La phronesis comme
fondement des éthiques grecques ?
La phronesis (du grec ancien :
φρόνησις / phrónēsis) est un concept employé en particulier dans l'Éthique à
Nicomaque d'Aristote. En anglais, ce concept est le plus souvent traduit par
practical wisdom (« sagesse pratique ») par opposition à la « sagesse
contemplative ou théorétique » bien que le mot « prudence » soit aussi parfois
utilisé.
C’est dans cette époque entre -420 et -270 de notre ère que le monde grec voit
la philosophie arriver à la fois à son apogée et en même temps au clivage
définitif qui va intervenir entre les conceptions idéalistes et matérialistes
de réfléchir sur le cosmos, le monde, la nature, la cité.
Quatre auteurs vont marquer cette époque : Aristote, Epicure, Platon,
Démocrite.
Aristote est celui qui va exposer la position idéaliste la plus « avancée »,
c'est-à-dire la plus idéaliste de la phronésis. Selon Aristote, la phronesis
est la vertu intellectuelle qui permet à une personne de discerner le bien
moral dans des situations particulières et de choisir les moyens les plus
appropriés pour atteindre le bien. Il n’est pas difficile de voir ici une
vision morale de la phronesis.
La phronesis (ou “prudence”) ne peut être acquise comme un savoir ; chacun doit
y parvenir à sa façon, avec pluis ou moins de dispositions personnelles, au fil
d’une expérience. Donc, chez Aristote, pas de doctrine de la “prudence”, mais seulement
des exemples particuliers de “prudence”. Chez Aristote la phronesis n’est, ni sagesse
théorique (Sophia), ni science (épistémè), ni art de la fabrication (poeisis).
La réflexion d’Aristote ne débouche pas sur une éthique sticto sens, car
restant particulariste, contingente.
Il va en aller tout autrement
avec les matérialistes grecs.
Les matérialistes grecs, en particulier Démocrite, ont rompu avec la tradition
idéaliste en proposant que la réalité soit constituée d'atomes et de vide.
Cette conception radicalement matérialiste a ouvert de nouvelles perspectives
sur la compréhension du monde, remettant en question les notions idéalistes
prédominantes de l'époque.
Démocrite, tout en se concentrant
sur les éléments matériels, a contribué à la philosophie morale à travers le
prisme de la phronésis. La sagesse pratique, selon Démocrite, émane d'une
compréhension profonde de la nature des choses, une connaissance qui s'acquiert
par l'observation et la réflexion sur le monde matériel. Ainsi, la phronésis
chez Démocrite s'inscrit dans le contexte d'une compréhension matérialiste du
cosmos.
Alors qu'Aristote mettait l'accent sur la phronesis comme une vertu
intellectuelle orientée vers la morale,
Épicure, héritier de la tradition matérialiste, a élaboré une philosophie
éthique centrée sur la recherche du plaisir modéré et de l'ataraxie. La
phronésis, dans le contexte épicurien, devient une sagesse pratique orientée
vers la maximisation du bien-être matériel -
du corps et de l’esprit - ce bien être ne concerne pas l’accumulation de
biens ou de richesses comme le laissent entendre les ennemis de l’épicurisme,
tout en minimisant tout ce qui peut troubler la vie.
Le mot ataraxie signifiant littéralement : absence de trouble, désigne
simplement que l’éthique épicurienne est fondée sur la satisfaction des besoins
fondamentaux nécessaires à la vie (le surplus est inutile et crée des
désagréments) et l’éloignement de tout ce qui peut créer des relations
malsaines : pouvoir, célébrité, etc …
Épicure relie étroitement la phronésis à l'idée d'aponie, l'absence de douleur.
La sagesse pratique, selon lui, conduit à des choix de vie qui éliminent les
craintes et les anxiétés, créant ainsi un espace pour l'ataraxie. La phronésis
épicurienne se manifeste donc dans la construction d'une vie exempte de
souffrances inutiles, où la sagesse guide la réduction des désirs superflus.
Les modernes vont faire des usages « adaptatifs » de la phronésis,
mais aucun ne va suivre la ligne matérialiste. L’aristotélisme dominant la
pensée chrétienne depuis Thomas d’Aquin, il n’y a pas de quoi s’en étonner !
Machiavel en fera un principe pour se méfier de la « nature » humaine »
et cantonnera le principe à la politique. Il ne s’agit plus là d’éthique mais d’un
reniement de celle-ci lorsque des situations d’exceptions interviennent.
Hobbes redéfini le concept dans le sens de l’égoïsme individuel. La « prudence »
devient la sauvegarde de soi et de ses biens. Pour lui dès que l’intérêt
individuel de la survie ou du gain diminue, la « prudence » diminue !
Plus les systèmes politico économiques évoluent, moins les valeurs « éthiques »
ont des visées universalistes et ne servent que de de paravent aux intérêts
privés.
Et aujourd’hui, avec les principes de précaution, le « catastrophisme »,
les critiques de la technologie et ses « excès », le mot « prudence »
fonctionne comme l’outil ultime contre un avenir qui, de toute façon, ne peut
qu’advenir.
Et donc, plus que jamais, nous avons besoin de Prométhée :
« La philosophie a fait sienne la profession de foi de Prométhée : «
En un mot, je hais tous les dieux ! »
Et cette devise, elle l’oppose à tous les dieux du ciel et de la terre, qui ne
reconnaissent pas la conscience humaine comme la divinité suprême.
Elle ne souffre pas de rival.
Mais aux tristes sires qui se
réjouissent de ce qu’en apparence la situation sociale de la philosophie ait
empiré, elle fait à son tour la réponse que Prométhée fit à Hermès, serviteur
des dieux : « Jamais, sois en certain, je n’échangerai mon misérable sort
contre ton servage ; j’attache plus de prix, en effet, à être rivé à cette
pierre qu’à être le valet fidèle et le messager de Zeus le père ».
(K. Marx, Différence de la philosophie de Démocrite et Epicure).
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