L’Histoire nous
raconte-t-elle des histoires ?
C’est en Mars 2013 que paru un
livre rédigé par de jeunes historiens. Le titre était évocateur « les historiens de garde » en
référence aux « chiens de garde »,
célèbre ouvrage de P. Nizan, publié dans les années 30, fustigeant philosophes
et clercs modernes de la – déjà – pensée dite « unique ».
Ils pointaient un groupe de
pseudo historiens sortis du chapeau magique des médias , le plus emblématique à l’époque était le comédien Loran Deutsch. Deutsch ne se revendique
pas historien, il ne parle pas de faits historiques mais assure que son récit
est "authentique et authentifié",
termes relativement vagues, et invite le lecteur à une "balade" à travers l'histoire.
Plutôt que d'un travail historique fondé sur une étude critique des documents,
Deutsch préfère parler d'"éclairage",
comme si l'histoire n'était qu'une question de point de vue. A charge pour ce
royaliste de sélectionner les points de vue qui l'arrangent pour reconstruire
un roman national.
Face à ces critiques d'ordre idéologique, les auteurs des Historiens de garde assurent que Deutsch a trouvé une parade imparable : le retour à l'enfance et l'entretien de la nostalgie. Ainsi, Deutsch raconte qu'il a aimé l'histoire par des films, en rejouant des scènes historiques "avec des playmobils", il souligne l'importance des "jeux" dans l'apprentissage de l'histoire. "L'évocation de l'enfance permet d'évacuer tous soupçons idéologiques et de plonger dans la nostalgie", écrivent les auteurs des Historiens de garde.
Face à ces critiques d'ordre idéologique, les auteurs des Historiens de garde assurent que Deutsch a trouvé une parade imparable : le retour à l'enfance et l'entretien de la nostalgie. Ainsi, Deutsch raconte qu'il a aimé l'histoire par des films, en rejouant des scènes historiques "avec des playmobils", il souligne l'importance des "jeux" dans l'apprentissage de l'histoire. "L'évocation de l'enfance permet d'évacuer tous soupçons idéologiques et de plonger dans la nostalgie", écrivent les auteurs des Historiens de garde.
Autre « historien de garde » à Sciences Po et à l’Ehess, Franck Ferrand présente des émissions
d’histoire sur Europe 1 et sur France 3. En bien des aspects, il rejoint L.
Deutsch et Jean Sévillia du Figaro sur la dénonciation de la Révolution
française.
Dans un documentaire diffusé
quatre fois en moins d’un an sur France 3, «
Robespierre, bourreau de la Vendée
», F. Ferrand, images de « charniers » et musique lugubre à l’appui, insiste
sur les massacres de la Terreur (1793-1794) et donne largement la parole aux
controversés Reynald Secher et Stéphane Courtois, qui emploient le terme de «
génocide » pour qualifier la répression de Vendée. L’ombre d’un doute -
Robespierre, bourreau de la Vendée ?
Les auteurs du livre « Les historiens de garde » affirment que
l’historien Jean-Clément Martin, lui
aussi intervenant dans l’émission, a été coupé au montage sur ce débat. Tout
comme de nombreux chercheurs, ils dénoncent une manipulation télévisuelle, et
rappellent que, pour le cas vendéen, le terme de « génocide » est inadapté.
Bon nombre d’historiens
spécialisés dans la Révolution française (l’IHRF notamment), sans minimiser les
violences et les massacres, considèrent au contraire que cette période, plus
bénéfique que regrettable, fut porteuse d’émancipation et de progrès.
L’idée d’une filiation entre la
Terreur révolutionnaire et les totalitarismes du XXe siècle a bien été propagée
par François Furet (et Thierry
Ardisson) dans les années 1980, et même reprise récemment par L. Deutsch.
Pour une majorité d’historiens
cependant, cette prétendue filiation relève aujourd’hui d’une historiographie
désuète, d’amalgames douteux, et traduit une pensée réactionnaire.
Autres « historiens de
garde », autre « spécialité » Patrick Buisson, Eric
Zemmour : le culte des grands hommes
Concernant Patrick Buisson,
ancien journaliste d’extrême-droite de la rédaction de Minute, et conseiller du
président Nicolas Sarkozy, il dirige aujourd’hui la chaîne Histoire. On peut
noter la multiplication des émissions de la chaîne favorables aux « grands hommes » et à « l’identité nationale ». Ils relèvent
aussi les ambiguïtés de son DVD « Paris
Céline » (présenté par L. Deutsch) à l’égard des collaborationnistes sous
l’occupation.
Quant à Eric Zemmour, les auteurs des « Historiens de garde » mentionnent
ses erreurs et ses anachronismes. Le chroniqueur s’appuie parfois sur des
livres d’Histoire vieux de plus d’un siècle pour étayer ses propos sur
l’immigration. Dans le registre de la «
popularisation » de l’Histoire à la télévision, Stéphane Bern «n’hésite pas à expliquer […] qu’il travaille
à “populariser” l’Histoire. Mais cela ne passe que par des récits people,
centrés sur les têtes couronnées et sur les histoires de coucheries, le plus
souvent. »
Les médias et les universitaires en question
Si les discours et les méthodes
des « historiens de garde » sont rigoureusement déconstruits dans ce livre, ses
auteurs s’attaquent aussi à certaines évolutions des médias. Il est vrai que la
surreprésentation des tendances nationales, réactionnaires ou
antirévolutionnaires dans le traitement de l’Histoire à la télévision pose
question.
Le livre soulève surtout, en
quelques lignes, la question du faible investissement des universitaires dans
les médias. Cela laisse le champ assez libre aux « historiens de garde ». Où
sont les historiens « sérieux » ? On rappellera que la loi LRU, qui
provoque de graves problèmes budgétaires dans de nombreuses universités, a été
votée dans un contexte où à la tête de l’Etat on remettait en cause, par
exemple, l’intérêt d’étudier « La
Princesse de Clèves "…
Ce qu’est la recherche historique :
L’histoire ne veut pas raconter « des histoires », elle se veut un discours obéissant à une norme d’objectivité. H.I. Marrou demande de la définir comme : « la connaissance scientifiquement élaborée du passé »
L’histoire ne veut pas raconter « des histoires », elle se veut un discours obéissant à une norme d’objectivité. H.I. Marrou demande de la définir comme : « la connaissance scientifiquement élaborée du passé »
«
Qu’est-ce donc que l’histoire ? Je proposerai de répondre : l’histoire
est la connaissance du passé humain. L’utilité pratique d’une telle définition
est de résumer dans une brève formule l’apport des discussions et gloses
qu’elle aura provoquées. Commentons-la :
Nous dirons connaissance et non
pas, comme tels autres, « narration du passé humain », ou encore « œuvre
littéraire visant à le retracer » ; sans doute, le travail historique doit
normalement aboutir à une œuvre écrite […], mais il s’agit là d’une exigence de
caractère pratique (la mission sociale de l’historien…) : de fait, l’histoire
existe déjà, parfaitement élaborée dans la pensée de l’historien avant même
qu’il l’ait écrite ; quelles que puissent être les interférences des deux types
d’activité, elles sont logiquement distinctes.
Nous dirons connaissance et
non pas, comme d’autres, « recherche » ou « étude » (bien que ce sens d’ «
enquête » soit le sens premier du mot grec istoria), car c’est confondre la fin
et les moyens ; ce qui importe c’est le résultat atteint par la recherche :
nous ne la poursuivrions pas si elle ne devait pas aboutir ; l’histoire se
définit par la vérité qu’elle se montre capable d’élaborer. Car, en disant
connaissance, nous entendons connaissance valide, vraie : l’histoire s’oppose par-là
à ce qui serait, à ce qui est représentation fausse ou falsifiée, irréelle du
passé, à l’utopie, à l’histoire imaginaire […], au roman historique, au mythe,
aux traditions populaires ou aux légendes pédagogiques – ce passé en images
d’Epinal que l’orgueil des grands Etats modernes inculque, dès l’école
primaire, à l’âme innocente de ses futurs citoyens.
Sans doute cette vérité de la
connaissance historique est-elle un idéal, dont, plus progressera notre
analyse, plus il apparaîtra qu’il n’est pas facile à atteindre : l’histoire du
moins doit être le résultat de l’effort le plus rigoureux, le plus systématique
pour s’en rapprocher. C’est pourquoi on pourrait peut-être préciser utilement «
la connaissance scientifiquement élaborée du passé », si la notion de science
n’était elle-même ambiguë : le platonicien s’étonnera que nous annexions à la «
science » cette connaissance si peu rationnelle, qui relève tout entière du
domaine de la doxa ; l’aristotélicien pour qui il n’y a de « science » que du
général sera désorienté lorsqu’il verra l’histoire décrite (et non sans quelque
outrance, on le verra) sous les traits d’une « science du concret » (Dardel),
voire du « singulier » (Rickert). Précisons donc (il faut parler grec pour
s’entendre) que si l’on parle de science à propos de l’histoire c’est non au
sens d‘épistémè mais bien de technè, c’est-à-dire, par opposition à la
connaissance vulgaire de l’expérience quotidienne, une connaissance élaborée en
fonction d’une méthode systématique et rigoureuse, celle qui s’est révélée
représenter le facteur optimum de vérité. »
H.I. Marrou, De la connaissance historique, éd. du Seuil, p. 32.33.
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