La société
des ego.
Et bien
voilà, nous y sommes. L’égalité ne nous y avait point préparée. L’égoïsme de Smith et Hobbes, érigé en
principe de toute société, si.
STIRNER (1806-1856), et NIETZSCHE (1844 – 1900) :
Parmi les penseurs de cette idéologie, deux philosophes, Stirner et Nietzsche.
Le premier considère qu'il faut et qu'il suffit que chacun s'oppose à tout Dieu
et à tout Maitre, à toute domination d'une puissance extérieure à l'Individu
(état, morale, religion, idéologie etc...), pour que celui-ci soit lui-même,
libre, souverain, et ainsi épanouisse son être. Ce que je fais ne doit être que
l'expression de mon moi, mon existence doit coïncider avec mon essence supposée
innée. Pour cela je dois rejeter ces dominations, ou du moins n'accepter de
prendre de l'extérieur de mon moi que ce qui me convient, dont je décide qu'il
coïncide avec lui.
Une telle conception nie évidemment que l'essence d'un individu est historique et déterminée par les rapports sociaux concrets de son époque. Elle prétend que chacun puisse choisir, refuser ce qui n'est pas "lui", prendre ou écarter à sa convenance. S'il est brisé, exploité, méprisé, c'est, au fond, qu'il l'accepte. Il ne tient qu'à lui de se considérer un homme égal aux autres et d'avoir avec eux les relations qui lui conviennent. Finalement chacun est responsable de sa propre infortune éventuelle, où alors les malheurs sont des accidents inévitables. Soit on supporte courageusement ce qui est inévitable, soit on refuse ce qui ne l'est pas.
Les descendants de STIRNER, les
anarchistes, sont ainsi souvent amenés à mépriser les autres qui, selon eux,
feraient preuve d'une lâche soumission, alors qu'il suffirait que chacun "chasse
le flic qu'il a dans sa tête", comme ils disaient en Mai 68, pour
devenir libre. Ce qui est logique si on croit que les idées fausses ne
proviennent que de la propagande, de l'extérieur, et n'ont pas de bases
matérielles dans la vie concrète de chacun.
Nietzsche, quant à lui, prend le contre-pied des Lumières pour qui la société
est un produit, un facteur, une mesure de la civilisation. Pour eux les hommes
se renforcent en lui abandonnant une part d'eux-mêmes, de leur puissance. Pour
lui le progrès est au contraire que l'individu se dégage de la horde collective
et primaire, du troupeau du Tout, de Dieu, de la Raison, et réalise sa seule
volonté de puissance, qui serait son essence naturelle (toujours HOBBES!). Il
ne doit pas s'opposer au Tout seulement en tant qu'individu quelconque,
représentant le droit égal de tous les individus, mais en tant que personne
unique, affirmant sa différence.
"Dire moi plus souvent et plus fort
que la majorité des hommes, s'imposer à eux, se raidir contre toute tentative
qui nous réduirait au rôle d'un instrument ou d'un organe, se rendre
indépendant, fut-ce en se soumettant ou en sacrifiant les autres, si l'indépendance
n'est réalisable qu'à ce prix, préférer un état social précaire à des
groupements faciles, sûrs, uniformes, et considérer qu'une façon de vivre
coûteuse, follement prodigue et absolument personnelle est nécessaire à l'homme
s'il veut devenir plus grand, plus puissant, plus fécond, plus hardi et plus
rare..." (In Volonté de puissance)
NIEZTSCHE voit bien la société comme hostile aux individus, la grégarisation et la médiocrité dans lesquelles elle les tient, sa faillite à enrichir leur personnalité. Mais il n'en tire que la conclusion stupide de pousser la logique marchande, qui produit ce résultat, à son aboutissement extrême : s'y affirmer soi-même n'est possible que contre les autres, en les écrasant s'il le faut. Il tombe dans l'absurde en ne comprenant pas l'histoire qui a produit ces individus-là, en niant que les hommes ne se sont jamais enrichis que de leurs activités réciproques, qu'ils ne s'élèvent ou ne s'abaissent qu'ensemble.
La volonté
individuelle de puissance n'est en réalité qu'impuissance quand elle est
isolée. C'est pourquoi les nazis, tout en la glorifiant en paroles par le culte
du héros, ne pourront tenter de la réaliser qu'en l'étendant à l'ensemble de la
"race", supposée expression de la différence et de la supériorité.
Notre époque :
Chacun de
nous revendique son quant à soi. L’individu a ses gouts, ses valeurs, ses
préférences et convictions, dont le niveau de qualité importe peu (puisque
c’est « à lui »).
Le phénomène est particulièrement visible chez les enfants et les adolescents. Cela donne des petits monstres auto-satisfaits et imbus d’eux-mêmes, auxquels au demeurant on ne peut guère reprocher que de faire précocement ce que tout le monde fait et d’avoir l’intelligence de reconnaître qu’un monde où règne l’arbitraire est taillé à la mesure des enfants.
On aurait ainsi tort de s’étonner des fusillades qui émaillent épisodiquement
la vie des lycées de notre société, elles ne sont somme toute que la partie
visible des trafics, jeux pervers avec sous sans interface électronique, qui
sont désormais le quotidien des jeunes gens.
Après tout
il faudra bien un jour sauver sa peau, avoir un « job » et à ce jeu
du « winner/looser) l’autre est l’adversaire. Tous les coups sont donc
permis. Du tueur de lycée, en passant par le trader et l’homme d’industrie qui
en un instant fait basculer la vie de centaines ou de milliers de personnes, il
n’y qu’une différence d’échelle, pas de différence sur le fond.
Libres,
nous voilà désormais libres. Seuls, mais libres. Même le système est libéral.
C’est un système naturel somme toute. La moindre faiblesse s’y paye comme dans
la nature. Faut-il s’émouvoir ? Surtout pas, ou alors pour l’image, le
look, le sentiment à quatre sous. De beaux films sur la vie des animaux
sauvages ( ce qu’il en reste ), de l’attendrissement sur des histoires de
singes, sur les moutons ou les ours qu’on apprend à cohabiter, et puis, vite on
passe à table pour manger son poulet qui a grandi en 6 semaines. Il faut bien
vivre. Alors d’un côté le pragmatisme froid, de l’autre le pathos préfabriqué.
C’est que
le l’homme, l’Ego, moderne s’il revendique haut et fort sa liberté se trouve
confronté à un sacré problème. Si son Ego est libre, celui des autres aussi.
Dès lors peut-on concevoir une société des Ego sans limites ?
L’égoïsme
de Smith et Hobbes à préparé les hommes à ce paradoxe. Les revendications de
tous les Ego étant identiques, l’individualisme se transforme en un conformiste
extraordinaire.
Les uns se
tatouent, d’autres se percent, d’autre encore ne jurent que par la cravate et
l’attitude « nomade » ; peu importe somme toute. L’essentiel
c’est qu’ils SE vivent en tant qu’Ego ; car aux tournants de la vie, les
attend la réalité. Ils la vivent brutalement, mais SEULS, et c’est bien là
l’essentiel. L’échec, la déception sont vécus par les victimes comme le
résultat de LEUR propre activité.
Ce résultat
est essentiel. Avant, le destin, la main de dieu, la lutte des classes
pouvaient fournir un récit à un être qui se vivait historiquement. Désormais
l’Ego se vit dans l’instant « vivez
sans temps morts, jouissez sans entraves » clamait un slogan de Mai
68. A-t-on vu plus belle expression du narcissisme accompli !
L’Ego est un futur suicidé, un martyr potentiel. Qu’il se sente coupable de sa
perte et qu’il achève sa vie, ou bien que dans un dernier sursaut il se dresse
contre la loi, dans tous les cas, les carottes sont cuites.
Car si
l’illusion de l’Ego est devenue la forme supérieure de l’aliénation. La réalité
des mondes des Ego, de la société des Ego, c’est le Droit. Et là on ne plaisante plus. Un policier peut
être tatoué, mais sous son casque l’Ego est devenu social, commun. « Je suis tatoué par ce que je le vaut bien »,
mais j’obéis à l’ordre et je t’y fais obéir car sache qu’on t’a raconté des
histoires.
A l’heure des additions, on revient sur terre. Le Droit peut permettre
d’échapper parfois à l’arbitraire d’autrui, mais jamais à l’arbitraire de
l’état.
Alors l’Ego
découvre – peut-être – mais un peu tard, que sa petite bulle Ego-ïste, dans
laquelle il était son petit dieu, n’est qu’une cellule…
Peut-être
alors est-il temps (mais n’est-ce pas trop tard) de songer à la morale, à
l’éthique. Avant d’être dans « son » droit, notre petit Ego se
pose-t-il la question du noyau éthique de son raisonnement juridique ?
Généralement il ne le peut pas et demande encore plus de droit. Ainsi
fleurissent les règlements, comités d’éthiques professionnels. Il faut toujours
plus de cadres à l’Ego maniaque. Il s’y perd, mais qu’importe. Si nous vivons
dans le meilleur des mondes possibles, alors il n’y a plus rien à espérer,
simplement à noter comme Kant le fit que le Droit est possible « même avec un peuple de démons ».
Mais
l’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ? Intentions, pas
actions. Tout comme la société des Ego.
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