L’ennui un luxe à se
réapproprier ?
« La pression du temps fait obstacle aux tâches intellectuelles et créatrices, nous fait perdre de vue ce qui est important et la vision de notre avenir. » - Christophe André
« La pression du temps fait obstacle aux tâches intellectuelles et créatrices, nous fait perdre de vue ce qui est important et la vision de notre avenir. » - Christophe André
Dans son essai Le culte de l'urgence : La
société malade du temps, Nicole Aubert entérine le fait que notre rythme de vie
s’est largement transformé au fil des dernières décennies. Paradoxalement,
alors que la technologie a fait drastiquement chuté le temps nécessaire aux
tâches courantes, nous n’avons jamais autant vécu dans l’immédiateté et couru
après le temps. Il est en effet attendu de notre part que nous soyons rapides
et réactifs puisque la technologie nous le permet : il faudrait donc suivre la
cadence du progrès technologique.
De plus, l’arrivée d’internet a bouleversé nos
rapports au temps et à l’espace dans notre quotidien. Avec des millions
d’années d’histoire, d’écrits consultables dans sa poche et des communications
et autres actualités du monde entier à portée de main, plus de place pour
l’ennui. À la moindre seconde d’attente ou de temps libre, le smartphone est
dégainé et notre attention occupée (souvent accompagnée par de la musique dans
les oreilles).
Cette urgence et ce "bruit"
permanents évacuent donc ces "moments de vide" où l’on se déconnecte
des sollicitations incessantes du monde extérieur pour nous tourner vers notre
monde intérieur. Plus de pause, plus de disponibilité d’esprit pour réfléchir,
pour prendre du recul. Le cerveau est sans cesse saturé (sans pour autant être
stimulé). Cela est à mettre en lien avec la disparition du "temps
long". Le long terme, la vision longue n’importent plus aujourd’hui, seul
le court terme est compatible avec la logique du profit. Car notre mode de
production n’est pas sans lien avec la question.
Il serait d’ailleurs intéressant de se
demander si l’ennui n’est pas devenu subversif. En effet, il amène l’individu à
se poser la question essentielle du "pourquoi", du "sens"
et à adopter une analyse globale de sa vie et du monde qui l’entoure. Au cours
de l’ennui, on ne consomme pas et on laisse son esprit vagabonder, réfléchir,
remettre en question : cela peut être perçu comme dangereux pour le pouvoir en
place. « L’ennui suit l’ordre et précède la tempête. », disait L. Langanesi.
C’est pourquoi on nous explique aujourd’hui
qu’on ne doit jamais être inactif : il faut toujours apprendre de nouvelles
choses, se perfectionner (apprendre l’anglais dès l’âge de 4 ans), ou alors se
divertir, mais dans tous les cas "s’occuper l’esprit".
Par-là, pourrait-on imaginer une contestation
du système actuel par l’acceptation de l’ennui : un moyen pacifique, facile et
accessible à chacun ? Devenir libre non en faisant mais en cessant de faire
comme le préconisait La Boétie dans son Discours de la servitude volontaire.
En tous les cas, il semble que l’ennui soit
nécessaire chez l’être humain, notamment pour sa construction personnelle, comme
l’indique le Dr Teresa Belton dans son étude portant sur les enfants. Elle
explique que l’ennui stimule l’imagination, l’autonomie, le développement de sa
personnalité et de sa vie intérieure (confiance en soi, connaissance de soi).
C’est souvent par l’ennui vécu dans l’enfance que les personnes créatives
découvrent leur talent : l’artiste par le dessin ou l’écrivain par la tenue
d’un journal intime. Son étude pointe également les effets dévastateurs des
écrans qui atrophient l’imagination et les « pensées divergentes » (sic).
Du côté scientifique, Markus Raichle a
démontré par ses découvertes qu’un "repos" du cerveau n’existe pas
mais qu’un « cerveau qui ne fait rien,
qui n’est engagé dans aucune tâche spécifique, active cependant un réseau
incroyablement stable et reproductible, comprenant des aires cérébrales
distribuées dans les régions frontales et pariétales, qu’il appelle le réseau
du mode par défaut (default mode network, DMN) parce qu’il constitue, en
quelque sorte, l’écran de veille de notre matière grise ».
Enfin, partons de la psychologie
évolutionniste et du présupposé que si l’ennui existe, c’est qu’il a une
utilité particulière pour la survie de l’espèce. Si l’être humain a pu survivre
jusqu’à une époque assez avancée pour construire une civilisation, c’est parce
que son cerveau lui offre une grande capacité d’analyse et d’adaptation. Ainsi,
apprendre à s’adapter à de nouvelles situations (et non répéter des tâches
acquises) est pour l’homme une question de survie. L’ennui serait alors un moyen
qu’utilise le cerveau pour nous indiquer qu’il est temps de sortir de notre
confort intellectuel, cognitif pour ne pas perdre la course à la survie de
l’espèce.
Étude Dr Teresa Belton :
http://www.slate.fr/story/133778/enfants-ennui
Étude
Markus Raichle : https://www.echosciences-grenoble.fr/communautes/atout-cerveau/articles/l-ennui-le-dmn-et-le-bonheur
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