La théorie du tout et la pensée de dieu.
La « théorie du Tout » est une théorie permettant
d'englober la relativité générale (à la base de notions comme la courbure de
l'espace-temps et l'expansion de l'Univers après le big bang), qui décrit la
mécanique des objets lourds, à la physique quantique qui décrit la physique
microscopique où la discontinuité fait foi ainsi que la notion de diversité
d'états (le chat de Schrödinger est vivant et mort à la fois). Les deux
théories sont aujourd'hui incompatibles. Et on a notamment du mal aujourd'hui à
unifier la gravitation avec les 3 autres forces fondamentales.
« Même si la physique parvenait un jour à unifier ses modes de
représentation au sein d'une théorie apparemment complète, on pourrait encore
se demander si une théorie prétendant avoir pour objet l'exhaustivité du monde
relèverait de la science telle que nous la concevons aujourd’hui ; aucune
expérience n'ayant été conduite, ni ne pouvant être conduite, sur la totalité
du monde en tant que telle, pareille théorie aurait de grandes chances de ne
pas être réfutable. Il faudrait donc l'admettre sans pouvoir tester ses
principes fondamentaux. En d'autres termes, la « Théorie du Tout » qu'on nous
annonce comme imminente risque de ne pouvoir se départir du statut de
conjecture éternelle : impossible à prouver autant qu'à réfuter.
Selon lui, puisque les êtres humains qui sont les plus aptes à décoder le monde
qui les entoure et à agir en conséquence sont aussi les plus aptes à survivre
et à se reproduire, la sélection naturelle ne manquera pas, d'ici quelque
temps, de privilégier les esprits capables de comprendre... la Théorie du Tout
! II fallait y penser. Et Hawking de conclure, sans se démonter : «Si nous
parvenons a vraiment à découvrir une théorie unificatrice, elle devrait avec le
temps être compréhensible par tout le monde dans ses grands principes, pas
seulement par une poignée de scientifiques. Philosophes, scientifiques et
personnes ordinaires, tous seront capables de prendre part à la discussion sur
le pourquoi de notre existence et de notre univers. Et si nous trouvions un
jour la réponse, ce sera le triomphe de la raison humaine — qui nous
Permettrait alors de connaître la pensée de Dieu. »
La pensée de Dieu ? Bigre. N'est-ce pas aller un peu vite en besogne ?
Vraiment, la Théorie du Tout nous dirait non seulement comment le monde est,
mais aussi pourquoi il existe et quel sens il a ?
Croire cela d'emblée serait oublier la façon dont la physique moderne s'est construite, notamment depuis Galilée. Elle n'est devenue puissante qu'à partir du moment où elle a accepté de limiter ses ambitions : la physique ne s'intéresse pas à toutes les questions, seulement à celles auxquelles sa démarche est applicable. Autrement dit, la physique ne s'intéresse qu'aux questions... de physique. Du coup, l'universel qu'elle exhibe reste incomplet, au sens où il n'aide guère à penser les questions qui restent en dehors du champ de la physique.
Par exemple, il ne permet pas de mieux penser le sens de
la vie, l'amour, la liberté, la justice. Le constat de cette limitation est
peut-être même l'une des raisons de la baisse de notre enthousiasme collectif à
l'égard de la science : « Comprenez bien, explique-t-on aux scientifiques,
que les questions relatives à nos valeurs sont celles qui nous importent le
plus, en tout cas bien plus que la litanie des grandes lois de la physique, car
c'est autour d'elles que nous construisons nos valeurs. Dès lors, si votre
science ne nous aide pas à éclairer notre humanité, si elle est incapable de
nous fournir les références dont nous avons besoin, si elle découvre le vrai
mais sans pouvoir lui trouver un sens, ne soyez pas surpris si nous n'entrons
pas en communion avec votre communauté. » En la matière, rien ne garantit
qu'une éventuelle Théorie du Tout pourrait changer la donne. Même mis devant
elle, tout esprit en quête d'unité totale restera condamné à combler les
lacunes qu'offre le tableau scientifique de l'univers grâce à un liant de son
propre fonds, un principe qu'il estime véritablement premier. En d'autres
termes, il devra se résoudre à rechercher hors du monde l'explication unifiante
du monde.
Mais
c'est plus fort que nous, et Hawking l'a d'ailleurs fort bien compris : l'idée
d'un embrassement intellectuel de la totalité nous fascine. Est-ce un effet de
notre appétit d'absolu ? de notre impatience ontologique ? Nous sommes
irrésistiblement portés à penser que l'univers est le dépositaire d'un secret à
élucider, que nous parviendrons bientôt à dévoiler. Et ce sentiment confus
pousse certains d'entre nous à oser des hypothèses naïves sur le sens général
du réel, qui font la part belle aux raccourcis : « Tout est énergie », «
Tout est onde », «Tout est matière ». Mais rien de très précis
n'étant à dire sur pareil sujet, ceux qui croient de bonne foi avoir quelque
chose à dire sur la totalité du monde sont contraints de parler à vide. Car il
ne s'agit pour eux que d'exprimer un sentiment — un sentiment qui ne s'embarrasse
pas d'un contenu précis : le simple sentiment qu'il y a un sens. Or le
sentiment du sens se manifeste de façon d'autant plus ferme (ou violente) qu'il
est plus incertain quant à la question de savoir quel il est.
Dans la dernière page du livre, Hawking se moque des philosophes, auxquels il reproche d'avoir déserté la grande tradition de la philosophie, d'Aristote à Kant : « Ils ont tellement réduit le champ de leurs réflexions que Wittgenstein, le philosophe le plus célèbre du XXième siècle, a pu déclarer : "La seule tâche qui demeure pour le philosophe est l'analyse du langage." »
N'est-ce pas là le comble de l'ironie ? Car ce qui manque cruellement à cet
ouvrage, c'est justement un travail philosophique du genre de celui que
préconisait l'auteur du Tractatus : « La philosophie doit rendre claires, et
nettement délimitées, les propositions qui autrement sont, pour ainsi dire,
troubles et confuses. » En effet, seul un tel effort aurait pu sinon anéantir,
du moins problématiser les vulgates lancinantes, superficielles, voire
publicitaires, qui encombrent les 160 pages d'Une belle histoire du temps.
Au
bout du compte (et du conte), parce qu'il n'a pas suffisamment réfléchi aux
questions qu'il soulève, et pas assez « critiqué son langage », le Pr
Hawking ne parvient toujours pas à nous faire prendre ses vagues vessies pour
de majestueuses lanternes. Mais soyons patients : un troisième livre encore
plus bref du même auteur sur le même thème est peut-être déjà en préparation ? » E.
Klein – 2006.
«... supposez qu'une pierre tombe du toit d'une maison sur la tête d'un homme et lui donne la mort, ils diront que cette pierre est tombée tout exprès pour tuer cet homme. Comment, en effet, si Dieu ne l'avait fait tomber à cette fin, tant de circonstances y auraient-elles concouru (et il est vrai de dire que ces circonstances sont souvent en très grand nombre) ?
Vous répondrez peut-être que l'événement en question tient à ces deux causes ; que le vent a soufflé et qu'un homme a passé par là. Mais ils vous presseront aussitôt de questions : Pourquoi le vent a-t-il soufflé à ce moment ? pourquoi un homme a-t-il passé par là, précisément à ce même moment ? Répondrez-vous encore que le vent a soufflé parce que, la veille, la mer avait commencé de s'agiter, quoique le temps fût encore calme, et que l'homme a passé par là parce qu'il se rendait à l'invitation d'un ami, ils vous presseront encore d'autres questions : Mais pourquoi la mer était-elle agitée ? pourquoi cet homme a-t-il été invité à cette même époque ?
Et ainsi ils ne cesseront de vous demander la cause de la cause, jusqu'à ce que vous recouriez à la volonté de Dieu, c'est-à-dire à l'asile de l'ignorance.
De même aussi, quand nos adversaires considèrent l'économie du corps humain, ils tombent dans un étonnement stupide, et comme ils ignorent les causes d'un art si merveilleux, ils concluent que ce ne sont point des lois mécaniques, mais une industrie divine et surnaturelle qui a formé cet ouvrage et en a disposé les parties de façon qu'elles ne se nuisent point réciproquement. C'est pourquoi quiconque cherche les véritables causes des miracles, et s'efforce de comprendre les choses naturelles en philosophe, au lieu de les admirer en homme stupide, est tenu aussitôt pour hérétique et pour impie, et proclamé tel par les hommes que le vulgaire adore comme les interprètes de la nature et de Dieu. Ils savent bien, en effet, que l'ignorance une fois disparue ferait disparaître l'étonnement, c'est-à-dire l'unique base de tous leurs arguments, l'unique appui de leur autorité ».
Spinoza -
Ethique - appendice.
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