L’ÉTAT ET LA RÉVOLUTION
L' État et la révolution est le dernier livre de Lénine. Il ne laisse aucun
doute sur ce point que la séparation -
préconisée par les libéraux - entre
responsabilité institutionnelle et exercice du pouvoir d’Etat doit être abolie parce qu' elle garantit l'ordre existant en
matière de propriété. Ce faisant, Lénine s'oppose à Montesquieu qui était aux
yeux de Marx un précurseur du libéralisme bourgeois [ Selon le dramaturge de la
RDA, Peter Hacks, « le Gouvernement, le Parlement et la Justice, les trois
pouvoirs, sont une triple escroquerie ».]
Marx
revendiquait l'abolition de cette division entre pouvoir législatif, pouvoir
exécutif et pouvoir judiciaire. A titre d'exemple, la Commune de Paris a
remplacé le parlementarisme corrompu et putride de la société bourgeoise par
des comités dans lesquels la liberté de jugement ne devient pas un
leurre ; les parlementaires devraient élaborer les lois, les appliquer et
en assumer la responsabilité devant les électeurs. Les députés ne devraient pas
bénéficier d'une situation privilégiée. Il existe un préalable : la limitation
et, ultérieurement, l'abolition de la propriété, laquelle découle de l'emprise
exercée sur le travail d'autrui.
Marx
et Lénine refusent l' Etat libéral ainsi que le système des corps constitués,
la monarchie, la République parlementaire de régime présidentiel, l'absolutisme (avec ou sans Constitution), la dictature
militaire, le morcellement du territoire et le mode de scrutin à la
proportionnelle.
Dans l’état et la révolution, Lénine rejette les intrigues,
les intérêts particuliers et le système des lobbys. Le texte montre que
l'opposition entre démocratie représentative (assemblées élues) et démocratie directe est une opposition
factice dont l'objectif consiste à accroître la liberté d'action de ceux qui
sont les véritables détenteurs du pouvoir. Ainsi « l'ordre libéral et
démocratique » en RFA :
« L'ordre libéral » renvoie à la liberté d'entreprise et au
libre-échange ; « l'ordre démocratique » suggère une souveraineté du peuple au sens
républicain ; mais il s'agit là d'une fiction qui doit faire oublier que
l'on interdit l'accès au pouvoir à une grande majorité de citoyens en usant de
moyens qui ont peu à voir avec la politique mais qui n'en sont pas moins des
moyens politiques.
Hegel
définit la liberté comme la reconnaissance et la prise en compte de la
nécessité. Autrement dit, puisque nous sommes des êtres de nature et que nous
ne pouvons pas vivre sans notre terre, nous n'avons pas le droit de détruire ce
qui est la base de notre existence au motif que nous voulons réaliser du
profit.
Dans
l' État et la révolution, Lénine
polémique constamment contre les conceptions et les pratiques libérales et se
prononce résolument pour leur suppression. C'est ce qu'il appelle « la
révolution ». Dans toutes les sociétés divisées en classes, les États sont
de simples organisations qui protègent la situation juridique en vigueur en
matière de propriété. L'anarchisme ne peut pas incarner un projet politique de
dépassement des classes sociales et de l’état. Car comment un État
social-anarchiste pourrait-il exister face à un Etat capitaliste dont
l'organisation est rigoureuse et qui dispose d'une armée performante ?
Après l'abolition des classes sociales, l’état devrait être la forme suprême
qui permet d'organiser les échanges entre ce qui est du ressort de la société d'une
part et de la nature d'autre part.
Les
objections des conservateurs portent sur l'écrasement sanglant de la contre
révolution. Mais la répression est
devenue nécessaire suite à l'intervention de troupes étrangères. Ces objections
concernent la collectivisation radicale des terres agricoles en Union
soviétique, elles concernent l'asservissement et le meurtre de millions d'opposants qu'a entraîné
l'avènement du nouvel État, elles portent sur la censure de la création
artistique et de la vie intellectuelle.
Les
objections viennent aussi des forces progressistes : mais ceux qui
critiquent l'édification d'un Etat socialiste dans un environnement capitaliste
ignorent les conditions historiques auxquelles la révolution est confrontée. De
même, certains progressistes critiquent une interprétation statique de la
théorie marxiste, alors que, selon Marx, tout n'est que mouvement.
Il
y a eu des millions de victimes dans les deux camps. Mais à quelle fin ont été
perpétrés les meurtres de masse par le fascisme ? Ils étaient le moyen
ultime de défendre et de sauver le capitalisme. Et qui a libéré l'humanité du
régime le plus sanguinaire qui ait jamais existé, le fascisme allemand, sinon
l'Armée rouge.
L’état s'est constitué parce qu'il était
nécessaire de juguler les oppositions de classes mais étant donné que son
avènement est lié au conflit de ces mêmes classes, il est en règle générale l’état de la classe qui, d'un point de vue économique, est en position
dominante : il est donc l'instrument de l'exploitation du travail salarié
par le capital. Cependant, il peut exister des périodes exceptionnelles où deux
classes qui s'opposent trouvent un équilibre : le pouvoir suprême acquiert
alors une certaine indépendance, il est en surplomb par rapport aux deux
classes antagonistes et semble jouer un rôle d'intermédiaire (cf. l'absolutisme
sous le règne de Louis XIV).
Selon
Engels, dans la République dite démocratique, la richesse exerce le pouvoir de
façon d'autant plus sûre qu'elle l'exerce par des voies détournées, à travers
l'alliance du gouvernement et de la bourse et en corrompant ceux qui sont
investis d'une fonction officielle.
Heidi
Jaureguy (traduction de Jean-Luc
Debru)
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