lundi 22 janvier 2024

Sujet du Merc. 24 Jan. 2024 : Le concept de nature chez Descartes et Spinoza.

 

                           Le concept de nature chez Descartes et Spinoza.  
       
Vivants au 17ième siècle, René Descartes (1596-1650) et Baruch Spinoza (1632-1677) sont les héritiers, tout à la fois, de la tradition des philosophes de la nature de l’antiquité grecque et latine (Démocrite, Epicure, Lucrèce), mais aussi des grands bouleversements scientifiques qui marquèrent l’Occident : la description par Copernic de l’héliocentrisme (« Des révolutions des orbes célestes » 1543) ; l’observation de l’univers avec les premières lunettes astronomiques et l’application des mathématiques à la physique par Galilée :  Dialogue sur les deux grands systèmes du monde »  1632) ; la critique radicale de la cosmologie d’Aristote par Giordano Bruno (« Le banquet des cendres » 1584).

Toutefois il existe de profondes différences sur le concept de nature entre ces deux auteurs.          
Ce qui caractérise la philosophie de la nature chez
Descartes c’est ce qu’il est convenu d’appeler le dualisme cartésien.   
     

Séparation entre l'esprit et le corps :

Pour Descartes, la nature est composée de deux substances fondamentales. Il affirme une nette séparation entre la substance pensante (res cogitans) et la substance étendue (res extensa).

L'esprit, selon lui, est le siège de la pensée, de la conscience et de la volonté, tandis que le corps est constitué de matière étendue dans l'espace.


Les corps sont donc des entités matérielles dépourvues de pensée, tandis que l'esprit est immatériel et indépendant de la matière. 
     

L’esprit, la pensée : En effet, pour lui, la pensée (la conscience, la volonté, les idées, etc.) est caractérisée par la clarté et la distinctivité. Il affirme que la pensée est quelque chose de si clair et distinct qu'elle ne peut être identifiée avec la matière, qui est par nature obscure et confuse. La nature immatérielle de la pensée la distingue donc de la matière.         
Descartes considère aussi l'esprit comme une substance indivisible. En méditant sur la nature de l'esprit, il conclut que la pensée ne peut pas être divisée en parties distinctes comme la matière. Cette indivisibilité suggère, selon Descartes, que l'esprit n'est pas matériel.        

 Le célèbre «Cogito, ergo sum" (Je pense, donc je suis) est au cœur de la justification de l'immatérialité de l'esprit. Descartes soutient que la pensée est indubitable, tandis que le corps et le monde extérieur sont sujets au doute. La certitude de la pensée, liée à l'existence de soi-même en tant que pensant, est une base solide pour affirmer que l'esprit est une substance distincte  (justification aussi du dualisme !).      

Descartes affirme que l'esprit possède une volonté libre, capable de choisir indépendamment des influences extérieures. Il considère la liberté de la volonté comme incompatible avec la détermination mécanique inhérente à la matière. L'esprit, en tant qu'entité immatérielle, serait donc capable de prendre des décisions indépendantes.

Toutefois, et bien qu’il défende l'immatérialité de l'esprit, il admet que l'esprit et le corps interagissent dans la glande pinéale du cerveau. Mais cette interaction reste en suspens dans l’œuvre de Descartes.
N’oublions pas, aussi, le contexte d’une époque où l’on finissait vite au bucher pour quelques propos potentiellement irrévérencieux sur la question de dieu …..    
      

Descartes a contribué de manière significative au développement de la méthode scientifique moderne. Il a encouragé l'utilisation du doute méthodique et de la raison pour parvenir à des vérités indubitables. Sa célèbre formule "Cogito, ergo sum" ("Je pense, donc je suis") reflète son engagement envers la raison comme fondement de la connaissance. Mais il a appliqué son dualisme mécaniste à l’étude de la nature.

Il a considéré que la nature pouvait être comprise comme un vaste mécanisme, régi par des lois mathématiques précises. Cette perspective mécaniste a influencé le développement ultérieur de la physique classique.

En tentant de géométriser la nature en expliquant les phénomènes naturels par des principes mathématiques, il s’écarte dangereusement des principes religieux qui domine son temps. Qu’en est-il alors de la providence, de la « cause première » ?

Coincé dans son dualisme, Descartes a également introduit une forme d'animisme mécanique dans sa philosophie. Il a considéré les animaux comme de simples machines, dénuées de conscience, mais il a également reconnu l'existence d'un "esprit animal" mécanique qui expliquait les comportements animaux.

Quant à la place de l’homme dans la nature. Il a soutenu que les êtres humains, en tant qu'êtres pensants, étaient distincts du reste de la nature et devaient se rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature », phrase qui -sortie de son contexte – autorise aujourd’hui ses commentateurs à rejeter toute la modernité de la philosophie cartésienne fournissant ainsi un cadre dogmatique, proche d’une religion, aux affidés de la « pancha mama », aux « sauveteurs de la nature » et autres « écologistes » en mal d’une « autre monde ».

Contrairement à Descartes, Spinoza adopte un monisme éthique. Pour lui, il n'y a qu'une seule substance infinie, Dieu autrement dit la Nature (« Deus sive nature »). Toutes les choses dans l'univers sont des modes finis de cette substance unique. Ainsi, il n'y a pas de séparation entre la pensée et l'étendue ; ils sont tous deux des aspects d'une réalité unique.

La nature n'est pas simplement un ensemble de choses distinctes, mais plutôt une réalité unitaire et interconnectée. Il n'y a pas de dualisme pour Spinoza, car corps et esprit sont tous deux des expressions d'une seule et même substance matérielle.       
 Spinoza affirme également un déterminisme rigoureux dans lequel tout ce qui arrive est nécessairement déterminé et c’est là que les critiques de Spinoza crient au « liberticide ». Si tout est déterminé comment les hommes peuvent-ils être « libres ».     
       

Il faut insister sur ce point :  

-     Pour Spinoza, la liberté ne consiste pas en une indépendance par rapport à la causalité déterministe, mais plutôt en la compréhension de la nécessité. Il affirme que la vraie liberté réside dans la connaissance de la nécessité des choses. L'ignorance des causes qui déterminent nos actions nous rend esclaves de nos passions, alors que la connaissance des causes permet une libération de ces passions.    

-     Dans l'éthique spinoziste, la liberté est liée à la puissance d'agir. La puissance d'agir d'un individu est sa capacité à persévérer dans son être, à agir de manière autonome et à être actif dans la réalisation de son essence. La connaissance de soi-même et des causes qui nous déterminent permet d'accroître notre puissance d'agir et donc notre liberté.

-     Spinoza accorde une place centrale à l'intellect et à la raison dans l'acquisition de la liberté. La raison permet de comprendre les causes qui nous déterminent, de surmonter les illusions des passions, et de diriger notre vie selon des principes rationnels. L'intellect libre est celui qui est en harmonie avec la nature et qui agit en conformité avec les lois qui gouvernent l'univers.  

Dans la philosophie déterministe de Spinoza, la liberté n'est pas conçue comme une capacité d'agir indépendamment des causes, mais plutôt comme une compréhension et une acceptation consciente de la nécessité, permettant à l'individu d'agir en accord avec les lois naturelles et de réaliser sa puissance d'agir maximale.
Être libre, c’est être conscient des causes qui nous meuvent, et cela implique la recherche de la connaissance du réel (pas de la réalité !).   


« L’autorité de Platon, d’Aristote, etc… n’a pas grand poids pour moi : j’aurais été surpris si vous aviez allégué Épicure, Démocrite, Lucrèce ou quelqu’un des Atomistes et des partisans des atomes. Rien d’étonnant à ce que des hommes qui ont cru aux qualités occultes, aux espèces intentionnelles, aux formes substantielles et mille autres fadaises, aient imaginé des spectres et des esprits et accordé créance aux vieilles femmes pour affaiblir l’autorité de Démocrite. » Spinoza : Lettres à Boxel ( dites "lettres sur les fantômes"- 1654.

Les perspectives réciproques de Descartes et Spinoza sur la nature reflètent des différences fondamentales en matière de métaphysique et de vision du monde. Entre un mécanisme métaphysique sans issue et une perspective matérialiste qui renoue pour la première fois avec son origine grecque et va marquer pour toujours les philosophies matérialistes à venir. Les positions Descartes/Spinoza inaugurent tous les débats actuels sur la place de l’homme dans la société et l’univers.

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