Peut-on ne pas être
soi-même ?
On
ne peut pas ne pas être soi-même : je suis moi (il y aurait une contradiction
logique à dire que je ne suis pas moi, que je n'est pas je). La conscience
immédiate fait que je suis toujours moi parce que c'est le sentiment (le
sentiment que je suis moi) qui définit la conscience et qui accompagne tous mes
états conscients. Être, c'est être conscient. Être conscient, c'est avoir ce
sentiment, cette certitude absolue, cette intuition que je suis moi (je ne peux
pas être autre chose que moi-même, me vivre autrement que comme moi-même). Descartes
- Méditations métaphysiques.
Ce
sentiment s'appuie sur la mémoire qui fait la continuité de mon identité - qui
fait que j'ai une identité et une seule : je ne peux pas ne pas être moi car je
ne peux pas devenir un autre - par la mémoire, je fais le lien entre mes
différents états et je suis donc toujours moi. Locke - Essai
sur l'entendement humain. Ce vécu permanent constitue
ma subjectivité - qui fait mon identité (ce qui me définit et me distingue des
autres). Or je ne peux pas sortir de ma subjectivité, je ne peux pas ne pas
être moi au sens de percevoir, d'expérimenter, d'exister sous cette manière
d'être dans le monde très particulière, qui est la mienne, qui fait mon
identité et me définit. Merleau-Ponty - Phénoménologie
de la perception.
On peut ponctuellement ne pas être
soi-même et manifester extérieurement autre chose que ce que l'on pense être
intérieurement. En société, nous jouons un rôle : dans les relations sociales,
il y a une forme d'artifice, de convention, de polissage, nous ne sommes pas
totalement nous-mêmes dans les relations sociales car nous ne sommes pas
naturels (nous ne sommes pas spontanés, nous ne manifestons pas immédiatement
ce que nous sommes mais nous filtrons – filtre de la politesse, de
l'hypocrisie). Nietzsche - Le Livre du philosophe. Ou
Pascal - Pensées.
On pourrait aussi
développer ici l’idée que nous ne sommes pas nous-mêmes dans la sphère sociale
parce que nous n’y sommes pas un individu autonome, mais le membre d’un groupe
dont nous recevons l’influence, influence qui nous détermine, nous transforme
par rapport à ce que nous serions « naturellement ». Nous ne
sommes alors pas nous-mêmes car nous sommes ce que la société produit en nous.
Marx & Engels - L’Idéologie allemande,
ou Bourdieu, par exemple. Ce décalage entre ce que nous sommes (notre
identité qui nous définit, nous-mêmes) et ce que nous sommes (ce que nous
manifestons extérieurement par nos actions) est possible car notre identité se
joue dans notre intimité, dans notre subjectivité et n'est donc pas réductible,
parfaitement exprimée dans nos actions. Merleau-Ponty - Phénoménologie
de la perception. On ne peut pas ne pas être soi-même car même ce qui
paraît ne pas nous ressembler, c'est encore nous.
Les actes inconscients dans
lesquels nous ne nous reconnaissons pas forcément, sont quand même nous. Ce qui
se manifeste dans ces actes qui nous échappent, c’est au contraire notre
identité fondamentale, celle qui, certes, échappe à la conscience, mais qui
nous définit. Freud - Cinq Leçons de psychanalyse.
D'une manière générale, ce sont nos actes qui nous définissent même quand ils ne correspondent pas à ce que nous pensons ou voulons être. Sartre - L'existentialisme est un humanisme. "Je ne suis pas moi-même" constitue une excuse caractéristique de la mauvaise foi, derrière laquelle on peut s'abriter pour se déresponsabiliser de ce que l'on a fait et qu'on n'aurait pas dû faire ou qu'on aurait voulu ne pas faire, comme si nous n'en étions pas l'auteur - or l'auteur est toujours libre et responsable de ses actes.
Finalement, l'idée qu'on pourrait ne pas être soi-même vient d'une défaillance de la conscience (qui par mauvaise foi ou par ignorance ne nous permet pas de nous connaître). D'une manière générale il y a toujours un décalage entre ce que nous sommes et ce que nous pensons être mais cela signifie pas que nous ne sommes pas nous-mêmes mais plutôt que nous ne savons pas exactement qui nous sommes. Spinoza - Lettre à Schuller, Marx & Engels, L'Idéologie allemande. La représentation que nous avons de nous-mêmes a toujours un train de retard par rapport à ce que nous sommes réellement, ce que nous sommes devenus. Sartre - L'existentialisme est un humanisme.
Par Aïda N'Diaye in Philosophie
Magazine
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
1 - Tout commentaire anonyme (sans mail valide) sera refusé.
2 - Avant éventuelle publication votre message devra être validé par un modérateur.