La nature selon La Mettrie.
Julien Jean Offray de La Mettrie
(1709 – 1751) est connu comme médecin et philosophe matérialiste.
« La Philosophie, aux recherches de laquelle tout est soumis, est
soumise elle-même à la Nature, comme une fille à sa Mère ». Qu’est-ce que
la vie ? Un effet de l’organisation. Qu’est-ce que l’organisation ? Un effet de
la matière. S’il y a de la vie dans la nature, tout n’y vit pas.
« Ce n’est point la nature des principes solides des corps qui en fait toute
la variété, mais la diverse configuration de leurs atomes…Si les corps des
autres règnes n’ont ni sentiments ni pensées, c’est qu’ils ne sont pas
organisés pour cela, comme les hommes et les animaux : semblables à une eau qui
tantôt croupit, tantôt coule, tantôt monte, descend ou s’élance en jet d’eau,
suivant les causes physiques et inévitables qui agissent sur elle. » (La
Mettrie, Abrégé des systèmes). Ni animisme, donc, ni vitalisme : l’organisation
suffit à tout et « il n’y a dans tout l’univers qu’une seule substance
diversement modifiée ».
Le naturalisme de La Mettrie est
un matérialisme : la substance unique, c’est la matière, et c’est le tout du
réel l’immatérialité n’est qu’« un grand mot vide de sens » (Id). La
nature est une, malgré sa diversité (c’est ce que La Mettrie appelle 1’« uniforme
variété de la nature»; mais cette unité est celle d’une substance, et non
d’un sujet.
On pourrait voir là une appréciation spinoziste (que La Mettrie connait, mais
de seconde main), sauf que La Mettrie refuse que la nature, comme le voulait
Spinoza, soit chose pensante : « La pensée n’est qu’une modification
accidentelle du principe sensitif, qui par conséquent ne fait point partie
pensante de l’Univers ».
Pour La Mettrie, Spinoza lui paraît à la fois trop dogmatique et trop peu
matérialiste pour qu’il puisse s’y reconnaître tout à fait. La Mettrie préfère
la médecine à la géométrie, l’observation à la métaphysique.
Le système de la nature qui a ses préférences, c’est bien plutôt celui
d’Épicure.
L’unité de la nature n’en demeure pas moins, et c’est une unité, pourrait-on
dire, sans sujet ni fin(s). Ainsi écrit-il dans (le système d’Epicure) :
La nature a fait, dans la
machine de l’homme, une autre machine qui s’est trouvée propre à retenir les
idées et à en faire de nouvelles, comme dans la femme, cette matrice, qui d’une
goutte de liqueur fait un enfant. Ayant fait, sans voir, des yeux qui voient,
elle a fait, sans penser, une machine qui pense.
Quand on voit un peu de morve
produire une créature vivante, pleine d'esprit et de beauté, capable de
s’élever au sublime du style, des mœurs, de la volupté, peut-on être surpris
qu’un peu de cervelle de plus ou de moins constitue le génie, ou l’imbécillité
? ».
Evidemment cela rappelle furieusement Descartes et son « homme machine ».
Pour La Mettrie, Descartes avait raison mais, pour lui, il faut aller plus
loin, et affirmer que les hommes, « quelque envie qu'ils aient de s’élever,
ne sont au fond que des animaux et des machines perpendiculairement rampantes
».
En effet, il critique chez Descartes une sorte de volonté métaphysique
remplaçant causes et effet : « Les éléments de la matière, à force
de s’agiter et de se mêler entre eux, étant parvenus à faire des yeux, il a été
aussi impossible de ne pas voir que de ne pas se voir dans un miroir, soit
naturel, soit artificiel. L’œil s’est trouvé le miroir des objets, qui souvent
lui en servent à leur tour. La nature n’a pas plus songé à faire l’œil pour
voir, que l'eau, pour servir de miroir à la simple bergère. L’eau s’est trouvée
propre à renvoyer les images ; la bergère y a vu avec plaisir son joli minois. C’est
la pensée de l’auteur de l’Homme machine. ».
La critique est directe, et elle l’avantage de permettre à La Mettrie de
préciser sa conception nature/homme. En fait, la conception de la nature, pour
La Mettrie, est avant tout une conception de l’homme : « Les divers
états de l’âme sont toujours corrélatifs à ceux du corps », ou mieux «
toutes les facultés de l’âme dépendent tellement de la propre organisation du
cerveau et de tout le corps, qu’elles ne sont visiblement que cette
organisation même ; voilà une machine bien éclairée ! [...] L’âme n’est donc
qu’un vain terme dont on n’a point idée, et dont un bon esprit ne doit se
servir que pour nommer la partie qui pense en nous. ».
La Mettrie est de manière évidente proche des explications des matérialistes. Comme
Épicure, en effet, comme Spinoza, et comme leurs disciples modernes, il pense
que la nature est sans morale, sans vie, sans finalité.
Mais il ne se laisse enfermer
dans aucun système. Le pur hasard atomistique peut parfois lui sembler trop
court, pour expliquer la nature, comme la nécessité spinoziste peut parfois lui
sembler trop religieuse, trop métaphysique ou trop abstraite. Cela ne l’empêche
pas d’utiliser l’une et l’autre de ces deux pensées, mais de manière toujours
critique et libre.
C’est que, pour lui, l’essentiel est ailleurs : l’essentiel est de ne pas
laisser la religion nous enfermer dans l’illusion, l’angoisse ou la
culpabilité. La nature n’est pas Dieu, et c’est la nature que le philosophe
doit suivre.
La Mettrie aimait trop le plaisir et la vérité pour accepter que des dogmes
incertains et menaçants prétendent s’immiscer entre le réel et lui, et limiter
en quoi que ce soit son appétit de jouir et de penser. Ce par quoi il
appartient bien aux Lumières :
« On peut élever la voix, écrivait-il à la fin de sa vie, se servir de sa
raison, et jouir enfin du plus bel apanage de l’humanité, la faculté de penser.
Les théologiens juges des philosophes ! Quelle pitié ! C’est vouloir ramener la
superstition et la barbarie. »
Mercredi 28 Février 2024
Sujet : Ad
Feuerbach.
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