INTELLIGENCE OU DIPLÔME ?
«
Je n’hésite jamais à le déclarer, le diplôme est l’ennemi mortel de la culture.
Plus les diplômes ont pris d’importance dans la vie (et cette importance n’a
fait que croître à cause des circonstances économiques), plus le rendement de
l’enseignement a été faible. Plus le contrôle s’est exercé, s’est multiplié,
plus les résultats ont été mauvais. Mauvais par ses effets sur l’esprit public
et sur l’esprit tout court. Mauvais parce qu’il crée des espoirs, des illusions
de droits acquis. Mauvais par tous les stratagèmes et subterfuges qu’il suggère
; les recommandations, les préparations stratégiques, et, en somme, l’emploi de
tous expédients pour franchir le seuil redoutable. C’est là, il faut l’avouer,
une étrange et détestable initiation à la vie intellectuelle et civique.
D’ailleurs,
si je me fonde sur la seule expérience et si je regarde les effets du contrôle
en général, je constate que le contrôle, en toute manière, aboutit à vicier
l’action, à la pervertir… Je vous l’ai déjà dit : dès qu’une action est soumise
à un contrôle, le but profond de celui qui agit n’est plus l’action même, mais
il conçoit d’abord la prévision du contrôle, la mise en échec des moyens de
contrôle. Le contrôle des études n’est qu’un cas particulier et une
démonstration éclatante de cette observation très générale.
Le
diplôme fondamental, chez nous, c’est le baccalauréat. Il a conduit à orienter
les études sur un programme strictement défini et en considération d’épreuves
qui, avant tout, représentent, pour les examinateurs, les professeurs et les
patients, une perte totale, radicale et non compensée, de temps et de travail.
Du jour où vous créez un diplôme, un contrôle bien défini, vous voyez aussitôt
s’organiser en regard tout un dispositif non moins précis que votre programme,
qui a pour but unique de conquérir ce diplôme par tous moyens. Le but de
l’enseignement n’étant plus la formation de l’esprit, mais l’acquisition du
diplôme, c’est le minimum exigible qui devient l’objet des études. Il ne s’agit
plus d’apprendre le latin, ou le grec, ou la géométrie. Il s’agit d’emprunter, et
non plus d’acquérir, d’emprunter ce qu’il faut pour passer le baccalauréat.
Ce
n’est pas tout. Le diplôme donne à la société un fantôme de garantie, et aux
diplômés des fantômes de droits. Le diplômé passe officiellement pour savoir :
il garde toute sa vie ce brevet d’une science momentanée et purement
expédiente. D’autre part, ce diplômé au nom de la loi est porté à croire qu’on
lui doit quelque chose. Jamais convention plus néfaste à tout le monde, à
l’Etat et aux individus (et, en particulier, à la culture), n’a été instituée.
C’est en considération du diplôme, par exemple, que l’on a vu se substituer à
la lecture des auteurs l’usage des résumés, des manuels, des comprimés de
science extravagants, les recueils de questions et de réponses toutes faites, extraits
et autres abominations. Il en résulte que plus rien dans cette culture
adultérée ne peut aider ni convenir à la vie d’un esprit qui se
développe ».
développe ».
Extrait
de Paul VALÉRY, in Le Bilan de l’intelligence, 1935
Alors
alors, que dire de plus après la lecture de ces propos de Paul VALÉRY ?
Paul
VALÉRY, en 1935, un écrivain, poète et philosophe reconnu, dont les poèmes
étaient étudiés jusqu’à Tokyo, en français, par des étudiants… qui lisaient et
apprenaient par cœur « Le cimetière marin », pour le plaisir !
RABELAIS
et MONTAIGNE critiquaient l’université comme NIETZSCHE et tant d’autres le
feront par la suite, trouvant destructeurs les méthodes académiques ou
normalisées. Lorsque Dick MAY officialisera l’École de journalisme avec un
diplôme d’État, pour une carte emprisonnant un métier de plus, à la demande du
député BRACHARD, le journal l’Illustration écrira :
«
L’École des Journalistes risque fort d’être
une
nouvelle succursale de la grande École des ratés ».
Le
diplôme ne donne pas la certitude de la qualité du récipiendaire, surtout quand
les études sont orientées vers la médiocrité et l’uniformisation, voire
l’endoctrinement.
Les
écoles sont davantage des centres de formatages avec le danger toujours plus
réel des « tricheries » ou des « achats », voire des « complaisances » pour
accrocher une liste de performances valorisantes en politique notamment.
Combien
de notables ou de politiques se bâtissent des listes de diplômes afin de
s’imposer face aux crédules pour régner ?
Le
diplôme n’est pas une preuve certaine de valeurs humaines ou de connaissances
professionnelles…
Oui,
un médecin au diplôme jauni, accroché dans son cabinet, est-il un bon médecin ?
A t-il été honnête dans ses études ? Et quelle gloire pour un médecin diplômé
quand il exerce « son art » dans un camp, ou qu’il devient accusateur public,
juge et bourreau à Cuba ; ou lorsqu’il signe ses livres du nom de Louis
Ferdinand CÉLINE ? Il y a l’honnêteté, et la grandeur d’âme qui doit s’associer
à toute connaissance.
Ce
qui semble important, c’est la nécessité d’apprendre, et de chercher toujours
d’avantage le savoir, sans s’enfermer dans des vérités étatiques ou
religieuses.
Le
diplôme ne doit pas être au service d’une politique, d’un système, d’une
religion.
Il
y a donc l’intelligence…
C’est
alors que l’intelligence prend de l’importance : la capacité à observer,
discerner, à critiquer.
Il
y a l’art d’apprendre en accueillant le fait que comprendre n’est pas naturel.
L’intelligence
de savoir dire « non ».
L’intelligence
de remettre une certitude en question…
Ingurgiter
des données pour les restituer à un jury, n’est pas un signe d’intelligence.
L’art
de la critique comme l’inquiétude face à l’inconnu est plus subtil, mais
davantage audacieux que le hochet qui rassure, ou la vérité d’un diplôme qui
enferme.
Et
enfin, que penser face à tout diplôme, de l’intelligence du cœur ?
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