SPINOZA ET LES FANTÔMES.
Philosophe néerlandais issu de l'émigration marrane du
Portugal, Spinoza est formé à la pensée de René Descartes et il s'éloigne de
toute pratique religieuse mais non de toute réflexion grâce à ses nombreux
contacts interreligieux.
Il naquit à Amsterdam, dans le quartier juif, en 1632. De
1639 à 1650, Spinoza fréquente la nouvelle école juive où il apprend l'hébreu.
Vers 1645-1646, il commente le Talmud, pour la fin de son cycle d'études. Dans
les années 1646-1650, il travaille avec son père, tout en préparant peut-être
le rabbinat.
À partir de 1652, il suit les cours d'une école latine,
fréquente des chrétiens et apprend le latin. En 1656, il est dénoncé par des
fanatiques ; l'un d'eux tente de le tuer au poignard.
Le 27 juillet 1656, Spinoza est excommunié par le Conseil
des rabbins pour hérésies (Ceci se nomme le kherem). Peu de temps après, il est
l'objet du chammata, qui consiste en une impossibilité d'annulation de
l'excommunication. De 1656 à 1660, Il apprend le métier de coupeur de verres et
lentilles, qu'il vendra pour assurer sa subsistance. De 1660 à 1663,
constitution d'un cercle d'amis et premiers textes. De 1663 à 1670 il réside à
Voosburg, où il reçoit de nombreuses visites, puis c’est la suite de la
parution du Tractatus theologico-politicus, en 1670, il est contraint de
quitter la ville. Il s'installe alors à La Haye, et y vit pauvre et solitaire.
À la suite des désordres politiques des années 1672-1673, il a de plus en plus
d'ennemis, dans le peuple comme en haut lieu. En 1676, Leibniz lui rend visite,
mais le niera par la suite. Spinoza est toujours plus solitaire, et sa santé
est mauvaise. À la fin du mois de février 1677, il a un malaise et meurt le 21.
( in Wikipedia )
POUR COMMENCER :
« Pour Spinoza, la joie ne peut nous venir de la
solitude qui est un mode dégradé de l’existence, elle ne peut nous venir que
d’autres hommes. Seuls ceux-ci peuvent avoir avec nous quelque chose en commun,
quelque chose dont il soit possible de former une « notion commune ». C’est
l’idée que nous avons en commun avec d’autres hommes qui seule nous met sur la
voie des créations bénéfiques. L’homme est certes un « être-avec-l’homme »,
mais cette pensée est en soi trop abstraite, trop générale, trop universelle.
Avec, en un sens, veut dire pour ; «
l’homme n’est pas un loup pour l’homme, mais un dieu », dit-il, voulant
dire par là, contre Hobbes, que c’est par une coopération inter-humaine que les
hommes se libèrent, ce qui implique culture et savoir plutôt que nature et
ignorance.
Spinoza n’est pas de ceux qui pensent que la culture gâte la
nature de l’homme ; il pense au contraire qu’il est de la nature de l’homme de
se cultiver, de s’éduquer jusqu’à atteindre au meilleur de lui-même, lequel est
un point d’arrivée qui peut différer profondément du point de départ.
La vie n’est pas un cercle, mais un processus qui peut être
orienté vers du mieux. L’entrée dans un tel processus libérateur ne passe pas
par des valeurs transcendantes, mais par une pratique de coopération
inter-humaine, entendons une pratique de l’ « amitié » qui, en tant que telle,
demeure inséparable d’une hostilité au moins potentielle. Il n’y a pas de pour
sans contre, pas de paix sans guerre et donc pas de « notions communes » dont
la vivante expérience n’implique une polémique contre ce qui est susceptible de
leur porter atteinte. Spinoza n’est en rien un pacifiste ; il sait, comme tout
philosophe de la politique, qu’il n’y a pas plus, redisons-le, de paix sans
guerre qu’il n’y a de jour sans nuit, mais surtout sait-il que les « notions
communes » les plus universelles ne nous sont ni les plus utiles, ni les
premières que nous puissions former. Les idées comme celle d’ « Homme » en
général sont trop génériques ; elles ne sont pas assez précises pour rendre
compte des façons dont nous sommes diversement affectés.
Ainsi, sous l’angle des affects dont ils sont capables, un
cheval de labour est certainement plus proche d’un bœuf que d’un cheval de
course ; il a plus de choses « en commun » avec cet autre animal et ce,
nonobstant la définition biologique et le classement qu’elle implique.
En fait, ces « notions communes » sont les premières idées
que nous puissions former et c’est par elles que nous pouvons devenir capables
d’une action pensante, soit d’une pensée dont l’expression soit génétique :
quand je dis par exemple qu’une sphère est un demi-arc de cercle qui « tourne »
autour de son diamètre, eh bien, il ne tourne pas tout seul ; c’est la pensée
qui le fait tourner et produit la définition mathématique de l’objet sphérique.
Mais délaissons ce domaine dont l’exactitude n’est pas un bon modèle au regard
des questions éthiques et politiques. Prenons plutôt l’exemple empirique du
soleil et de la manière dont son rayonnement affecte notre corps en nous
procurant tantôt une sensation agréable, tantôt le désagrément d’une brûlure.
Dans une telle expérience, nous sommes bien davantage renseignés sur les
modifications de notre corps que sur le soleil lui-même en tant qu’il les
cause, mais cause aussi tant d’autres effets dont nous n’avons pas l’idée. En
ce cas précis, l’idée que nous avons du soleil est une idée inadéquate : elle
ne permet pas de dépasser le niveau des indications vagues, des signes auxquels
se réfèrent les esprits superstitieux et de manière générale tous ceux qui en
demeurent au premier stade de la connaissance, le stade infantile, celui où
tout est possible, que les arbres parlent ou que les problèmes de l’existence
se résolvent par magie…
Les idées inadéquates sont les idées dont on se contente
quand on ne fait pas de philosophie. Les idées adéquates dépassent complètement
les simples perceptions et les idées de pure reconnaissance qui si claires et
si distinctes qu’elles puissent être ne permettent jamais de remonter jusqu’à
la connaissance de la cause ; elles se contentent de confondre celle-ci avec
son effet et conduisent aux douteux procédés de l’héritage thomiste : la
transcendance, autrement dit l’éminence, l’analogie et l’émanation, autrement
dit, plus simplement, « l’asile de l’ignorance ».
Entre ce premier
genre de connaissance et le troisième, il y a le second, lequel occupe la
majeure partie de l’Ethique : du Livre II jusqu’à la proposition 21 du Livre V,
il n’est question au fond que de la transition entre les idées-affections et
les idées adéquates qui sont le savoir par les causes.
C’est donc, selon Spinoza, la formation des notions communes
qui nous conduit aux idées adéquates, lesquelles nous mettent en possession de
notre puissance formelle de penser. Il importe à ce stade que l’aspect
spéculatif de cette philosophie ne nous dissimule pas l’essentiel, à savoir le
contenu proprement éthique de l’œuvre et sa dimension pratique. Quand nous
rencontrons un corps qui convient avec le nôtre, nous éprouvons une joie
passive qui nous induit à former l’idée de ce qui est commun à ce corps et au
nôtre. La joie est privilégiée pour la raison que, loin d’être un sentiment
contraire à notre nature, elle nous conduit à l’actualiser sans pour cela nous
faire atteindre déjà l’enchaînement rationnel des idées.
Pour développer cette puissance de penser, pour passer de la
possibilité de la pensée à sa capacité effective, il faut que nous formions une
idée adéquate, soit une idée qui nous vienne non plus du dehors, mais de ce
qu’il y a de commun entre le dehors et nous-même. La joie change alors de cause
; elle n’est plus au-dehors de notre esprit, mais en lui.
Les désirs de la raison peuvent alors l’emporter sur les
désirs passionnels ; ils deviennent des désirs constructifs plutôt que des
désirs impuissants, que des désirs soudés à du manque. En s’ajoutant à la joie
passive, la joie active remplace les désirs de la passion par ceux de la
raison, comprenons par des actions éthiques. Il est clair que la tristesse ne
saurait jouer ce rôle car elle signale toujours une impuissance, indique
quelque chose qui ne nous convient pas, avec quoi nous n’avons rien de commun.
En un sens, il y a toujours quelque chose de commun, comme l’étendue pour tous
les corps, mais cette communauté par l’universel unit trop loin pour s’inscrire
dans le jeu subtil du pour et du contre, de la convenance et de la
disconvenance. On peut certes affirmer que comprendre une disconvenance, c’est
déjà agir, mais ce n’est précisément pas former une « notion commune », entrer
dans l’agir communautaire qui non seulement nous permet au mieux d’éviter les
mauvaises rencontres, mais encore nous permet de faire face à celles que nous
ne pouvons éviter car il y a, Spinoza ne l’a jamais nié, des tristesses
inévitables. La force n’est pas dans la fausse indifférence affichée à leur
endroit, elle n’est pas dans la dénégation, mais dans la capacité à réduire leur
néfaste empire.
Cette éthique de la liberté est ainsi inséparable d’une
polémique dirigée contre la servitude. L’ontologie de Spinoza n’est ni une
spéculation abstraite pour misanthropes coupés du monde, ni un refuge pour
intellectuels soucieux de cultiver la distinction de leur individualisme. C’est
au contraire une ontologie inséparable d’Autrui autant que de l’action
collective ; c’est une philosophie qui ne rougit pas de donner des conseils et
d’énoncer des règles pratiques permettant de mieux vivre, d’accéder à une vie
meilleure, en premier, faire en soi la chasse aux passions tristes et au-dehors
de soi pratiquer une impitoyable sélection des rencontres, ce qui, bien
entendu, veut tout dire, sauf les éviter sous le prétexte d’expériences qui
nous furent malheureuses ou funestes. C’est dans les scolies de l’Ethique que
Spinoza développe sa polémique contre les prophètes et les tyrans, soit contre
ceux qui vivent de nos tristesses et donc les alimentent… »
Par PATRICK
DESCHUYTENEER
En 1674 Spinoza reçoit deux lettres d’un correspondant qui
s’appelle Hugo Boxel. C’est le contenu de ces lettres et les réponses
qu’y fit Spinoza qui formeront l’essentiel du questionnement de ce soir.
« L’affaire »
des fantômes.
H. Boxel écrit : « Croyez-vous qu’ils ( les
fantômes, les spectres, ndlr ) existent ? Combien de temps dure leur
existence à votre avis ? » ….
Boxel croyait à l’existence des spectres. Voyant le
caractère philosophique de Spinoza, Boxel insistait dès sa première lettre sur
le fait qu’il n’était pas le seul à le croire :
« Une chose est certaine … les Anciens y ont cru.
Les théologiens et les philosophes modernes admettent jusqu’à présent
l’existence de pareilles créatures, bien qu’ils ne soient pas d’accord sur leur
essence. Les uns les croient constitués d’une matière très subtile, les autres
prétendent que ce sont des êtres spirituels. ».
La réponse de Spinoza sera d’abord celle d’un homme correct,
mais néanmoins très clair et direct. Spinoza trouve que « les
niaiseries et les imaginations peuvent lui être aussi utiles » que les
choses vraies. Il demande d’abord à Boxel de lui donner deux histoires qui
prouvent l’existence des spectres. Mais il ajoute directement qu’il n’a jamais
« connu d’auteur digne de foi pour en prouver clairement l’existence. »
Spinoza admet qu’il y a des choses inexplicables, mais appeler ces « choses »
des spectres est irrationnel car il y a tas de choses inexplicables à défaut de
connaissance.
Boxel répond aussitôt à Spinoza en lui donnant quatre
arguments par lesquels des spectres doivent exister. « D’abord, parce
que cela importe à la beauté et à la perfection de l’univers. Secondement,
parce qu’il est vraisemblable que le Créateur a créé ces êtres qui lui
ressemblent plus que les créatures corporelles. Troisièmement, parce qu’il
existe une âme sans corps aussi bien qu’un corps sans âme. Enfin, parce que, je
crois que, dans les hautes régions de l’air, dans le lieu ou l’espace le plus
élevé, il n’y a pas de corps inconnu qui n’ait ses habitants et, par
conséquent, que l’immense espace compris entre nous et les astres n’est pas
vide mais rempli d’habitants spirituels. »
Boxel y ajoute encore qu’il croit qu’il y a des esprits de
tout genre, sauf peut-être du sexe féminin. Pour montrer que ce n’est pas lui
qui doit défendre ses idées, mais que c’est Spinoza qui doit prouver sa raison
il cite Plutarque, Suétone, Wierus, Lavater, Cardan et même Melanchton,
théologien réformateur bien connu, comme autorités.
Spinoza va clore la discussion en en deux temps, celui de la démonstration,
puis celui de sa référence philosophique antique : « De ce que les
sciences divines et humaines sont pleines de litiges et de controverses, on ne
peut conclure que tous les points qu'on y traite soient incertains. N'y a-t-il
pas eu beaucoup de gens si épris de contredire qu'ils ont ri même des
démonstrations géométriques ? Sextus Empiricus et les autres Sceptiques cités
par vous disent qu'il est faux que le tout soit plus grand que la partie et
portent le même jugement sur les autres axiomes.
Admettons cependant et accordons qu'à défaut de
démonstrations nous devons nous contenter de vraisemblances, je dis qu'une
démonstration vraisemblable doit être telle que, tout en pouvant douter d'elle,
nous ne puissions y contredire : ce qui peut être contredit est semblable non
au vrai mais au faux..
..Quand vous dites que les spectres et les esprits se
composent ici, dans les régions basses (j'use de votre langage encore que
j'ignore que la matière ait un prix moindre dans le bas que dans le haut), de
la matière la plus ténue, la plus rare, la plus subtile, vous me semblez parler
des toiles d'araignées, de l'air ou des vapeurs. Dire qu'ils sont invisibles
c'est pour moi comme si vous disiez ce qu'ils ne sont pas mais non ce qu'ils
sont. A moins que vous ne vouliez indiquer qu'ils se rendent à volonté tantôt
invisibles, tantôt visibles et qu'en cela, comme dans toutes les
impossibilités, l'imagination ne trouve aucun difficulté.
L'autorité de Platon, d'Aristote, etc. n'a pas grand
poids pour moi : j'aurais été surpris si vous aviez allégué Épicure, Démocrite,
Lucrèce ou quelqu'un des Atomistes et des partisans des atomes.
Rien d'étonnant à ce que des hommes qui ont cru aux
qualités occultes, aux espèces intentionnelles, aux formes substantielles et
mille autres fadaises, aient imaginé des spectres et des esprits et accordé
créance aux vieilles femmes pour affaiblir l'autorité de Démocrite. Ils
enviaient tant son bon renom qu'ils ont brûlé tous les livres si glorieusement
publiés par lui. Si nous étions disposés à leur ajouter foi, quelles raisons
aurions-nous de nier les miracles de la Sainte Vierge et de tous les Saints, racontés
par tant de philosophes, de théologiens et d'historiens des plus illustres
ainsi que je pourrais vous le montrer par mille exemples contre un à peine en
faveur des spectres ?
Je m'excuse, très honoré Monsieur, d'avoir été plus long
que je ne voulais et je ne veux pas vous importuner davantage de ces choses que
(je le sais) vous ne m'accorderez pas, partant de principes très différents des
miens, etc… ».
Est-il si étonnant,
se demande Pierre François Moreau, que Spinoza, qui ne se reconnaît pas souvent
de prédécesseurs, désigne néanmoins ceux-là précisément, lorsqu’il s’agit de
combattre la superstition ? C’est peut-être qu’au-delà des clivages, même sur
des questions essentielles, ils défendent des positions communes contre les
tenants de la crainte et des passions tristes, contre ceux qui jugent les
hommes concrets au nom d’une essence imaginaire ou d’une volonté divine marquée
par la colère et la vengeance. Trois choix, trois refus les unissent par-delà
leurs divergences ponctuelles :
Une physique qui expulse la finalité de la nature ;
Une défense de la Raison contre tout ce qui ressemble à
de la superstition ;
Une éthique de la finitude qui exclut la fascination pour
la mort et l’au-delà.
La physique du hasard, chez les épicuriens, a d’abord pour
fonction de montrer que les mondes ne sont pas l’œuvre d’un Démiurge - ils ne
sont donc gouvernés par aucune Providence ; le mouvement aléatoire des atomes
dans le vide suffit à constituer les agglomérats d’où naissent les astres, la
terre, les races d’animaux et les hommes.
De même, la nécessité chez Spinoza s’affirme contre le
miracle (c’est tout le sens du chapitre VI du Traité théologico-politique) et
contre l’idée que le monde a été fait à notre usage (c’est l’enjeu de
l’Appendice de la Première Partie de L’Éthique).
Il ne faut d’ailleurs pas se tromper sur le statut du hasard
des atomistes : s’il est à l’origine de tout, s’il gouverne les dispersions
premières des éléments et leurs chocs, le monde une fois constitué est régi par
des lois tout aussi inflexibles que les lois de la nature que découvrira la
physique du XVIIe siècle, les fameux foedera naturae, que Lucrèce opposent à la
libre fiction de la mythologie : le feu ne naît pas au milieu des fleuves, les
arbres ne produisent pas n’importe quels fruits, les hommes ne se changent pas
en bêtes ; d’ailleurs sous la plume de Spinoza viennent souvent des formules
empruntées à Lucrèce contre cet imaginaire des métamorphoses (ainsi dans
L’Ethique :
« Ceux qui ignorent les vraies causes des choses
confondent tout et, sans protestation de leur esprit, forgent aussi bien des
arbres que des hommes parlants, imaginent des hommes naissant de pierres aussi
bien que de liqueur séminale et des formes quelconques se changeant en d’autres
aussi bien quelconque ».
Chez l’un comme chez l’autre, au règne des fins se substitue
sans faille un univers des lois. Leur constance, leur généralité, leur
caractère connaissable fondent la lutte contre la superstition, l’angoisse et
l’ignorance qui croit à l’arbitraire divin.
Les deux regards jetés sur la Nature, quelles que soient
leurs modalités, visent d’abord à en chasser l’intention providentielle et le
commandement d’un dieu qui pourrait normer, juger ou punir.
La physique justifie donc chez tous deux aussi le même
militantisme de la Raison ou de la connaissance, la même lutte contre la
superstition. On dit souvent qu’il n’y a pas de politique épicurienne (vivre
caché), ce n’est exact que si on identifie politique et participation active
aux « affaires » de la cité ; mais il y a une stratégie lucide de
diffusion des Lumières et certains passages du De la Nature ont des accents qui
font penser au Traité théologico-politique : la préface du Traité cherche dans
la crainte les racines de la superstition et dénonce ceux qui s’en servent pour
tromper les hommes ; le poème de Lucrèce, en citant le sacrifice d’Iphigénie
conclut :
« Tant la religion put susciter de maux ! Ni chez
l’un ni chez l’autre, l’aspiration au vrai n’apparaît comme un désir originel
chez l’homme, mais l’un comme l’autre y voient le moyen inéluctable d’assurer
son bonheur ».
Son bonheur : il consiste d’abord, chez les épicuriens, à ne
pas craindre les dieux, certes, mais tout autant à ne pas redouter la mort. La
mort n’est rien pour nous, disent Épicure et Lucrèce ; le sage ne pense à rien
moins qu’à la mort, dit Spinoza. Ces formules étrangement parallèles renvoient
à des conceptions analogues de la vie - car la crainte de la mort, c’est chez
les ignorants d’abord la crainte d’une moindre vie, et non pas seulement la
terreur de l’au-delà.
L’un et l’autre ont une conception positive, affirmative de
la finitude. Au milieu des souffrances et des déchirements - il n’y a pas à se
plaindre de ce que nous sommes. Les deux philosophies partent d’un point de
départ identique : l’homme vit au milieu des tourments - impuissance, angoisse,
déchirement -, et le plus souvent, les efforts qu’il fait spontanément pour y
échapper ne font que l’y enfoncer plus encore ; y compris cet effort
apparemment vain que représente une connaissance partielle ou mal fondée. Mais
c’est pourtant dans la connaissance du corps, de sa constitution et de ses
limites, de ses effets dans la passion comme des règles de son désir que pourra
se fonder la recherche d’une félicité qui ne soit pas illusoire.
La confiance du sage épicurien dans sa propre disparition et
la certitude du sage spinoziste recèlent toutes deux une méditation sur la
limite et un ferme refus d’y échapper par la transcendance.
Source :
http://hyperspinoza.caute.lautre.net/article.php3?id_article=969.
Quelques
citations de SPINOZA :
« les hommes les plus attachés à toute espèce de
superstition, ce sont ceux qui désirent sans mesure des biens incertains ;
aussitôt qu’un danger les menace, ne pouvant se secourir eux-mêmes, ils
implorent le secours divin par des prières et des larmes ; la raison (qui ne
peut en effet leur tracer une route sûre vers les vains objets de leurs
désirs), ils l’appellent aveugle, la sagesse humaine, chose inutile ; mais les
délires de l’imagination, les songes et toutes sortes d’inepties et de puérilités
sont à leurs yeux les réponses que Dieu fait à nos vœux.
Dieu déteste les sages. Ce n’est point dans nos âmes
qu’il a gravé ses décrets, c’est dans les fibres des animaux. Les idiots, les
fous, les oiseaux, voilà les êtres qu’il anime de son souffle et qui nous
révèlent l’avenir. Tel est l’excès de délire où la crainte jette les hommes. » T.T.P
Préface
« Les universités, dont la fondation est supportée
pécuniairement par l’administration publique, sont des institutions destinées,
non à cultiver, mais à contraindre les esprits » T.P Chap.8
« L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort,
et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie ».
Éthique IV, prop. 67
Blog du café philo
http://philopistes.blogspot.com/
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