Les bêtises de notre siècle
Question philosophique par excellence pour l'amateur de sagesse, la bêtise selon son étymologie renvoie à l'animal, la beste supposée sans intelligence par comparaison à l'homme. La bêtise est pourtant le propre de homme, inhérente à notre humaine condition et imparable pour Stiegler.
1. Définir
la bêtise.
Circonscrire la bêtise est une tâche immense. On
se contentera de différencier :
A. La bêtise ordinaire, tel le préjugé, l’idée reçue, le poncif, l'opinion, la doxa, le prêt-à-penser qui émane du On social. Qui peut prétendre y avoir échappé, par paresse, par ignorance, par inadvertance..? Elle serait la condition d'une vie quotidienne pacifique avec nos semblables.
B. La bêtise de l’ignorance est le propre du sot dont la compréhension bornée en reste à la lettre sans atteindre l’esprit, incapable de discernement et d’une vision haute, large et distancée du monde. Elle est proche de l’innocence du benêt qui n'exerce pas son esprit critique et qui précisément ne doute de rien. Opposons lui le doute cartésien et la Docte Ignorance, l’oxymore qui nomme le savoir de ne pas savoir, la prise conscience de tout ce que l’on ne sait pas quand une porte du savoir s’ouvre suffisamment pour laisser apercevoir les autres portes encore fermées. La bêtise est précisément ici l’ignorance de sa propre ignorance et l’ignorant à la puissance deux risque de devenir le pédant, le suffisant, le gros plein d'être (Sartre) qui croit par défaut de décentrement ne manquer de rien. La forme extrême de la bêtise est ici l’idiotie de l’idiot, étymologiquement celui qui barbote dans son idios kosmos natif, son monde propre premier, pour n’avoir pas gravi les échelons du koinos kosmos, du monde commun et de la culture.
A. La bêtise ordinaire, tel le préjugé, l’idée reçue, le poncif, l'opinion, la doxa, le prêt-à-penser qui émane du On social. Qui peut prétendre y avoir échappé, par paresse, par ignorance, par inadvertance..? Elle serait la condition d'une vie quotidienne pacifique avec nos semblables.
B. La bêtise de l’ignorance est le propre du sot dont la compréhension bornée en reste à la lettre sans atteindre l’esprit, incapable de discernement et d’une vision haute, large et distancée du monde. Elle est proche de l’innocence du benêt qui n'exerce pas son esprit critique et qui précisément ne doute de rien. Opposons lui le doute cartésien et la Docte Ignorance, l’oxymore qui nomme le savoir de ne pas savoir, la prise conscience de tout ce que l’on ne sait pas quand une porte du savoir s’ouvre suffisamment pour laisser apercevoir les autres portes encore fermées. La bêtise est précisément ici l’ignorance de sa propre ignorance et l’ignorant à la puissance deux risque de devenir le pédant, le suffisant, le gros plein d'être (Sartre) qui croit par défaut de décentrement ne manquer de rien. La forme extrême de la bêtise est ici l’idiotie de l’idiot, étymologiquement celui qui barbote dans son idios kosmos natif, son monde propre premier, pour n’avoir pas gravi les échelons du koinos kosmos, du monde commun et de la culture.
La sortie de la "bêtise originelle"
par l'entendement se conquiert par l'instruction, si celle-ci assume sa tâche
d'émancipation. Mais l'idiotie ne saurait se confondre avec l'intelligence
ignorée du simple d'esprit, l'intelligence non discursive de celui qui s'y entend à dans son rapport aux
autres, aux choses et aux bêtes et l'intelligence des mains et du geste juste de l'artisan ou de l'artiste, dans
laquelle sont restés cantonnés durant des siècles les exclus de l'éducation et
du capital culturel, les femmes, les paysans et les prolétaires.
C. La bêtise de l'intelligence est l'intelligence qui se transforme en idéologie en s'affranchissant de la réalité, de l'expérience, de l'histoire et du monde sensible : intelligence en quelque sorte hors sol, dont l'extrême au niveau individuel serait le rationalisme morbide du schizophrène (Minkowski), ce fou qui a tout perdu - soi, le monde, les autres - sauf sa raison folle qui mouline à vide. Ou à l'échelon politique, le fantasme de pureté de la race qui se concrétise dans la barbarie de l'épuration ethnique, les conséquences de la bêtise devenant tragiques quand dire, c'est faire (Austin). Si comme l'affirme M. van Boxcell, nul n’est suffisamment intelligent pour comprendre sa propre stupidité, la bêtise de l'intelligence peut hanter les hauts lieux de l'esprit, les universités par expl., quand il s'agit d'abord de distinguer savoir et croyance et de défendre des idées entre absence ou excès de relativisme (il n'y a pas de vérité absolue) et de perspectivisme (la vérité ne dépend que du contexte, de la situation, du point de vue subjectif). Il est salutaire pour nuire à la bêtise (Deleuze) de maintenir la rigueur intellectuelle et la critique contre la pensée molle, l'œcuménisme béat et l'abêtissement systémique (Stiegler).
Mais l'obstination des faits et la
mathématisation du monde en statistique risquent de ne servir à rien si, comme
l'affirme Nietzsche, il n'y a pas de
faits, il n'y a que des interprétations de faits. D'où les inévitables
querelles d'interprétation, nécessaires tant qu'elles ne débordent pas en
excommunications et éliminations au nom de l'aveuglement, qui est toujours
l'apanage de l'autre.
D. Les victimes de l'abêtissement, enfin, plus ou moins consentantes, forment la dernière catégorie de la bêtise quand L'Art de réduire les têtes (Dufour) parvient à abolir en l’homme la faculté de juger et l’esprit critique pour mieux l’asservir : consommateur du divin marché (Dufour) qui induit la régression, dépendant des formes contemporaines d’opium du peuple ("Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible" P.Le Lay) ou croyant sans distance à toutes les formes de religion et aux vérités révélées qui abolissent l’effort de penser et colmatent les angoisses existentielles, il pourra être un sujet politique parfaitement gouvernable, nourri aux vérités officielles qui lui délivrent sens et usage du monde, comme dans 1984 d’Orwell. L’abrutissement des masses sert aussi à la défense des privilèges de quelques-uns et permet d’alimenter en chair à canon les guerres toujours saintes et les utopies sanglantes qui visent rien moins qu'à changer l’homme à n'importe quel prix.
2. La Bêtise et les bêtises.
Dans Le
dictionnaire des idées reçues ou le catalogue des opinions chics, inachevé
et publié à titre posthume en 1913, Flaubert entend sonder l’infinie bêtise
humaine, la Bêtise majuscule, dans le recensement les bêtises de son siècle,
incarnées aussi dans les personnages de ses romans, en particulier Madame Bovary et Bouvard et Pécuchet : le romantisme naïf, le scientisme béat, la
religion sans transcendance comme la vacuité des messes laïques, l’imposture
d’une certaine reconnaissance sociale, etc. Pour lui, la quintessence de la
bêtise reste la rage de conclure, la vérité assénée, définitive, qui de ne pas
se contextualiser, s’historiser, devient un dogme. "La rage de vouloir conclure est une des manies les plus funestes et les
plus stériles qui appartiennent à l’humanité. Chaque religion et chaque
philosophie a prétendu avoir Dieu à elle, toiser l’infini et connaître la
recette du bonheur. Quel orgueil et quel néant ! Je vois, au contraire, que les
plus grands génies et les plus grandes œuvres n’ont jamais conclu". Il
semble que chaque époque fournisse de nouveaux habits à l'éternelle bêtise
humaine, mais qu'il y ait aussi des bêtises propres à chaque siècle, liées aux
découvertes scientifiques et techniques et aux mutations sociétales. En voici
quelques-unes.
3. Bêtises du
siècle.
Dans ce
siècle d'anti-Lumières, fondé sur l'extension
systémique de la bêtise (Stiegler), le système financier actuel attaque la
souveraineté politique et économique des états, la démocratie et l'éducation à
l'autonomie, au profit d'un consumérisme en guerre contre la raison, produisant
un malêtre sociétal avec des
conséquences telles que :
*L'effritement du symbolique sous les coups du marché, qui permet de moins en moins aux jeunes de se structurer : "Les adolescents d'aujourd'hui qui cherchent un répondant tombent sur un répondeur", note le psychanalyste R.Kaès.
*Le refus de toute hiérarchie des valeurs sous prétexte d'égalité : Tout se vaut ! William Faulkner et Crétine Ragot, c’est pareil puisqu'ils sont publiés tous les deux.
*L'injonction moderne à sentir plutôt qu'à réfléchir, verbes présumés antinomiques, signe du discrédit qui frappe le savoir.
*Les excès du pédagogisme et du "thérapeutisme" : L'enfant serait créateur de son processus d'éducation, comme le patient serait créateur de sa thérapie.
*La suppression des langues anciennes, du redoublement et des devoirs accompagnés à l'école (Cf. N.Vallaud-Belkacem) dans une école fondée sur la compétition .
*L'art contemporain où les avant-gardes historiques fécondes d'hier s'échouent aujourd'hui en impératifs de transgression (Cf. W.Delvoye et son "œuvre" Cloaca) et gare à "l'imbécile" qui ne comprend pas !
*La médecine qui aujourd'hui soigne de mieux en lieux les maladies et de moins en moins les malades.
*La science moderne qui réduit l'esprit au cerveau et le corps à un organisme.
*Le tout thérapeutique actuel : Cf. "la colorio-thérapie" pour adultes (sic) dans tous les relais H, la méditation pleine conscience qui guérit tout.
*Le positivisme béat refoulant en l'homme le négatif et le tragique.
*Le jeunisme comme démission de son devenir, le narcissisme solipsiste (le selfie).
*La religion du New Age.
*La prison dès 12 ans (R.Dati) et la détection de la délinquance dès 3 ans (Sarkozy), etc., etc…
*L'effritement du symbolique sous les coups du marché, qui permet de moins en moins aux jeunes de se structurer : "Les adolescents d'aujourd'hui qui cherchent un répondant tombent sur un répondeur", note le psychanalyste R.Kaès.
*Le refus de toute hiérarchie des valeurs sous prétexte d'égalité : Tout se vaut ! William Faulkner et Crétine Ragot, c’est pareil puisqu'ils sont publiés tous les deux.
*L'injonction moderne à sentir plutôt qu'à réfléchir, verbes présumés antinomiques, signe du discrédit qui frappe le savoir.
*Les excès du pédagogisme et du "thérapeutisme" : L'enfant serait créateur de son processus d'éducation, comme le patient serait créateur de sa thérapie.
*La suppression des langues anciennes, du redoublement et des devoirs accompagnés à l'école (Cf. N.Vallaud-Belkacem) dans une école fondée sur la compétition .
*L'art contemporain où les avant-gardes historiques fécondes d'hier s'échouent aujourd'hui en impératifs de transgression (Cf. W.Delvoye et son "œuvre" Cloaca) et gare à "l'imbécile" qui ne comprend pas !
*La médecine qui aujourd'hui soigne de mieux en lieux les maladies et de moins en moins les malades.
*La science moderne qui réduit l'esprit au cerveau et le corps à un organisme.
*Le tout thérapeutique actuel : Cf. "la colorio-thérapie" pour adultes (sic) dans tous les relais H, la méditation pleine conscience qui guérit tout.
*Le positivisme béat refoulant en l'homme le négatif et le tragique.
*Le jeunisme comme démission de son devenir, le narcissisme solipsiste (le selfie).
*La religion du New Age.
*La prison dès 12 ans (R.Dati) et la détection de la délinquance dès 3 ans (Sarkozy), etc., etc…
"Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense
en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter
en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils n’en ont"
(Descartes). Disserter sur la bêtise ne suffit pas à s'en prémunir et pourrait
même prédisposer à en proférer d'avantage. Mais ne faut-il pas prendre le
risque d'en dire quelques-unes pour espérer penser mieux ?
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