French théorie et déconstruction.
C’est par curieux
effet boomerang que les idées développées par des intellectuels français,
essentiellement Jacques Derrida et Michel Foucault, auprès d’un public
étazunien nous sont revenues sous la forme apparemment structurée de la « french
theory » et ce sont répandues dans les universités et jusqu’à sciences
Po. Ces idées prétendent déconstruire les catégories classiques des Lumières et
fonder une nouvelle mode pensée et d’agir connu sous le terme « wokisme ».
Et il aura fallu plus de cinquante années et des générations d’étudiants
devenus prosélytes et enseignants, pour cette « french theory »
devienne le « must ».
Mais commençons par un canular rappelant le subtil ouvrage de Sokal et Bricmont
(Impostures intellectuelles 1966 – O. Jacob.
En 2019 deux chercheurs Helen Pluckrose et James Lindsay imitant la
“réflexion” et le sabir universitaires des promoteurs des théories sur le
genre, la race, le féminisme, etc, nos chercheurs envoyèrent à des revues de
référence des articles bidonnés et délirants qui reçurent pourtant les
compliments des comités de lecture desdites revues. La revue Gender, Place
and Culture plaça parmi ses 12 meilleures publications celle de nos
chercheurs sur la « culture du viol canine » qu’ils avaient,
disaient-ils, pu analyser dans les parcs à chiens de Portland en inspectant les
parties génitales de 10 000 chiens tout en interrogeant leurs propriétaires sur
leur sexualité. Dans un autre article intitulé « Passer par la porte de
derrière : défier l’homo-hystérie masculine et la transphobie à travers l’usage
de sex-toys pénétratifs », H. Plukrose et ses acolytes préconisaient
d’encourager l’auto-pénétration des hommes par voie anale avec des sex-toys
pour vaincre l’homophobie et la transphobie. Un universitaire de la revue Sexuality
and Culture qualifia cet article de « contribution incroyablement riche
et excitante à l’étude de la sexualité et de la culture ».
Mais de quoi s’agit -il exactement et en quoi les philosophes doivent-ils ne
pas perdre le fil des fondamentaux ?
Denis Collin précise « Deleuze préfère alors les schizophrènes aux gens
supposés « normaux », Foucault les taulards, et Badiou, le tout premier,
remplace l’ouvrier français, contaminé par l’immobilisme du PCF, par l’immigré,
nouveau damné de la terre. La Fondation Jean Jaurès reprendra l’idée trente ans
plus tard, à l’usage du PS, avec le succès que l’on sait en 2002 »… « Tous
ces courants qui ont fleuri dans les années post-soixante-huit, considèrent,
comme Michel Foucault, que la question du pouvoir d’État comme question
centrale est dépassée et qu’il est nécessaire de s’opposer d’abord aux «
micro-pouvoirs « et aux
« disciplines » qui domestiquent l’individu. » C’est encore chez
Foucault et son élève américaine Judith Butler qu’est revendiquée la nécessité
des « identités flottantes » contre les « assignations sociales »
à une seule identité sexuelle.
Les universitaires américains, en panne d’idées originales, adoptèrent cette
French Theory dans le courant des années 1970. Cette entreprise philosophique
qui s’appuyait initialement sur Nietzsche et Heidegger est tombée
entre les mains de certains intellectuels qui convainquirent des militants de
la justesse de leurs aberrations. Et, surtout, de leur appartenance à la grande
communauté des victimes — une trans-classe qui transcende les anciennes
distinctions sociales.
Selon Pluckrose et Lindsay on peut formaliser la pensée de la déconstruction,
socle du « wokisme », par quatre thèmes :
1
Toute distinction, séparation ou
classification est relativisée et rendue compliquée, dans le but affiché de
dénier une véritable pertinence à quelque catégorie que ce soit, ce qui permet
de perturber les systèmes de pouvoir. Ici aussi la pensée de Foucault, mais
également celle de Jacques Derrida, surgit puisque, pour eux, une distinction
masque généralement une hiérarchisation ; celui qui distingue les catégories
hommes-femmes, par exemple, cherche à légitimer la domination des premiers sur
les secondes. Pour Derrida, les binaires sont des structures de pouvoir qui
oppriment et doivent donc être déconstruites, car « une opposition de
concepts métaphysiques (par exemple, parole/écriture, présence/absence, etc.)
n’est jamais le vis-à-vis de deux termes, mais une hiérarchie et l’ordre d’une
subordination » (Derrida, Montréal 1971). Il faut donc déconstruire ces
distinctions et les flouter.
2
Le deuxième thème est le pouvoir accordé au langage, censé construire
plus ou moins entièrement notre perception du réel. Ce thème apparaît sous la
plume de Heidegger mais aussi de Derrida, dans ses ouvrages « De la
grammatologie, Écriture et Différence », et « La Voix et le
Phénomène ». Comme le rappellent Pluckrose et Lindsay, dans ses
travaux « Derrida rejette l’idée de bon sens selon laquelle les mots se
réfèrent directement aux choses dans le monde réel. Au contraire, il insiste
sur le fait que les mots ne se réfèrent qu’à d’autres mots et à la manière dont
ils diffèrent les uns des autres, formant ainsi des chaînes de “signifiants”,
qui peuvent partir dans toutes les directions sans aucun point d’ancrage ».
Ici, une séparation nette entre les discours et la réalité objective (le point
d’ancrage) est implicite.
3
Le troisième thème, le relativisme culturel, postule l’impossibilité de
classer une culture comme supérieure ou inférieure à une autre. Il faut noter
que Pluckrose et Lindsay oublient de préciser à ce stade que, parmi les
différentes branches de la pensée postmoderne, la pensée décoloniale fera un
usage paradoxal de ce thème, postulant parfois de manière plus ou moins voilée
une infériorité de la culture occidentale par rapport aux cultures « indigènes
».
4
Le dernier thème est celui de l’éviction de l’individu et de
l’universel, tous deux perçus comme des fictions issues des Lumières,
masques de la domination blanche. Pour Pluckrose et Lindsay, chez les
postmodernes, « le concept d’universel […] est au mieux naïf. Dans le pire
des cas, il s’agit simplement […] d’une tentative d’imposer les discours
dominants à tous16 ». Quant à l’individu libre et rationnel décrit par la
modernité, il n’est en réalité que le résultat illusoire des structures de
pouvoir et de leurs discours.
On
ne peut terminer ce résumé sans faire référence au mot fétiche du
wokisme : l’intersectionnalité.
C’est de la théorie critique de la race naîtra en 1989 le concept d’« intersectionnalité
» promu par Kimberlé Crenshaw. L’idée est qu’il est possible de discriminer
ou de subir des discriminations selon plusieurs axes. Ainsi, l’homme blanc
homosexuel est moins opprimé par la société que la femme noire lesbienne
handicapée car il est par ailleurs dominant sur plusieurs axes (homme, de race
blanche), contrairement à la femme.
Cette
notion s’est rapidement répandue, notamment chez les féministes. L’identité
ethnique et sexuelle prenant une immense importance, savoir « d’où l’on parle »
devient une clé.
Parmi les axes de domination considérés dans le schéma intersectionnel, les plus récents sont ceux du surpoids et du handicap. Les penseurs des « disability studies » ne perçoivent pas le handicap comme quelque chose d’individuel mais comme un concept imposé par une société malveillante.
Ils accusent de « validisme » ceux qui pensent qu’il y aurait une norme physique humaine. Dans leur logique, il ne faudrait pas chercher à guérir le handicap car ce désir impliquerait une hiérarchisation et dissimulerait même la volonté de vouloir éradiquer les handicapés (et pas seulement le handicap, distinction qu’ils brouillent). Pluckrose et Lindsay notent que, chez ces penseurs, « le souhait exprimé de prévenir ou de guérir le handicap est souvent reformulé de manière choquante comme un souhait que les personnes handicapées (et non leur handicap) puissent ne pas exister – un stratagème cynique qui joue sur les mots ».
Fondamentalement la « déconstruction », la « French Theory », le « wokisme » sont des outils idéologiques mis en place pour effacer les forces essentielles qui meuvent les sociétés et en conséquence les hommes qui les composent. Toute analyse économique est bannie de ces propos fumeux. Le peuple est composé de « beaufs » incultes, probablement mâles dominants et peu écologistes. Seule une élite « d’éveillés » - au fond une bande d’allumés - (le sens même du mot « wok »), grands prêtres de la « nouvelle pensée » peuvent montrer La Voie, par la violence s’il le faut. Ce nouvel obscurantisme n’est qu’une parade idéologique, qui apparait quand des crises majeures comme celle dans laquelle nous sommes. Il s’agit alors de brouiller les cartes, diviser les êtres humains à l’extrême, volontairement ne pas leur fournir les outils leur permettant de prendre consciemment leur sort en main. Plus que jamais il revient plus aux barbares que nous sommes, osant rester fidèles à Epicure, Spinoza, Descartes, Les lumières et quelques autres dont la préoccupation fut d’éclairer les hommes en leur fournissant des outils intellectuels pour fonder une humanité, de résister à ces groupes de pression.
La barbarie peut se vêtir d’intellectualisme, elle reste une barbarie.
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