Se rendre « comme maîtres et possesseur de la
nature » Descartes – 1637.
« Dans la grande tradition
philosophique au sens strict du terme, de Descartes à Hegel, le mépris de la nature
est de rigueur. Descartes est l’un des premiers anti-écologistes…. Plus près de
nous, dans la tradition marxiste, il n’y a pas non plus de nature, mais
seulement un environnement humain …. D’une façon générale, toute l’histoire philosophique,
politique, esthétique, scientifique s’est constituée contre l’idée de nature. »
J.L Peytavin, l’écologie est-elle naturelle. 1992.
* * *
« Mais, sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales
touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés
particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien
elles différent des principes dont on s'est servi jusques à présent, j'ai cru
que je ne pouvais les tenir cachées, sans pécher grandement contre la loi qui nous
oblige à procurer autant qu'il est en nous, le bien général de tous les hommes.
Car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances
qui soient fort utiles à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie
spéculative, qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique,
par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air,
des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi
distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les
pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres,
et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature. Ce qui
n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui
feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes
les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation
de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous
les autres biens de cette vie ; car même l'esprit dépend si fort du
tempérament, et de la disposition des organes du corps que, s'il est possible
de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus
habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on
doit le chercher. Il est vrai que celle qui est maintenant en usage contient
peu de choses dont l'utilité soit si remarquable ; mais, sans que j'aie aucun
dessein de la mépriser, je m'assure qu'il n'y a personne, même de ceux qui en
font profession, qui n'avoue que tout ce qu'on y sait n'est presque rien, à
comparaison de ce qui reste à y savoir, et qu'on se pourrait exempter d'une
infinité de maladies, tant du corps que de l'esprit, et même aussi peut-être de
l'affaiblissement de la vieillesse, si on avait assez de connaissance de leurs
causes, et de tous les remèdes dont la Nature nous a pourvus. »
Discours de la méthode. VI partie. 1637.
Question : Pourquoi les hommes s'efforcent-ils de connaître
? Thèse : La science n'a pas qu'un intérêt spéculatif, elle a aussi un intérêt
pratique. Elle va permettre de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la
Nature ». Eclaircissements :
I°) Nul doute que comme tout grand savant, Descartes commencerait par répondre
à la question « pourquoi les hommes d'efforcent-ils de connaître ? » à la
manière des Anciens. La connaissance est à elle-même sa propre fin. Connaître a
pour vocation de satisfaire une exigence fondamentale de l'esprit humain qui
est de savoir, de découvrir la vérité. C'est là, le thème de la science comme
activité libérale c'est-à-dire désintéressée. Il y a bien chez Descartes une
volonté de savoir pour savoir. Dans une lettre à la princesse Elisabeth, il dit
par exemple que même si la connaissance doit nous rendre tristes en dissipant
nos illusions, la connaissance de la vérité est un bien supérieur et nous donne
du plaisir. Mais ce texte établit que la science, dans sa forme moderne, n'a
pas qu'un intérêt théorique, elle a aussi un intérêt pratique. « Pratique »
signifie : « qui concerne l'action ». Le terme s'oppose dans le texte à «
spéculatif » et on sent que ce dernier prend sous la plume de Descartes une
signification péjorative car il est moins synonyme de théorie que de
spéculations oiseuses, sans véritable contenu concret, ce qui est le propre de
la philosophie enseignée dans l'Ecole. On sait que Descartes est insatisfait de
l'enseignement qu'il a reçu ; il rompt avec l'esprit de la scolastique et fonde
le savoir sur de nouvelles bases, en particulier sur la seule autorité de la
raison. Au début du texte il fait allusion aux progrès qu'il a faits dans
l'élaboration de la physique. Celle-ci a pour objectif de dégager les lois de
la nature, et Descartes découvre, dans sa propre pratique que ce genre de
connaissances peut donner lieu à des applications pratiques forts intéressantes
pour les hommes. C'est d'ailleurs, semble-t-il cette prise de conscience qui le
détermine à publier ses recherches. « J'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées,
sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu'il
est en nous, le bien général de tous les hommes ». Gilson remarque « qu'il faut
donc distinguer dans l'histoire de la pensée de Descartes, les raisons qui
l'ont conduit à réformer ses propres opinions philosophiques ou morales de
celles qui l'ont conduit à les publier. C'est le désir de voir clair dans ses
pensées et ses actions qui a fait de lui un philosophe ; c'est le désir
d'améliorer les conditions matérielles de l'existence humaine qui a fait de lui
un auteur ».
2°) Il y a une utilité de la science moderne car la connaissance des lois régissant
les phénomènes naturels permet d'intervenir sur eux pour réaliser des fins
proprement humaines. Descartes énumère ces fins : Soulager le travail des
hommes dans l'exploitation des ressources naturelles par l'invention d'outils,
de machines, de savoir-faire permettant de produire l'abondance des biens
nécessaires au bonheur, avec moins d'efforts humains. Guérir les maladies tant
physiques que mentales et promouvoir par là les conditions d'un progrès moral
des hommes car, remarque l'auteur, le bon exercice de l'esprit est en partie
conditionné par le bon fonctionnement du corps. Cf. L'image de l'arbre de la
connaissance. La morale vient en dernier. Elle est le couronnement de la
sagesse et elle doit sans doute beaucoup à la technique (la mécanique) et à la
médecine. De fait, la profonde misère et aliénation matérielle ne sont guère
propices à la perfection morale. De même le dérèglement du corps et celui de
l'esprit, pour autant que l'exercice de ce dernier dépend de conditions
physiques, ne le sont pas davantage. La pire des choses qui puisse arriver à un
homme disait Descartes, est que Dieu ait mis son âme dans un corps la privant
de s'exercer librement. Il faut ici penser à l'aliénation mentale. Allonger
l'espérance de vie en luttant contre les maladies mais aussi contre les effets
du vieillissement. La science est conçue ici comme le moyen de l'efficacité
technique. La connaissance n'est plus une fin en soi. Elle n'est plus un savoir
pour savoir mais un savoir pour pouvoir. On va pouvoir l'utiliser à des fins
pratiques et elle va « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature ».
3°) Il convient de prendre acte de l'importance du « comme » et de la majuscule
du mot Nature. Celle-ci signifie clairement que la Nature est une instance
supérieure à l'homme et que l'homme n'est pas Dieu. Il ne saurait donc se
substituer au créateur et disposer de la Nature comme un souverain. Descartes
ne justifie pas, par avance une conquête agressive, dévastatrice de équilibres
naturels et ordonnée à d'autres fins que les fins légitimes de l'existence
humaine. Il ne cautionne pas une volonté de puissance pour la puissance
c'est-à-dire un pouvoir technique désolidarisé du souci de la sagesse.
On sait que c'est là le grand reproche adressé aujourd'hui à
la technique par tous ceux qui dénoncent en elle une volonté prométhéenne
(titanesque) ayant cessé d'être éclairée par la sagesse de Zeus. Descartes
propose une comparaison qu'il faut interpréter en un sens humaniste.
Est maître celui qui a cessé d'être esclave.
Or on est esclave tant qu'on est impuissant et qu'on est condamné par cette
impuissance à subir la dure loi de la nature non domestiquée par l'homme :
faim, maladies, peurs, mort prématurée, rareté des biens etc. Le pouvoir
conféré par la connaissance permet à l'homme de se libérer des puissances
d'asservissement et de maîtriser ce qui a commencé par disposer de lui.
Mais il va de soi que la vraie maîtrise et la responsabilité de celui qui a la
disposition de quelque chose est d'exercer ce pouvoir avec sagesse. Ce qui
suppose que l'usage des moyens techniques doit être réglé par de véritables
choix éthiques. » S. Manon.
Et pour finir : un soupçon de spinozisme …..
Si l’on part du fait qu’il n’y a que la nature, alors il n’y a rien qui lui
échappe ou qui s’y oppose ; pas même l’âme humaine. Par conséquent, tout ce qui
arrive à l’homme est soumis à la nature.
En ce sens, tout ce qui nous arrive dans la vie, notamment
ce qui est lié à nos passions, est soumis à la nécessité de la nature. On
pourrait affirmer que Spinoza est un déterministe.
Cependant, l’homme peut atteindre la liberté par la
connaissance. Pour Spinoza, la liberté n’est pas une question de
volonté humaine, mais de compréhension.
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