La mort n’est rien pour nous (Epicure)
« Accoutume-toi
sur ce point à penser que pour nous la mort n'est rien, puisque tout bien et
tout mal résident dans la sensation, et que la mort est l'éradication de nos
sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la mort ne nous est rien
autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui conférant une
durée infinie, niais en l'amputant du désir d'immortalité. Il s'ensuit qu'il
n'y a rien d'effrayant dans le fait de vivre" pour qui est radicalement
conscient qu'il n'existe rien d'effrayant non plus dans le fait de ne pas
vivre.
Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non
parce qu'il souffrira en mourant, mais parce qu'il souffre à l'idée qu'elle
approche. Ce dont l'existence ne gêne point, c'est vraiment pour rien qu'on
souffre de l'attendre! Le plus effrayant des maux, la mort, ne nous est rien,
disais je : quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là,
c'est nous qui ne sommes pas 1 Elle ne concerne donc ni les vivants ni les
trépassés, étant donné, que pour les uns, elle n'est point, et que les autres
ne sont plus. Beaucoup de gens pourtant fuient la mort, soit en tant que plus
grand des malheurs, soit en tant que point final des choses de la vie.
Le philosophe, lui, ne craint pas le fait de n'être pas
en vie : vivre ne lui convulse pas l'estomac, sans qu'il estime être mauvais de
ne pas vivre. De même qu'il ne choisit jamais la nourriture la plus
plantureuse, mais la plus goûteuse ainsi n'est ce point le temps le plus long,
mais le plus fruité, qu'il butine. Celui qui incite d'un côté le jeune à bien
vivre, de l'autre le vieillard à bien mourir est un niais, non tant parce que
la vie a de l'agrément, mais surtout parce que bien vivre et bien mourir
constituent un seul et même exercice. Plus stupide encore celui qui dit "
beau " de n'être pas né, ou "sitôt né, de franchir les portes de l'Hadès
".
S'il est persuadé de ce qu'il dit, que ne quitte t il la
vie sur le champ Il en a l'immédiate possibilité, pour peu, qu'il le veuille
vraiment. S'il veut seulement jouer les provocateurs, sa désinvolture en la
matière est déplacée.
Souvenons nous d'ailleurs que l'avenir, ni ne nous
appartient, ni ne nous échappe absolument, afin de ne pas tout à fait
l'attendre comme devant exister. et de n'en point désespérer comme devant
certainement ne pas exister.
……
D’après
toi, quel homme surpasse en force celui qui sur les dieux nourrit des
convictions conformes à leurs lois ? Qui face à la mort est désormais sans
crainte ? Qui a percé à jour le but de la nature, en discernant à la fois comme
il est aisé d'obtenir et d'atteindre le summum des biens, et comme celui des
maux est bref en durée ou en intensité ? s'amusant de ce que certains mettent
en scène comme la maîtresse de tous les événements ? les uns advenant certes
par nécessité, mais d'autres par hasard, d'autres encore par notre initiative
?, parce qu'il voit bien que la nécessité n'a de comptes à rendre à personne,
que le hasard est versatile, mais que ce qui vient par notre initiative est
sans maître, et que c'est chose naturelle si le blâme et son contraire la
suivent de près (en ce sens, mieux vaudrait consentir à souscrire au mythe
concernant les dieux, que de s'asservir aux lois du destin des physiciens
naturalistes : la première option laisse entrevoir un espoir, par des prières,
de fléchir les dieux en les honorant, tandis que l'autre affiche une nécessité
inflexible). Qui témoigne, disais je, de plus de force que l'homme qui ne prend
le hasard ni pour un dieu, comme le fait la masse des gens (un dieu ne fait
rien de désordonné), ni pour une cause fluctuante (il ne présume pas que le
bien ou le mal, artisans de la vie bienheureuse, sont distribués aux hommes par
le hasard, mais pense que, pourtant, c'est le hasard qui nourrit les principes
de grands biens ou de grands maux); l'homme convaincu qu'il est meilleur d'être
dépourvu de chance particulière tout en raisonnant bien que d'être chanceux en
déraisonnant, l'idéal étant évidemment, en ce qui concerne nos actions, que ce
qu'on a jugé " bien " soit entériné par le hasard.
À ces questions, et à toutes celles qui s'y rattachent, réfléchis jour et nuit
pour toi-même et pour qui est semblable à toi, et veillant ou rêvant jamais
rien ne viendra te troubler gravement : ainsi vivras-tu, comme un dieu parmi
les humains. Car il n'a rien de commun avec un vivant mortel, l'homme vivant
parmi des biens immortels. »
Epicure -341 -270
Lettre sur le bonheur,
dite lettre à Ménécée (extraits)
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