Public, privé, intime.
Dans nos sociétés l’appel à la « transparence » est constant. Transparence du citoyen vis-à-vis de l’Etat (fisc, contrôle divers, identité …..), sans réciprocité ! ou du moins sans réciprocité d’un contrôle, rapide et exhaustif, des citoyens sur l’Etat.
L’apparition des réseaux dits
« sociaux » a, peu à peu, poussée cette « transparence » à
l’intimité même des individus. Le plus remarquable étant que ces individus se
dévoilent de bon cœur. Ils n’ont rien à cacher ! Mais pourquoi faudrait-il
cacher des choses ?
En ce sens l’Etat et ceux qui
contrôlent les réseaux dits sociaux fonctionnent de la même manière : une
sorte de consentement général mou, une soumission « librement »
consentie aux règles du jeu dictées par l’Etat et/ou les producteurs de médias.
Mais en a–t-il toujours été ainsi ?
Et que renferme cette nouvelle approche du « moi » (dont tout le
monde sait qu’il est haïssable !) dans son rapport avec l’autorité (de
l’Etat ou des réseaux) ?
Dans les premières structures
organisées de l’homme il n’y a pas de différence groupe/individu. La survie du
petit clan impose la solidarité de tous et le partage des tâches (la théorie fantasque de la pseudo
« horde primitive » ne résiste à aucune donnée scientifique).
Dès les premières cités du
néolithique (Çatal Höyük en Anatolie
- 9500 ans BP), par suite de la
division du travail et des spécialisations liés à de grands groupes humains (
5000 personnes à Çatal Höyük), nous voyons apparaitre des différenciations
(rites funéraires, commerce, armes …) qui se substituent peu à peu au
« communisme primitif (Engels – « Origine
de la famille de la propriété privée et de l’Etat »).
Les castes, les corporations, les
classes, remplacent successivement l’ordre préhistorique. Pour Aristote :
« la cité [est] aussi antérieure
naturellement à l'individu… »
(Politique I, 2).
Aristote pointe là un fait
majeur, la naissance d’un homme nouveau : l’individu. Mais ne nous méprenons pas, ce n’est pas notre individu
égotiste du 21 ième siècle occidental. C’est l’individu faisant partie de la
Cité le « zoon politikon » : l’animal politique.
Aristote développe longuement les
types de gouvernements possibles et, pour lui : « le commandement de type politique, à l’état sain et naturel, est fondé sur
l’égalité de fait et de droit des citoyens ; ceux-ci exercent l’autorité à
tour de rôle et visent l’intérêt des autres ou, plutôt, l’intérêt commun ».
(Éthique à Nicomaque, V).
Dans nos sociétés on désigne par
le terme « public » tout ce qui est de l’ordre de l’Etat, ou de
l’autorité déléguée par celui-ci : mairie, département, etc …. Et même si
un lieu est dit « public » ce n’est pas forcément qu’il soit
accessible à tous (routes, forêts, immeubles administratifs …). Le public peut
donc être privé !
Quant à ce que nous appelons
privé, c’est théoriquement cette partie de nous en tant que constituant une
société, où nous serions libres. Mais sommes-nous libres en voiture ?
Sommes-nous libres de nous établir où bon nous semble ? Sommes libres de
choisir la couleur de la porte de nos maisons ? Partout l’Etat intervient
et la « chose publique » (littéralement « Res Publica » intervient rapidement comme une machine, pour
nous rappeler à …… l’ordre.
Mais quel ordre, peut-on en
discuter ? Qu’est une personne privée face à celui que se revendique
« représentant de la chose publique », c'est-à-dire symboliquement,
de tous les autres ? Avons nos vraiment une espace privé ?
Écoutons Tocqueville (1835) et sa
réflexion sur l’état et le gouvernement : « .. Il étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la
surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à
travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus
vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas
les volontés, mais il les amolli, les plie et les dirige, il force rarement
d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il
empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il
éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un
troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »
Alors la sphère privée, un mythe
une illusion ? A quoi bon revendiquer cette sphère là si elle se limite au
fait d’avoir l’illusion d’exister en tant qu’éléments agissants pour l’intérêt commun (Aristote) ? Et si
seul l’intérêt particulier compte !
Et l’intime alors ? Place à
Ph. Sollers, auquel il arrive parfois de ne pas dire que des sottises :
« Intime, du latin intimus, est le superlatif d’interior, intérieur, et signifie
l’essence d’une chose, ce qui est inhérent à sa nature. On peut avoir une
conviction intime contre toutes les apparences. Il paraît qu’il existe des amis intimes, et même que certains rapports
le seraient. Pascal va même jusqu’à dire qu’on pourrait se trouver « dans
l’intime de la volonté de Dieu. »
Tout cela nous paraît désormais douteux, voire violemment dépassé par le monde tel qu’il se fabrique : marchés financiers, publicité généralisée, indiscrétion systématique, perte de confiance globale, commandos-suicides, Allah à tout faire, puritanisme ou pornographie, mauvais goût à tous les étages, bavardages, confusion, chaos.
Plus d’intime : bruit et fureur, escroqueries sentimentales, somnambulisme ambiant, mauvaise humeur, jalousie, envie. On ne s’entend plus, d’où le mot déjà ancien, mais pas assez médité, de Lautréamont : « La mouche ne raisonne pas bien, à présent. Un homme bourdonne à ses oreilles. »
« Trouver le lieu et la formule », disait Rimbaud. Oui, l’« intime formule ».
Cela exige une clandestinité, au moins égale à celle d’un terroriste en action.
On veut briser votre intimité ? Défendez-la les armes à la main. Armes mentales, bien entendu, sans cesse en alerte. Soyez invisible en plein jour, multipliez les leurres, jouez des rôles, cloisonnez, changez d’identité, ne soyez jamais à la même place, faites travailler vos ennemis, ne permettez pas à vos amis de devenir ennemis, méfiez-vous de tout le monde et d’abord de vous-même, ne croyez pas vos rêves, ne demandez surtout pas la définition de votre sexualité.
Fermez votre porte. Silence. » (2002, in L’infini)
Tout cela nous paraît désormais douteux, voire violemment dépassé par le monde tel qu’il se fabrique : marchés financiers, publicité généralisée, indiscrétion systématique, perte de confiance globale, commandos-suicides, Allah à tout faire, puritanisme ou pornographie, mauvais goût à tous les étages, bavardages, confusion, chaos.
Plus d’intime : bruit et fureur, escroqueries sentimentales, somnambulisme ambiant, mauvaise humeur, jalousie, envie. On ne s’entend plus, d’où le mot déjà ancien, mais pas assez médité, de Lautréamont : « La mouche ne raisonne pas bien, à présent. Un homme bourdonne à ses oreilles. »
« Trouver le lieu et la formule », disait Rimbaud. Oui, l’« intime formule ».
Cela exige une clandestinité, au moins égale à celle d’un terroriste en action.
On veut briser votre intimité ? Défendez-la les armes à la main. Armes mentales, bien entendu, sans cesse en alerte. Soyez invisible en plein jour, multipliez les leurres, jouez des rôles, cloisonnez, changez d’identité, ne soyez jamais à la même place, faites travailler vos ennemis, ne permettez pas à vos amis de devenir ennemis, méfiez-vous de tout le monde et d’abord de vous-même, ne croyez pas vos rêves, ne demandez surtout pas la définition de votre sexualité.
Fermez votre porte. Silence. » (2002, in L’infini)
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