lundi 29 juillet 2024

Sujet du Merc. 31 Juillet 2024 : La nature est-elle hostile à l’homme ?

 

      La nature est-elle hostile à l’homme ?   (Bac 2024)              
La nature n'apparaît comme hostile à l'homme que par ignorance de son fonctionnement. Parler d'une hostilité de la nature envers l'homme, c'est néanmoins parler en superstitieux. Rappelons, avec Spinoza, que la crainte est mère de la superstition (une affirmation qui ouvre le Tractatus Theologico-Politicus).            
Et cette superstition a été alimentée dans une période très récente par des philosophes comme H. Jonas et l’ensemble des discours anxiogènes sur le fait que nous saccageons notre planète, mettant ainsi en danger l’existence de l’espèce humaine. En conséquence, pour protéger la nature il faut la mettre à l’abri des Hommes… dans des aires dites protégées, par exemple, où elle pourra évoluer librement. En bref, une belle nature serait donc une nature sans l’Homme, une nature dite « sauvage ».      
Au fond il s’agit d’élaborer un discours de manipulation de l’opinion publique et de tenter d’imposer une certaine vision de la nature que l’on pourrait qualifier de bucolique tout en portant un regard culpabilisateur sur l’Homme, accusé d’être l’agent de cette destruction.

Derrière cette idéologie, on peut déceler des relents de créationnisme qui professe que la nature créée par Dieu est nécessairement parfaite et immuable. L’homme ayant été déchu de ce paradis virtuel.          

Ce que nous appelons « nature » a une histoire. Et cette histoire n’est pas la même selon les continents et les rapports que les sociétés humaines ont entretenu avec leur environnement. En Europe la biodiversité est le résultat d’une co-construction depuis des millénaires entre des processus spontanés et des usages des systèmes écologiques via des pratiques qui ont façonné nos paysages.

Après la dernière période glaciaire qui a culminé il y a 20 000 ans, beaucoup d’espèces avaient disparu de notre territoire. La recolonisation des zones libérées par les glaces a débuté en partie par des espèces qui avaient trouvé refuge dans le sud de l’Europe. Puis, les agriculteurs venus du Moyen Orient il y environ 7000 ans, ont introduit nombre d’espèces qui nous sont familières. Les échanges commerciaux dans l’antiquité, les croisades, les grandes expéditions des XVIIIe et XIXe siècles, ont largement contribué à leur tour à enrichir la diversité biologique européenne à des fins agricoles, horticoles ou ludiques. Et nos moyens actuels de transport (containers, ballasts, etc.) sont utilisés par de nombreuses espèces pour voyager (clandestinement 😊). Bref, la diversité biologique européenne s’est donc fortement enrichie grâce aux Hommes au cours des derniers siècles.

Sans compter que les pratiques agricoles, en morcelant et diversifiant le milieu naturel, ont créé cette diversité de paysages que nous connaissons et qui est un facteur favorable à une plus grande richesse en espèces. Ainsi, parler de sixième extinction à propos de la diversité biologique en France est plus qu’un abus de langage, c’est de la désinformation. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de situations inquiétantes sur d’autres continents qui ont des histoires différentes…

De plus l ’humain peut aussi donner vie à la nature. Regardons autour de nous : nos alpages, nos grandes zones humides (telles que la Camargue, la Sologne, les Dombes, etc.), nos bocages, nos forêts (Landes, Sologne, etc.), nos cours d’eau avec leurs retenues, sont tous des milieux créés et aménagés par l’Homme depuis des siècles pour différents usages (agriculture, production d’énergie, loisirs, etc.). Cette nature aménagée qui a une double composante naturaliste et patrimoniale est le résultat de processus spontanés (dynamique des espèces) et d’aménagements qui se sont empilés au cours des siècles.

La Camargue est en réalité un milieu artificiel avec une gestion de l’eau liée à l’agriculture et à l’exploitation du sel, entouré de digues et parsemé de canaux. Quant au lac de Der-Chantecoq, barrage réservoir construit sur la Marne il y a une trentaine d’années, il est devenu un point de passage obligé pour les oiseaux d’eau lors de leurs migrations vers l’Europe du Nord, à tel point qu’il a été érigé site Ramsar, malgré son caractère hautement artificiel… La consécration en matière de protection de la nature ! Et l’on pourrait multiplier les exemples de sites classés qui sont en réalité des systèmes écologiques artificiels… Alors où est la logique ?

Un aménagement ne fait pas que détruire la biodiversité, il crée aussi de nouvelles conditions favorables à l’installation d’une autre diversité biologique, selon le principe bien connu en écologie systémique : quand on aménage, on gagne et on perd tout à la fois en matière de diversité biologique, à l’image du lac de Der cité ci-dessus : on a perdu un bocage mais gagné une zone humide. Savoir si c’est bien ou mal relève ensuite de jugements de valeurs sur ce que nous estimons être une belle nature, ou selon les groupes végétaux ou animaux que nous privilégions.

 Existe-t-il une nature « vierge » ?

Comme le disaient les sociologues N. Mathieu et M. Jollivet, pour de nombreux citoyens, « la nature c’est l’environnement et l’environnement c’est la campagne ».

En réalité, c’est ce milieu rural d’avant la révolution verte des années 1950 qui est, dans l’esprit de beaucoup, la référence à la nature. Autrement dit, un milieu co-construit qui fait écho à des références naturelles, culturelles et identitaires. Avec le regret, maintes fois exprimé, que cette nature humanisée ait été en partie transformée par les modifications des pratiques agricoles depuis la moitié du siècle dernier, mais aussi par l’urbanisation galopante et les infrastructures de transport.

Tout cela met à bas l’idée selon laquelle la protection de la nature doit avoir pour référence une nature « vierge » et sauvage. Une référence théorique et virtuelle qui est une utopie puisque notre nature n’a jamais cessé de se transformer sous l’influence du climat, de la dynamique propre aux espèces ainsi que des usages que nous faisons de nos systèmes écologiques.

Il faut donc réintégrer l’Homme dans la gestion de la nature en se posant la question : quelle nature voulons-nous ? Et non pas en se fixant a priori des objectifs utopiques et irréalistes. Mais en toute modestie nous devons aussi reconnaître que nous ne pouvons pas tout piloter et admettre que le futur est incertain, ce qui implique beaucoup de flexibilité. Dans ce contexte, une voie qui nous est actuellement proposée est celle d’une gestion dite adaptative. Il s’agit d’associer actions et suivis pour réajuster quand c’est nécessaire les politiques de protection dans des contextes locaux ou régionaux, pour répondre aux attentes des populations.   

René Descartes - que nous reproduisons ci-dessous - perçus par les adorateurs de la pancha mama et autres lubies métaphysiciennes sur la conception de la nature, ne disait pas autre chose il y quatre siècles !

« Mais, sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique ….elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie; et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens ». Descartes, Discours de la méthode. Vi Partie – 1637.
Autre ouvrage : Christian Lévêque : Biodiversité - Dynamique biologique et conservation - 2008.

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