lundi 30 septembre 2024

Sujet du Merc. 02 Oct. 2024 : PEUT-ON RENONCER A LA NOTION DE PROGRES ?

                    PEUT-ON RENONCER A LA NOTION DE PROGRES ?

La notion de progrès n’est-elle pas le cœur le plus intime du monde occidental ? Dont les valeurs clef sont nées dans la matrice du progrès : égalité, justice, droits de l’homme, liberté de conscience, droit à la différence, abolition de l’esclavage, de la torture et de la peine de mort, solidarité, élaboration continue et critique des connaissances et des sciences ?... De plus, la notion de progrès ne constitue-t-elle pas le soubassement incontournable de nos conceptions philosophiques ?


 Dès lors, comment justifier de la renier comme semble le vouloir l’opinion générale ? Tout irait au plus mal et de mal en pis ? Peut-on concevoir de pouvoir même penser et agir sans avoir recours au mythe fondateur du progrès ?


Déjà sur le plan personnel, la réalisation de soi en relation avec le lien social ne passe-t-elle pas par la représentation que le sujet se fait d’un but à atteindre ? Les hommes ne se jettent-ils pas sans cesse nécessairement vers le monde et vers la découverte réalisation incessante d’eux-mêmes par leurs actes conscients et responsables ? Ne se saisissent-ils pas par rapport à cette fin-là qui donne sens aux moyens mis en œuvre pour y parvenir ? Exister en se réalisant. Les hommes ne sont-ils pas eux-mêmes tout entiers dans l’acte de se jeter en avant, de se projeter : un projet en constante manifestation ? C’est en ce sens que par leurs choix ils progressent en assurant leur liberté face à la situation qui est la leur dans le monde où, seuls, ils doivent exister. Ils sont libres, « en progrès » au sens où ils ne sont conditionnés par aucune cause déterminante. Ainsi ne sont-ils pas des choses, qui ne sont telles qu’en elles-mêmes. Ils sont le projet de leur ultime possibilité en devenir perpétuel, « en progrès ». De même à l’origine, ils ne sont dérivés d’aucune raison ou cause efficiente, comme s’ils n’étaient qu’un donné immédiatement tel qu’en lui-même. Ils se font progressivement, sans fin.

 

N’en va-t-il as de même pour le progrès de la connaissance ? Ne s’améliore-t-elle pas sans cesse ? Non pas par un processus linéaire sans failles ni ruptures, ni virements de bord. La progression de la philosophie, de la science et de l’histoire tant personnelle que générale ne se fait-elle pas par une série de remises en question successives ? Telle théorie, tel paradigme ou vision du monde ne progressent-ils pas de découvertes en découvertes ? Jusqu’à trouver leur limite de validité. Et qu’il y a crise. Le dénouement survient lors d’une révolution conceptuelle 3. Il y a élaboration, choix et imposition d’une nouvelle vision des choses. Un nouveau paradigme fournit le cadre où se construit une nouvelle science par progrès successifs ?

 

Ainsi progresserait la connaissance et l’histoire ? Ainsi se construiraient les hommes dans leur existence ? Ou au contraire y aurait-il dans chaque cas une progression continue, linéaire, prédéterminée par laquelle la Providence ou cause première définirait le processus historique dès l’origine comme réalisation d’un projet divin ou d’une finalité conforme à la Nature ? La notion de projet progrès précédemment décrite perdrait ici sa dimension subjective pour acquérir une valeur objective. Le progrès désignerait alors un plan, un dessein général postulé par un auteur ou un créateur initial en vue d’un but final.

 

Cette notion de Progrès absolu n’était-elle pas en germe dans les fondements même de la philosophie à ses débuts ? Le concept ultime de perfection s’est décliné sous diverses formes en passant du souverain Bien de Platon au Dieu des « Pères de l’Eglise » et de Descartes et à la Nature encensée par les philosophes idéalistes qui suivirent, pour déboucher enfin sur les incantations écologistes et technophobes post-modernes à la déesse terre Gaïa. Reviendrions-nous au dogme de la perfection scolastique comme idéal que les hommes devraient poursuivre inlassablement en reconnaissant que Dieu peut, seul, nécessairement être parfait ?

 

La Renaissance et les Temps Modernes avaient transformé ce Dieu de perfection en progrès de l’homme, des sciences et des arts. Pour la première première fois, les sciences étaient conçues comme un savoir certes contemplatif mais surtout utile. Comme moteur du progrès. Il s’agissait de connaître la nature pour modifier la condition humaine. L’homme dépasse alors les limites et dirige sa propre évolution ! Cette dérive du concept de progrès par l’utopie n’est-elle pas elle aussi liée à l’idée de perfection. La « marche infinie du progrès » total vers « des lendemains qui chantent ».

 

Le nouveau paradigme consiste à confondre utopie progressiste et utilitarisme scientifique : grâce à la science et aux techniques, l’humanité va se refondre, se recréer en homme nouveau, régénéré. Ce Progrès-là est une eugénique universaliste à l’échelle de l’humanité toute entière. (La dérive ultime du Progrès fondra l’eugénisme des « races » particulières dans le nazisme.)

 

Le Progrès devient le désir d’un bonheur scientisé. Désir, càd marche indéfinie ; progression linéaire, irréversible, indépendante, sans fin ; dévoilement progressif du Vrai (Leibniz). C’est à nouveau le cercle vertueux du Beau, du Vrai,…, du Bien. Les « bonnes valeurs » sont en synergie entre elles. L’Occident se pense en progrès absolu, se fait référence totale. La conception de l’histoire devient cumulative et linéaire. Le progrès est le sens de l’histoire, l’humanité y est embarquée. L’homme est son propre guide, son Dieu. C’est une nouvelle religion de substitution de Dieu par le Progrès. L’homme ne peut résister au Progrès, sens de la Nature et donc nécessité anthropique. Sur tous les plans – scientifique, juridique, moral, …, spirituel – qui dès lors ont un lien nécessaire entre eux. Il s’ensuit un messianisme de techno-science et de démocratie à vocation universelle.  « Urbi et orbi ». Les concepts de développement (durable ou pas), de « mission civilisatrice » ou de « guerre préventive » à la W.Bush en sont des apanages récents. 


Ce Dieu Progrès automatique et nécessaire se fera donc avec ou sans l’intervention de l’homme ainsi réduit à l’état de sujet passif. Car il y aurait ou un auteur ou un créateur dont tout serait issu. Le Dieu créateur de l’histoire prendrait la figure du Destin pour imposer ses choix au sujet passif de l’humanité. L’alternative ferait de la raison l’auteur de l’histoire (Kant). Il y aurait une causalité guidée par l’outil depuis le plus ancien ancêtre de l’Homo jusqu’à Sapiens sapiens. Ce progrès-là relève d’un finalisme et d’un déterminisme évolutif dogmatique. Saint-Simon ne prétendait-il pas remplacer Dieu par la gravitation universelle ! Ne veut-on pas aujourd’hui remplacer sur le plan spirituel la religion par la science (la vérification de nos connaissances par l’expérience serait l’unique critère de vérité) et remplacer sur le plan temporel la politique par l’économie (l’intervention de l’Etat serait pernicieuse comparée à celle de la « main invisible du marché » : transnationales, financiarisation) ?

 

Aujourd’hui les promesses de la notion de Progrès absolu semblent en échec. 

Ce progrès semble être aujourd’hui essentiellement remplacé soit :

1) par un néo-progressisme contestataire de haine absolue du monde existant sans désir de l’améliorer, ce qui conduit à l’impuissance, soit

2) par un progressisme techno-scientiste, fanatisme de la modernisation privé de tout humanisme et qui accentue les échecs du Progrès tels que l’effet de serre (prétendument dû à l’usage des énergies fossiles) et l’accroissement de l’inégalité sociale (par le marché de la misère de masse et une fin programmée de l’histoire débouchant sur un eugénisme de sur- et sous-humanités).

N’est-ce pas là un nouvel avatar de l’illusion de la fatalité techno-scientifico-économique par laquelle l’homme n’est qu’un moyen vers un but définitif (le pouvoir absolu, l’argent roi)? Celui d’une évolution nécessaire au-delà de l’humain, certes pilotée par certains ?

 

Quelles issues possibles à ces impasses conceptuelles de la philosophie depuis Platon?:

 


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