La nature est-elle
hostile à l’homme ? (Bac 2024)
La nature n'apparaît comme hostile à l'homme que par ignorance de
son fonctionnement. Parler d'une hostilité de la nature envers l'homme, c'est
néanmoins parler en superstitieux. Rappelons, avec Spinoza, que la crainte est
mère de la superstition (une affirmation qui ouvre le Tractatus
Theologico-Politicus).
Et cette superstition a été alimentée dans une période très récente par des
philosophes comme H. Jonas et l’ensemble des discours anxiogènes sur le fait
que nous saccageons notre planète, mettant ainsi en danger l’existence de
l’espèce humaine. En conséquence, pour protéger la nature il faut la mettre à
l’abri des Hommes… dans des aires dites protégées, par exemple, où elle pourra
évoluer librement. En bref, une belle nature serait donc une nature sans
l’Homme, une nature dite « sauvage ».
Au fond il s’agit d’élaborer un discours de manipulation de l’opinion publique
et de tenter d’imposer une certaine vision de la nature que l’on pourrait
qualifier de bucolique tout en portant un regard culpabilisateur sur l’Homme,
accusé d’être l’agent de cette destruction.
Ce que nous appelons « nature » a une histoire. Et cette histoire n’est pas la
même selon les continents et les rapports que les sociétés humaines ont
entretenu avec leur environnement. En Europe la biodiversité est le résultat
d’une co-construction depuis des millénaires entre des processus spontanés et
des usages des systèmes écologiques via des pratiques qui ont façonné nos
paysages.
Après
la dernière période glaciaire qui a culminé il y a 20 000 ans, beaucoup
d’espèces avaient disparu de notre territoire. La recolonisation des zones
libérées par les glaces a débuté en partie par des espèces qui avaient trouvé
refuge dans le sud de l’Europe. Puis, les agriculteurs venus du Moyen Orient il
y environ 7000 ans, ont introduit nombre d’espèces qui nous sont familières. Les
échanges commerciaux dans l’antiquité, les croisades, les grandes expéditions
des XVIIIe et XIXe siècles, ont largement contribué à leur tour à enrichir la
diversité biologique européenne à des fins agricoles, horticoles ou ludiques.
Et nos moyens actuels de transport (containers, ballasts, etc.) sont utilisés
par de nombreuses espèces pour voyager (clandestinement 😊).
Bref, la diversité biologique européenne s’est donc fortement enrichie grâce
aux Hommes au cours des derniers siècles.
Sans
compter que les pratiques agricoles, en morcelant et diversifiant le milieu
naturel, ont créé cette diversité de paysages que nous connaissons et qui est
un facteur favorable à une plus grande richesse en espèces. Ainsi, parler de
sixième extinction à propos de la diversité biologique en France est plus qu’un
abus de langage, c’est de la désinformation. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y
a pas de situations inquiétantes sur d’autres continents qui ont des histoires
différentes…
De
plus l ’humain peut aussi donner vie à la nature. Regardons autour de nous :
nos alpages, nos grandes zones humides (telles que la Camargue, la Sologne, les
Dombes, etc.), nos bocages, nos forêts (Landes, Sologne, etc.), nos cours d’eau
avec leurs retenues, sont tous des milieux créés et aménagés par l’Homme depuis
des siècles pour différents usages (agriculture, production d’énergie, loisirs,
etc.). Cette nature aménagée qui a une double composante naturaliste et patrimoniale
est le résultat de processus spontanés (dynamique des espèces) et
d’aménagements qui se sont empilés au cours des siècles.
La
Camargue est en réalité un milieu artificiel avec une gestion de l’eau liée à
l’agriculture et à l’exploitation du sel, entouré de digues et parsemé de
canaux. Quant au lac de Der-Chantecoq, barrage réservoir construit sur la Marne
il y a une trentaine d’années, il est devenu un point de passage obligé pour
les oiseaux d’eau lors de leurs migrations vers l’Europe du Nord, à tel point
qu’il a été érigé site Ramsar, malgré son caractère hautement artificiel… La
consécration en matière de protection de la nature ! Et l’on pourrait
multiplier les exemples de sites classés qui sont en réalité des systèmes
écologiques artificiels… Alors où est la logique ?
Un
aménagement ne fait pas que détruire la biodiversité, il crée aussi de
nouvelles conditions favorables à l’installation d’une autre diversité
biologique, selon le principe bien connu en écologie systémique : quand on
aménage, on gagne et on perd tout à la fois en matière de diversité biologique,
à l’image du lac de Der cité ci-dessus : on a perdu un bocage mais gagné une
zone humide. Savoir si c’est bien ou mal relève ensuite de jugements de valeurs
sur ce que nous estimons être une belle nature, ou selon les groupes végétaux
ou animaux que nous privilégions.
Existe-t-il une nature « vierge » ?
Comme
le disaient les sociologues N. Mathieu et M. Jollivet, pour de nombreux
citoyens, « la nature c’est l’environnement et l’environnement c’est la
campagne ».
En
réalité, c’est ce milieu rural d’avant la révolution verte des années 1950 qui
est, dans l’esprit de beaucoup, la référence à la nature. Autrement dit, un
milieu co-construit qui fait écho à des références naturelles, culturelles et
identitaires. Avec le regret, maintes fois exprimé, que cette nature humanisée
ait été en partie transformée par les modifications des pratiques agricoles
depuis la moitié du siècle dernier, mais aussi par l’urbanisation galopante et
les infrastructures de transport.
Tout
cela met à bas l’idée selon laquelle la protection de la nature doit avoir pour
référence une nature « vierge » et sauvage. Une référence théorique et
virtuelle qui est une utopie puisque notre nature n’a jamais cessé de se
transformer sous l’influence du climat, de la dynamique propre aux espèces
ainsi que des usages que nous faisons de nos systèmes écologiques.
Il
faut donc réintégrer l’Homme dans la gestion de la nature en se posant la
question : quelle nature voulons-nous ? Et non pas en se fixant a priori des
objectifs utopiques et irréalistes. Mais en toute modestie nous devons aussi
reconnaître que nous ne pouvons pas tout piloter et admettre que le futur est
incertain, ce qui implique beaucoup de flexibilité. Dans ce contexte, une voie
qui nous est actuellement proposée est celle d’une gestion dite adaptative. Il
s’agit d’associer actions et suivis pour réajuster quand c’est nécessaire les
politiques de protection dans des contextes locaux ou régionaux, pour répondre
aux attentes des populations.
René Descartes - que nous reproduisons ci-dessous - perçus par les adorateurs
de la pancha mama et autres lubies métaphysiciennes sur la conception de la
nature, ne disait pas autre chose il y quatre siècles !
« Mais,
sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique ….elles
m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient
fort utiles à la vie; et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on
enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle,
connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des
cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement
que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions
employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi
nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas
seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient
qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les
commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation
de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous
les autres biens ». Descartes, Discours de la méthode. Vi Partie –
1637.
Autre ouvrage : Christian Lévêque : Biodiversité - Dynamique biologique et
conservation - 2008.
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