DRESSAGE OU ÉDUCATION ?
« - Ce qu'il y a d'essentiel dans
l'enseignement supérieur *** s'est perdu : Le but tout aussi bien que le
moyen qui mène au but. Que l'éducation, la culture même soient le but, -
que pour ce but il faille des éducateurs - et non des professeurs
de lycée et des savants d'université - c'est cela qu'on a oublié... Il faudrait
des éducateurs, éduqués eux-mêmes, des esprits supérieurs et nobles qui
s'affirment à chaque moment, par la parole et par le silence, des êtres d'une
culture mûre et adoucie, - et non des butors savants que le lycée et
l'université offrent aujourd'hui comme « nourrices supérieures ». Les
éducateurs manquent, abstraction faite pour les exceptions des exceptions,
condition première de l'éducation : de là l'abaissement de la culture
***.
- Ce que les « écoles supérieures » atteignent en
effet, c'est un dressage brutal pour rendre utilisable, exploitable pour
le service de l'Etat, une légion de jeunes gens avec une perte de temps aussi
minime que possible. « Education supérieure » et légion - c'est là une
contradiction primordiale. Qu'est-ce qui amène rabaissement de la culture ? Le
fait que l' « éducation supérieure » n'est plus un privilège - le
démocratisme de la «culture» devenue obligatoire, commune.
Personne n'a plus la liberté de donner à ses
enfants une éducation noble : nos écoles «supérieures» sont toutes établies
selon une médiocrité ambiguë, avec des professeurs, des programmes, un
aboutissement. Et partout règne une hâte indécente, comme si quelque chose
était négligé quand le jeune homme n'a pas «fini» à vingt-trois ans, quand il
ne sait pas encore répondre à cette «question essentielle» : quelle carrière
choisir ? - Une espèce supérieure d'hommes, soit dit avec votre permission,
n'aime pas les «carrières» - et c'est précisément parce qu'elle se sent
appelée... Elle a le temps, elle se prend le temps, elle ne pense pas du tout à
«finir », - à trente ans l'on est, au sens de la haute culture, un commençant,
un enfant. - Nos lycées débordants, nos professeurs de lycée surchargés et
abêtis sont un scandale : on a peut-être des motifs, - mais des raisons
il n'y en a point.
« - Je présente, pour ne pas sortir de mon
habitude d'affirmer et de ne m'occuper des objections et des critiques
que d'une façon indirecte et involontaire, je présente dès l'abord les trois
tâches pour lesquelles il nous faut avoir des éducateurs. Il faut apprendre à voir,
il faut apprendre à penser, il faut apprendre à parler et à écrire
; dans ces trois choses le but est une culture noble.
- Apprendre à voir - habituer l'œil au repos, à la patience, l'habituer à laisser venir les choses ; remettre le jugement, apprendre à circonvenir et à envelopper le cas particulier. C'est là la première préparation pour éduquer l'esprit. Ne pas réagir immédiatement à une séduction, mais savoir utiliser les instincts qui entravent et qui isolent. Apprendre à voir, tel que je l'entends, c'est, en quelque sorte, ce que le langage courant et non philosophique appelle la volonté forte : l'essentiel, c'est précisément de ne pas « vouloir », de pouvoir suspendre la décision. Tout acte antispirituel et toute vulgarité reposent sur l'incapacité de résister à une séduction : - on se croit obligé de réagir, on suit toutes les impulsions. Dans beaucoup de cas une telle obligation est déjà la suite d'un état maladif, d'un état de dépression, un symptôme d'épuisement, - puisque tout ce que la brutalité non philosophique appelle «vice» n'est que cette incapacité physiologique de ne point réagir. Une application de cet enseignement de la vue : lorsque l'on est de ceux qui apprennent, on devient d'une façon générale plus lent, plus méfiant, plus résistant. On laissera venir à soi toutes espèces de choses étrangères et nouvelles avec d'abord une tranquillité hostile, - on en retirera la main. Avoir toutes les portes ouvertes, se mettre à plat ventre devant tous les petits faits, être toujours prêt à s'introduire, à se précipiter dans ce qui est étranger, en un mot cette célèbre « objectivité » moderne, c'est cela qui est de mauvais goût, cela manque de noblesse par excellence.
- Apprendre à voir - habituer l'œil au repos, à la patience, l'habituer à laisser venir les choses ; remettre le jugement, apprendre à circonvenir et à envelopper le cas particulier. C'est là la première préparation pour éduquer l'esprit. Ne pas réagir immédiatement à une séduction, mais savoir utiliser les instincts qui entravent et qui isolent. Apprendre à voir, tel que je l'entends, c'est, en quelque sorte, ce que le langage courant et non philosophique appelle la volonté forte : l'essentiel, c'est précisément de ne pas « vouloir », de pouvoir suspendre la décision. Tout acte antispirituel et toute vulgarité reposent sur l'incapacité de résister à une séduction : - on se croit obligé de réagir, on suit toutes les impulsions. Dans beaucoup de cas une telle obligation est déjà la suite d'un état maladif, d'un état de dépression, un symptôme d'épuisement, - puisque tout ce que la brutalité non philosophique appelle «vice» n'est que cette incapacité physiologique de ne point réagir. Une application de cet enseignement de la vue : lorsque l'on est de ceux qui apprennent, on devient d'une façon générale plus lent, plus méfiant, plus résistant. On laissera venir à soi toutes espèces de choses étrangères et nouvelles avec d'abord une tranquillité hostile, - on en retirera la main. Avoir toutes les portes ouvertes, se mettre à plat ventre devant tous les petits faits, être toujours prêt à s'introduire, à se précipiter dans ce qui est étranger, en un mot cette célèbre « objectivité » moderne, c'est cela qui est de mauvais goût, cela manque de noblesse par excellence.
« - Apprendre à penser : dans nos écoles on en a
complètement perdu la notion. Même dans les universités, même parmi les savants
en philosophie proprement dits, la logique, en tant que théorie, pratique et
métier, commence à disparaître. Qu'on lise des livres : on ne s'y souvient
même plus de loin que pour penser il faille une technique, un plan d'étude, une
volonté de maîtrise, - que l'art de penser doit être appris, comme la danse,
comme une espèce de danse...
C'est
qu'il n'est pas possible de déduire de l'éducation noble, la danse sous
toutes ses formes. Savoir danser avec les pieds, avec les idées, avec les mots
: faut-il que je dise qu'il est aussi nécessaire de le savoir avec la plume,
- qu'il faut apprendre à écrire »
(En remplaçant les *** dans le texte ci dessus vous devriez pouvoir identifier son auteur ...)
France
Avril 2015 : Projets de programmes au collège : premiers décryptages (extrait)
Philosophie du texte
Les programmes se déclinent tous de la même façon : on
entre dans les contenus par la compétence (« compétence attendue ») et
éventuellement, pas toujours, on lui associe des connaissances (« connaissances
associées »).
Ce changement de conception du « savoir » disciplinaire
est évidemment très important. Il ne s’agit pas de nier l’importance d’une
démarche pédagogique qui associe compétences et connaissances, mais il faut
relever que la finalité aujourd’hui de l’enseignement est essentiellement
d’atteindre des compétences, ce qui modifie en profondeur la conception de la «
culture » à transmettre et du rôle de l’éducation dans la construction de
l’individu, ce qui laisse également entrevoir de sérieuses dérives à venir sur
l’évaluation.
Les termes employés pour définir les compétences visées
sont variés, mais l’occurrence « sensibiliser » est importante : on peut
craindre à la fois une baisse des exigences des connaissances visées, un
changement de nature aussi de l’enseignement, et des dérives importantes dans
l’évaluation de telles « compétences » qui font appel à la plus grande
subjectivité.
Des programmes en
cohérence avec le nouveau collège
Les appréciations du contenu des programme sont très
diverses selon les disciplines, et certains collègues sont plutôt séduits par
le projet.
Ce qu’il faut néanmoins souligner, c’est que l’on s’achemine peu à peu vers une disparition des disciplines en tant que telles (brouillage entre discipline-enseignement-parcours, entrées exclusives par les compétences, globalisation du contenu de certaines disciplines (LV, sciences et techno), croisement interdisciplinaire artificiel). Cela va s’accompagner d’une dégradation importante des conditions de travail pour les enseignants, qui devront se concerter constamment (sans temps prévu pour cela) pour un travail commun : on comprend bien ici pourquoi la réforme du collège prévoit de nombreuses hiérarchies intermédiaires (coordonnateurs de cycle, de niveau, de diciplines) pour organiser - et contrôler- ce temps de travail supplémentaire.
Ce qu’il faut néanmoins souligner, c’est que l’on s’achemine peu à peu vers une disparition des disciplines en tant que telles (brouillage entre discipline-enseignement-parcours, entrées exclusives par les compétences, globalisation du contenu de certaines disciplines (LV, sciences et techno), croisement interdisciplinaire artificiel). Cela va s’accompagner d’une dégradation importante des conditions de travail pour les enseignants, qui devront se concerter constamment (sans temps prévu pour cela) pour un travail commun : on comprend bien ici pourquoi la réforme du collège prévoit de nombreuses hiérarchies intermédiaires (coordonnateurs de cycle, de niveau, de diciplines) pour organiser - et contrôler- ce temps de travail supplémentaire.
Par ailleurs, certaines disciplines disparaissent
totalement : c’est le cas des langues anciennes. Le latin apparaît de temps à
autre comme contribuant à l’acquisition du français…
Rappelons que l’enseignement du latin n’est pourtant pas
marginal au collège, il concerne 20% des élèves. La suppression de cette
discipline est une attaque majeure qui ne soulève pas l’indignation syndicale
méritée.
D’autres disciplines (HG, par ex) sont déclinées avec des
priorités en gras, et des sujets laissés au choix des enseignants.
Le cadre national de référence est déjà mis à mal à
travers la réforme du collège (20% des horaires dépendent de l’autonomie de
l’établissement), mais le fait que le contenu même des programmes soit si peu
cadré fait craindre les plus grandes disparités d’un collège à l’autre, d’un
enseignant à l’autre…
Les inégalités de traitement qui s’en suivront feront
éclater un peu plus le caractère « national » de l’éducation.
Véronique PONVERT (EE)
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