Qu’est-ce qu’une élite légitime ?
L'élite
est la minorité d'individus auxquels s'attache, dans une société, un prestige
et en pratique le plus de pouvoir dû à des qualités naturelles ou acquises. Le
terme d’élite superpose les notions de meilleurs et d'élection. Un régime
élitiste est une aristocratie.
Avec
un sens critique, on nomme parfois l'élite occidentale establishment ; à
comparer à la notion de nomenklatura pour l'ancien bloc de l'Est.
L'élite
et la hiérarchisation des sociétés.
Les
sociétés développées qui acceptent la domination des élites sont-elles
inégalitaires par-là même ? On se pose déjà la question dans la Cité grecque :
dans La République, Platon, examinant la Cité modèle, considère que celle-ci
doit être hiérarchisée (Platon précise tout de même qu'aucune de ces catégories
n'est plus importante que l'autre, l'élitisme et la hiérarchie sont chez lui
sans liens). Il différencie trois échelons sociaux :
• l'artisanat et le commerce
(ventre)
• les gardiens (guerriers : cœur)
• les chefs (philosophes : tête)
Pour
rester une, malgré la hiérarchie, la Cité doit respecter certaines conditions
(planification culturelle et fonctionnelle par castes, imposition d'une
théologie et de mythes sous contrôle des philosophes afin d'atteindre par
l'enseignement l'idée de justice qui doit profiter au plus faible sans être
dommageable à personne).
Une
autre analyse est développée par Georges Dumézil : il y aurait dans toutes les
sociétés indo-européennes une répartition en trois fonctions hiérarchisées de
l'ensemble des activités humaines : production des richesses, exercice de la
violence, souveraineté spirituelle. Ironiquement, ce schéma ressurgit dans le
communisme soviétique, alors que le projet initial se veut égalitaire.
En
politique.
Le
terme d'« élitisme » était l'une des accusations préférées du pouvoir
soviétique lors des Grandes Purges staliniennes et d'autres procès moins
retentissants.
Les
mouvements d'extrême droite ont pour caractéristique commune de suivre une
ligne anti-élite, mais sans toutefois faire « l'apologie des sociétés
égalitaires », l'absence d’élites étant considérée comme une décadence.
La
faillite de l'élitisme démocratique ?
L'appétit
pour le pouvoir ne disparaît pas avec la fiction égalitaire; nos sociétés
développées ont conçu des techniques artificielles d'élévation sociale.
Ces
techniques sont de deux types : matérielles, fondées sur les biens possédés; et
intellectuelles, fondées sur l'instruction (droit). L'hyperconcentration des
moyens est la fin poursuivie, au point que la mise en œuvre de ces techniques
revient à appartenir à l'élite : posséder les moyens c'est posséder la fin.
Qu'est-ce
que la propriété ? ou Recherche sur le principe du Droit et du Gouvernement,
publié le 30 juin 1840, est le premier ouvrage majeur de l'anarchiste français
Pierre-Joseph Proudhon.
Paragraphe
septième - que l'inégalité des facultés est la condition nécessaire de
l'égalité des fortunes.
Proudhon
pose ici la question de la rémunération selon la tâche et du talent. « Tous les
travaux à exécuter ne sont pas également faciles : il en est qui exigent une
grande supériorité de talent et d'intelligence, et dont cette supériorité même
fait le prix. » La division du travail est effectivement, en société
capitaliste, source d'inégalités de revenus. Proudhon commence par expliquer que
nombre de tensions sociales et notamment la haine envers les élites
intellectuelles, sont motivées par les inégalités. Il dit en substance que les
élites seront haïes tant qu'elles persisteront à exercer un pouvoir coercitif
contre le peuple.
Il
entreprend de démontrer que « l'inégalité de nature [est] condition de
l'égalité des fortunes. » L'auteur commence par affirmer que : « dans une
société d'hommes, les fonctions ne se ressemblent pas : il doit donc exister
des capacités différentes. » En somme, il n'existe aucun métier supérieur, il
n'y a au fond pas « inégalités de facultés » mais « diversité de facultés ». «
S'il est glorieux de charmer et d'instruire les hommes, il est honorable aussi
de les nourrir ». De plus « la capacité de fournir une tâche sociale étant
donnée à tous, l'inégalité des forces individuelles ne peut fonder aucune
inégalité de rétribution ». Proudhon analyse ensuite la nature du talent, il en
arrive à la conclusion que celui-ci est le produit de conditions sociales
données, qu'il est le fruit d'efforts collectifs. « Quelle que soit donc la
capacité d'un homme dès que cette capacité est créée, il ne s'appartient plus
[...] il avait la faculté de devenir, la société l'a fait être. »
la
trahison des élites.
La
Révolte des élites et la trahison de la démocratie (titre original The Revolt
of the Elites and the Betrayal of Democracy) est un livre écrit par l'historien
et sociologue américain Christopher Lasch juste avant sa mort et publié de
façon posthume en 1995 (1996 pour l'édition française). Ce livre-testament
défend l'idée que la démocratie n'est plus menacée par les masses, mais par
ceux qui sont au sommet de la hiérarchie.
Dans
la première partie de l’ouvrage, l'auteur en réfère explicitement au philosophe
espagnol Ortega y Gasset et à son ouvrage La révolte des masses de 1930, pour
en prendre le contre-pied.
«
Du point de vue d'Ortega, point de vue largement partagé à l'époque, la valeur
des élites culturelles réside dans leur disposition à assumer la responsabilité
des normes astreignantes sans lesquelles la civilisation est impossible. Elles
vivaient au service d'idéaux exigeants.(...) L'homme de la masse, de son côté,
n'avait ni obligations, ni compréhension de ce qu'elles sous-entendaient,
"ni sensibilité pour les grands devoirs historiques". Au lieu de
cela, il affirmait les droits du trivial. À la fois plein de ressentiment et
satisfait de lui, il rejetait tout ce qui est excellent, individuel, qualifié
et choisi. (...) Il ne se souciait que de son bien-être personnel et
envisageait avec confiance un avenir de "possibilités illimitées" et
de "liberté complète". » Christopher Lasch.
Plus
spécifiquement, Lasch défend l'idée que les classes privilégiées n'ont jamais
vécu aussi isolées de leur environnement. Il attribue cette attitude en partie
au fait que la mobilité sociale est devenue affaire de mobilité géographique.
Et une conséquence majeure de l'isolement des élites est que les idéologies
politiques perdent tout contact avec les préoccupations du citoyen ordinaire.
Le
peuple souffre de l'absence d'une authentique élite.
Dans
son livre The Road of Somewhere. The Populist Revolt and the Future of
Politics, le journaliste économiste britannique David Goodhart analyse la
montée des populismes dans les années 2010 (victoire de Donald Trump, Brexit,
etc.) à l'aune d'un processus de révolte des perdants de la mondialisation
contre les gagnants. Il appelle les premiers les Somewheres (« ceux de quelque
part ») et les seconds les Anywheres (« ceux de n'importe où »). Les premiers
sont marqués par un certain attachement à leur territoire, leur communauté et à
des valeurs, souffrant du cadre socio-économique et pouvant vivre une crise
identitaire, quand les seconds, les « élites libérales-libertaires », sont
économiquement et socialement, ouverts sur le monde. Il voit naître cette
scission, dans le monde occidental, notamment à la suite des politiques de
Ronald Reagan et de Margaret Thatcher dans les années 1980, en plus du
libéralisme social et culturel émergeant dans les années 1960. Il note
cependant que les frontières entre ces deux groupes sont poreuses (et ne se
confondent pas avec le clivage gauche/droite) et que dans chacun, les plus
favorisés et les plus défavorisés sont minoritaires. Pour l'auteur, « le plus
grand défi pour la prochaine génération est la création d'une nouvelle règle du
jeu politique entre Anywheres et Somewheres qui prendrait en compte de manière
plus équitable les intérêts et les valeurs des Somewheres sans écraser le
libéralisme des Anywheres ».
Pour
finir, voici deux citations :
• « Les pensées de la classe
dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes. » Karl
Marx, L'Idéologie allemande.
• « L’aristocratie a trois âges
successifs : l’âge des supériorités, l’âge des privilèges et l’âge des vanités.
Sortie du premier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier. »
Chateaubriand (1803-1846), Mémoires d'outre-tombe.
Au
regard de ces quelques pistes, le sujet portera sur la possible légitimité des
élites (politiques ou plus largement intellectuelles, médiatiques etc.) et la
réflexion pourrait apporter des éléments de réponse aux questions sous-jacentes
suivantes :
Décadence
des élites ? Corruption du pouvoir ?
Quels
sont les critères d’une élite dominante servant les réels intérêts du Peuple ?
Un
société humaine d’échelle conséquente peut-elle (doit-elle) se passer d’élites
?
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