samedi 27 janvier 2024

Sujet du Merc. 31 Janvier 2024 : Diderot et l’idée de dieu.

 

                                    Diderot et l’idée de dieu.
       
Denis Diderot (1713-1784), philosophe éminent du mouvement des Lumières, développe une position complexe vis-à-vis de la question de Dieu et de la religion.

 

Diderot est souvent associé à une forme de déisme critique. Il a remis en question les dogmes religieux traditionnels et la conception anthropomorphique de Dieu. Il s'est prononcé contre le fanatisme religieux. Mais s’en est trop pour le pouvoir royal. C’est l’époque où le Parlement, assemblée qui défend les intérêts de la noblesse et la religion, fait la guerre à l’Encyclopédie et aux livres de philosophie. Les deux premiers livres de l’Encyclopédie de Diderot ont été condamnés, en1752, brûlés en 1759 ; la publication se poursuit, mais clandestinement et les encyclopédistes sont considérés comme une « secte dangereuse ».

Article « Encyclopédie         
« Le but d'une encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre; d'en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de les transmettre aux hommes qui viendront après nous; afin que les travaux des siècles passés n'aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont ; que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux, et que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain. »

 

Au fond, Diderot représente les idées d’une classe sociale en pleine ascension : la bourgeoisie. Et ses points de vue reflètent ce mélange entre une critique de points vue anciens sur la matière, dieu, la nature et la nécessaire action que doit jouer désormais la raison dans les affaires humaines.

 Diderot assumait en effet l'athéisme, tout en étant encore profondément marqué par l'humanisme français lié à la Renaissance italienne et empreint d'un certain scepticisme, ainsi que d'une vision épicurienne de l'univers, celui-ci se transformant sans logique interne. Diderot était ainsi proche du courant matérialiste athée porté par La Mettrie, Helvétius et d’Holbach, comme en témoignent ses œuvres matérialistes les plus connues comme le neveu de Rameau ou Jacques le fataliste. Cependant, il n'a jamais élaboré de « système » complet ; son matérialisme est militant et une grande arme pour le rationalisme en guerre avec la féodalité, mais il se veut en mouvement sur le plan des idées, il ne propose pas de vision du monde à l'esprit systématique.
Diderot prolonge ainsi Descartes lorsqu'il synthétise le matérialisme dans sa version française : le monde considéré comme un tout cohérent que l'on peut connaître, et qui se transforme, sans cependant que cette transformation obéisse à une logique interne.           

Et qu’en est-il de sa réflexion sur dieu ? Elle est, de fait, synthétisée dans l'article « Autorité politique » de l'Encyclopédie. Il s'agit d'un déisme afin de laïciser l’État, tout comme l'a fait le hussitisme et son successeur le protestantisme. 

Voici un extrait de l'article, qui s'appuie en apparence sur un dieu tout puissant pour expliquer que le pouvoir du roi est limité, mais qui en réalité en posant les choses ainsi liquide le rapport entre religion et royauté : 

« Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du Ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison (…). La puissance, qui vient du consentement des peuples suppose nécessairement des conditions qui en rendent l’usage légitime, utile à la société, avantageux à la république [= la chose publique], et qui la fixent et la restreignent entre des limites ; car l’homme ne doit ni ne peut se donner entièrement sans réserve a un autre homme, parce qu’il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. C’est dieu, jaloux absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point. Il permet pour le bien commun et pour le maintien de la société que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent à l’un d’eux ; mais il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve afin que la créature ne s’arroge pas les droits du créateur. Toute autre soumission est le véritable crime de l’idolâtrie. » 

En ce sens, le rapport de Diderot à l'averroïsme politique est patent : il y a séparation de la religion et de l'Etat.   

Mais derrière ce radicalisme apparent, se cache le fond de la pensée de Diderot. Les Lumières françaises sont avancées sur certains points matérialistes, mais en d'autres elles sont encore en retard par rapport au protestantisme, et évidemment par rapport à l'averroïsme. Les  Lumières françaises sont ainsi incapables d'assumer un moralisme individuel comme dans le protestantisme, et basculent ainsi dans un déisme qui est une sorte de catholicisme rationaliste. 

   
L'Encyclopédie, cet ouvrage de science, se moque ainsi de Spinoza et de ses partisans, dans une accusation gratuite et inutile, qui n'est pas là pour donner des cautions à l'Eglise qu'en partie seulement, car reflétant également vraiment le déisme des Lumières : (Encyclopédie : Article Benoit Spinoza ) :

« Cet autre écrit est sa morale, où donnant carrière à ses méditations philosophiques, il plongea son lecteur dans le sein de l’athéisme. C’est principalement à ce monstre de hardiesse, qu’il doit le grand nom qu’il s’est fait parmi les incrédules de nos jours. 

Il n’est pas vrai que ses sectateurs soient en grand nombre. Très-peu de personnes sont soupçonnées d'adhérer à sa doctrine, & parmi ceux que l’on en soupçonne, il y en a peu qui l’aient étudié, & entre ceux-ci il y en a peu qui l’aient comprise, & qui soient capables d’en tracer le vrai plan, & de développer le fil de ses principes. Les plus sincères avouent que Spinoza est incompréhensible, que sa philosophie surtout est pour eux une énigme perpétuelle, & qu’enfin s’ils se rangent de son parti, c’est qu’il nie avec intrépidité ce qu’eux-mêmes avoient un penchant secret à ne pas croire. »  

       
L'article parle ainsi de la pensée de Spinoza comme de « noires ténèbres », il est dit que « on y découvre une suite d’abymes », avec « un abus des termes la plupart pris à contre-sens, un amas d’équivoques trompeuses, une nuée de contradictions palpables. » Il y aurait pu y avoir une critique rationaliste, même favorable aux religieux, au lieu de cela Spinoza est présenté comme étant obscur.  

Cependant, ce n'est pas tout. L'Encyclopédie a également un article intitulé « spinozisme ». Or, là, l'angle d'approche est totalement différent, et pour cause, cela ne correspond nullement au spinozisme, mais bien à la conception de Diderot... 

« SPINOZISTE sectateur de la philosophie de Spinoza. Il ne faut pas confondre les Spinosistes anciens avec les Spinosistes modernes. Le principe général de ceux-ci, c’est que la matière est sensible, ce qu’ils démontrent par le développement de l’œuf, corps inerte, qui par le seul instrument de la chaleur graduée passe à l’état d’être sentant & vivant, & par l’accroissement de tout animal qui dans son principe n’est qu’un point, & qui par l’assimilation nutritive des plantes, en un mot, de toutes les substances qui servent à la nutrition, devient un grand corps sentant & vivant dans un grand espace. De-là ils concluent qu’il n’y a que de la matière, & qu’elle suffit pour tout expliquer ; du reste ils suivent l’ancien spinosisme dans toutes ses conséquences ». 

Est-ce dire que Diderot est d'accord avec Spinoza ? Seulement en partie : il considère Spinoza comme une sorte d'épicurien, qui serait resté métaphysique.           

Diderot est ici coincé, comme le sera tout le matérialisme français, qui est un rationalisme prêt à accepter la matière, mais pas un « fatalisme » des événements. Cependant, accepter ce « fatalisme » est inéluctable quand on assume le matérialisme - le problème étant que ce « fatalisme » apparaît comme « religieux », c'est-à-dire en réalité comme trop strict pour la bourgeoisie qui entend être totalement libre. 

C'est la contradiction des Lumières, à la source des errements de la laïcité par la suite. 

   
Les Lumières veulent la laïcité, c'est leur aspect progressiste de rejet de la religion, mais en même temps elles refusent le principe d'un univers ayant sa propre organisation et dont l'être humain n'est qu'une composante qui ne pense pas, qui n'a pas de « libre-arbitre ». D'où le maintien jusqu'au début du 21e siècle de la Franc-Maçonnerie comme pôle de « rencontre » déiste, pour combler les manques idéologiques dues à la contradiction inhérente aux Lumières.     

    
Diderot lui-même est ainsi balançant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre de cette contradiction. Tantôt en tant que héraut de la bourgeoisie, il est obligé de récuser la conception d'un univers totalement unifié - 

« Dieu ou la Nature » chez Spinoza – en raison de la situation française où la bourgeoisie veut tactiquement le déisme comme justificatif aux sens, à l'expérience scientifique. Tantôt il est emporté théoriquement par la substance du matérialisme, et doit reconnaître la cohérence totale de la matière, de la formation de l'être humain et de tous les êtres sensibles, bref du caractère général de la matière.

 

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