lundi 29 juillet 2024

Sujet du Merc. 31 Juillet 2024 : La nature est-elle hostile à l’homme ?

 

      La nature est-elle hostile à l’homme ?   (Bac 2024)              
La nature n'apparaît comme hostile à l'homme que par ignorance de son fonctionnement. Parler d'une hostilité de la nature envers l'homme, c'est néanmoins parler en superstitieux. Rappelons, avec Spinoza, que la crainte est mère de la superstition (une affirmation qui ouvre le Tractatus Theologico-Politicus).            
Et cette superstition a été alimentée dans une période très récente par des philosophes comme H. Jonas et l’ensemble des discours anxiogènes sur le fait que nous saccageons notre planète, mettant ainsi en danger l’existence de l’espèce humaine. En conséquence, pour protéger la nature il faut la mettre à l’abri des Hommes… dans des aires dites protégées, par exemple, où elle pourra évoluer librement. En bref, une belle nature serait donc une nature sans l’Homme, une nature dite « sauvage ».      
Au fond il s’agit d’élaborer un discours de manipulation de l’opinion publique et de tenter d’imposer une certaine vision de la nature que l’on pourrait qualifier de bucolique tout en portant un regard culpabilisateur sur l’Homme, accusé d’être l’agent de cette destruction.

Derrière cette idéologie, on peut déceler des relents de créationnisme qui professe que la nature créée par Dieu est nécessairement parfaite et immuable. L’homme ayant été déchu de ce paradis virtuel.          

Ce que nous appelons « nature » a une histoire. Et cette histoire n’est pas la même selon les continents et les rapports que les sociétés humaines ont entretenu avec leur environnement. En Europe la biodiversité est le résultat d’une co-construction depuis des millénaires entre des processus spontanés et des usages des systèmes écologiques via des pratiques qui ont façonné nos paysages.

Après la dernière période glaciaire qui a culminé il y a 20 000 ans, beaucoup d’espèces avaient disparu de notre territoire. La recolonisation des zones libérées par les glaces a débuté en partie par des espèces qui avaient trouvé refuge dans le sud de l’Europe. Puis, les agriculteurs venus du Moyen Orient il y environ 7000 ans, ont introduit nombre d’espèces qui nous sont familières. Les échanges commerciaux dans l’antiquité, les croisades, les grandes expéditions des XVIIIe et XIXe siècles, ont largement contribué à leur tour à enrichir la diversité biologique européenne à des fins agricoles, horticoles ou ludiques. Et nos moyens actuels de transport (containers, ballasts, etc.) sont utilisés par de nombreuses espèces pour voyager (clandestinement 😊). Bref, la diversité biologique européenne s’est donc fortement enrichie grâce aux Hommes au cours des derniers siècles.

Sans compter que les pratiques agricoles, en morcelant et diversifiant le milieu naturel, ont créé cette diversité de paysages que nous connaissons et qui est un facteur favorable à une plus grande richesse en espèces. Ainsi, parler de sixième extinction à propos de la diversité biologique en France est plus qu’un abus de langage, c’est de la désinformation. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de situations inquiétantes sur d’autres continents qui ont des histoires différentes…

De plus l ’humain peut aussi donner vie à la nature. Regardons autour de nous : nos alpages, nos grandes zones humides (telles que la Camargue, la Sologne, les Dombes, etc.), nos bocages, nos forêts (Landes, Sologne, etc.), nos cours d’eau avec leurs retenues, sont tous des milieux créés et aménagés par l’Homme depuis des siècles pour différents usages (agriculture, production d’énergie, loisirs, etc.). Cette nature aménagée qui a une double composante naturaliste et patrimoniale est le résultat de processus spontanés (dynamique des espèces) et d’aménagements qui se sont empilés au cours des siècles.

La Camargue est en réalité un milieu artificiel avec une gestion de l’eau liée à l’agriculture et à l’exploitation du sel, entouré de digues et parsemé de canaux. Quant au lac de Der-Chantecoq, barrage réservoir construit sur la Marne il y a une trentaine d’années, il est devenu un point de passage obligé pour les oiseaux d’eau lors de leurs migrations vers l’Europe du Nord, à tel point qu’il a été érigé site Ramsar, malgré son caractère hautement artificiel… La consécration en matière de protection de la nature ! Et l’on pourrait multiplier les exemples de sites classés qui sont en réalité des systèmes écologiques artificiels… Alors où est la logique ?

Un aménagement ne fait pas que détruire la biodiversité, il crée aussi de nouvelles conditions favorables à l’installation d’une autre diversité biologique, selon le principe bien connu en écologie systémique : quand on aménage, on gagne et on perd tout à la fois en matière de diversité biologique, à l’image du lac de Der cité ci-dessus : on a perdu un bocage mais gagné une zone humide. Savoir si c’est bien ou mal relève ensuite de jugements de valeurs sur ce que nous estimons être une belle nature, ou selon les groupes végétaux ou animaux que nous privilégions.

 Existe-t-il une nature « vierge » ?

Comme le disaient les sociologues N. Mathieu et M. Jollivet, pour de nombreux citoyens, « la nature c’est l’environnement et l’environnement c’est la campagne ».

En réalité, c’est ce milieu rural d’avant la révolution verte des années 1950 qui est, dans l’esprit de beaucoup, la référence à la nature. Autrement dit, un milieu co-construit qui fait écho à des références naturelles, culturelles et identitaires. Avec le regret, maintes fois exprimé, que cette nature humanisée ait été en partie transformée par les modifications des pratiques agricoles depuis la moitié du siècle dernier, mais aussi par l’urbanisation galopante et les infrastructures de transport.

Tout cela met à bas l’idée selon laquelle la protection de la nature doit avoir pour référence une nature « vierge » et sauvage. Une référence théorique et virtuelle qui est une utopie puisque notre nature n’a jamais cessé de se transformer sous l’influence du climat, de la dynamique propre aux espèces ainsi que des usages que nous faisons de nos systèmes écologiques.

Il faut donc réintégrer l’Homme dans la gestion de la nature en se posant la question : quelle nature voulons-nous ? Et non pas en se fixant a priori des objectifs utopiques et irréalistes. Mais en toute modestie nous devons aussi reconnaître que nous ne pouvons pas tout piloter et admettre que le futur est incertain, ce qui implique beaucoup de flexibilité. Dans ce contexte, une voie qui nous est actuellement proposée est celle d’une gestion dite adaptative. Il s’agit d’associer actions et suivis pour réajuster quand c’est nécessaire les politiques de protection dans des contextes locaux ou régionaux, pour répondre aux attentes des populations.   

René Descartes - que nous reproduisons ci-dessous - perçus par les adorateurs de la pancha mama et autres lubies métaphysiciennes sur la conception de la nature, ne disait pas autre chose il y quatre siècles !

« Mais, sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique ….elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie; et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens ». Descartes, Discours de la méthode. Vi Partie – 1637.
Autre ouvrage : Christian Lévêque : Biodiversité - Dynamique biologique et conservation - 2008.

dimanche 21 juillet 2024

Sujet du Merc. 24 juillet 2024 : Doit-on aller au-delà de l’absence d’intention ?

 

Doit-on aller au-delà de l’absence d’intention ?

Mais si, vous savez très bien, le petit garçon de 5 ans qui court comme un dératé et casse un vase dans l’appartement. Au moment où vous chercherez à le recadrer pour que cela ne se renouvelle pas, il vous répondra :

_Mais je ne l’ai pas fait exprès !   Bah heureusement, il ne manquerait plus que ça !

Mais vous êtes bien obligé de reconnaître qu’il a raison. Il ne vous reste plus qu’à lui enseigner la prudence pour ne pas que ça se renouvelle, ou encore mieux, la responsabilité en anticipant les conséquences de ses actes.

C’est une question très contemporaine qui apparemment n’intéresse que le débat politique ou sociologique mais doit pourtant être présent dans toute approche intellectuelle sur notre société. En effet la bonne démarche d’analyse et de critique d’un système doit bien se faire dans la plus grande neutralité sans chercher des causes d’une dégradation dans une volonté délibérée d’individu voire d’idéologie.

Si je dois m’exprimer sur le système de santé d’un pays et chercher d’où peuvent venir les problèmes je ne peux pas envisager que des gens de pouvoir ont fait exprès de le dégrader. Au contraire je vais chercher dans l’histoire ou l’actualité du pays les choix ou les erreurs qui ont été faits et ont produit les défauts que l’on pourrait constater.

C’est une des raisons pour laquelle une grande partie des problèmes politiques seront réduits à des causes économiques qui ont une apparence de neutralité.

Cette caractéristique se retrouve également en droit pénal dans tous les pays développés où les tribunaux feront une distinction importante entre les crimes prémédités, les homicides qui peuvent être intentionnels mais non prémédités et les homicides par imprudence.

Autre exemple, la dénonciation du phénomène de ghettoïsation est très intéressante car le terme de « ghetto » est inventé au XVI° siècle, il désigne au départ une véritable politique publique. Il est utilisé originellement dans la république de Venise en 1516 pour définir un quartier imposé aux juifs où ils doivent être séparés de la population non juive. 

Or l’usage qui est fait le plus souvent à notre époque du terme de ghettoïsation relève plus d’une banalisation que d’une réalité. Sans remettre en cause les problèmes d’urbanisme considérables qui peuvent exister dans tous les pays développés, le phénomène est bien différent. La nuance est importante sans parler d’abus de langage, on est proche d’un sens figuré, comme la différence entre « une table » et « la table de multiplication ». Il faut comprendre qu’il n’y a jamais eu de politique de ségrégation en France. 

Les explications viendront de problèmes économiques, de contraintes venant de la nécessité de loger des gens dans l’urgence et en dernier des phénomènes de communautarisme qui vont progressivement dominer. (Le communautarisme est une réalité complexe spontané et inévitable au départ dans les phénomènes migratoires). 

Beaucoup de nos quartiers dit sensibles ont été construits dans les années 60 et 70 avec les meilleures INTENTIONS du monde. Même si dans ces périodes la puissance publique a fait construire des HLM en contrôlant le montant des loyers. J’insisterai sur la mixité sociale et culturelle qui existait et que j’ai vécue personnellement en banlieue parisienne (Massy, grand ensemble, 91).

 

S’il reste un argument pour convaincre de cette démarche intellectuelle, il viendra du fait que c’est probablement la seule approche rationnelle pour tenter de comprendre ou de chercher des solutions pour satisfaire à l’intérêt général et au bien commun. On peut dire que le reste des problèmes réside dans les lois et l’exercice de celles-ci.  Et force est de constater qu’elles sont très abondantes en France.

(On envisage de faire une loi pour lutter contre la discrimination capillaire.)

Donc si je veux comprendre les problèmes du système économique d’un pays je ferai en sorte d’écarter les causes venant d’actions malveillantes ou d’individus nuisibles.

Mais certains intellectuels pourront contourner ce principe en traquant toute formes de résistances à son projet global de justice sociale, comme une source de véritable volonté malveillante. Donc le fait de ne pas adhérer ou de discuter des idées d’inspiration socialistes peut devenir coupable, la mauvaise volonté est soudainement devenue suspecte. C’est l’inversion de causalité qui devient la norme. Il faut ajouter que cette logique s’appuie sur un principe Rousseauiste, la société est responsable, elle ne fait que créer des déterminismes et des discriminations.

_Vous vous opposez à ma proposition, vous êtes donc le problème, vous êtes le mal.

Il est intéressant peut être, de chercher un lien de causalité entre la quantité de loi d’un pays et la conception générale de la société qui domine.

Je reste persuadé que la désindustrialisation depuis 50 ans en France n’a jamais été recherchée par nos politiques, mais est la conséquence de leurs politiques publiques.

dimanche 14 juillet 2024

Sujet du Merc. 17 Juil. 2024 : L’intérêt général ?

 

                                                 L’intérêt général ?    
Toute société doit être, ou doit faire croire aux hommes qui la composent qu'elle est, une émanation de leurs intérêts. A la différence des communautés précédentes, qui existaient de façon naturelle pour chacun comme source et condition de son existence, les sociétés marchandes, dans lesquelles les individus sont indépendants, séparés, doivent se présenter comme leur association volontaire en un groupe national opposé aux autres ayant pour objet la défense de leurs intérêts communs. Elles sont une sorte d'association, de syndicat, dans la guerre de tous contre tous, dont le nom est la nation.

Le fameux intérêt général, tarte à la crème de tous les idéologues, cache-sexe de toutes les atteintes et violences à l'encontre des individus, est l'idéologie fondatrice de cette société. Mais d'où provient donc la nécessité de cet intérêt général unificateur dans une situation où la main invisible, pour les économistes, est censée coordonner au mieux les activités de tous, et la raison, pour les philosophes, imposer sa loi universelle et unificatrice par la ruse.?

C'est que voilà l'individu indépendant, nouvelle idole de la société marchande, prié d'agir selon ses intérêts privés. Voilà que ceux-ci se représentent par la valeur, l'argent, et toutes les catégories qui en dérivent. Ses intérêts, ses besoins, la façon de les satisfaire, sont le gain, validation sociale de ses efforts, de son existence. Alors, "l'esprit d'entreprise", le dynamisme sont aussi, nécessairement, l'égoïsme, la cupidité, l'aveuglement dans une course anarchique à la production qui est à elle-même son propre but. Tous ces comportements fondent ce qu'on appelle l'intérêt privé.

Mais dans une société où la concurrence et la lutte sont le pain quotidien, les intérêts privés se regroupent en ensembles plus ou moins larges sur la base d'intérêts communs face aux autres. Nous avons vu ainsi naitre les classes avec l'extension de la division sociale du travail propre aux sociétés marchandes. 

D'abord la bourgeoisie, petite et grande, paysanne et urbaine (ce qui était le "tiers état" de 1789) s'organisa pour obtenir son acte officiel de naissance : la propriété personnelle, la libre entreprise. Laquelle n'est pas tant libre, puisqu'elle nécessite l'organisation d'un marché, avec ses règles, ses lois, ses institutions pour les faire appliquer et, aussi, en assurer la défense ou l'extension.

C'est alors, on le sait, que l'intérêt général prit la forme de l'intérêt national. C'est à dire que le marché s'inséra peu ou prou dans le cadre d'anciennes communautés fondées sur des liens personnels (tel le royaume centralisé issu de la féodalité). Ce cadre a fourni son enveloppe toute trouvée à la nouvelle société (limites géographiques, unité de langue, de culture, d'administration, histoire commune).

Donc, si la bourgeoisie a dû développer la notion idéologique d'intérêt général, alors que la main invisible et la ruse de la raison devaient assurer l'unité, la complémentarité des actes individuels, c'est que, bien évidemment, il n'en était rien.

 Des comportements individuels fondés sur des choix isolés, ignorants ceux des autres, ne conduisent qu'à l'anarchie.

 En tant que fondés sur le profit personnel, et donc l'économie du temps de travail, ils ne conduisent qu'à des crises, puisque cela revient à diminuer ce qui mesure la richesse, ce qui produit le profit, dans ce système. En tant que déterminés par une division sociale du travail creusant toujours plus les différences de classes, ils ne conduisent qu'à des conflits qui minent l'unité sociale. Et la liste des séparations et contradictions qui sont l'essence du capitalisme n'est pas ici close. L'unité sociale doit donc être établie par d'autres moyens, autoritairement.

Aussi l'individu marchand, le bourgeois, a et vit des intérêts privés dans la sphère économique qui doivent être complétés par des intérêts de "citoyen", un autre homme créé de toutes pièces pour vivre dans une sphère également créée de toute pièce à cet usage : la sphère politique.           

Dans la première, ce sont ses intérêts personnels d'individu indépendant.           

Dans la deuxième, il organise une unité sociale séparée de lui-même, par le biais d'institutions auxquelles il délègue son pouvoir.

Il le fait parce qu'il faut bien qu'il trouve les conditions générales permettant l'exercice de son activité qui, s'il ne la conçoit que comme indépendante des autres, n'en est pas moins collective, sociale. Par exemple il faut des lois qui fondent le minimum d'organisation en dehors de laquelle les individus ne peuvent socialiser leurs activités (protection de la propriété, réglementation des échanges, gestion des finances publiques, de la monnaie etc.…). Il faut que les activités des uns n'empêchent pas celles des autres, ce qui serait le cas si l'appât de gain immédiat se donnait libre cours et allait jusqu'au pillage généralisé des ressources, au vol, au désordre social, à l'épuisement total des hommes (travail des enfants par exemple), si l'un polluait ce que l'autre doit utiliser etc…

Bref, l'intérêt privé doit sans cesse être limité par l'intérêt général sous peine de disparaitre. Ce qu'indique l'adage : « la liberté de l'individu s'arrête là où commence celle des autres". C'est à dire très vite dans des rapports sociaux fondés sur la séparation et la dépossession.

Aussi l'individu marchand, le bourgeois, a et vit des intérêts privés dans la sphère économique qui doivent être complétés par des intérêts de "citoyen", un autre homme créé de toutes pièces pour vivre dans une sphère également créée de toute pièce a cet usage : la sphère politique.

Dans la première, ce sont ses intérêts personnels d'individus indépendants.        

Dans la deuxième, il organise une unité sociale séparée de lui-même, par le biais d'institutions auxquelles il délègue son pouvoir.

Bref, l'intérêt privé doit sans cesse être limité par l'intérêt général sous peine de disparaitre. Ce qu'indique l'adage : « la liberté de l'individu s'arrête là où commence celle des autres". C'est à dire très vite dans des rapports sociaux fondés sur la séparation et la dépossession.

Et plus le développement du capitalisme accroît les séparations entre individus d'avec la maîtrise de leurs conditions d’existence, plus cette société ne leur apparait que comme contrainte d'une part et comme moyen de satisfaire leurs intérêts privés d'autre part. Il en résulte une double attitude à son égard, à celui de l'état qui la représente à leurs yeux : la protestation, le conflit, à l'encontre de ce qui limite leur liberté individuelle marchande ; la réclamation, l'appel au secours, la demande d'assistance pour protéger et valoriser ces intérêts.

L'état finit par être rendu responsable de tout dans le domaine social, les individus de rien : le comble du paradoxe pour un système prétendument fondé sur l'individu TOCQUEVILLE l'avait déjà pointé quand il décrivait la société comme un pouvoir social s'élevant au-dessus des individus, "un pouvoir immense et tutélaire, absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il travaille à leur bonheur ; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre. Que ne peut-il leur ôter le trouble de penser et le souci de vivre Ill ne détruit pas, il empêche de naître, il hébète...". Diable, ne croirait-on pas aussi que ce chantre de la démocratie bourgeoise la décrit comme le futur soi-disant-communisme !   

Dans ce système, ce n'est qu'en tant que citoyens, qu'en tant qu'hommes politiques, que les individus sont membres actifs (ou plutôt passifs) de la communauté, non en tant qu’individus concrets.

D'un côté les autres hommes ne sont, pour les individus, que des moyens. De l'autre la communauté des individus est nécessaire à leur existence. D'un côté, dans la vie pratique de la société civile, l'individu n'existe pas pour les autres. De l'autre il faut construire une communauté, l'état politique, dans laquelle l'individu n'est qu'un membre imaginaire, sans pouvoir. Cet état n'est qu'une communauté illusoire, opposée aux individus d'une société civile réelle non communautaire (sans rapports sociaux personnels). C'est parce que la société civile marchande est une communauté impossible qu'il faut l'artifice de la société politique-étatique, communauté illusoire, appareil coercitif réel.

Laissons K. MARX résumer toute cette affaire, qu'il a le premier mis à jour :
« c’est précisément en raison de cette opposition entre l'intérêt particulier et l'intérêt commun que celui-ci prend, en tant qu'état, une configuration autonome, détachée des intérêts réels, individuels et collectifs, en même temps qu’iI se présente comme communauté illusoire, mais toujours sur la base réelle des liens existants. ..tels que consanguinité, langage, division du travail et autres intérêts; en particulier...sur. la base des classe sociales déjà issues de la division du travail…dont l'une domine toutes les autres.
Il s'ensuit que toutes les luttes au sein de l'état, la lutte entre la démocratie, l'aristocratie, la monarchie, la lutte pour le suffrage etc.… ne sont que des formes illusoires - le général étant toujours la forme illusoire du communautaire- dans lesquelles les luttes des différentes classes entre elles sont menées…Il s'ensuit en outre que toute classe qui aspire à la domination - même si cette domination a pour condition, comme c'est le cas pour le prolétariat, l'abolition de toute l'ancienne forme de la société et de la domination en général - doit d'abord s'emparer du pouvoir politique afin de présenter, elle aussi, son intérêt comme l'intérêt général, ce à quoi elle est contrainte dès le début
".

L'illusion du pouvoir politique, qui est fondé sur l'intérêt général, est de se croire (au moins quand il est intègre, ce qui n'est plus le cas depuis belle lurette) qu'il n'a plus, justement, d'illusion, et ne reste que le support de l'ambition et de l'enrichissement personnel capable de le représenter effectivement, d'imposer sa volonté.           

D'une façon générale l'idéologie patriotique et démocratique pense pouvoir faire appel au sens civique, à l'enseignement que le bien commun est la plus haute expression du bien privé, à l'altruisme, au dévouement et autres « valeurs morales » pour fusionner les intérêts privés dans l'intérêt général. Mais aucun de ces moyens idéologiques ne peut réunir ce qui est concrètement, réellement, matériellement séparé dans les rapports sociaux, dans cette division sociale du travail capitaliste où activités intellectuelles et d'exécution, travail et jouissance, production et consommation, échoient à des individus différents.

L'intérêt général n’est que forme illusoire du communautaire.

dimanche 7 juillet 2024

Sujet du Merc. 10 Juillet 2024 : French théorie et déconstruction.

 French théorie et déconstruction.


C’est par curieux effet boomerang que les idées développées par des intellectuels français, essentiellement Jacques Derrida et Michel Foucault, auprès d’un public étazunien nous sont revenues sous la forme apparemment structurée de la « french theory » et ce sont répandues dans les universités et jusqu’à sciences Po. Ces idées prétendent déconstruire les catégories classiques des Lumières et fonder une nouvelle mode pensée et d’agir connu sous le terme « wokisme ». Et il aura fallu plus de cinquante années et des générations d’étudiants devenus prosélytes et enseignants, pour cette « french theory » devienne le « must ».


Mais commençons par un canular rappelant le subtil ouvrage de Sokal et Bricmont (Impostures intellectuelles 1966 – O. Jacob.  En 2019 deux chercheurs Helen Pluckrose et James Lindsay imitant la “réflexion” et le sabir universitaires des promoteurs des théories sur le genre, la race, le féminisme, etc, nos chercheurs envoyèrent à des revues de référence des articles bidonnés et délirants qui reçurent pourtant les compliments des comités de lecture desdites revues. La revue Gender, Place and Culture plaça parmi ses 12 meilleures publications celle de nos chercheurs sur la « culture du viol canine » qu’ils avaient, disaient-ils, pu analyser dans les parcs à chiens de Portland en inspectant les parties génitales de 10 000 chiens tout en interrogeant leurs propriétaires sur leur sexualité. Dans un autre article intitulé « Passer par la porte de derrière : défier l’homo-hystérie masculine et la transphobie à travers l’usage de sex-toys pénétratifs », H. Plukrose et ses acolytes préconisaient d’encourager l’auto-pénétration des hommes par voie anale avec des sex-toys pour vaincre l’homophobie et la transphobie. Un universitaire de la revue Sexuality and Culture qualifia cet article de « contribution incroyablement riche et excitante à l’étude de la sexualité et de la culture ».       
Mais de quoi s’agit -il exactement et en quoi les philosophes doivent-ils ne pas perdre le fil des fondamentaux ?      
Denis Collin précise « Deleuze préfère alors les schizophrènes aux gens supposés « normaux », Foucault les taulards, et Badiou, le tout premier, remplace l’ouvrier français, contaminé par l’immobilisme du PCF, par l’immigré, nouveau damné de la terre. La Fondation Jean Jaurès reprendra l’idée trente ans plus tard, à l’usage du PS, avec le succès que l’on sait en 2002 »… « Tous ces courants qui ont fleuri dans les années post-soixante-huit, considèrent, comme Michel Foucault, que la question du pouvoir d’État comme question centrale est dépassée et qu’il est nécessaire de s’opposer d’abord aux « micro-pouvoirs « et aux
« disciplines » qui domestiquent l’individu.
 » C’est encore chez Foucault et son élève américaine Judith Butler qu’est revendiquée la nécessité des « identités flottantes » contre les « assignations sociales » à une seule identité sexuelle.  
Les universitaires américains, en panne d’idées originales, adoptèrent cette French Theory dans le courant des années 1970. Cette entreprise philosophique qui s’appuyait initialement sur Nietzsche et Heidegger est tombée entre les mains de certains intellectuels qui convainquirent des militants de la justesse de leurs aberrations. Et, surtout, de leur appartenance à la grande communauté des victimes — une trans-classe qui transcende les anciennes distinctions sociales.


Selon Pluckrose et Lindsay on peut formaliser la pensée de la déconstruction, socle du « wokisme », par quatre thèmes :

1    Toute distinction, séparation ou classification est relativisée et rendue compliquée, dans le but affiché de dénier une véritable pertinence à quelque catégorie que ce soit, ce qui permet de perturber les systèmes de pouvoir. Ici aussi la pensée de Foucault, mais également celle de Jacques Derrida, surgit puisque, pour eux, une distinction masque généralement une hiérarchisation ; celui qui distingue les catégories hommes-femmes, par exemple, cherche à légitimer la domination des premiers sur les secondes. Pour Derrida, les binaires sont des structures de pouvoir qui oppriment et doivent donc être déconstruites, car « une opposition de concepts métaphysiques (par exemple, parole/écriture, présence/absence, etc.) n’est jamais le vis-à-vis de deux termes, mais une hiérarchie et l’ordre d’une subordination » (Derrida, Montréal 1971). Il faut donc déconstruire ces distinctions et les flouter.  

2    Le deuxième thème est le pouvoir accordé au langage, censé construire plus ou moins entièrement notre perception du réel. Ce thème apparaît sous la plume de Heidegger mais aussi de Derrida, dans ses ouvrages « De la grammatologie, Écriture et Différence », et « La Voix et le Phénomène ». Comme le rappellent Pluckrose et Lindsay, dans ses travaux « Derrida rejette l’idée de bon sens selon laquelle les mots se réfèrent directement aux choses dans le monde réel. Au contraire, il insiste sur le fait que les mots ne se réfèrent qu’à d’autres mots et à la manière dont ils diffèrent les uns des autres, formant ainsi des chaînes de “signifiants”, qui peuvent partir dans toutes les directions sans aucun point d’ancrage ». Ici, une séparation nette entre les discours et la réalité objective (le point d’ancrage) est implicite.

 

3   Le troisième thème, le relativisme culturel, postule l’impossibilité de classer une culture comme supérieure ou inférieure à une autre. Il faut noter que Pluckrose et Lindsay oublient de préciser à ce stade que, parmi les différentes branches de la pensée postmoderne, la pensée décoloniale fera un usage paradoxal de ce thème, postulant parfois de manière plus ou moins voilée une infériorité de la culture occidentale par rapport aux cultures « indigènes ».

 

4   Le dernier thème est celui de l’éviction de l’individu et de l’universel, tous deux perçus comme des fictions issues des Lumières, masques de la domination blanche. Pour Pluckrose et Lindsay, chez les postmodernes, « le concept d’universel […] est au mieux naïf. Dans le pire des cas, il s’agit simplement […] d’une tentative d’imposer les discours dominants à tous16 ». Quant à l’individu libre et rationnel décrit par la modernité, il n’est en réalité que le résultat illusoire des structures de pouvoir et de leurs discours.

 

On ne peut terminer ce résumé sans faire référence au mot fétiche du wokisme : l’intersectionnalité.  
C’est de la théorie critique de la race naîtra en 1989 le concept d’« intersectionnalité » promu par Kimberlé Crenshaw. L’idée est qu’il est possible de discriminer ou de subir des discriminations selon plusieurs axes. Ainsi, l’homme blanc homosexuel est moins opprimé par la société que la femme noire lesbienne handicapée car il est par ailleurs dominant sur plusieurs axes (homme, de race blanche), contrairement à la femme.

Cette notion s’est rapidement répandue, notamment chez les féministes. L’identité ethnique et sexuelle prenant une immense importance, savoir « d’où l’on parle » devient une clé.

 

Parmi les axes de domination considérés dans le schéma intersectionnel, les plus récents sont ceux du surpoids et du handicap. Les penseurs des « disability studies » ne perçoivent pas le handicap comme quelque chose d’individuel mais comme un concept imposé par une société malveillante.         
Ils accusent de « validisme » ceux qui pensent qu’il y aurait une norme physique humaine. Dans leur logique, il ne faudrait pas chercher à guérir le handicap car ce désir impliquerait une hiérarchisation et dissimulerait même la volonté de vouloir éradiquer les handicapés (et pas seulement le handicap, distinction qu’ils brouillent). Pluckrose et Lindsay notent que, chez ces penseurs, « le souhait exprimé de prévenir ou de guérir le handicap est souvent reformulé de manière choquante comme un souhait que les personnes handicapées (et non leur handicap) puissent ne pas exister – un stratagème cynique qui joue sur les mots ».    
Fondamentalement la « déconstruction », la « French Theory », le « wokisme » sont des outils idéologiques mis en place pour effacer les forces essentielles qui meuvent les sociétés et en conséquence les hommes qui les composent. Toute analyse économique est bannie de ces propos fumeux. Le peuple est composé de « beaufs » incultes, probablement mâles dominants et peu écologistes. Seule une élite « d’éveillés » - au fond une bande d’allumés - (le sens même du mot « wok »), grands prêtres de la « nouvelle pensée » peuvent montrer La Voie, par la violence s’il le faut. Ce nouvel obscurantisme n’est qu’une parade idéologique, qui apparait quand des crises majeures comme celle dans laquelle nous sommes. Il s’agit alors de brouiller les cartes, diviser les êtres humains à l’extrême, volontairement ne pas leur fournir les outils leur permettant de prendre consciemment leur sort en main. Plus que jamais il revient plus aux barbares que nous sommes, osant rester fidèles à Epicure, Spinoza, Descartes, Les lumières et quelques autres dont la préoccupation fut d’éclairer les hommes en leur fournissant des outils intellectuels pour fonder une humanité, de résister à ces groupes de pression.    
La barbarie peut se vêtir d’intellectualisme, elle reste une barbarie.

Sujet du Merc. 16 Oct. 2024 : Y A-T-IL GUERRE QUI SOIT JUSTE ?

  Y A-T-IL GUERRE QUI SOIT JUSTE ? Aucune guerre n’est juste, sauf peut-être une. Laquelle ? Le mot « juste » rappelle celui de justic...