« Ici il y en ait qui savent se
taire"
Zénon de Citium
« L'idéal du calme est dans un chat assis.
Le calme est l'allié de la sérénité. Il est le propre de ceux qui vivent en
accord avec eux-mêmes. Nul n'est besoin d'évoluer dans le bruit et le fracas
pour se sentir exister. Il faut être seul pour s'apaiser et se retrouver dans
le calme de la solitude. »
Jules Renard
PARLONS PEU ET NOUS AURONS LE TEMPS D'AGIR BEAUCOUP
Initiatique : Cette phrase peut être également entendue comme une incitation
au silence. Nous vivons au milieu d’un
torrent de mots ; si bien que la valeur du silence nous échappe le plus souvent
; et pourtant, il est difficile de séparer le silence et la parole, le silence
et l'intention de signification. Sans un espace entre les mots, les mots
eux-mêmes seraient-ils compréhensibles
Pour
la plupart d’entre nous, le silence fait peur. C’est une sorte de néant, de
vide oppressant. Inconsciemment, nous avons donc tendance à rabattre le silence
sur mutisme. Comme si nécessairement le silence devait être terrifiant. Ce qui
nous permet de justifier le rejet du silence, au profit de la valeur de
l’expression tous azimuts. Donc du bruit. Mais attention, ne ramenons pas le
silence à cette seule valeur. Il y a différentes valeurs du silence et de toute
manière, le langage, à lui seul ne remplit pas nécessairement la pensée. Pas
plus qu’il ne produit la conscience. Il y a aussi une confusion engendrée par
le verbalisme. Le langage, sans l'espace d'une certaine forme de silence, perd
son sens et peut noyer la pensée dans le bruit des mots. ) Le bruit des mots a
un aspect mécanique. En anglais, on dit « mental noise ». Le mental,
à son stade le moins élevé est mécanique. Nous savons qu’une pensée paresseuse
peut se laisser mécaniquement conduire par le langage : on dit que la lettre
finit par tuer l’esprit. Il est toujours facile de répéter des formules apprises,
au lieu de réinvestir leur sens. A suivre seulement des mots, on finit par ne
plus entendre clairement ce qu'ils disent. Tous les grands textes peuvent
succomber sous le poids de la surcharge des commentaires. Et devenir
illisibles. Entre le texte et le lecteur se construit le mur des commentaires.
Une pensée faible s’en laisse facilement imposer. Ainsi la lettre peut se
transmettre sans l’esprit qui l’
Allons
plus loin. S'il y a plusieurs valeurs du silence, c'est que le silence est un révélateur du non-verbal. Il signifie
l’être, l'existence telle qu’elle est, dans la joie ou le malaise, la
jouissance ou le tourment d'exister. Non ce qu’elle voudrait seulement
paraître. Le silence de l'expression de l'existence est d'ailleurs si éloquent
en lui-même, qu'il faut beaucoup de bruit pour dissimuler son sens, le
contourner, pour s'en évader. Pour bâtir une vie dans le déni, il faut beaucoup
parler et se mentir. Nous faisons beaucoup d’efforts afin de ne pas nous
retrouver seul à seul avec nous-même, confronté à notre propre présence. Et
comment contourne-t-on la souffrance de l'exister, sinon en cherchant à
s'étourdir ? Quoi de plus utile pour s’étourdir qu'un bavardage continuel ?
Pourquoi cette étrange pratique consistant à laisser la télévision allumée en
permanence? Pourquoi cette manie de se noyer continuellement dans de la
musique, sous un casque ? La télévision et la musique entretiennent un bruit
d'existence qui nous arrache à nous-même, vous jette au dehors et nous permet
d’oublier. Quoi de plus effrayant que de retrouver le silence? Ce serait se
retrouver seul avec soi-même, sans un bruit pour vous distraire, sans une
ek-stase d'images et de musiques qui vous jette là-bas dans un rêve coloré,
vous arrache à vous-même dans une ambiance stimulante et fait tout oublier.
Nous avons peur de nous retrouver en silence, peur d’être seul, face à
nous-mêmes. Alors nous faisons tout pour meubler, assourdir, fuir dans le bruit.
C’est ce qui rend souvent compte de ce besoin d’une orgie d'images et de
bruits, qui nous éloigne un temps de ce nœud crispé et oppressant qu’est
devenue notre propre existence. Comment ne pas chercher une échappatoire devant
cet effet de la crispation de l'ego ? Et quoi de plus efficace que le bruit ?
Un midrash ancien,
sorte de conte talmudique, enseigne que l'enfant dans le ventre de sa mère est
pareil à deux tablettes d'écriture rabattues l'une sur l'autre, sur lesquelles
sont gravées tout le savoir du monde. Quand l'enfant sort à l'air du jour, tout
ce qui était ouvert devient fermé, et tout ce qui était fermé devient ouvert:
le nombril, les yeux, le nez, la bouche... Un ange descend alors, et, lui
posant le doigt sur la bouche, lui intime d'oublier tout ce qu'il sait. La
fossette sous le nez est la marque, la trace qui reste du passage de cet ange.
Apprendre à se taire, écouter, c'est se rendre disponible à la
parole de l'autre. C'est aussi se rendre sensible à ce qui se
passe au-delà du langage.
Le
silence de l'initié est aussi la reconnaissance de l'incommunicable. En ce
sens, cela fait partie intégrante de l'initiation. L'initié se tait parce que
ses mots sont porteurs d'un sens qui échappe au profane et qu'il ne sert à rien
de dire à qui ne peut entendre. Nous vivons dans un monde où la verbalisation
est la règle et le silence l’exception.
Un
autre aspect du silence est celui du silence volontaire de celui qui sait, qui
répond d'une certaine manière et en quelque sorte à l'attente de l'étudiant.
Porteur de vérité se tait car il sait que les mystères de l'initiation sont
au-delà des mots et que la parole vraie est un acte créateur. Le verbe est
réellement vivant, novateur et porteur d'énergie créatrice.
Les personnes qui
s'intéressent à la psychanalyse, par curiosité ou par implication personnelle,
se posent fréquemment une foule de questions sur ce qui peut apparaître comme
des pratiques singulières liées à la cure analytique. Par exemple sur l'argent
(cela coûte cher), sur la durée (des années), sur l'efficacité (aucune
obligation de résultat), sur la présence du divan (le patient est allongé et ne
voit pas son thérapeute)… Et peut-être sur la plus grande des singularités : la
plupart du temps, l'analyste reste muet !
Si l'analyste garde
le silence, c'est afin de faire toute sa place à l'Autre de l'analysant, lieu
de recel et trésor de ses signifiants, de creuser ce lit de l'Autre, afin que
se déploie dans la parole de l'analysant sa demande à l'Autre, la réponse à ce
qu'il supposera être la demande de l'Autre, son désir, son message, dont
l'analyste ne se prend pas pour le destinataire direct.
"C'est à
cet Autre au delà de l'autre que l'analyste laisse la place par la neutralité
dont il se fait n'être "ne-uter", ni l'un, ni l'autre des deux qui
sont là, et s'il se tait, c'est pour lui laisser la parole"
Le silence est-il seulement
une impuissance ou une impasse dont le langage nous libère ? Le silence ne
dit-il rien ? Peut-on aller jusqu’à soutenir que le silence est un langage non-verbal
sous-jacent au langage verbal ?
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