"RENVERSER L’IRRÉVERSIBLE" P. Nizan
En 1932 Paul Nizan publie
« Les chiens de garde », pamphlet politico-philosophique. En 1998,
Serge Halimi, alors journaliste au Monde Diplomatique organise la publication
de ce pamphlet.
Il déclare alors :
« L'actualité des Chiens de garde, nous aurions
cependant préféré ne pas en éprouver la robuste fraîcheur. Nous aurions aimé
qu'un même côté de la barricade cessât de réunir penseurs de métier et
bâtisseurs de ruines. Nous aurions voulu que la dissidence fût devenue à ce
point contagieuse que l'invocation de Nizan au sursaut et à la résistance en
parût presque inutile. Car nous continuons à vouloir un autre monde.
L'entreprise nous dépasse ?
Notre insuffisance épuise notre
persévérance ? Souvenons-nous alors de ce passage par lequel Sartre a résumé l'appel aux armes de
son vieux camarade : « Il peut dire aux uns : vous mourez de
modestie, osez désirer, soyez insatiables, ne rougissez pas de vouloir la
lune : il nous la faut. Et aux autres : dirigez votre rage sur ceux
qui l'ont provoquée, n'essayez pas d'échapper à votre mal, cherchez ses causes
et cassez-les. ».
Chercher les causes, ne pas s’en
tenir aux conséquences, aux apparences tout cela traverse la révolte de Nizan.
Pour lui rien de statique, ni de figé. La philosophie ? :
« La philosophie-en-soi n'existe pas plus que le cheval-ensoi : il existe
seulement des philosophies, comme il existe des arabes, des percherons, des
léonais, des anglo-normands. Ces philosophies sont produites par des
philosophes : cette proposition n'est point si vaine qu'on a accoutumé de le
croire. Comme il existe trente six mille espèces de philosophes, il existe
autant de sortes de philosophies.
La philosophie est un certain exercice de mise en forme qui réunit et
ordonne des éléments de n'importe quel aloi : il n'y a point de matière
philosophique, mais une certaine coutume de réunir des affirmations au moyen de
techniques complètement vides par elles-mêmes ; le thomisme au même titre que
le kantisme fait partie de la philosophie.
La philosophie dit n'importe quoi, elle n'a point de vocation
éternelle, elle n'est jamais, elle n'a jamais été univoque, elle est même le
comble de l'activité équivoque. La philosophie en général est ce qui demeure
des différentes philosophies lorsqu'on les a vidées de toute matière et qu'il
n'en subsiste plus rien qu'un certain air de famille, comme une atmosphère
évasive de traditions, de connivences et de secrets. C'est une entité du
discours.
Comme il ne se peut point cependant qu'une entité se constitue tout à
fait sans raisons, on peut avancer que les philosophies possèdent une unité
formelle de dessein : elles revendiquent comme un titre, comme une prétention
permanente, le pouvoir et la fonction de formuler des dispositions, des
directions de la vie humaine.
La philosophie finit toujours par parler de la
position des hommes, elle obéit toujours au programme que lui assigna Platon : " L'objet de la philosophie, c'est
l'homme et ce qu'il appartient à son essence de pâtir et d'agir. "
Mais comme il n'y a pas un ordre unique de la position humaine, une solution
établie pour l'éternité du destin des hommes, une seule clef de leur situation,
cette philosophie demeure complètement équivoque.
La première tâche qui est
proposée à une entreprise critique, à une révision essentielle est la
définition de l'équivoque présente du mot " philosophie ". ».
La tâche que nous assigne Nizan
est elle si complexe que cela ?
Si nous considérons comme il le
déclare : « L'homme n'a jamais rien produit qui
témoignât en sa faveur que des actes de colère : son rêve le plus singulier est sa principale grandeur,
renverser l'irréversible »
Ou, si l'on préfère, refuser de « voiler les misères de l'époque, le vide
spirituel des hommes, la division fondamentale de leur conscience, et cette
séparation chaque jour plus angoissante entre leurs pouvoirs et la limite
réelle de leur accomplissement »,
ne sommes nous pas en mesure de
détecter, ici et maintenant les marchands d’illusion, « Nos chiens de garde à nous ne viennent pas
de l'université. Certains ont lu Kant et parlent de philosophie, mais pour
servir de bouffons cultivés aux dîners de la bourgeoisie. Ils aimeraient être
Zola, mais pour accuser les victimes, ou Malraux, pour installer le désespoir »
(S. Halimi).
C’est la « fin de l’histoire » où nous sommes tous des
« chiens heureux » (Fukuyama), nous sommes dans les 5 ordres du
capitalisme, horizon indépassable, vanté par Comte-Sponville, nous sommes dans
le comique troupier du fantaisiste méridional, Y. Montand vantant sur les télécrans le slogan « vive la crise » sous
l’ère Mitterrand.
Dans le monde lisse des philosophes de « tête de
gondoles » on en revient toujours et encore à ce fatum dans lequel nous a embringué la philosophie idéaliste. La
philosophie est une production et les philosophes produisent pour leurs maitres.
Seuls les esclaves acceptent les maîtres, ou …. Se révoltent. Avons-nous le
choix ?
« Si l’amour de
l’humanité est impuissant à faire sonner l’heure libératrice à l’Horloge
fraternitaire - heure où le crime n’aura plus de place - l’indignation s’en
chargera. Là haine est pure comme l’acier, forte comme la hache ;
et si l’amour est stérile, vive la haine ! » Louise Michel.
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