L’éthique protestante et
l’esprit du capitalisme …
Tout système économique institutionnalisé sous la forme d’un état, de lois, etc … requiert l’existence d’un facteur subjectif permettant le maintien (conscient ou nom) de ce système lui-même. Il faut en effet un certain degré d’acceptation de l’ensemble du système économique pour que les agents de celui-ci ne songent à ne même pas avoir l’idée de le changer dès lors qu’ils en percevraient la nuisance pour leur intérêt propre. Pour le dire de manière plus synthétique à toute époque économique correspond une idéologie qui doit fonctionner à la fois comme mythe fondateur de l’ordre ambient et horizon indépassable de celui-ci.
Cela s’applique aux sociétés dans lesquelles des intérêts divergents sont en jeu entre les membres du groupe social, où des séparations en ordres, corporations, classes, viennent cliver le corps social : accumulation de richesses et de biens d’un côté (avec monopole des lois et de la force), dépossession du pouvoir politique, économique, militaire, d’un autre côté. Cela ne concerne pas les sociétés dites « premières ».
C’est à partir de là qu’il nous semble intéressant de faire appel à Max Weber (1864 1920), afin de montrer en quoi l’idéalisme philosophique a pu imprégner la sociologie naissante en cette fin du 19ième siècle. Et au-delà, toute une école de pensée.
Weber tend à affirmer que le facteur subjectif est premier et autonome,
voire extérieur à l’ordre capitaliste. Il pense que certains développements du
protestantisme auraient été le siège et le cadre d’une mutation des mentalités
et des croyances religieuses introduisant la phase du développement capitaliste
de l’économie.
Selon ce point de vue, les « idées » de quelques-uns (les
protestants - Et chez Weber il s’agit
d’une fraction bien particulière de ceux-ci).
Comment cela serait-il rendu possible ?
Weber n’examine pas les textes doctrinaux de Calvin lui-même, mais les
textes plus tardifs des sectes puritaines du XVIIe siècle. Il relève
l’existence de quatre orientations différentes dans les sectes puritaines : le
calvinisme, le piétisme, le méthodisme et le baptisme (curieux mélange
lorsqu’on connait la position de Calvin par rapport aux autres !) Dans le
calvinisme, explique Weber, le dogme le plus important est celui de la
prédestination : en créant le monde, Dieu a déterminé, dès l’origine, les élus
et les damnés, ceux à qui la grâce sera accordée et ceux à qui elle sera
refusée. Ce décret impénétrable à l’entendement humain libère de toute
théodicée – puisque le décret divin est incompréhensible à l’homme, ce dernier
n’a plus à chercher à comprendre l’imperfection d’un monde créé par un dieu bon
et juste – et plonge le croyant dans une solitude intérieure inouïe, dit Weber
(Weber 1905, ETh P. p. 105), puisque se pose au croyant la question de sa
situation religieuse, c’est-à-dire de son salut, ce qui d’un point de vue
religieux est la seule question d’importance. L’action dans le monde,
méthodique, systématique et donc rationnelle, n’a rien à voir avec une
recherche du salut au travers des œuvres : l’action elle-même ne peut rien
changer au décret initial pris par Dieu, l’ascèse intramondaine ne sert pas à «
acheter » son salut, elle ne sert qu’à délivrer de l’angoisse devant le décret
éternel (ibid., p. 128). Ce qui anime le puritain dans la conduite pratique de
la vie, ce qui le pousse à rationaliser son activité laborieuse ici-bas
d’une manière systématique et méthodique, c’est le fait de chercher la
confirmation renouvelée de la grâce au travers de l’activité laborieuse.
Le dispositif est le suivant :
sur la base d’une adhésion aux dogmes religieux réformés, le croyant se trouve
dans une position d’ignorance sur son salut éternel et donc dans une grande
angoisse puisqu’aucun réconfort ne peut provenir de l’Église en tant
qu’institution de la grâce. Cette situation devrait logiquement conduire à un
comportement fataliste. Tel n’est pas le cas du calviniste une fois acceptée
l’idée de la confirmation dans l’activité professionnelle profane conçue comme
un commandement divin (augmenter la gloire de dieu) et comme un moyen
d’obtenir, non pas le salut (le salut par les œuvres), mais comme recherche
méthodique des signes de l’élection. D’où cette conduite de vie entièrement
rationalisée de la part du croyant et une activité systématique en « affinité
élective » avec l’esprit du capitalisme, au sens où le capitaliste est
soumis à une discipline de vie dans laquelle la richesse est recherchée non
pour être consommée, mais pour être réinvestie. Pour Weber cela coïncide pour
le mieux avec l’esprit du capitalisme, c’est-à-dire avec « la disposition
qui, dans le cadre d’une profession, aspire méthodiquement à un profit légitime
au plan rationnel » (ibid., p. 45). Il en résulte « un ethos de la
profession spécifiquement bourgeois » (ibid., p. 244).».
Mais une fois ce cadre typiquement idéaliste – chimiquement pur - de la réalisation [idées à capitalisme], Weber se rend compte que
quelque chose cloche. « Le puritain voulait être un homme besogneux -
et nous sommes forcés de l’être. » Le capitalisme « détermine, avec une
force irrésistible, le style de vie de l’ensemble des individus nés dans ce
mécanisme — et pas seulement de ceux que concerne directement l’acquisition économique
… le souci des biens extérieurs ne
devait peser sur les épaules de ses saints qu’à la façon d’un ’léger manteau
qu’à chaque instant l’on peut rejeter’. Mais la fatalité a transformé ce
manteau en une cage d’acier ». Quelle solution donc ? « Fatalité », « Cage
d’acier» sont-ce des concepts philosophiques, sociologies
opératoires ? Pour Weber il faut en revenir, encore et toujours aux
sources « l’éthique protestante » en se référant à : «
une série de sentiments intimement liés à certaines représentations religieuses
». En bon idéaliste philosophique Weber part de l’irrationalisme
(religieux) pour … y revenir !.
De plus, Weber ne conçoit pas la possibilité de remplacer la logique
autarcique de la valeur qui s’auto-valorise par un contrôle démocratique de la
production. (cf J.M. Vincent)
Alors que reste-t-il des prétentions explicatives de Weber ? Weber,
observateur fataliste et résigné d’un mode de production et d’administration
que lui semble inévitable. Peu de choses, si ce n’est une influence
considérable sur sa tentative de définition de l’origine du capitalisme dans
les universités jusqu’à nos jours. Universités par ailleurs toujours
satisfaites par l’irrationalisme de Nietzsche, Heidegger, Arendt, Schmitt … Le
matérialisme fait peur et la nostalgie, l’obscurantisme, l’irrationalisme, sont
devenus la Doxa.
Ce que Weber, contrairement à Marx, n’a pas saisi, c’est la domination, sur les
activités humaines, de la valeur d’échange. Les mécanismes de la valorisation
et les automatismes inscrits dans les échanges marchands conduisent à une
monétarisation des relations sociales et à une « dépoétisation » du
monde — c’est-à-dire à la fois le devenir prosaïque marchand de la vie et le
dépérissement de l’expérience et de la « poiêsis».
Bibliographie succincte : Ethique capitalisme (Max Weber) - Marx et Weber critiques du capitalisme (M.
Löwy) – Economie et religion : une critique de M. Weber (K. Samuelson) – M. Weber et le sens des
limites (G Noiriel – Genèses 32).
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