vendredi 9 août 2024

Sujet du Mercredi 14 Aout 2024 : Le républicanisme (naissance d'une idéologie).

 

                                        Le républicanisme
                                                                        (Naissance d’une idéologie).    

Toute révolution a évidemment tendance à se représenter la nouvelle société qu'elle instaure comme conforme à l'idée qu’elle se fait de la perfection. En créant l'individu, c'est à dire seulement le propriétaire libre, sorti des dernières entraves communautaires, la bourgeoisie de 1792 a imaginé créer l'Homme enfin conforme à sa nature.

Mais en proclamant la Liberté, l'Egalité, la Solidarité, on ne fait que généraliser en concepts abstraits et idéaux les conditions d'existence des nouveaux rapports sociaux qu'elle fait triompher avec la révolution de 1789.
Ce qu'on appelle Liberté, c'est seulement celle d'être propriétaire, d'acheter et de vendre.
Ce qu'on appelle Egalité, c'est que chacun échange des quantités de travail égales (des valeurs).
Ce qu'on appelle Fraternité, c'est l'illusion que des individus désunis, isolés, concurrents, dans la réalité de leur vie concrète, puissent s'unir par vertu, agir pour l'intérêt général par civisme, bref faire par idées le contraire de ce qu'ils sont dans leur vie sociale pratique. 
   

Mais proclamer des vertus, Liberté, Egalité, Fraternité, qui n'existaient pas dans la réalité concrète des sociaux ce n’est pas tout, il fallait les créer !  Comment ? Certes, par une force supérieure aux individus privés ; mais qui ne soit ni Dieu, ni le Roi, ni rien qui ne procède pas des individus qu'on venait de proclamer souverains. Il fallait que ce soient les individus associés. Directement associés ?

Comment justifier que l'individu souverain perde ainsi sa puissance personnelle ? En prétendant qu'il ne la perd pas, que la puissance politique appartient aux individus en tant qu'ils votent. Cet individu étrange qui délègue à d'autres ses pouvoirs sans les perdre, c'est le citoyen. Le droit proclamera que ce personnage possède le pouvoir, bien qu'en réalité il l'aliène à d'autres, s'en sépare. Il proclamera aussi tous les citoyens égaux, puisqu'ils ont un même pouvoir, leur bulletin de vote (du moins pour la moitié mâle d'entre eux jusqu'en 1945). 
              

Mais d’où vint cette création idéologique ? D’une longue maturation des idées philosophiques.              
Pour HOBBES 1588 – 1679), l'homme à l'état de nature est un animal, violent, pauvre en tout. Pour se civiliser il lui faut accepter de s'assujettir à une force et un intérêt supérieur, d'abandonner à la société une part de lui-même.

Pour ROUSSEAU aussi il y a coupure entre l'homme de la nature et l'homme civilisé. Son côté révolutionnaire est qu'il remplace la transcendance du souverain par celle de l'intérêt général (c'est le "contrat social" que passent entre eux les citoyens). Le bon gouvernement est celui qui protège et développe "la personne et les biens de chaque associé". La volonté générale n'est pas contradictoire avec la volonté individuelle, mais sa plus haute expression, manifestée par le vote majoritaire. L'individu est un "tout parfait et solitaire". Il se renforce dans le tout social qui lui est supérieur, et à qui il n'abandonne rien que sa solitude. La société politique, l'Etat, sont identiques à la société civile puisque libre association représentant leurs forces conjuguées.

Mais ROUSSEAU ne nous explique pas pourquoi l'unité des individus fait à ce point problème qu'il faille ôter "à l'homme ses forces propres pour lui en donner qui lui soient étrangères » ( In contrat social)?  Mais vertu, morale, sacrifice, ne sont que des vœux. ROBESPIERRE, après avoir tenté d'avoir recours à l'Etre Suprême pour imposer la Vertu dut vite se servir du moyen plus concret : la guillotine. Ce qui lassa son monde de propriétaires et d'intérêts privés, à qui la vertu était parfaitement étrangère. Il lui signifia donc à son tour son congé pour faire place à ses vrais représentants, les corrompus et les pillards, le Directoire, BONAPARTE, FOUCHE, TALLEYRAND, ce qui était, somme toute, naturel.

Les Droits de l'Homme ne furent plus dès lors que des principes proclamés dans les discours. Les droits réels furent, eux, soigneusement consignés dans le Code Civil par Bonaparte. La force autonome de l'idéologie apparait alors quand ses serviteurs peuvent faire croire que c'est le non-respect des Droits de l'Homme qui est la cause des maux de la réalité, et non le fait que les rapports sociaux capitalistes engendrent nécessairement ce non-respect.

Ils peuvent le prétendre parce que, justement, la force d'une idéologie est d'apparaitre, au fil du temps, séparée de ses origines concrètes, comme première, pur produit d'une pensée libre. Ceci advient parce que l'individu isolé et égoïste est un résultat social et historique que les générations trouvent tout prêt devant elles et qui semble donc avoir toujours existé, être naturel, tandis que le citoyen et les droits, semblent être une pure création de la pensée, de la volonté des hommes, un progrès dans leur civilisation.  
              
Les hommes se justifient souvent à eux-mêmes la force de leurs idées en les maintenant dans une forme qui leur donne l'apparence de l'éternité. Le même type d'évolution se constate avec les droits de l'homme républicains. Au départ cette enveloppe recouvre les droits réels du petit propriétaire de la société civile bourgeoise, sanctifiés et idéalisés en droits du citoyen abstrait de la démocratie parlementaire. Puis, au fur et à mesure de la concentration du capital, on voit ces droits idéaux s'éloigner de plus en plus de la réalité, se fixer en simples formules inscrites sur les frontons des bâtiments publics ou dans les discours de circonstance. Liberté, Egalité, Fraternité, etc.…ne servent plus que d'idéaux mythiques au nom desquels on prétend imposer, par exemple un "nouvel ordre international".     

Il n'y a pas d'idéologie quand les représentations, idées, abstractions, sont fidèles (ce qui ne veut pas dire identiques) au vécu concret : par exemple dans les communautés primitives, où idées, représentations, sont la vie elle-même des membres de la communauté, ne sont pas contradictoires avec ses pratiques. Mais quand les individus sont séparés dans leurs relations sociales, en contradiction avec leur essence d'individus sociaux, alors l'idéologie leur fournit la représentation d'une communauté, l'image d'une unité sociale en dehors d'eux (intérêt général, religion, citoyen, démocratie etc...en sont les formulations). L'état, les églises, l'école, les médias etc.. .sont les institutions organisant matériellement cette communauté, lui donnant l'aspect d'une communauté réelle bien qu'elle n'ait rien de personnel, de concret.

Et on pourrait même ajouter que non seulement cette communauté est une fiction de la socialité de l'individu, de ses liens inter-individuels qui font partie de son essence d'individu social, mais encore qu'elle est fiction d'éternité, puisque, dite naturelle, elle est censée avoir existé et se reproduire autant que la vie existe. Et puisque les idéologies sont censées, elles, n'être le fruit que de la seule pensée humaine, ayant jailli avant les conditions matérielles avec lesquelles elles sont reliées, indépendamment des rapports socio-économiques qui les portent, il en découle que ce sont elles qui créent ces conditions, ces rapports sociaux, les classes etc...Ainsi Dieu ou les Droits de l'Homme, l'Esprit Saint ou l'Idée Raisonnable, produiraient l'Histoire ! Esprit, Idée, Raison : tout cela tomberait du ciel. On peut donc bien dire que l'idéologie des Droits de l'Homme est elle aussi une religion, une religion laïque. Inversion de la cause et des effets.

Mais une représentation idéologique qui ne correspond plus en rien à la réalité, ne peut plus satisfaire tout le monde. Rien à faire, dans la réalité capitaliste la communauté est introuvable, les individus toujours plus isolés et opprimés par la société, les citoyens impuissants.     

Il y eut donc nécessairement des penseurs pour le dire. Mais pour la plupart ce fut non pour tenter de réconcilier l'individu avec les autres dans de nouveaux rapports sociaux, mais pour pousser jusqu'à un nouvel idéal la logique individualiste d'asocialité. Leur façon de mythifier l'existant pour le rendre acceptable sera de nier que l'homme est un être social, d'appeler l'individu à refuser la contrainte sociale, au lieu de rendre la société non contraignante, de prôner le refus des autres et de l'état tout ensemble, et de prétendre qu'il est possible de développer chacun pour soi sa puissance personnelle.

Dans la mesure où certains de ces penseurs critiquent radicalement la domination de la société politique et de l'état au nom de l'individu, on trouvera là un côté révolutionnaire positif. Mais ces égotistes, tous ensemble réunis, ne peuvent finalement que proposer une idéologie sans fondement et sans avenir en prétendant baser la richesse de l'individu sur lui-même, ce qui non seulement est étriqué et absurde, mais revient à nier jusqu'à son existence.

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