Peut-on désirer sans souffrir ?
"Le
désir est ce qui met l'imagination en mouvement. Nous avons l'art pour ne pas
périr de la vérité ». Nietzsche
Le
désir, je le connais. Tu le connais. Tous, nous le connaissons… Désir de
partir, de bonheur, ou de manger des fraises en hiver… Désir d'amour ou de
richesse… Désir de violence, de faire tomber tous les tabous. Désir aussi de
lire ou d'écrire…Désirs qui appellent d'autres désirs qui me donnent le
vertige, qui me lancent dans un mouvement circulaire. Ma demande répétitive
fait de mon désir le synonyme de mon délire.
Désir
de poésie sur lequel je bute. Sans doute parce que je ne sais pas dire ce
qu'est la poésie. Désir d'atteindre par les mots tous les autres désirs et leur
inachèvement. Souvenir d'un coucher de soleil flamboyant qui se fond dans la
mer. Reflets fauves, chaleur ondoyante. Puis le sentiment étrange que je ne
peux pas me contenter de jouir du paysage. Le fixer par l'écriture et ainsi
aller "au-delà". De quoi? Je ne sais pas. Oui, je ne sais pas. Mais
n'en est-il pas ainsi du désir? Aller toujours au-delà de ce qu'on a déjà
désiré. Tension vers un objet qui ne cesse de manquer, expérience d'une
insuffisance qui nous pousse à chercher un objet considéré comme source de
satisfaction, mais qui n'est, en définitive, que l'angoisse saisie dans son
lien avec le fait qu'on ne peut pas donner "du dire" au désir, ce
dernier se renouvelant toujours de manière insatiable, cachant un autre désir,
plus enfoui, plus insidieux, faisant du bonheur une valeur inaccessible. Je
peux alors me demander: "Qu'est-ce que "ça" veut?" Question
qui est aussi bien celle de: Que veut-il, lui, le désir inconscient, tel que
j'ai à en rendre compte, lui qui se trouve dans la répétition de ma demande?
Mais
si le désir est manque, c'est comme s'il existait un objet préalable qui serait
éprouvé comme un manque et que nous aurions envie de retrouver. Spinoza
soutenait que « nous ne désirons pas une chose parce que nous jugeons qu'elle
est bonne mais au contraire nous jugeons qu'elle est bonne pour ce désir » A
l’origine, selon le mythe platonicien,
les mortels étaient formés d'entités doubles : homme-homme, femme-femme,
homme-femme. Tout le monde était comblé. Ils défièrent les Dieux qui les
condamnèrent en les coupant en deux, c'est-à-dire en les condamnant à se
chercher pour se combler. Chacun recherche sa moitié perdue pour restaurer
l'unité. Il y a dans cette quête amoureuse, une recherche de plénitude, de
complétude, d'unité perdue sans laquelle nous ne sommes satisfaits. Le désir
est désir immortel.
Cet
objet perdu est défini, selon la psychanalyse, par un autre terme, le phallus,
que nous croyons, de manière imaginaire, avoir perdu un jour, ce qui nous
aurait déchu de notre toute puissance originelle. Le désir humain n'est pas
déterminé par une réalité physiologique, mais par l'univers du langage et du
discours.
Il
conviendrait de distinguer le désir du besoin naturel. Chacun sait qu'une fois
les besoins élémentaires satisfaits, le désir humain peut prendre les voies les
plus diverses. Mais il faut aussi alors le distinguer de la demande. Quand un enfant
réclame à manger, par exemple, il peut croire que c'est pour obtenir un objet
précis. Mais sa demande va au delà (attirer l'attention de sa mère, par
exemple). Le désir, lui, est au delà du besoin, et comme il a une dimension
inconsciente, il peut rester caché dans la demande. En fait l'objet du désir
n'est pas en avant du sujet mais derrière lui. C'est lui que le sujet tente de
retrouver, sans vraiment le savoir. C'est par exemple la mère (ou le sein)
comme objet perdu, cause du désir. Comme son objet est perdu, interdit, comme
le sujet a du renoncer à être tout ce que la mère désire - disons à être le
phallus de sa mère - le désir ne peut généralement pas s'exprimer d'une manière
directe. Il se dit plutôt entre les lignes, dans les rêves, dans les lapsus ou
les actes manqués, ou tout simplement dans le double sens des paroles les plus
quotidiennes.
Désir
de transgression… Si Dieu n'existe pas, alors tout est permis. Si Dieu n’existe
pas, toutes les passions sont bonnes. Sade prêche un matérialisme conséquent et
tire les déductions les plus noires de l’athéisme qui est, selon lui, « le seul
système de tous les gens qui savent raisonner » Le Dieu des religions n’est
qu’une invention des politiques pour mieux discipliner les peuples par la peur
des enfers ; rien n’existe que la nature, la matière porte en elle la source de
ses propres mouvements, elle n’a pas besoin d’un agent extérieur qui lui
servirait de moteur. Dès lors pourquoi devrait-on entraver les mouvements de la
nature et en particulier les passions, les désirs? L’idée de perversion perd
toute validité et tout fondement.
"Plus
je fais l'amour, plus j'ai envie de faire la révolution". "Plus je
fais la révolution, plus j'ai envie de faire l'amour". "La honte est
contre-révolutionnaire". "Je jouis dans les pavés". Tels sont quelques-uns des
slogans qu'on pouvait trouver sur les murs de la Sorbonne avant que les
services de nettoyage ne les effacent définitivement. Ils disent combien, en
Mai 68, le désir passait pour un élément intrinsèquement révolutionnaire. Il
est vrai que le désir est source de mouvements et donc de volonté. Désir
synonyme de vie, caractère producteur d'actions, force créatrice. Il semble
être associé à la liberté et fonder la condition du plaisir qui naît avec
l'assouvissement du manque éprouvé. Pour vivre heureux et libre, il faut alors
vivre pleinement ses désirs.
-
Que
non! dit Socrate. Celui qui
cherche à assouvir ses désirs n'est ni heureux ni libre. Le passionné est
malheureux parce qu'il est constamment insatisfait, le propre du désir étant de
se renouveler. Platon compare nos
désirs à un tonneau percé : caractère insatiable et illusion d'un bonheur,
d'une satisfaction. Plus on satisfait nos désirs et plus on contribue à les
démultiplier. Par conséquent, l'individu s'expose à la déception car la
satisfaction n'est pas durable et que la satisfaction de certains désirs se
fait au détriment d'autres désirs d'où un sentiment de frustration. Faut-il
alors renoncer à ses désirs et vivre comme l'ascète impassible et détaché de tout?
Epicure propose une réponse originale :
Certains désirs peuvent être satisfaits et nous satisfaire.
Parmi
les désirs, les uns sont naturels, les autres vains, et parmi les désirs
naturels, les uns sont nécessaires, les autres naturels seulement. Parmi les
désirs nécessaires, les uns le sont pour le bonheur, les autres pour l'absence
de souffrances du corps, les autres pour la vie même. Le plaisir est le principe et la
fin de la vie bienheureuse.
Epicure
va jusqu'à proposer un quadruple remède qui nous libère des pensées, des désirs
qui nous empoisonnent la vie, Tetrapharmakos, qui se résume en quatre points:
les dieux ne sont pas à craindre
1-
la
mort n'est rien pour nous
2-
on
peut atteindre le bonheur
3-
on
peut supporter la douleur
Mais
si le commun des mortels n'est pas le sage philosophe
qui sait mourir à ses propres désirs, est-il possible de concevoir désir sans
souffrance ?
Ecoute-moi maintenant et on va choisir
Elle a dit
On fera tout ce qui est interdit
Elle a dit
On fera tout ce qui est interdit
SUJETS
A VENIR :
Mercredi 11 Novembre
1035
Faut-il tolérer
les intolérants ?
Mercredi 18 Novembre
1036 Peut-on ne pas être
soi-même ?
Mercredi 25 Novembre
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