dimanche 14 juillet 2024

Sujet du Merc. 17 Juil. 2024 : L’intérêt général ?

 

                                                 L’intérêt général ?    
Toute société doit être, ou doit faire croire aux hommes qui la composent qu'elle est, une émanation de leurs intérêts. A la différence des communautés précédentes, qui existaient de façon naturelle pour chacun comme source et condition de son existence, les sociétés marchandes, dans lesquelles les individus sont indépendants, séparés, doivent se présenter comme leur association volontaire en un groupe national opposé aux autres ayant pour objet la défense de leurs intérêts communs. Elles sont une sorte d'association, de syndicat, dans la guerre de tous contre tous, dont le nom est la nation.

Le fameux intérêt général, tarte à la crème de tous les idéologues, cache-sexe de toutes les atteintes et violences à l'encontre des individus, est l'idéologie fondatrice de cette société. Mais d'où provient donc la nécessité de cet intérêt général unificateur dans une situation où la main invisible, pour les économistes, est censée coordonner au mieux les activités de tous, et la raison, pour les philosophes, imposer sa loi universelle et unificatrice par la ruse.?

C'est que voilà l'individu indépendant, nouvelle idole de la société marchande, prié d'agir selon ses intérêts privés. Voilà que ceux-ci se représentent par la valeur, l'argent, et toutes les catégories qui en dérivent. Ses intérêts, ses besoins, la façon de les satisfaire, sont le gain, validation sociale de ses efforts, de son existence. Alors, "l'esprit d'entreprise", le dynamisme sont aussi, nécessairement, l'égoïsme, la cupidité, l'aveuglement dans une course anarchique à la production qui est à elle-même son propre but. Tous ces comportements fondent ce qu'on appelle l'intérêt privé.

Mais dans une société où la concurrence et la lutte sont le pain quotidien, les intérêts privés se regroupent en ensembles plus ou moins larges sur la base d'intérêts communs face aux autres. Nous avons vu ainsi naitre les classes avec l'extension de la division sociale du travail propre aux sociétés marchandes. 

D'abord la bourgeoisie, petite et grande, paysanne et urbaine (ce qui était le "tiers état" de 1789) s'organisa pour obtenir son acte officiel de naissance : la propriété personnelle, la libre entreprise. Laquelle n'est pas tant libre, puisqu'elle nécessite l'organisation d'un marché, avec ses règles, ses lois, ses institutions pour les faire appliquer et, aussi, en assurer la défense ou l'extension.

C'est alors, on le sait, que l'intérêt général prit la forme de l'intérêt national. C'est à dire que le marché s'inséra peu ou prou dans le cadre d'anciennes communautés fondées sur des liens personnels (tel le royaume centralisé issu de la féodalité). Ce cadre a fourni son enveloppe toute trouvée à la nouvelle société (limites géographiques, unité de langue, de culture, d'administration, histoire commune).

Donc, si la bourgeoisie a dû développer la notion idéologique d'intérêt général, alors que la main invisible et la ruse de la raison devaient assurer l'unité, la complémentarité des actes individuels, c'est que, bien évidemment, il n'en était rien.

 Des comportements individuels fondés sur des choix isolés, ignorants ceux des autres, ne conduisent qu'à l'anarchie.

 En tant que fondés sur le profit personnel, et donc l'économie du temps de travail, ils ne conduisent qu'à des crises, puisque cela revient à diminuer ce qui mesure la richesse, ce qui produit le profit, dans ce système. En tant que déterminés par une division sociale du travail creusant toujours plus les différences de classes, ils ne conduisent qu'à des conflits qui minent l'unité sociale. Et la liste des séparations et contradictions qui sont l'essence du capitalisme n'est pas ici close. L'unité sociale doit donc être établie par d'autres moyens, autoritairement.

Aussi l'individu marchand, le bourgeois, a et vit des intérêts privés dans la sphère économique qui doivent être complétés par des intérêts de "citoyen", un autre homme créé de toutes pièces pour vivre dans une sphère également créée de toute pièce à cet usage : la sphère politique.           

Dans la première, ce sont ses intérêts personnels d'individu indépendant.           

Dans la deuxième, il organise une unité sociale séparée de lui-même, par le biais d'institutions auxquelles il délègue son pouvoir.

Il le fait parce qu'il faut bien qu'il trouve les conditions générales permettant l'exercice de son activité qui, s'il ne la conçoit que comme indépendante des autres, n'en est pas moins collective, sociale. Par exemple il faut des lois qui fondent le minimum d'organisation en dehors de laquelle les individus ne peuvent socialiser leurs activités (protection de la propriété, réglementation des échanges, gestion des finances publiques, de la monnaie etc.…). Il faut que les activités des uns n'empêchent pas celles des autres, ce qui serait le cas si l'appât de gain immédiat se donnait libre cours et allait jusqu'au pillage généralisé des ressources, au vol, au désordre social, à l'épuisement total des hommes (travail des enfants par exemple), si l'un polluait ce que l'autre doit utiliser etc…

Bref, l'intérêt privé doit sans cesse être limité par l'intérêt général sous peine de disparaitre. Ce qu'indique l'adage : « la liberté de l'individu s'arrête là où commence celle des autres". C'est à dire très vite dans des rapports sociaux fondés sur la séparation et la dépossession.

Aussi l'individu marchand, le bourgeois, a et vit des intérêts privés dans la sphère économique qui doivent être complétés par des intérêts de "citoyen", un autre homme créé de toutes pièces pour vivre dans une sphère également créée de toute pièce a cet usage : la sphère politique.

Dans la première, ce sont ses intérêts personnels d'individus indépendants.        

Dans la deuxième, il organise une unité sociale séparée de lui-même, par le biais d'institutions auxquelles il délègue son pouvoir.

Bref, l'intérêt privé doit sans cesse être limité par l'intérêt général sous peine de disparaitre. Ce qu'indique l'adage : « la liberté de l'individu s'arrête là où commence celle des autres". C'est à dire très vite dans des rapports sociaux fondés sur la séparation et la dépossession.

Et plus le développement du capitalisme accroît les séparations entre individus d'avec la maîtrise de leurs conditions d’existence, plus cette société ne leur apparait que comme contrainte d'une part et comme moyen de satisfaire leurs intérêts privés d'autre part. Il en résulte une double attitude à son égard, à celui de l'état qui la représente à leurs yeux : la protestation, le conflit, à l'encontre de ce qui limite leur liberté individuelle marchande ; la réclamation, l'appel au secours, la demande d'assistance pour protéger et valoriser ces intérêts.

L'état finit par être rendu responsable de tout dans le domaine social, les individus de rien : le comble du paradoxe pour un système prétendument fondé sur l'individu TOCQUEVILLE l'avait déjà pointé quand il décrivait la société comme un pouvoir social s'élevant au-dessus des individus, "un pouvoir immense et tutélaire, absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il travaille à leur bonheur ; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre. Que ne peut-il leur ôter le trouble de penser et le souci de vivre Ill ne détruit pas, il empêche de naître, il hébète...". Diable, ne croirait-on pas aussi que ce chantre de la démocratie bourgeoise la décrit comme le futur soi-disant-communisme !   

Dans ce système, ce n'est qu'en tant que citoyens, qu'en tant qu'hommes politiques, que les individus sont membres actifs (ou plutôt passifs) de la communauté, non en tant qu’individus concrets.

D'un côté les autres hommes ne sont, pour les individus, que des moyens. De l'autre la communauté des individus est nécessaire à leur existence. D'un côté, dans la vie pratique de la société civile, l'individu n'existe pas pour les autres. De l'autre il faut construire une communauté, l'état politique, dans laquelle l'individu n'est qu'un membre imaginaire, sans pouvoir. Cet état n'est qu'une communauté illusoire, opposée aux individus d'une société civile réelle non communautaire (sans rapports sociaux personnels). C'est parce que la société civile marchande est une communauté impossible qu'il faut l'artifice de la société politique-étatique, communauté illusoire, appareil coercitif réel.

Laissons K. MARX résumer toute cette affaire, qu'il a le premier mis à jour :
« c’est précisément en raison de cette opposition entre l'intérêt particulier et l'intérêt commun que celui-ci prend, en tant qu'état, une configuration autonome, détachée des intérêts réels, individuels et collectifs, en même temps qu’iI se présente comme communauté illusoire, mais toujours sur la base réelle des liens existants. ..tels que consanguinité, langage, division du travail et autres intérêts; en particulier...sur. la base des classe sociales déjà issues de la division du travail…dont l'une domine toutes les autres.
Il s'ensuit que toutes les luttes au sein de l'état, la lutte entre la démocratie, l'aristocratie, la monarchie, la lutte pour le suffrage etc.… ne sont que des formes illusoires - le général étant toujours la forme illusoire du communautaire- dans lesquelles les luttes des différentes classes entre elles sont menées…Il s'ensuit en outre que toute classe qui aspire à la domination - même si cette domination a pour condition, comme c'est le cas pour le prolétariat, l'abolition de toute l'ancienne forme de la société et de la domination en général - doit d'abord s'emparer du pouvoir politique afin de présenter, elle aussi, son intérêt comme l'intérêt général, ce à quoi elle est contrainte dès le début
".

L'illusion du pouvoir politique, qui est fondé sur l'intérêt général, est de se croire (au moins quand il est intègre, ce qui n'est plus le cas depuis belle lurette) qu'il n'a plus, justement, d'illusion, et ne reste que le support de l'ambition et de l'enrichissement personnel capable de le représenter effectivement, d'imposer sa volonté.           

D'une façon générale l'idéologie patriotique et démocratique pense pouvoir faire appel au sens civique, à l'enseignement que le bien commun est la plus haute expression du bien privé, à l'altruisme, au dévouement et autres « valeurs morales » pour fusionner les intérêts privés dans l'intérêt général. Mais aucun de ces moyens idéologiques ne peut réunir ce qui est concrètement, réellement, matériellement séparé dans les rapports sociaux, dans cette division sociale du travail capitaliste où activités intellectuelles et d'exécution, travail et jouissance, production et consommation, échoient à des individus différents.

L'intérêt général n’est que forme illusoire du communautaire.

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