dimanche 14 janvier 2024

Sujet du Merc. 17 Janvier 2024 : La phronesis comme fondement des éthiques grecques ?

 

La phronesis comme fondement des éthiques grecques ?

La phronesis (du grec ancien : φρόνησις / phrónēsis) est un concept employé en particulier dans l'Éthique à Nicomaque d'Aristote. En anglais, ce concept est le plus souvent traduit par practical wisdom (« sagesse pratique ») par opposition à la « sagesse contemplative ou théorétique » bien que le mot « prudence » soit aussi parfois utilisé.            

C’est dans cette époque entre -420 et -270 de notre ère que le monde grec voit la philosophie arriver à la fois à son apogée et en même temps au clivage définitif qui va intervenir entre les conceptions idéalistes et matérialistes de réfléchir sur le cosmos, le monde, la nature, la cité.      
Quatre auteurs vont marquer cette époque : Aristote, Epicure, Platon, Démocrite.

Aristote est celui qui va exposer la position idéaliste la plus « avancée », c'est-à-dire la plus idéaliste de la phronésis. Selon Aristote, la phronesis est la vertu intellectuelle qui permet à une personne de discerner le bien moral dans des situations particulières et de choisir les moyens les plus appropriés pour atteindre le bien. Il n’est pas difficile de voir ici une vision morale de la phronesis.  
           
La phronesis (ou “prudence”) ne peut être acquise comme un savoir ; chacun doit y parvenir à sa façon, avec pluis ou moins de dispositions personnelles, au fil d’une expérience. Donc, chez Aristote, pas de doctrine de la “prudence”, mais seulement des exemples particuliers de “prudence”. Chez Aristote la phronesis n’est, ni sagesse théorique (Sophia), ni science (épistémè), ni art de la fabrication (poeisis).         
           
La réflexion d’Aristote ne débouche pas sur une éthique sticto sens, car restant particulariste, contingente.

 

Il va en aller tout autrement avec les matérialistes grecs.   

Les matérialistes grecs, en particulier Démocrite, ont rompu avec la tradition idéaliste en proposant que la réalité soit constituée d'atomes et de vide. Cette conception radicalement matérialiste a ouvert de nouvelles perspectives sur la compréhension du monde, remettant en question les notions idéalistes prédominantes de l'époque.  

Démocrite, tout en se concentrant sur les éléments matériels, a contribué à la philosophie morale à travers le prisme de la phronésis. La sagesse pratique, selon Démocrite, émane d'une compréhension profonde de la nature des choses, une connaissance qui s'acquiert par l'observation et la réflexion sur le monde matériel. Ainsi, la phronésis chez Démocrite s'inscrit dans le contexte d'une compréhension matérialiste du cosmos.        
Alors qu'Aristote mettait l'accent sur la phronesis comme une vertu intellectuelle orientée vers la morale,

Épicure, héritier de la tradition matérialiste, a élaboré une philosophie éthique centrée sur la recherche du plaisir modéré et de l'ataraxie. La phronésis, dans le contexte épicurien, devient une sagesse pratique orientée vers la maximisation du bien-être matériel -  du corps et de l’esprit - ce bien être ne concerne pas l’accumulation de biens ou de richesses comme le laissent entendre les ennemis de l’épicurisme, tout en minimisant tout ce qui peut troubler la vie. 

Le mot ataraxie signifiant littéralement : absence de trouble, désigne simplement que l’éthique épicurienne est fondée sur la satisfaction des besoins fondamentaux nécessaires à la vie (le surplus est inutile et crée des désagréments) et l’éloignement de tout ce qui peut créer des relations malsaines : pouvoir, célébrité, etc …  

Épicure relie étroitement la phronésis à l'idée d'aponie, l'absence de douleur. La sagesse pratique, selon lui, conduit à des choix de vie qui éliminent les craintes et les anxiétés, créant ainsi un espace pour l'ataraxie. La phronésis épicurienne se manifeste donc dans la construction d'une vie exempte de souffrances inutiles, où la sagesse guide la réduction des désirs superflus.

 La phronésis chez les matérialistes grecs transcende la simple sagesse individuelle pour s'ancrer dans une compréhension pragmatique du monde. La connaissance pratique, selon ces penseurs, émerge de l'observation directe et de la compréhension des réalités matérielles. La phronésis devient ainsi un outil pour naviguer dans le monde matériel et optimiser la vie quotidienne.        


Les modernes vont faire des usages « adaptatifs » de la phronésis, mais aucun ne va suivre la ligne matérialiste. L’aristotélisme dominant la pensée chrétienne depuis Thomas d’Aquin, il n’y a pas de quoi s’en étonner !          

Machiavel en fera un principe pour se méfier de la « nature » humaine » et cantonnera le principe à la politique. Il ne s’agit plus là d’éthique mais d’un reniement de celle-ci lorsque des situations d’exceptions interviennent.  

Hobbes redéfini le concept dans le sens de l’égoïsme individuel. La « prudence » devient la sauvegarde de soi et de ses biens. Pour lui dès que l’intérêt individuel de la survie ou du gain diminue, la « prudence » diminue !        

Plus les systèmes politico économiques évoluent, moins les valeurs « éthiques » ont des visées universalistes et ne servent que de de paravent aux intérêts privés.

Et aujourd’hui, avec les principes de précaution, le « catastrophisme », les critiques de la technologie et ses « excès », le mot « prudence » fonctionne comme l’outil ultime contre un avenir qui, de toute façon, ne peut qu’advenir.   

Et donc, plus que jamais, nous avons besoin de Prométhée :          

 « La philosophie a fait sienne la profession de foi de Prométhée : « En un mot, je hais tous les dieux ! »

Et cette devise, elle l’oppose à tous les dieux du ciel et de la terre, qui ne reconnaissent pas la conscience humaine comme la divinité suprême.

Elle ne souffre pas de rival.

Mais aux tristes sires qui se réjouissent de ce qu’en apparence la situation sociale de la philosophie ait empiré, elle fait à son tour la réponse que Prométhée fit à Hermès, serviteur des dieux : « Jamais, sois en certain, je n’échangerai mon misérable sort contre ton servage ; j’attache plus de prix, en effet, à être rivé à cette pierre qu’à être le valet fidèle et le messager de Zeus le père ».       
(K. Marx, Différence de la philosophie de Démocrite et Epicure).

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