Le concept de nature chez Descartes et Spinoza.
Vivants au 17ième
siècle, René Descartes (1596-1650) et Baruch Spinoza (1632-1677) sont les
héritiers, tout à la fois, de la tradition des philosophes de la nature de l’antiquité
grecque et latine (Démocrite, Epicure, Lucrèce), mais aussi des grands
bouleversements scientifiques qui marquèrent l’Occident : la description
par Copernic de l’héliocentrisme (« Des
révolutions des orbes célestes » 1543) ; l’observation de l’univers
avec les premières lunettes astronomiques et l’application des mathématiques à
la physique par Galilée : («Dialogue sur les deux grands systèmes du
monde » 1632) ; la
critique radicale de la cosmologie d’Aristote par Giordano Bruno (« Le banquet des cendres » 1584).
Toutefois il existe de profondes différences
sur le concept de nature entre ces deux auteurs.
Ce qui caractérise la philosophie de la nature chez Descartes c’est ce qu’il est convenu d’appeler le
dualisme cartésien.
Séparation entre l'esprit et le corps :
Pour
Descartes, la nature est composée de deux substances fondamentales. Il affirme
une nette séparation entre la substance pensante (res cogitans) et la
substance étendue (res extensa).
L'esprit,
selon lui, est le siège de la pensée, de la conscience et de la volonté, tandis
que le corps est constitué de matière étendue dans l'espace.
Les
corps sont donc des entités matérielles dépourvues de pensée, tandis que
l'esprit est immatériel et indépendant de la matière.
L’esprit, la pensée : En effet, pour lui, la pensée (la conscience,
la volonté, les idées, etc.) est caractérisée par la clarté et la
distinctivité. Il affirme que la pensée est quelque chose de si clair et
distinct qu'elle ne peut être identifiée avec la matière, qui est par nature
obscure et confuse. La nature immatérielle de la pensée la distingue donc de la
matière.
Descartes considère aussi l'esprit comme une substance indivisible. En
méditant sur la nature de l'esprit, il conclut que la pensée ne peut pas être
divisée en parties distinctes comme la matière. Cette indivisibilité suggère,
selon Descartes, que l'esprit n'est pas matériel.
Le célèbre «Cogito, ergo sum" (Je pense, donc je suis) est au cœur
de la justification de l'immatérialité de l'esprit. Descartes soutient que la
pensée est indubitable, tandis que le corps et le monde extérieur sont
sujets au doute. La certitude de la pensée, liée à l'existence de soi-même en
tant que pensant, est une base solide pour affirmer que l'esprit est une
substance distincte (justification aussi
du dualisme !).
Descartes affirme que l'esprit possède une volonté libre, capable de choisir
indépendamment des influences extérieures. Il considère la liberté de la
volonté comme incompatible avec la détermination mécanique inhérente à la
matière. L'esprit, en tant qu'entité immatérielle, serait donc capable de
prendre des décisions indépendantes.
Toutefois, et bien qu’il défende l'immatérialité de l'esprit, il admet que
l'esprit et le corps interagissent dans la glande pinéale du cerveau. Mais
cette interaction reste en suspens dans l’œuvre de Descartes.
N’oublions pas, aussi, le contexte d’une époque où l’on finissait vite au
bucher pour quelques propos potentiellement irrévérencieux sur la question de
dieu …..
Descartes a contribué de manière significative au développement de la méthode
scientifique moderne. Il a encouragé l'utilisation du doute méthodique et de la
raison pour parvenir à des vérités indubitables. Sa célèbre formule
"Cogito, ergo sum" ("Je pense, donc je suis") reflète son
engagement envers la raison comme fondement de la connaissance. Mais il a
appliqué son dualisme mécaniste à l’étude de la nature.
Il a
considéré que la nature pouvait être comprise comme un vaste mécanisme, régi
par des lois mathématiques précises. Cette perspective mécaniste a influencé le
développement ultérieur de la physique classique.
En
tentant de géométriser la nature en expliquant les phénomènes naturels par des
principes mathématiques, il s’écarte dangereusement des principes religieux qui
domine son temps. Qu’en est-il alors de la providence, de la « cause
première » ?
Coincé dans son dualisme, Descartes a également introduit une forme d'animisme mécanique dans sa philosophie. Il a considéré les animaux comme de simples machines, dénuées de conscience, mais il a également reconnu l'existence d'un "esprit animal" mécanique qui expliquait les comportements animaux.
Quant à la place de l’homme dans la nature. Il a soutenu que les êtres humains, en tant qu'êtres pensants, étaient distincts du reste de la nature et devaient se rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature », phrase qui -sortie de son contexte – autorise aujourd’hui ses commentateurs à rejeter toute la modernité de la philosophie cartésienne fournissant ainsi un cadre dogmatique, proche d’une religion, aux affidés de la « pancha mama », aux « sauveteurs de la nature » et autres « écologistes » en mal d’une « autre monde ».
Contrairement
à Descartes, Spinoza adopte un monisme éthique. Pour lui, il n'y
a qu'une seule substance infinie, Dieu autrement dit la Nature (« Deus sive
nature »). Toutes les choses dans l'univers sont des modes finis de
cette substance unique. Ainsi, il n'y a pas de séparation entre la pensée et
l'étendue ; ils sont tous deux des aspects d'une réalité unique.
La
nature n'est pas simplement un ensemble de choses distinctes, mais plutôt une
réalité unitaire et interconnectée. Il n'y a pas de dualisme pour Spinoza, car corps
et esprit sont tous deux des expressions d'une seule et même substance matérielle.
Spinoza affirme également un
déterminisme rigoureux dans lequel tout ce qui arrive est nécessairement
déterminé et c’est là que les critiques de Spinoza crient au « liberticide ».
Si tout est déterminé comment les hommes peuvent-ils être « libres ».
Il faut insister sur ce point :
- Pour Spinoza, la liberté ne
consiste pas en une indépendance par rapport à la causalité déterministe, mais
plutôt en la compréhension de la nécessité. Il affirme que la vraie
liberté réside dans la connaissance de la nécessité des choses. L'ignorance des
causes qui déterminent nos actions nous rend esclaves de nos passions, alors
que la connaissance des causes permet une libération de ces passions.
- Dans l'éthique spinoziste, la
liberté est liée à la puissance d'agir. La puissance d'agir d'un individu est
sa capacité à persévérer dans son être, à agir de manière autonome et à être
actif dans la réalisation de son essence. La connaissance de soi-même et des
causes qui nous déterminent permet d'accroître notre puissance d'agir et donc
notre liberté.
- Spinoza accorde une place centrale
à l'intellect et à la raison dans l'acquisition de la liberté. La raison permet
de comprendre les causes qui nous déterminent, de surmonter les illusions des
passions, et de diriger notre vie selon des principes rationnels. L'intellect
libre est celui qui est en harmonie avec la nature et qui agit en conformité
avec les lois qui gouvernent l'univers.
Dans la philosophie déterministe de Spinoza, la liberté n'est pas conçue comme
une capacité d'agir indépendamment des causes, mais plutôt comme une
compréhension et une acceptation consciente de la nécessité, permettant à
l'individu d'agir en accord avec les lois naturelles et de réaliser sa
puissance d'agir maximale.
Être libre, c’est être conscient des causes qui nous meuvent, et cela implique
la recherche de la connaissance du réel (pas de la réalité !).
« L’autorité de Platon, d’Aristote, etc… n’a pas grand poids pour moi :
j’aurais été surpris si vous aviez allégué Épicure, Démocrite, Lucrèce ou
quelqu’un des Atomistes et des partisans des atomes. Rien d’étonnant à ce que
des hommes qui ont cru aux qualités occultes, aux espèces intentionnelles, aux
formes substantielles et mille autres fadaises, aient imaginé des spectres et
des esprits et accordé créance aux vieilles femmes pour affaiblir l’autorité de
Démocrite. » Spinoza : Lettres à Boxel ( dites "lettres sur les fantômes"- 1654.
Les
perspectives réciproques de Descartes et Spinoza sur la nature reflètent des
différences fondamentales en matière de métaphysique et de vision du monde.
Entre un mécanisme métaphysique sans issue et une perspective matérialiste qui
renoue pour la première fois avec son origine grecque et va marquer pour
toujours les philosophies matérialistes à venir. Les positions Descartes/Spinoza
inaugurent tous les débats actuels sur la place de l’homme dans la société et l’univers.
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