Quand on
nait, qu’est ce qu’on est ?
« Il y a le gène de la méchanceté et celui de la bonté, celui de
l’intelligence et celui de la bêtise ; et puis ceux du saut à la perche,
de la gourmandise, de l’avarice et de la cupidité, et puis celui de l’amour » ?!
Le fœtus humain est d’abord une
larve nageuse amniotique des temps primaux. Puis il passe par tous les stades
de l’évolution animale. C’est donc d’abord une bête, puis toutes les bêtes à la
queue leu leu. Enfin sa tête est déjà si peu animale que, si humaine et si
grosse, il faut qu’elle sorte par l’issue osseuse déjà trop exigüe. Il naît
prématuré, à façonner par la culture. Ce n’est alors déjà plus une bête mais un
homme physiquement construit par la culture immémoriale de l’outil finalement
lithique. A-t-on jamais vu quelque animal faire du feu, tailler un
silex, enterrer ses morts ? Son cerveau, sa patte le lui
permettent-ils ? Mais, en plus, déjà le monde humain de l’instant a eu une
incidence sur cet embryon. La société, la culture l’impactait de façon
radicale, à la racine et dans l’amnios. Il n’a déjà plus de nature déterminée
ou si peu, mais devient à chaque étape un être en évolution. Façonné par la
culture au cours d’un processus dialectique entre lui et celle-ci.
Autrement dit, les animaux sont
des prémisses d’homme. En devenir ils sont des promesses et potentialités
incomplètes d’homme. Les hommes, eux, ne sont plus des bêtes et n’en sont donc
tout simplement pas. Mais toujours plus des êtres de culture en devenir.
Progressivement, depuis des millions d’années. Les hommes ne sont au fond pas
des bêtes et cela de plus en plus. Les bêtes, elles, sont fondamentalement des
hommes en devenir.
En fait, ni les uns ni les autres
n’ont été créés tels quels une fois
pour toutes et méchants de surcroît pour ce qui nous concerne, comme dans un
rêve métaphysiquement créationniste. Ce qui voudrait faire croire que les
hommes, à l’instar des animaux et des pierres, auraient une nature définie,
déterminée par une animalité immuable. C’est là le fruit d’un système
métaphysique totalisant qui décrit un ordre naturel illusoire propre à
l’Occident depuis les premiers philosophes grecs.
De plus cette métaphysique
définit la nature imaginaire de l’homme comme nécessairement cupide et violente
livrant la société à l’anarchie, à moins de soumettre cette nature fantasmatique à quelque gouvernement.
« La théorie politique de l’animal humain sans foi ni loi a souvent pris
deux partis opposés : ou bien la hiérarchie, ou bien l’égalité ; ou
bien l’autorité monarchique (chef, patron), ou bien l’équilibre
républicain ; ou bien un système de domination idéalement capable de
mettre un frein à « l’égoïsme
naturel » des hommes grâce à l’action d’un pouvoir extérieur, ou bien un
système auto régulé où le partage égal des pouvoirs et leur libre exercice
parviendraient à concilier les intérêts particuliers avec l’intérêt commun. »
Ce système métaphysique
totalisant vaut « aussi bien pour
l’organisation de l’univers que pour celle de la cité ou pour la conception de
la santé et du corps humains. Cette métaphysique est propre à l’Occident car la
distinction entre nature et culture qu’elle suppose définit une tradition qui nous
est propre, nous démarquant de tous les peuples qui considèrent que les bêtes
sont au fond des êtres humains et non que les humains sont au fond des bêtes.
Pour ces derniers il n’est pas de « nature animale « que nous
devrions maîtriser ».
En effet l’espèce humaine, l’homo sapiens sapiens, est née il y a relativement
peu de temps dans une histoire culturelle de l’homme beaucoup plus ancienne. La
paléontologie en témoigne : nous sommes des animaux de culture. Notre
patrimoine biologique est déterminé par notre pouvoir symbolique, culturel. La
conception de notre esclavage involontaire aux penchants animaux est une
illusion ancrée dans notre culture.
Dès lors Adam Smith, le
capitalisme, le néolibéralisme contemporain tiennent-ils encore autrement que
comme une croyance, ou même une religion au vu des rites et incantations qu’ils
véhiculent ? Y a-t-il ailleurs que dans une métaphysique délirante l’idée
saugrenue d’un déterminisme génétique qui prétend expliquer la culture par une
disposition innée des hommes à
rechercher leur intérêt personnel dans un milieu compétitif ? N’est-ce pas
oublier tant l’histoire que la diversité des cultures que de prôner l’égoïsme
évolutionniste sans même remarquer que derrière ce qu’on appelle la
« nature humaine » se cache la figure du (petit) bourgeois ?
Pouvons-nous (bêtement) continuer
à affirmer sans preuve que nous, les hommes, sommes des bêtes immuablement
« bêtes et méchantes » ?! Ou même que nous ayons une quelconque
nature, essence ou être ontologiquement déterminé ?
** Les extraits entre guillemets
sont de M. Sahlins, « La nature humaine, une illusion occidentale ».
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