Que viennent faire les atomes dans l’éthique de Démocrite ?
L’ignorance est à comprendre comme origine de
la religion en même temps que ce qui maintient les hommes dans une communauté
déterminée, en apportant des réponses toutes faites aux questions qu’ils se
posent. Ou comme le dit si fortement Spinoza : « … la
volonté de Dieu, cet asile d’ignorance ».
Ainsi fonctionne la morale : le bien, le
mal.
Ainsi ne procède pas l’éthique, continûment à
la recherche du juste et du faux.
Et c’est loin des certitudes établies qu’un grec, Démocrite (~ - 460 -
370 avant notre ère), jeta les bases,
les fondements de l’éthique : « Si tout corps est divisible à
l'infini, de deux choses l'une : ou il ne restera rien, ou il restera quelque
chose. Dans le premier cas, la division ne saurait aboutir à un néant pur et
simple, car alors la matière n'aurait qu'une existence
virtuelle, dans le second cas on se pose la question : que reste-t-il ? La
réponse la plus logique, c'est l'existence d'éléments réels, indivisibles et
insécables appelés donc atomes. ».
Mais quel rapport entre les atomes et l’éthique ?
La permanence de la matière étant établie par l’existence des atomes sinon « … la
matière n'aurait qu'une existence virtuelle », dès lors les hommes
n'ont donc plus à craindre ni la nature ni la mort, emportés par le flot
continue de leur matérialité et du temps, ils sont un des éléments de la nature
et donc immortels. Et donc le jugement des dieux n’est donc plus à craindre :
ils ne sont plus tout-puissants puisque matériels, ne sont pas immortels et
n’exercent aucune action dans le monde.
De cette double constatation : seule la
matière est immortelle (atomisme) – Les dieux ne sont que des créations fantasmagoriques
de l’homme, va naître l’éthique.
Sur le déterminisme :
Si tout est déterminé dans le monde, notre esprit comme les phénomènes, nous
avons du pouvoir sur notre perception. Nous avons le choix de lui accorder du
crédit ou de la montrer comme une illusion. C’est donc cette liberté intérieure
qui va être la base de l’éthique de Démocrite.
Tout cela est fondé par la théorie gnoséologique (théorie de la connaissance) du
philosophe. En effet, si lui-même a voulu remettre en cause la vérité des
apparences pour fonder une aporie de la connaissance, alors cela signifie qu’il
a été libre de décider de la valeur du réel tel qu’il le percevait.
En somme, c’est sa théorie déterministe qui est la condition de possibilité
d’une éthique. Démocrite conçoit bien l’homme comme un être déterminé dans un
monde déterminé et la notion de destin est absente dans sa philosophie, mais la
place de sa volonté intérieure présuppose la question du choix et donc de la
responsabilité éthique, mais sur un fondement gnoséologique.
Démocrite écrit : « Les hommes acquièrent
la joie par la modération dans la jouissance et par la vie sage ». Les
désirs non naturels et non nécessaires comme l’envie de gloire ou de richesse
sont à proscrire tandis que d’autres besoins plus naturels et nécessaires sont
à satisfaire avec modération. Éviter les plaisirs vains et rechercher les
plaisirs nobles est plus adéquat au concept de tranquillité.
Démocrite écrit : « Le plaisir et le
désagrément déterminent la limite entre ce qui est utile et ce qui est nuisible
», le bonheur ne va donc pas sans une certaine forme de plaisir. Finalement,
même si les phénomènes nous affectent de manière déterminée, et même si nous
n’avons pas accès à leur essence vraie, nous avons la liberté de décider de
l’influence que ces phénomènes auront sur nous. De là, nous pouvons en déduire
une éthique qui privilégiera la recherche d’un certain état d’esprit et d’une
condition générale qui facilitera l’accès au bonheur.
Si l’homme n’écoute que ses pulsions, il en devient l’esclave et perd sa
liberté tandis que s’il choisit la vie éthique et la tempérance, il est
vraiment libre. Écouter uniquement nos passions nous fait perdre notre
responsabilité tandis que prendre une décision désintéressée nous en rend
véritablement responsable. Cette thèse sera exploitée par Kant dans la Critique
de la raison pratique.
Portée pratique de l’éthique démocritéenne. La politique :
Démocrite oppose les concepts de
Fortune et de nature. Il écrit : « la Fortune est prodigue mais est
inconstante alors que la nature se suffit à elle-même, c’est pourquoi elle
remporte la victoire sur les grandes expériences ». L’homme doit maîtriser
sa nature pour parvenir à une forme d’autarcie aussi bien individuelle que
collective.
La démocratie (comme théorie poitique) est
pour lui le meilleur des régimes politiques, car il permet de rechercher
l’intérêt commun alors que les despotes veulent uniquement conserver leur
pouvoir et que les aristocrates cherchent uniquement leurs intérêts personnels.
Il écrit : « Il vaut mieux être pauvre en démocratie qu’heureux sous le
pouvoir des despotes». La démocratie permet à chacun de d’être son propre
maître dans une cité devenue autarcique qui recherche le bonheur en son propre
sein. Finalement, cette autarcie se définit par quatre caractéristiques
essentielles. Elle s’exerce par le choix des objets, par des moyens psychiques
et éthiques, à travers l’usage des plaisirs et par la pratique et l’effort.
- Concernant le choix des objets, nous
devons distinguer l’intériorité de l’extériorité et travailler sur notre
capacité à ne pas être affecté outre mesure par ce qui nous est extérieur.
Certes ces phénomènes s’imposent en quelque sorte à nos sens, mais l’homme est
capable de choisir de se perdre en elles ou de s’en émanciper.
- La praxis : le bonheur n’est
atteignable qu’à partir du moment où nous agissons réellement (phronésis)
en vue du juste. C’est à travers l’exercice de la vertu que la tranquillité est
accessible.
- Concernant le plaisir, il n’est pas
le télos du bonheur, mais simplement un moyen d’y parvenir. Il nous faut
distinguer hédonê plaisir des sens, et terpsis le plaisir moral pour se rendre
capable d’ordonner ses besoins et de rechercher un plaisir modéré et noble.
- Enfin :« Les peines
volontaires nous rendent aptes à supporter plus facilement les involontaires
». Ainsi s’endurcit notre volonté. »
Démocrite dit qu’il faut graver une loi dans
son âme qui est de ne rien faire qui ne soit inapproprié. Qu’on soit seul ou en
société, il nous faut refuser l’injuste et sa tentation pour pouvoir être
réellement autonome dans notre volonté et pleinement responsable de nos
actions.
Limites :
Garant de la tradition atomistique, Démocrite réduit le monde à un ensemble
agrégé d’éléments simples : les atomes matériels évoluant dans le vide. Il
faudra l’apport essentiel d’Epicure et du concept de clinamem (déviation)
pour rendre leur liberté aux atomes et par là à une éthique qui chez Démocrite
pourrait apparaître excluant totalement la liberté.
Le vide et les atomes ne sont que les
premiers apports dans la formation d’une compréhension de la matière conçue
comme un tout dialectique dont Epicure éclairera toute la portée pour la
conception d’une éthique dont Spinoza s’emparera après des siècles d’obscurantisme
religieux. L’apport de Démocrite est immense mais par trop mécaniste.
« Le soleil est
souvent obscurci par les nuages et la raison par la passion. »
Démocrite.
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