’athéisme qui est, selon lui, « le seul système de tous les gens qui savent raisonner » Le Dieu des religions n’est qu’une invention des politiques pour mieux discipliner les peuples par la peur des enfers ; rien n’existe que la nature, la matière porte en elle la source de ses propres mouvements, elle n’a pas besoin d’un agent extérieur qui lui servirait de moteur. Dès lors pourquoi devrait-on entraver les mouvements de la nature et en particulier les passions, les désirs? L’idée de perversion perd toute validité et tout fondement.
"Plus je fais l'amour, plus j'ai envie de faire la révolution". "Plus je fais la révolution, plus j'ai envie de faire l'amour". "La honte est contre-révolutionnaire". "Je jouis dans les pavés". Tels sont quelques-uns des slogans qu'on pouvait trouver sur les murs de la Sorbonne avant que les services de nettoyage ne les effacent définitivement. Ils disent combien, en Mai 68, le désir passait pour un élément intrinsèquement révolutionnaire. Il est vrai que le désir est source de mouvements et donc de volonté. Désir synonyme de vie, caractère producteur d'actions, force créatrice. Il semble être associé à la liberté et fonder la condition du plaisir qui naît avec l'assouvissement du manque éprouvé. Pour vivre heureux et libre, il faut alors vivre pleinement ses désirs.
- Que non! dit Socrate. Celui qui cherche à assouvir ses désirs n'est ni heureux ni libre. Le passionné est malheureux parce qu'il est constamment insatisfait, le propre du désir étant de se renouveler. Platon compare nos désirs à un tonneau percé : caractère insatiable et illusion d'un bonheur, d'une satisfaction. Plus on satisfait nos désirs et plus on contribue à les démultiplier. Par conséquent, l'individu s'expose à la déception car la satisfaction n'est pas durable et que la satisfaction de certains désirs se fait au détriment d'autres désirs d'où un sentiment de frustration. Faut-il alors renoncer à ses désirs et vivre comme l'ascète impassible et détaché de tout?
Epicure propose une réponse originale : Certains désirs peuvent être satisfaits et nous satisfaire.
Parmi les désirs, les uns sont naturels, les autres vains, et parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires, les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns le sont pour le bonheur, les autres pour l'absence de souffrances du corps, les autres pour la vie même. Le plaisir est le principe et la fin de la vie bienheureuse.
Epicure va jusqu'à proposer un quadruple remède qui nous libère des pensées, des désirs qui nous empoisonnent la vie, Tetrapharmakos, qui se résume en quatre points: les dieux ne sont pas à craindre
1-      la mort n'est rien pour nous
2-      on peut atteindre le bonheur
3-      on peut supporter la douleur

Mais si le commun des mortels n'est pas le sage philosophe qui sait mourir à ses propres désirs, est-il possible de concevoir désir sans souffrance ?
Ecoute-moi maintenant et on va choisir
Elle a dit
On fera tout ce qui est interdit
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