dimanche 24 mars 2024

Sujet du Merc.27/03/2024 : PEUT - ON SE PASSER DE SPINOZA ?

 

       PEUT - ON SE PASSER DE SPINOZA ?

Ce texte est contre-intuitif et peut passer pour une vanne. Mais non, blague à part, il est une tentative de résumer des éléments utiles de la philosophie de Spinoza qu’il décline de façon cohérente, rationnelle, mathématique. Mais sommes-nous prêts à suivre sa démarche...?

 

Répondant à l’intitulé, certes on peut vivre sans Spinoza : il n’est plus depuis quatre siècles. Mais peut-on se passer de sa philosophie ? Certains l’affirment. Mais les pouvoirs établis peuvent en craindre des conséquences radicales. Peuvent également s’en défier et la combattre ceux qui, nombreux, entendent rester dans les rêves et s’illusionner. A contrario, pour ce qui nous concerne tous, ne faut-il pas se confronter au concret par la raison, avec rigueur et méthode ? Et ça, oui, c’est dur. Très dur. Le « peut-on » de l’intitulé signifie 1) soit qu’il est possible (ou pas) d’infirmer la philosophie de Spinoza, 2) soit qu’il est permis (ou pas) de le faire, quitte à en faire un sacré. Ici on entre dans le champ de la philosophie ; loin des dogmes, croyances et émotions incontrôlées.

 

Prenant la question à la base, il y a une simple constatation. Les hommes ne peuvent percevoir et concevoir le monde et les choses qui le composent que suivant leurs capacités propres et les représentations et concepts humains qu’ils en dérivent. (Le monde, lui, reste indifférent à tout cela.) D’une part, il y aurait la nécessité des causes qui ordonnent le monde, la nature : soit causes de ce monde (matérialisme), soit causes d’un autre monde au-delà de ce monde (idéalisme).  D’autre part, il y a la négation de l’existence du monde. A ce titre le solipsisme de Berkeley ne reconnaît-il pas son existence d’individu comme seule certitude ? Dans l’un comme l’autre cas, il s’agit d’axiomes non démontrables et opposés, mais indispensables à tout raisonnement parce qu’ils le fondent.

 

Ainsi, se plaçant dans la première acception du réel, Spinoza énonce les fondements de sa philosophie matérialiste. Elle est simple, mais il faut s’accrocher à chaque pas logique et s’en souvenir tout du long. Il énonce que pour qu’une chose puisse être perçue et conçue, il faut tout d’abord qu’elle soit. Eh, oui ! Et pour être, toute chose doit
1) soit être formée d’une autre chose (darwinisme),  
2) soit ne pas être formée. Oui ! Et si une chose n’est pas formée d’une autre, c’est qu’elle est « conçue en soi » et « par soi ». Ah ! Elle a donc toujours été, de tout temps et dans tout espace. Bien.

 

C’est donc reconnaître que cette « chose en soi » est tout, toutes les choses particulières formées d’autres choses. Ce tout est l’Un (Parménide). Il est. Et il ne saurait à la fois être et ne pas être. C’est une nécessité. Et c’est aussi reconnaître à la fois la permanence (l’éternel) et l’impermanence, le changement, l’évolution des choses en d’autres choses selon un enchaînement de causes (Darwin). C’est le déterminisme.

 

Ainsi, une chose « conçue en soi » veut dire cette chose dont rien à part elle-même n’est la cause de son être (et de son intelligibilité pour les hommes). Ceci est vrai parce que son contraire (ce qui n’est pas conçu en soi) a besoin d’une autre chose et du concept afférent à partir desquels elle peut être formée. Cette chose/concept « en soi » ne peut donc être que la condition de sa propre existence (et de son intelligibilité). Spinoza conclut que ce tout, l’Un, est l’« être en soi », « Dieu, c’est à dire la nature ».


C’est l’infini tant de l’étendue que de la pensée. Ainsi que d’une infinité d’autres attributs que l’esprit des hommes ne peut percevoir. L’infini était déjà l’« indéterminé », l’apeiron d’Anaximandre (-6e siècle). C’est aussi l’univers infini et donc sans borne de Giordano Bruno (15e siècle). Ce concept du monde lui valut le bûcher. En effet il ne saurait y avoir d’au-delà à l’infini univers, un lieu d’où le Dieu des monothéismes aurait pu le créer ex nihilo, à partir de rien (aucune chose) avant même que le temps ne fût. Ces religions contreviennent aussi tant à Parménide (une chose est ou n’est pas et ne saurait provenir de rien, le non-être) qu’à Lavoisier (« rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme »). Il n’y a pas de dieu transcendant.

 

Spinoza induit de ces acquis conceptuels que la nature est une substance intelligible que les hommes peuvent apprendre à connaître rationnellement en décryptant les lois qui ordonnent le monde, « Dieu, c’est à dire la nature ». En somme, pour lui, plus nous sommes savants et plus nous nous approchons du divin. Et les hommes étant des choses formées d’autres choses comme toutes les choses de la nature, il s’en suit   
1) qu’ils ne sauraient constituer un autre empire dans l’unique empire qu’est la nature (monisme) et         
2) que leur capacité à connaître rationnellement la nature vaut donc aussi pour la connaissance des hommes (parce qu’ils en font partie) et des affects qui les composent.

 

L’érotique de l’acte d’apprendre, c’est de trouver tout cela ! C’est la joie et la puissance qui permet aux choses singulières (dont nous faisons partie) de conserver et développer leur être. C’est le conatus. C’est la puissance de dieu, la nature. La nature est donc une entité auto-engendrée. Cet aboutissement du Traité théologico-politique valut proclamation du « herem » judaïque ou ostracisme radical envers Spinoza après une tentative d’égorgement. En effet, une fois propagée cette philosophie aurait été dévastatrice pour les dogmes monothéistes, les pouvoirs établis et la vie en société réglée sur leurs principes.

 

La conduite éthique de Spinoza découle de sa conception matérialiste et rationnelle du monde. Elle a pour principe « l’effort pour se conserver », ce qui est « la première et unique source de vertu ». C’est « la persévérance dans l’être » (conatus) de chaque individu. Or l’individu ne peut vivre seul. Non, ne devient-il pas une personne humaine dans son rapport réciproque aux autres en société ? Sa conduite prend une signification dans la relation à autrui et aux choses du monde en tant qu’il est une « chose formée d’autres choses ». Notamment par la communication et plus particulièrement par le langage.

 

Dès lors, dans cette relation à autrui, l’individu peut-il éluder la question du rapport à l’authentique, la vérité et l’universel ? Pas du tout. Les règles de l’« Ethique » sont de respecter la dignité de toute personne et donc la vérité. Il s’agit de traiter chacun de façon équitable en tenant compte de ses différences. Le mot « éthique » vient du grec « ethos » qui signifie manière de vivre ou conduite en société. Sachant que pour Aristote « l’homme est un animal politique », vivant en société.

 

La question de la liberté se pose en relation avec la nature dont les hommes font partie intégrante en tant que « choses formées d’autres choses » de la nature qui, elle, est la « chose en soi ». On voit que la philosophie de Spinoza est rationnelle, pertinente et cohérente de bout en bout. Et cela depuis son axiome de départ (cf §4 ci-avant) jusqu’aux parcelles de liberté humaine. Spinoza en induit que les hommes se croient libres pour la seule raison (cause) qu’ils sont certes conscients de leurs actions, mais le plus souvent ignorants des causes par lesquelles ils sont portés à agir et qui les déterminent. La connaissance rationnelle des causes donne les éléments de liberté, certes limités mais authentiquement réels et concrets, dont chacun dispose dans toute situation qui le conditionne par ailleurs.

 

Ces brins de liberté réelle acquis « en connaissance de cause » s’opposent à l’illusion du « libre arbitre ». Celui-ci repose sur deux présupposés illusoires :
1) une pure volonté autonome et indépendante des circonstances proviendrait d’un supposé pouvoir de détermination du corps par l’esprit, qui en serait donc distinct comme entité immatérielle, un fantôme et
2) la volonté humaine serait un pouvoir absolu d’autodétermination de l’esprit. Serions-nous donc de purs esprits ? La science du cerveau l’infirme. Non, pour Spinoza le monde est fait d’une seule substance (monisme), c’est-à-dire la nature qui se décline sous une infinité de variations. Ce sont les « attributs » de cette substance qui ensemble en constituent l’essence. Autrement dit, l’esprit et la matière ne font-ils qu’un.

A partir de ce concept réaliste de liberté se pose la question de l’organisation de la société. La fin de l’État serait-elle la liberté ? En effet sa fonction n’est pas de faire passer les hommes de la condition d’êtres raisonnables soit à celle de bêtes brutes privées de ressources culturelles, soit à celle d’automates ou de robots. Tels que les humains actuels et futurs potentiellement réifiés par les « écrans » et par l’assistance voire la pseudo « amélioration » d’eux-mêmes issues de « l’intelligence artificielle » numérique. Au contraire, l’État est institué pour que le corps et l’âme (esprit) des hommes en société s’acquittent, en sûreté, de toutes leurs fonctions naturelles et nécessaires (Epicure). Ceci afin que les hommes usent d’une raison libre « pour qu’ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse et pour qu’ils se supportent sans malveillance les uns les autres ». N’est-ce pas la condition de la seule réelle liberté qui puisse exister ?

 

Spinoza réalisa cette vérité dans son corps et son esprit en pleine connaissance de cause. Il manqua de peu d’être poignardé par un fanatique religieux et souffrit ensuite un ostracisme absolu de la part de sa communauté de croyants. Aujourd’hui la volonté du « libre arbitre » de multitudes d’hommes tombés en croyance et déshérence ne nous condamne-t-elle pas au même ? N’est-ce pas une nécessité éthique d’assumer des parcelles de liberté authentique par des actes fondés sur une réflexion préalable sur le réel ?
La liberté est ce processus qui permet de se frayer pas à pas des chemins de vérités. C’est un processus de libération, quels que soient les domaines où s’appliquent nos degrés de liberté. En priorité, l’État et les entreprises ont à trouver une place juste.

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